Cas clinique au laboratoire Une cirrhose d'étiologie très inhabituelle…

Cas clinique au laboratoire Une cirrhose d'étiologie très inhabituelle…

clinique au laboratoire Une cirrhose d' tiologie tr s inhabituelle... D. L E C A R R E R *, T. P O N G E ** et M. J O U B E R T I. Observation Mada...

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clinique au laboratoire Une cirrhose d' tiologie tr s inhabituelle...

D. L E C A R R E R

*, T. P O N G E ** et M. J O U B E R T

I. Observation Madame B., 75 ans, sans antecedent notable, consulte dans un service de m~decine interne pour une thrombop~nie. L'~lectrophor~se des prot~ines s~riques montre une hyper y-globulin~mie polyclonale majeure avec bloc 13y attirant d'embRe l'attention (figure 1), orientant vers un syndrome cirrhotique. Le brian biochimique r~v~le une insuffisance h~patocellulaire avec cytolyse et une hyperbilirubin~mie mod~r~e. Le diagnostic de cirrhose est retenu, la fibroscopie gastrique montrant des varices oesophagiennes de stade II et III. La thrombop~nie est ~galement rattach~e & cette cirrhose h~patique dont l'~tiologie reste ind~termin~e, la patiente niant tout ~thylisme. La cupr~mie est normale, les s~rologies virales sont n~gatives, ainsi que la recherche d'anticorps antinucRaires et anti-mitochondries (~liminant une maladie de Wilson, une h~patite virale ou auto-immune, une cirrhose biliaire primitive). Quelques temps apr~s, la patiente est hospitalis~e pour un purpura vasculaire. Un second prot~inogramme de contr61e est examin~ plus attentivement : l'hyper y-globulin~mie importante avec bloc ~y persiste, de plus la zone des al-globulines est significativement abaiss~e t~ 1 , 1 % (N : 2 - 4 %), ~voquant une diminution de l'cd-antitrypsine (cd-AT), prot~ine la plus importante des al-globulines. La biopsie h~patique r~v~le une cirrhose ~volu~e associ~e /~ des l~sions d'h~patite chronique mod~r~ment active. II n'existe pas de surcharge pigmentaire {errique (coloration de Perls n~gative ~liminant une h~mochromatose). La presence dans le cytoplasme des h~patocytes de globules hyalins, bien visibles t~ I'HES (h~matoxyline ~osine safran) (figure 2), fait fortement suspecter un d~ficit h~r~ditaire en cd-antitrypsine (DHA). Ces globules sont nombreux, de taille variable (I t~ 20 la), isoRs ou group,s & un p61e de l'h~patocyte ; ils pr~dominent dans les h~patocytes p~ri-portaux et en bordure des nodules de r~g~n~ration, lls sont PAS (periodic acid schiff) positifs, la coloration r~sistant ~ la digestion amylasique

***

FIGURE 1

l~lectrophor~se des prot~ines s~riques r6v~lant le bloc ~y et la diminution de la zone des ~l-globulines

Valeurs norrnales • • • • ' • •

Protid~mie : 67 gA 27.5 % Albumine cd -globulines 1.1% c~2-globulines 5.4 % [Sy-globulines 66.0 % 0.38 Rapport Alb/Glob

(57-69 %) (2-4 %) (6-10 %)

(1.3-2.2)

),

_J

k_

(figure 3).

* Laboratoire de biochimie sp~.cialis~e (service du Pr P. LUSTENBERGER) ** Service de rn~decine interne B (service du Pr J.-H. BARRIER) *** Laboratoire d'anatomie pathologique A (service du Pr C. LABOISSE) H6tel Dieu - Nantes.

Une exploration biochimique compl~mentaire de l'cd-AT est effectu~e parall~lement aux examens histologiques ; le dosage immunochimique de la prot~ine est de 0,59 g/l (N : 0,95 1,90 g/l) correspondant environ & 40 % du taux normal. Le variant mol~culaire de I ' a I - A T correspond t~ un ph~notype h~t~rozygote Pi SZ peu frequent.

TI_RI~-S A P A R T : M. D. LE CARRER Laboratoire de biochimie sp~cialis~e H6tel Dieu - Centre hospitalier et universitaire B.P. 1005 - 9, quai Moncousu 4 4 0 3 5 N A N T E S CEDEX 01

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(65-80 gA)

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FIGURE 2 D6ficit en ~ I - A T : biopsie h6patique Nombreux globules hyalins de taille variable dans le cytoplasme des h6patocytes

FIGURE 3 D6ficit en ~loAT : biopsie h6patique Globules intrah6patocytaires PAS positifs r6sistants la digestion enzymatique

(coloration l I E S - g r o s s i s s e m e n t x 4 0 0 )

(coloration P A S / a m y l a s e - g r o s s i s s e m e n t x 4 0 0 )

2. Diagnostic

diff4rents all~les dont les trois principaux sont : Pi M (95 %), Pi S (3 %) et Pi Z (1%), ces deux derniers ayant un r6el int6r~t pratique du fait de leur pathog6nicit~ dans les DHA (1, 4). La concentration plasmatique en c~I-AT est sous d6pendance g6n6tique, la transmission s'effectuant sur le mode autosomique codominant ; chaque all~le parental s'exprimant ind& pendamment l'un de l'autre, le ph6notype Pi d'un individu r6sulte de l'expression des deux all~les et porte donc les deux lettres respectives (10). Chez un sujet homozygote Pi MM (all~le Pi M), la concentration en cd-AT est normale (= I 0 0 %) ; ~ l'oppos6, un d6ficit relatif en c~I-AT est associ~ l'all~le S (taux ~ 60 % chez les sujets homozygotes Pi SS) et un d~ficit important ~ l'all~le Pi Z (taux fi 10 % chez les homozygotes Pi ZZ). Des taux interm6diaires peuvent donc se rencontrer en fonction des diverses combinaisons all~liques possibles, correspondant aux ph~notypes h6t~rozygotes tels que Pi MS, Pi MZ ou encore Pi SZ comme dans cette observation (12). Dans ce dernier cas, le taux plasmatique en e l - A T correspond ~ 35-40 % de la concentration normale. Un Europ~en sur dix pr~senterait un ph6notype anormal et parmi les pathologies li6es au DHA deux expressions cliniques dominent : l'emphys~me panlobulaire de l'adulte jeune et l'h6patopathie cirrhog~ne infantile, survenant principalement chez des sujets homozygotes d~ficitaires porteurs du variant Z (ph~notype Pi ZZ). Dans le premier cas, le DHA entra~ne une ~16vation de l'activit6 de l'61astase leucocyto-macrophagique, notamment au niveau alv~olaire ; il en r6sulte une perte de l'61asticit~ pulmonaire aboutissant ~ l'emphys~me (11). La pathologie h6patique est q u a n t ~ elle induite par l'accumulation de I ' l l - A T anormale dans les h~patocytes, la relation entre l'accumulation de cette prot6ine et la n6crose h6patocytaire 6tant encore mal comprise. Alors que personne ne conteste la relation qui existe entre l'~tat homozygote Pi ZZ et la maladie h6patique, la relation entre maladie h~patique et all~le Z en simple dose (h~t6rozygotie) est loin d'@tre 6tablie ; cette association ne serait pr& sente que dans des cas particuliers oO le DHA coexiste avec un facteur externe ou interne (g~n~tique ?) non encore identifi6 (2, 3, 6). L'observation rapport4e ici pr~sente trois particularit6s : - le DHA est associ~ ~ un ph6notype rare Pi SZ dont la fr~quence en France est de 0,4 % (5) ; - la pathologie associ~e au DHA chez cette adulte est une cirrhose sans pathologie pulmonaire associ6e, alors que les manifestations h6patiques du DHA sont plus fr~quemment observ4es chez l'enfant (l'emphys~me panlobulaire pr~dominant chez les adultes d~ficitaires) ; - l e s manifestations cliniques du DHA sont d'apparition tr6s tardive : la patiente est une femme &g~e de 75 ans, la d~couverte d'un DHA chez l'adulte concernant plus fr6quemment des sujets de 40 fi 50 ans. Le diagnostic biologique d'un DHA avec expression h~patique est 6voqu6 en premiere intention sur un trac4 61ectrophor~tique associant un bloc ]37 et une baisse significative des cd-globulines ; le dosage immunochimique de I'c~I-AT s6rique appr6cie l'importance de la diminution de son taux. En

Chez cette patiente niant tout 6thylisme, l'hyper T-globulin6mie polyclonale majeure avec bloc ~7 a 6t6 dans un premier temps trompeuse, faisant m@me ~voquer une leishmaniose. Le diagnostic de DHA fur pos6 ~ la suite d'une seconde ~lectrophor~se des prot~ines, toujours tr~s anormale ; ~ l'hyper ?-globulin~mie s'associait une diminution de la zone des cdglobulines, pass6e inaperque Iors du premier prot6inogramme, l'attention ayant in~vitablement ~t~ attir~e par l'impressionnant bloc 137. L'examen histologique montrait une cirrhose 6volu~e, associte 6 une h6patite et ~ des globules hyalins intra-h6patocytaires fortement 6vocateurs d'un DHA (ces globules constituent en effet, Iorsqu'ils sont typiques, la 16sion sp~cifique du DHA). A l'oppos6, leur caract~re PAS positif persistant apr~s digestion amylasique n'est pas sp~cifique, des globules intracytoplasmiques PAS positifs pouvant se voir en dehors des DHA (9). La r6alisation d'autres colorations (phloxine de Mallory, bleu de m6thyl~ne) n'est pas utile au diagnostic de DHA, aucune d'entre elles n'6tant pathognomonique ; l'immunohistochimie pr6sente ~galement peu d'int~r~t car les anticorps anti-~l-AT polyclonaux du commerce (fluorescents ou marquis ~ la peroxydase) manquent de sp6cificit~ et ne r6v61ent que des inclusions d6j& visibles avec les techniques histochimiques. Le diagnostic de DHA fut confirm~ par le dosage de l'cd-AT et par la d~termination de son ph6notype ; l'exploration biochimique compl6mentaire r~v41a le taux s~rique abaiss~ de la prot4ine, en relation avec un variant mol6culaire de ph6notype anormal non excr~t~ par les h~patocytes. En l'absence d'~l~ments biologiques 6vocateurs d'une autre 6tiologie de la cirrhose (cupr6mie normale, absence d'auto-anticorps, coloration de Perls n4gative et surtout absence d'6tiologie virale ou 6thylique), le diagnostic de DHA associ4 ~ une h6patopathie cirrhog~ne fut donc retenu.

3. Discussion L'e~I-AT est chez l'homme la prot~ine la plus importante du syst~me des inhibiteurs de prot~ases du milieu extra-celhlaire ; sa fonction essentielle est d'inhiber les s6rine-prot~ases, et principalement l'61astase dont on sait l'agressivit~ ~ l'~gard de la plupart des prot4ines de la substance fondamentale (4). L'c~I-AT est majoritairement d'origine h6patocytaire et sa particularit6 est de presenter un polymorphisrne biochimique et g6n~tique ; plus de 75 variants all6liques ont 6t6 d6crits et classes alphab~tiquement selon la nomenclature Pi (pour "protease inhibitor"), en fonction de leur mobilit6 61ectrophor& tique par iso~lectrofocalisation, Le syst~me Pi est compos6 de Revue frangaise des laborateires, novembre 1997, N ° 297

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seconde intention le ph~notypage de l'cd-AT confirme le DHA en pr&cisant la nature du variant mol&culaire et l'examen anatomo-pathologique fair le bilan des l~sions h&patiques ; dans quelques cas seulement, Iorsque les examens biochimiques d'orientation n'ont pas ~t~ demand~s, c'est la biopsie h~patique qui est ~ l'origine du diagnostic de DHA (5).

REMERCIEMENTS Les auteurs rernercient le Dr J.-P. Martin et le Dr R. SesboiJe (INSERM Unit~ 2 9 5 - Institut de biologie et de g~natique de Haute-Norrnandie - Facult~ de rnddecine de Rouen) pour la ddterruination du ph6notype Pi de l'otl-AT.

Conclusion Les premiers travaux concernant les d6flcits en ~ I - A T et leurs cons6quences en pathologie humaine datent de 1 9 6 3 (7) ; les progr~s r~alis6s depuis ont permis une meilleure comprehension de la pathogen~se des maladies pulmonaires et h6patiques li6s ~ ces d6flcits. Le traitement substitutif par voie intra-veineuse ( ~ I - A T humaine purifi6e ou ~ I - A T recombinante obtenue par g6nie g6n~tique) est peu utilis~ en raison de son cofit et des modalit6s pratiques de son application, la th6rapie g6nique ~tant ~ ce j o u r une perspective tr~s int6ressante mais encore lointaine (6, 10). L'61ectrophor6se d e s p r o t 6 i n e s s6riques est un exam e n de r6alisation s i m p l e et r a p i d e qui p e u t se r6v6ler tr6s utile d a n s le d 6 p i s t a g e des d6ficits en c~I-AT, condition t o u t e f o i s q u e la prot6ine soit e n concent r a t i o n significativement a b a i s s 6 e (8). C ' e s t le cas n o t a m m e n t lorsque le v a r i a n t mol6culaire est de ph6n o t y p e h o m o z y g o t e Pi ZZ (taux ~ 10 % de la v a l e u r n o r m a l e ) : la z o n e d e s ¢~l-globulines est d a n s ce cas p r a t i q u e m e n t p l a t e s u r le trac6 61ectropbor6tique. Le c o n t e x t e clinique, lorsqu'il est pr6sent, est d o m i n 6 p a r l ' e m p h y s 6 m e de l'adulte ou la c i r r h o s e infantile. Ce d 6 p i s t a g e est 6 g a l e m e n t possible d a n s d e s cas un p e u m o i n s classiques lorsque le d6ficit, quantitativemerit plus mod6r6, est !i6 /i un p h 6 n o t y p e h 6 t & o z y g o t e Pi SZ (taux ~ 4 0 % de la normale) et associ6 ~ un bloc aT c o m m e d a n s cette o b s e r v a t i o n . Apr6s avoir 61imin6 les a u t r e s 6tiologies d ' h 6 p a t o p a t h i e cirrhog6ne de l'adulte, le diagnostic doit ~tre confirm6 p a r le ph6n o t y p a g e de I'c£1-AT ; l ' e x a m e n a n a t o m o - p a t h o l o g i q u e c o m p l 6 m e n t a i r e p e r m e t de faire le bilan des 16sions h 6 p a t i q u e s et visualise les globules intra-h6patocytaires PAS positifs c o n t e n a n t I ' l l - A T non excr6t6e.

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