Comportement moteur dangereux au cours du sommeil

Comportement moteur dangereux au cours du sommeil

Annales Médico-Psychologiques 170 (2012) 208–210 DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Comportement moteur dangereux au cours du sommeil Violent behav...

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Annales Médico-Psychologiques 170 (2012) 208–210

DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU

Comportement moteur dangereux au cours du sommeil Violent behavior during sleep Agnès Brion Unité des pathologies du sommeil, hôpital Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France

Résumé Le comportement moteur dangereux au cours du sommeil est principalement associé à certaines parasomnies (comportements anormaux liés au sommeil) caractérisées par un état dissocié de conscience. Sont impliqués les troubles de l’éveil en sommeil lent profond et le trouble du comportement en sommeil paradoxal (TCSP) correspondant à des cauchemars en acte. La démarche diagnostique clinique est complétée par une vidéo-polysomnographie. ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Violent behavior during sleep is mostly associated with parasomnias characterized by a dissociated state of consciousness. Are involved disorders of arousal and the Rapid Eye Mouvement sleep behavior disorder (RBD) with enactment of violent dreams. Diagnostic procedure includes the clinical history and videopolysomnography recording. ß 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Comportement violent au cours du sommeil ; Parasomnie ; Somnambulisme ; Trouble comportemental en sommeil paradoxal Keywords: Parasomnia; Sleepwalking; REM sleep behavior disorder; Violent behavior during sleep

1. INTRODUCTION Les comportements dangereux ou violents au cours du sommeil sont vraisemblablement sous-diagnostiqués au regard de leur prévalence estimée à 1,6 % de la population générale [8]. Ils sont associés principalement à certaines parasomnies qui sont des comportements anormaux liés au sommeil. Les parasomnies les plus impliquées dans les comportements dangereux sont des états de conscience dissociée durant lesquels le sujet présente à la fois un aspect éveillé (en particulier sur le plan comportemental) et endormi (sur le plan de l’EEG et de la conscience réflexive). Il s’agit soit de troubles de l’éveil en sommeil lent profond : éveil confusionnel, somnambulisme et terreur nocturne, soit du trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP) de description récente [11] qui correspond à l’extériorisation de rêves souvent

violents pendant le sommeil paradoxal. Les parasomnies du sommeil lent profond sont classiquement des pathologies du sujet jeune et sont associées à une prédisposition génétique, mais peuvent aussi affecter des sujets âgés traités par des hypnotiques de demi-vie courte. Le TCSP est de son côté plus souvent observé chez le sujet âgé : il survient de façon fréquente dans les synucléopathies. Il peut être secondaire à la prise de médicaments (antidépresseurs). Cette communication présente les caractéristiques cliniques et polysomnographiques permettant le diagnostic de ces parasomnies. 2. CARACTÉRISTIQUES DES PARASOMNIES DU SOMMEIL LENT PROFOND ET DU TROUBLE COMPORTEMENTAL EN SOMMEIL PARADOXAL

Adresse e-mail : [email protected]. 0003-4487/$ see front matter ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.amp.2012.02.006

Le Tableau 1 résume les caractéristiques de ces parasomnies.

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Tableau 1 Caractéristiques cliniques et polysomnographiques comparées des parasomnies par trouble de l’éveil en sommeil lent profond et trouble comportemental en sommeil paradoxal. Éveil confusionnel, somnambulisme, terreur nocturne

Trouble comportemental en sommeil paradoxal

Âge

Enfant, adulte jeune, âgés sous hypnotiques

Plus de 60 ans

Sexe

Même fréquence hommes, femmes

Masculin plus souvent

Heures de survenue

Première partie de nuit

Deuxième partie de nuit

Stade de sommeil

Sommeil lent profond

Sommeil Paradoxal

Vidéo-Polysomnographie

Réveils brutaux en SLP, ondes lentes synchrones

Sommeil paradoxal sans atonie

Parole

Cris, mots, phrases, marmonnements

Cris, insultes ou phrases, mots inintelligibles

Yeux

Ouverts, regard « bizarre »

Fermés

Signes d’accompagnement

Tachycardie si terreur

Rien de particulier

Conscience au réveil

Confusion, amnésie

Claire, récit de rêve

Utilisation du milieu

Assez adaptée

Inappropriés

2.1. Parasomnies du sommeil lent 2.1.1. Cas clinique 1 Un homme âgé de 30 ans est somnambule depuis l’enfance. Il a pris la mesure de la dangerosité de son somnambulisme depuis son mariage car il se jette souvent sur sa femme qu’il a blessée par un violent coup de poing dans le visage (ensanglanté) et il lui est arrivé d’attraper sans précaution leur bébé qui dort à côté d’eux ; une autre fois, il a soulevé leur lit à la verticale et son épouse a dû s’arc-bouter aux montants pour empêcher le lit de tomber sur le petit. Il s’est blessé à plusieurs reprises (luxation de l’épaule). Il ne se souvient pas de ses actes, mais a des souvenirs de rêves au cours desquels il se jette sur sa femme pour lui éviter une chute ou un accident ; des hommes menaçants peuvent apparaître contre lesquels il cherche à se défendre ou à défendre les siens. L’enregistrement de vidéopolysomnographie montre quatre éveils brutaux en sommeil lent profond ; il existe un syndrome d’apnées du sommeil modéré qui provoque des éveils, sources de fractionnement du sommeil. Lors d’un éveil brutal du sommeil profond, le patient se redresse, saute hors du lit, en partie retenu par les fils des capteurs du matériel d’enregistrement, regarde à droite et à gauche et tourne autour du lit. Le tracé EEG exclut la présence de grapho-éléments de la série comitiale. Des comportements dangereux sont rapportés dans 59 % des cas de somnambulisme et de terreurs nocturnes [6]. Pendant le somnambulisme, le sujet peut sortir de chez lui, aller jusqu’à conduire une voiture. Dans certains cas, les comportements sont violents : course effrénée, comme pour échapper à un danger imminent, jet d’objet, blessures de soi-même ou des proches, avec dans de rares cas des conséquences médicolégales (meurtres, viols). Un sujet affecté de terreurs nocturnes se réveille en hurlant, avec les manifestations comportementales et végétatives d’une peur intense et des signes d’activation sympathique. Les sujets adultes peuvent se souvenir de fragments très brefs de rêves, ou d’images simples et effrayantes : personnages menaçants, sables mouvants, feu et

menace [7]. Dans les éveils confusionnels, le sujet est très désorienté. Une forme embarrassante de somnambulisme est représentée par les sexsomnies, caractérisées par une activité sexuelle en dormant et dont le sujet n’a pas de souvenir [14]. Le ou la partenaire peut être agressé ou violé, avec de graves conséquences médico-légales. Une parasomnie particulière, le trouble alimentaire lié au sommeil, de description récente [1], consiste en l’ingestion au cours du sommeil d’aliments pouvant être immangeables ou de produits toxiques ; les blessures ne sont pas rares. Il existe des facteurs prédisposant ou favorisant : le facteur familial est prédominant, avec un début majoritairement dans l’enfance [3]. La prise d’alcool, le manque de sommeil, le stress, un effort physique intense la journée précédente et le changement de lieu de coucher peuvent l’aggraver [9], tout comme des pathologies qui provoquent des éveils (apnées du sommeil, mouvements périodiques nocturnes). Certains hypnotiques à demi-vie courte (zolpidem) favorisent le somnambulisme [16]. Malgré le caractère terrorisé des patients lors des accès, il y a peu de psychopathologie particulière associée. Un profil plus anxieux que la norme a été suggéré chez les sujets avec terreurs nocturnes [2], ou encore l’existence d’une dépression non psychotique chez des patients ayant par ailleurs un fonctionnement psychosocial tout à fait performant [12]. 2.2. Trouble comportemental en sommeil paradoxal 2.2.1. Cas clinique 2 Un homme âgé de 72 ans consulte pour la survenue de cauchemars fréquents, presque quotidiens. Sa femme indique qu’elle est réveillée par des grands mouvements de bras et des coups de pieds, en milieu de nuit ou au petit matin ; souvent accompagnés de paroles, et parfois de jurons, ce qui l’étonne car un tel langage n’est pas dans les habitudes de son mari ; une nuit où il l’a réveillée pendant cette agitation, il a indiqué avoir

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rêvé que des cambrioleurs entraient dans le jardin et qu’il faisait son possible pour les repousser. Jusqu’à 69 % des patients se sont blessés ou ont blessé leur conjoint pendant ces comportements : contusions de la tête ou des mains, plaies nécessitant une suture, plus rarement hématome sous-dural ; un cas d’homicide a été décrit [15]. Les personnes avec TCSP, même très violentes ou insultantes la nuit, ne sont pas particulièrement agressives en éveil, ce qui ne cesse d’étonner l’entourage. Le TCSP est fréquent dans la maladie de Parkinson, l’atrophie multisystématisée et la démence à corps de Lewy avec une nette prépondérance masculine ; en revanche, il est rare dans la maladie d’Alzheimer. La forme idiopathique serait en fait présymptomatique, car plus de la moitié des patients développent une synucléinopathie dans les cinq à dix ans qui suivent [13]. Des formes aiguës s’observent lors de la prise d’antidépresseurs tricycliques, quadricycliques ou sérotoninergiques [17] ou de leur arrêt brutal. 3. PRISE EN CHARGE DES PARASOMNIES ASSOCIÉES À DES COMPORTEMENTS DANGEREUX 3.1. Mesures pour sécuriser le milieu Dans tous les cas, l’environnement du dormeur doit être sécurisé. Éviter les lits en hauteur, fermer les portes et fenêtres et éloigner les objets potentiellement dangereux. En fonction des cas, protéger l’entourage (lit ou chambre à part ; en cas de sexsomnie, ne pas dormir dans le même lit qu’un mineur). 3.2. Éliminer les facteurs favorisant Éviter la privation de sommeil, l’alcool. Diminuer les facteurs de stress. Traiter les troubles du sommeil qui favorisent les éveils répétés (apnées du sommeil ; mouvements périodiques des jambes). Arrêter l’hypnotique à demi-vie courte s’il est en cause. Dans le TCSP, supprimer si possible le traitement antidépresseur s’il est en cause. 3.3. Traitements médicamenteux Aucun médicament n’a l’autorisation de mise sur le marché dans l’indication des parasomnies. Concernant les troubles de l’éveil en sommeil lent profond, un consensus reposant sur l’expérience des cliniciens préconise l’usage de benzodiazépines au coucher, le clonazépam en première intention, mais aussi des antiépileptiques (carbamazépine) ou certains antidépresseurs (imipramine, paroxetine). Des approches psychologiques comme l’hypnose sont considérées comme utiles [4,10]. Concernant le TCSP, la mélatonine est dans notre expérience le meilleur traitement de première intention, en raison de son excellent rapport bénéfice/risque, en particulier chez la personne âgée [5].

4. CONCLUSION La dangerosité pour soi-même ou autrui de certaines parasomnies mérite notre attention. Il s’agit de pathologies fréquentes, dont un certain nombre de facteurs sont identifiés et qui sont pour la plupart accessibles à des traitements. Ces troubles du sommeil représentent également un formidable modèle d’étude de l’activité mentale pendant le sommeil. DÉCLARATION D’INTÉRÊTS L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. RÉFÉRENCES [1] American Academy of Sleep Medicine. The international Classification of Sleep Disorders - Revised. Chicago: HP; 2005. [2] Crisp AH, Matthews BM, Oakey M, Crutchfield M. Sleepwalking, night terrors, and consciousness. BMJ 1990;300:360–2. [3] Hublin C, Kaprio J, Partinen M, Heikkila K, Koskenvuo M. Prevalence and genetics of sleepwalking: A population-based twin study. Neurology 1997;48:177–81. [4] Hurwitz TD, Mahowald MW, Schenck CH, Schluter JL, Bundlie SR. A retrospective outcome study and review of hypnosis as treatment of adults with sleepwalking end sleep terror. J Nerv Ment Dis 1991;179:228–33. [5] Kunz D, Bes F. Melatonin as a therapy in REM sleep behavior disorder patients: An open-labeled pilot study on the possible influence of melatonin on REM-sleep regulation. Mov Disord 1999;14:507–11. [6] Moldofsky H, Gilbert R, Lue FA, MacLean AW. Forensic sleep medicine: Sleep-related violence. Sleep 1995;18:731–9. [7] Ohayon MM, Schenck CH. Violent behavior during sleep: Prevalence, comorbidity and consequences. Sleep Med 2010;11:941–6. [8] Oudiette D, Leu S, Pottier M, Buzare MA, Brion A, Arnulf I. Dreamlike mentations during sleepwalking and sleep terrors in adults. Sleep 2009;32:1621–7. [9] Pressman MR, Mahowald MW, Schenck CH, Bornemann MC. Alcoholinduced sleepwalking or confusional arousal as a defense to criminal behavior: A review of scientific evidence, methods and forensic considerations. J Sleep Res 2007;16:198–212. [10] Reid WH, Ahmed I, Levie CA. Treatment of sleepwalking: A controlled stydy. Am J Psychother 1981;35:27–37. [11] Schenck CH, Arnulf I, Mahowald MW. Sleep and sex: What can go wrong? A review of the literature on sleep related disorders and abnormal sexual behaviors and experiences. Sleep 2007;30:683–702. [12] Schenck CH, Bundlie SR, Ettinger MG, Mahowald MW. Chronic behavioral disorders of human REM sleep: a new category of parasomnia. Sleep 1986;9:293–308. [13] Schenck CH, Bundlie SR, Mahowald MW. Delayed emergence of a parkinsonian disorder in 38 % of 29 older men initially diagnosed with idiopathic rapid eye movement sleep behaviour disorder. Neurology 1996;46:388–93. [14] Schenck CH, Lee SA, Bornemann MA, Mahowald MW. Potentially lethal behaviors associated with rapid eye movement sleep behavior disorder: Review of the literature and forensic implications. J Forensic Sci 2009;54:1475–84. [15] Schenck CH, Milner DM, Hurwitz TD, Bundlie SR, Mahowald MW. A polysomnographic and clinical report on sleep-related injury in 100 adult patients. Am J Psychiatry 1989;146:1166–73. [16] Tsai JH, Yang P, Chen CC, Chung W, Tang TC, Wang SY, et al. Zolpideminduced amnesia and somnambulism: rare occurrences? Eur Neuropsychopharmacol 2009;19:74–6. [17] Winkelman JW, James L. Serotonergic antidepressants are associated with REM sleep without atonia. Sleep 2004;27:317–21.