Atteinte oculaire au cours de la périartérite noueuse. Deux observations

Atteinte oculaire au cours de la périartérite noueuse. Deux observations

Journal français d’ophtalmologie (2012) 35, 724.e1—724.e5 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE Atteinte oculair...

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Journal français d’ophtalmologie (2012) 35, 724.e1—724.e5

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE

Atteinte oculaire au cours de la périartérite noueuse. Deux observations夽 Ocular involvement in polyarteritis nodosa: Two cases

A. Abouzahir a,∗, Y. Bennouk b, M. El Qatni a, N. El Omri a, S. Hammi a, M. Badaoui a, F. Mekouar a, J. Fatihi a, Y. Sekkach a, T. Amezyane a, D. Ghafir a, H. Echachoui a a

Service de médecine interne B, hôpital militaire d’instruction Mohammed V, 10000 Riad, Rabat, Maroc b Service d’ophtalmologie, hôpital militaire d’instruction Mohammed V, 10000 Riad, Rabat, Maroc Rec ¸u le 6 septembre 2011 ; accepté le 19 d´ ecembre 2011 Disponible sur Internet le 13 septembre 2012

MOTS CLÉS Périartérite noueuse ; Choroïdite multifocale ; Décollement de rétine

Résumé Introduction. — La périartérite noueuse (PAN) est une vascularite systémique à manifestations cliniques polymorphes. L’atteinte oculaire est rare, nous en rapportons deux cas. Observations. — Le premier cas concerne un patient de 56 ans, présentant une PAN, traitée par corticoïdes. Un an et demi après, à l’occasion d’une poussée de la maladie avec baisse de l’acuité visuelle, l’examen ophtalmologique objectivait un décollement localisé de l’épithélium pigmentaire de l’œil droit. L’évolution était favorable sous corticoïdes en bolus relayés par azathioprine. Le second cas était un patient de 41 ans présentant une PAN avec baisse de l’acuité visuelle. L’examen ophtalmologique montrait une occlusion de la branche veineuse temporale inférieure de l’œil droit et des décollements séreux rétiniens de l’œil gauche. L’évolution était favorable sous bolus de cyclophosphamide relayés par azathioprine. Discussion. — L’incidence de l’atteinte oculaire au cours de la PAN varie de 10 à 20 %. Elle est le plus souvent liée à la vascularite des artères choroïdiennes et rétiniennes. L’angiographie à la fluorescéine est l’examen clé, l’ischémie choriocapillaire aiguë multifocale est très évocatrice. Les immunosuppresseurs sont efficaces et doivent être réservés aux formes graves. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

夽 Le texte de cet article est également publié en intégralité sur le site de formation médicale continue du Journal franc ¸ais d’ophtalmologie, http://www.e-jfo.fr, sous la rubrique « Cas clinique » (consultation gratuite pour les abonnés). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : a [email protected] (A. Abouzahir).

0181-5512/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2011.12.008

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KEYWORDS Polyarteritis nodosa; Multifocal choroiditis; Retinal detachment

A. Abouzahir et al.

Summary Introduction. — Polyarteritis nodosa (PAN) is a systemic vasculitis with polymorphic manifestations. Ocular involvement is rare; we report two such cases. Cases. — The first case was a 56-year-old man with PAN treated with corticosteroids. A year and a half later, during a disease outbreak associated with decreased visual acuity, ocular examination objectified a localized pigment epithelial detachment in the right eye. The outcome was favorable with corticoid bolus followed by azathioprine. The second case was a 41-year-old man presenting with PAN and decreased visual acuity. Ophthalmologic examination showed inferotemporal branch vein occlusion in the right eye with serous retinal detachments in the left eye. The outcome was favorable with intravenous cyclophosphamide followed by azathioprine. Discussion. — The incidence of ocular involvement in PAN varies from 10 to 20%. It is most often associated with vasculitis of retinal and choroidal arteries. Fluorescein angiography is the gold standard of diagnosis. Multifocal acute ischemia of the choriocapillaris is very pathognomonic. Immunosuppressant drugs are effective and should be reserved for severe forms. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction La périartérite noueuse (PAN) est une vascularite systémique qui touche les artères de petit et moyen calibre avec des lésions histologiques segmentaires et transmurales. Cette vascularite aboutit à la destruction de l’architecture de la paroi vasculaire et la formation de dilatations anévrismale [1]. Les manifestations cliniques de la PAN sont très polymorphes, dominées par les signes généraux, cutanés, articulaires, musculaires et neurologiques périphériques. L’atteinte oculaire est rare, parfois sévère et peut engager le pronostic fonctionnel. Son diagnostic est difficile lorsqu’elle est inaugurale de la maladie ou en présence d’un tableau de PAN paucisymptomatique. De même, chez les patients suivis pour vascularite systémique, il est parfois difficile de rattacher un décollement séreux rétinien à la vascularite plutôt qu’à une choriorétinite séreuse centrale atypique (CRSC) ou à une épithéliopathie rétinienne diffuse favorisée par la prise de corticoïdes. C’est dans cette optique que nous rapportons deux cas d’atteinte oculaire survenues au cours de la PAN.

Observations Cas no 1 Un patient de 56 ans a été admis en 2008 pour des lésions nodulaires, érythémateuses non prurigineuses des membres inférieurs, évoluant dans un contexte d’altération de l’état général et d’arthromyalgies. L’examen clinique trouvait une tension artérielle à 13/8 mmHg. Biologiquement, il existait un syndrome inflammatoire modéré avec une vitesse de sédimentation (VS) à 30 mm à la première heure et une CRP à 15 mg/L. L’hémogramme montrait des leucocytes à 6500/mm3 dont 3500/mm3 de neutrophiles, 2600/mm3 de lymphocytes et 300/mm3 d’éosinophiles, l’hémoglobine était à 13 g/dL et plaquettes à 350 000/mm3 . La fonction rénale, le bilan phosphocalcique et le bilan hépatique étaient sans anomalies. Les sérologies des hépatites virales B et C étaient négatives tout comme les anticorps

antinucléaires et les ANCA. L’électromyogramme objectivait une polyneuropathie axonomyélinique aux membres inférieurs. La biopsie d’un nodule objectivait la présence d’un infiltrat inflammatoire fait de lymphocytes et de polynucléaires neutrophiles avec la présence d’une nécrose fibrinoïde de la média et une lumière vasculaire thrombosée. Par ailleurs, l’ECG inscrivait un rythme sinusal sans trouble de la repolarisation et l’échocardiographie était sans anomalie. Le diagnostic de PAN était posé. Un traitement par 1 mg/kg par jour de prednisone était institué. L’évolution fut marquée par l’amélioration de l’état général avec la régression des arthromyalgies et des nodules sous-cutanés. Un an et demi après, alors que le patient était traité par 5 mg de prednisone, il présentait une baisse progressive de l’acuité visuelle (AV) de l’œil droit avec arthromyalgies inflammatoires. L’examen ophtalmologique montrait une AV à 5/10 à droite, au fond d’œil il existait une lésion maculaire centrale de couleur jaune bien arrondie (Fig. 1), l’angiographie à la fluorescéine montrait deux lésions maculaires avec une hyperfluorescence dès les temps précoces qui ne changeait ni d’intensité ni de volume aux temps tardifs (Fig. 2). La tomographie en cohérence optique (OCT) montrait un décollement localisé de l’épithélium pigmentaire (Fig. 3). Le bilan biologique objectivait un syndrome inflammatoire modéré avec une VS à 25 mm à la première heure et une CRP à 12 mg/L. Le patient était traité par trois bolus de méthyl prednisolone à 1 g/j, relayé par prednisone à 30 mg/j et azathioprine à 150 mg/j. Le contrôle ophtalmologique montrait une bonne évolution avec récupération d’une AV normale et régression du décollement à l’OCT de control pratiquée. Après un recul de six mois, le patient était asymptomatique.

Cas no 2 Un patient de 41 ans a présenté en 2010 des polyarthralgies inflammatoires touchant les grosses articulations, des nodules sous-cutanés, des paresthésies des membres inférieurs, une orchite et une baisse de l’AV d’installation progressive. Ce tableau évoluait dans un contexte d’amaigrissement non chiffré. La pression artérielle était à 120/70 mmHg. Biologiquement, il existait

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Figure 1.

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Fond d’œil droit montrant une lésion maculaire centrale de couleur jaune bien arrondie.

Figure 2. Angiographie à la fluorescéine de l’œil droit montrant deux lésions maculaires avec une hyperfluorescence dès le temps précoce (a) qui ne change ni d’intensité ni de volume au temps tardif (b).

Figure 3. Tomographie en cohérence optique de l’œil droit montrant un décollement localisé de l’épithélium pigmentaire.

un syndrome inflammatoire avec une VS à 50 mm à la première heure et une CRP à 30 mg/L. L’hémogramme montrait une hémoglobine à 12,5 g/dL, des leucocytes à 8500/mm3 dont 4500/mm3 de neutrophiles, 3100/mm3 de lymphocytes et 650/mm3 d’éosinophiles et les plaquettes étaient à 300 000/mm3 . La fonction rénale était normale tout comme le bilan hépatique. Les ANCA, les anticorps antinucléaires et le facteur rhumatoïde étaient négatifs. La sérologie de l’hépatite C était négative et la sérologie de l’hépatite B montrait le profil d’une hépatite B guérie. L’électromyogramme objectivait une polyneuropathie de type axonale. La biopsie d’un nodule sous-cutané

montrait la présence d’un infiltrat inflammatoire fait de polynucléaires et de lymphocytes avec une nécrose fibrinoïde de la paroi vasculaire. L’AV était à 5/10 à gauche et 8/10 à droit, l’examen du fond d’œil objectivait une occlusion de la branche veineuse temporale inférieure de l’œil droit et à l’œil gauche un décollement rond de la rétine au niveau maculaire (Fig. 4). L’angiographie à la fluorescéine montrait l’occlusion de la branche veineuse temporale inférieure à l’œil droit. À gauche, un décollement séreux central avec engaiement vasculaire au niveau nasal en faveur de la vascularite et une ischémie choriocapillaire multifocale (Fig. 5). L’OCT confirmait le décollement séreux central (Fig. 6). Trois bolus d’un gramme de méthyl prednisolone ont été réalisés, relayés par 1 mg/kg par jour de prednisone. L’évolution était marquée par l’amélioration de l’état général, la régression des arthralgies et de l’orchite, mais avec la persistance des troubles oculaires. Le patient a rec ¸u alors six bolus mensuels de cyclophosphamide à 1 g avec relais par azathioprine à 150 mg/j et diminution de la prednisone. La récupération sur le plan ophtalmologique n’a été constatée qu’après le cinquième bolus de cyclophosphamide avec une nette amélioration de l’AV et régression du décollement séreux central à l’OCT de contrôle. Après un recul de six mois, le patient était en rémission.

Discussion La PAN est une affection très polymorphe, les lésions de vascularite peuvent toucher tous les organes sauf le

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Figure 4. Fond d’œil montrant une occlusion de la branche veineuse temporale inférieure (OD) et un décollement rond de la rétine au niveau maculaire (OG).

Figure 5. Angiographie à la fluorescéine. OD : occlusion de la branche veineuse temporale inférieure : image d’arrêt circulatoire (flèche blanche), hémorragie rétinienne (flèche rouge), shunt artérioveineux (flèche jaune). OG : ischémie choriocapillaire multifocale (flèches blanches), engaiement vasculaire au niveau nasal correspondant à une lésion de choroïdite (flèche rouge), décollement séreux central (flèche jaune).

poumon [1]. On note fréquemment une altération de l’état général avec un amaigrissement souvent important et des douleurs musculaires ou articulaires quasi constantes. Parmi les vascularites systémiques, la PAN et la vascularite de Churg-et-Strauss constituent les affections les plus fréquemment responsables d’atteintes oculaires avec une incidence qui varie de 10 à 20 % et 29 à 52 % respectivement [2,3]. L’atteinte oculaire est souvent au second plan du tableau clinique de la maladie et semble plus fréquente chez les patients présentant une atteinte cérébrale [4]. Elle est liée à la vascularite des artères choroïdiennes, rétiniennes, ciliaires et à l’atteinte des muscles oculomoteurs [1—3]. La conséquence de cette vascularite est l’ischémie

choroïdienne et les zones de décollement rétinien qu’elle entraîne comme c’est le cas pour nos patients [2]. La vascularite du nerf optique entraîne un œdème papillaire qui peut évoluer vers une atrophie du nerf optique et une cécité [3]. L’atteinte oculaire peut être inaugurale, brutale, par occlusion de l’artère centrale de la rétine, comme elle peut précéder l’apparition des autres manifestations de la maladie [4,5]. Le symptôme révélateur est le plus souvent une baisse de l’AV, une amputation du champ visuel voire une cécité aiguë. L’atteinte peut être asymptomatique et découverte lors d’un examen ophtalmologique systématique [4,6]. Les manifestations oculaires de la PAN se présentent sous différentes formes. Il peut s’agir d’une conjonctivite,

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Conclusion L’atteinte oculaire au cours de la PAN pose un problème diagnostique essentiellement chez les patients sous corticoïdes. L’ischémie choriocapillaire aiguë multifocale est très évocatrice. Les corticoïdes sont habituellement efficaces, les immunosuppresseurs doivent être réservés aux formes graves.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article. Figure 6. Tomographie en cohérence optique (OCT) confirmant le décollement séreux central (flèche blanche).

Références

épisclérite, kératite ulcéreuse périphérique, exophtalmie, vascularite rétinienne et uvéite [2,3,5—9]. L’atteinte du segment postérieur de l’œil est la plus fréquente [2,3]. Les signes ophtalmoscopiques peuvent être masqués par une atteinte rétinienne sous-jacente [6]. L’angiographie à la fluorescéine est l’examen clé qui permet de mettre en évidence une ischémie choriocapillaire aiguë multifocale très évocatrice du diagnostic de PAN [3,6,9]. L’OCT est utile pour l’analyse des couches internes de la rétine et du complexe épithélium pigmentaire-membrane de Bruch et choriocapillaire [10]. Rattacher l’atteinte oculaire à la PAN est facile dans un contexte de maladie connue et polysymptomatique. Ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit d’un tableau paucisymptomatique ou lorsque l’atteinte oculaire est inaugurale. De même, la survenue d’atteinte oculaire au cours de l’évolution de la maladie pose le problème de la responsabilité des corticoïdes, notamment en présence d’une CRSC [11]. Dans notre premier cas, l’apparition des troubles visuels concomitamment avec une poussée de la maladie, la mise en évidence d’un décollement de l’épithélium pigmentaire probablement en rapport avec une hyperperméabilité choroïdocapillaire liée à la vascularite et la réponse au traitement corticoïde plaident en faveur de la responsabilité de la PAN. Dans le second cas, l’installation des manifestations oculaires était concomitante avec les autres signes de la maladie et avant toute corticothérapie. De même, la présence d’une ischémie choriocapillaire multifocale confortait le diagnostic. Dans des situations de diagnostic difficile, l’ophtalmologiste est d’un grand apport en réalisant des biopsies de tissus accessibles, conjonctivale, épisclère et tissu périorbitaire notamment [3]. Les corticoïdes en bolus permettent habituellement de contrôler l’inflammation oculaire. Le cyclophosphamide est efficace dans les vascularites rétiniennes et permet une épargne cortisonique. Le risque de complications infectieuses sous immunosuppresseurs suggère son utilisation dans les formes graves qui engagent le pronostic visuel [5,12].

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