Contamination par le VIH, accident du travail et faute inexcusable du laboratoire d’analyse employeur. Commentaire

Contamination par le VIH, accident du travail et faute inexcusable du laboratoire d’analyse employeur. Commentaire

Médecine & Droit 2010 (2010) 117–121 Indemnisation Contamination par le VIH, accident du travail et faute inexcusable du laboratoire d’analyse emplo...

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Médecine & Droit 2010 (2010) 117–121

Indemnisation

Contamination par le VIH, accident du travail et faute inexcusable du laboratoire d’analyse employeur. Commentaire Contagion by the HIV, industrial accident and unreasonable error of the employer Maryse Badel UMR CNRS 5114, centre de droit comparé de droit du travail et de la sécurité sociale, université Montesquieu Bordeaux IV, avenue Léon-Duguit, 33608 Pessac cedex, France

Résumé Une secrétaire médicale qui se blesse avec une aiguille souillée dépassant d’un collecteur est victime d’un accident du travail. Son employeur, un laboratoire d’analyse, est responsable de cet accident pour faute inexcusable, faute d’avoir rempli l’obligation de sécurité de résultat dont il est tenu à son égard. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Accident du travail ; VIH, contamination ; Faute inexcusable, employeur

Abstract A medical secretary who injures herself with a soiled needle overtaking a collector is victim of an industrial accident. Her employer, an analysis laboratory, is liable for this accident for unreasonable error, because he is debtor of a guarantee against physical harm that is an obligation to achieve a particular result. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: HIV, contagion; Industrial accident, VIH; Unreasonable error, employer; Compensation of the victim

Cass. 2e civ., 17 décembre 2009, no 08-21598, Mme X. c/ Sté Dialabo Attendu selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 14 octobre 2008), que Mme X. . ., employée en qualité de secrétaire médicale par le laboratoire d’analyses médicales Dialabo (la société), a été victime le 17 mai 2001 d’un accident sur son lieu de travail pris en charge au titre de la législation professionnelle ; que Mme X. . . a saisi la juridiction de Sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ; que la société a appelé en la cause Mme Y. . ., infirmière libérale ayant procédé aux prélèvements, pour lui voir déclarer commun le jugement à intervenir ;

Adresse e-mail : [email protected]. 1246-7391/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.meddro.2010.04.001

Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Attendu que la société fait grief à l’arrêt de dire que l’accident du travail était dû à la faute inexcusable de l’employeur, de fixer au taux maximum la majoration de la rente, dire que cette majoration suivra l’évolution du taux d’incapacité de la victime et avant dire droit, ordonner une expertise sur l’évaluation des préjudices à caractère personnel, alors, selon le moyen, que seules les lésions survenues dans un temps proche de l’accident bénéficient de la présomption d’imputation de l’article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale ; qu’en l’espèce, compte tenu du temps écoulé entre la date de l’accident, date à laquelle Mme X. . . était séronégative, et la date de séroconversion, il appartenait à la salariée de rapporter la

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preuve d’un lien de causalité certain entre la maladie et l’accident survenu à l’occasion du travail ; qu’en l’espèce, pour faire droit à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société Dialabo engagée par Mme X. . ., la cour d’appel a considéré que le fait accidentel était matériellement établi et à l’origine directe du dommage faute pour l’employeur d’avoir établi que la victime présentait un autre mode de contamination qui lui soit propre et sans qu’il soit nécessaire de rechercher si l’infirmière libérale ayant utilisé cette aiguille avait dans sa clientèle des personnes contaminées par le virus HIV ; qu’en statuant ainsi la cour d’appel a fait peser la charge de la preuve sur l’employeur en violation de l’article 1315 du Code civil ; Mais attendu qu’il résulte de l’article L. 4111 du Code de la Sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d’apparition de celle-ci ; Et attendu que l’arrêt retient que, le 16 mai 2001, la salariée s’est coupée l’index droit avec une aiguille souillée qui dépassait du collecteur réservé à cet effet, que les analyses médicales initialement pratiquées sur la victime concernant la recherche des anticorps HIV 1 et HIV 2 mentionnaient un résultat négatif avec les deux réactifs et que les analyses ultérieures pratiquées le 2 août 2001 mettaient en évidence un résultat positif pour l’un des deux tests, la séroconversion étant confirmée par des analyses des 12 et 17 décembre 2001 ; que de ces constatations et énonciations, constituant des présomptions graves, précises et concordantes, la cour d’appel a pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, que l’existence d’un lien de causalité était établie entre le fait accidentel et la lésion invoquée et que la présomption d’imputabilité d’accident du travail devait s’appliquer ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche : Attendu que la société fait encore grief à l’arrêt de dire que l’accident du travail était dû à la faute inexcusable de l’employeur, de fixer au taux maximum la majoration de la rente, dire que cette majoration suivra l’évolution du taux d’incapacité de la victime et avant dire droit, ordonner une expertise sur l’évaluation des préjudices à caractère personnel, alors, selon le moyen, qu’en vertu du contrat de travail le liant à son

salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise ; que le manquement à cette obligation a la caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; qu’en l’espèce, en retenant avérée la faute inexcusable de la société Dialabo sans avoir constaté que celle-ci avait ou aurait dû avoir conscience de l’insuffisance du matériel qu’elle avait utilisé jusqu’au jour de l’accident de Mme X. . ., la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale ; Mais attendu que l’arrêt retient que la société, qui ne pouvait ignorer les risques encourus par la salariée, se devait d’assurer une bonne organisation de la collecte des aiguilles souillées, de leur acheminement et de leur manipulation lors du tri, ce qui n’a pas été le cas, celles-ci étant collectées dans une urne ne pouvant être considérée, soit dans sa conception, soit dans son utilisation avant réception pour le tri, comme hermétiquement fermée ainsi que l’établit l’accident ; Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger, qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver et qu’ainsi la faute inexcusable de ce dernier devait être retenue ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 17 décembre dernier est remarquable à plus d’un titre. Non seulement il intervient dans le milieu médical, à l’occasion de la transmission du VIH à un personnel non soignant, fait assez rare pour être signalé, mais il rappelle utilement que la qualification d’accident du travail s’applique à la transmission d’une maladie résultant d’un geste accidentel, et que l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur permet de retenir sa faute inexcusable. Dans cette espèce Mme X., secrétaire médicale dans un laboratoire d’analyses, fut victime d’un accident sur son lieu de travail le 17 mai 2001 : elle se coupa le doigt avec une aiguille souillée dépassant du collecteur destiné à la recueillir et fut contaminée par le VIH. Après que l’accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle, la victime saisit la juridiction de Sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Les juges du fond lui donnèrent satisfaction. En conséquence, ils décidèrent que la majoration de

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la rente qui lui revenait devait être fixée au taux maximum et que cette majoration suivrait l’évolution de son taux d’incapacité. Le laboratoire forma un pourvoi en cassation, contestant à la fois la qualification professionnelle de l’accident et l’existence de la faute inexcusable, en vain. L’arrêt de rejet rapporté est classique sur le fond, encore que le mode de calcul retenu pour la majoration de la rente soit assez troublant. Il présente l’intérêt majeur de réunir dans une même décision des questions de droit récurrentes en matière de risque professionnel et de montrer, au moyen d’attendus explicites, que la jurisprudence est désormais stabilisée tant sur la notion d’accident du travail que sur celle de faute inexcusable. 1. La contamination par le VIH, un accident du travail Le non-spécialiste du droit de la Sécurité sociale est toujours surpris qu’une maladie puisse être qualifiée juridiquement d’accident du travail, non de maladie professionnelle. L’explication est assez simple : la qualification de maladie professionnelle est réservée à des cas où il existe une très forte présomption de causalité entre la maladie et le travail, ou à des cas où la preuve de cette causalité est autorisée. Aussi, compte tenu de la difficulté d’identifier avec certitude la cause de l’infection par le VIH, le législateur a préféré instaurer une procédure spécifique permettant sa prise en charge au titre de l’accident du travail. 1.1. La qualification de maladie professionnelle : une voie peu praticable pour l’infection par le VIH La législation de Sécurité sociale, parcimonieuse, réserve la qualification de maladie professionnelle à des pathologies expressément identifiées comme telles. Les maladies ne sont présumées professionnelles que si des études épidémiologiques ont démontré qu’elles se déclarent plus fréquemment dans une population particulière de travailleurs que dans la population générale. Ces pathologies sont recensées dans des tableaux et présumées professionnelles quand elles sont contractées dans les conditions posées par ces mêmes tableaux (durée d’exposition à un agent, profession exercée. . .)1 . Ces tableaux de maladies professionnelles ont été progressivement diversifiés depuis leur création en 19192 . Ils font aujourd’hui apparaître des affections très différentes et parfois surprenantes, comme des cancers, affections pulmonaires, visuelles et auditives, troubles digestifs, lombalgies, acné, otite ou encore la rage. . . Dans tous ces cas, une présomption générale d’origine professionnelle est posée : elle signifie qu’un lien de causalité entre l’affection et le travail est présupposé et qu’il a pu être instauré grâce à la preuve scientifique du caractère pathogène du travail. On comprend donc que certaines maladies, en raison de leur origine multifactorielle ou des difficultés qu’il y a à isoler leur fait générateur, ne peuvent pas être saisies par un tableau. Ceci explique que l’infection par 1 2

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le VIH n’y figure pas, pas plus du reste que des maladies comme le stress et les dépressions. Certes, quand les conditions des tableaux ne sont pas remplies, la loi permet tout de même de qualifier la maladie de professionnelle. Quand la maladie en cause est visée par un tableau mais qu’elle ne peut être qualifiée de professionnelle faute de remplir les conditions du tableau, elle peut être reconnue professionnelle si elle est directement causée par le travail habituel de la victime. Par ailleurs, quand la maladie n’est recensée par aucun tableau, elle peut être reconnue d’origine professionnelle si elle est directement et essentiellement causée par le travail habituel de la victime et si elle entraîne le décès de celle-ci ou son incapacité permanente au moins égale à 25 %3 . L’infection par le VIH n’étant répertoriée par aucun tableau, il reviendrait donc à la victime d’établir le rôle direct et essentiel, donc déterminant, du travail dans sa maladie, preuve quasiment impossible à rapporter puisqu’elle lui demanderait nécessairement d’établir aussi que sa vie extraprofessionnelle est hors de cause. C’est pourquoi le législateur a instauré une procédure particulière permettant de retenir l’accident du travail dans ce cas. 1.2. La qualification d’accident du travail : une issue favorisée par la législation La deuxième chambre civile rappelle en visant l’article L4111 du Code de la Sécurité sociale que « constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d’apparition de celle-ci ». Si l’on se réfère à la jurisprudence, la formulation est des plus classiques4 . Le terme lésion devant être pris dans son sens le plus large, il permet de retenir l’accident du travail pour des blessures ou maladies qui trouvent leur origine dans des faits auxquels on peut donner une date certaine, quelle que soit du reste l’anormalité de ces faits5 . Sont ainsi qualifiés d’accidents du travail des coupures, brûlures, luxations et autres fractures, de même que des affections oculaires, lésions de l’appareil auditif, typhus, tétanos, paludisme et dépression nerveuse. L’essentiel est que la lésion constatée résulte d’un événement soudain, ce qui implique qu’il puisse être identifié et localisé sur les plans spatial et temporel6 . Le rapport de cause à effet entre l’événement et la lésion doit aussi être établi, mais les juges ont instauré une présomption d’origine très favorable aux victimes : quand la lésion se manifeste de fac¸on simultanée ou dans un bref délai par rapport au fait accidentel, elle est

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C. séc. soc., art. L461-1, R461-1 et s. Cass. soc., 2 av. 2003, Dr. soc. 2003, 673, D. 2003, 1724, note Kobina Gaba. 5 Seront ainsi accidents du travail un trouble psychique consécutif à une attaque à main armée (Cass. civ. 2e , 15 juil. 2004, TPS, 2004, no 265), une maladie déclarée après une vaccination justifiée professionnellement (Cass. soc. 2 av. 2003, Dr. soc. 2003, 673), une dépression soudaine apparue après un entretien d’évaluation (Cass. civ. 1re , 1er juil. 2003, Bref social, no 13967, 12 sept. 2003, p. 1). 6 Cass. soc. 20 déc. 1950, D. 1950, 469 ; Cass. soc. 5 juin 1952, Bull. IV, no 490 ; Cass. soc. 24 mars 1982, Bull. civ. V, no 216. 4

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présumée imputable à l’accident7 . Si l’apparition de la lésion est en revanche tardive, la présomption est anéantie et la preuve de son origine professionnelle doit être faite8 . Cette précision est de première importance pour l’infection par le VIH car l’apparition de la lésion est nécessairement différée par rapport au fait générateur, ce qui rend impossible l’application de la présomption d’origine. Aussi, une procédure particulière a été instaurée par le décret du 18 janvier 1993 et précisée par la circulaire du 23 mars de la même année. La victime doit se soumettre à plusieurs tests de dépistage périodiques afin que la séroconversion éventuelle puisse être imputée à l’accident : un premier test avant le 8e jour établissant une sérologie négative, puis des tests dans les délais de 3 et 6 mois. La séroconversion qui apparaît alors est imputable à l’accident. Cette procédure, destinée à alléger la charge de la preuve supportée par la victime, n’est cependant pas impérative. Les juges ont ainsi autorisé un salarié qui ne l’avait pas respectée à établir par d’autres moyens que son accident était la cause de sa contamination9 . Dans notre espèce, la victime avait respecté en tous points la procédure réglementaire : les analyses médicales initialement pratiquées dans la recherche des anticorps HIV avaient mentionné un résultat négatif et les analyses ultérieures faites dans les délais imposés avaient mis en évidence la séroconversion. La Cour de cassation décide que ces éléments sont des présomptions graves, précises et concordantes qui autorisaient la cour d’appel à déduire, sans inverser la charge de la preuve, que l’existence d’un lien de causalité était bien établie entre le fait accidentel et la lésion invoquée. La blessure s’étant produit pendant le temps de travail et sur le lieu du travail, la salariée ne s’étant livrée au moment des faits à aucune activité formellement interdite, la présomption d’imputabilité d’accident au travail devait donc logiquement s’appliquer. La victime n’avait pas à établir la causalité, présumée, et c’était à l’employeur de renverser la présomption par la preuve d’une cause totalement étrangère. 2. Obligation de sécurité, faute inexcusable et rente de la victime L’indemnisation du risque professionnel obéit à des règles spécifiques qui se démarquent nettement du droit de la responsabilité civile. Elle est automatique, ce qui dispense la victime de prouver une responsabilité quand elle a établi l’accident du travail, mais elle est seulement forfaitaire, ce qui implique qu’elle ne compense pas intégralement le dommage réel. Les possibilités d’amélioration de l’indemnisation forfaitaire existent, mais elles sont étroitement circonscrites et notamment conditionnées par l’existence d’une faute intentionnelle ou inexcusable de l’employeur10 . Compte tenu des potentialités d’amélioration de l’indemnisation qu’elles portent, ces fautes présentent un intérêt

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Cass. soc., 8 juin 1995, Bull. V, no 351 ; Cass. soc., 4 déc. 1997, RJS 1998, 220. 8 Cass. soc., 13 fév. 1997, Bull. V, no 66. 9 Civ. 2e , 21 juin 2006, Bull. II, no 165. 10 C. séc. soc., art. L452-2 L453-1.

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crucial pour la victime. Aussi, en raison des difficultés que cette dernière doit surmonter en matière de preuve, les juges ont lié la définition de la faute inexcusable à l’obligation de sécurité de l’employeur issue du contrat de travail. En l’espèce, la faute inexcusable de l’employeur est essentielle parce qu’elle autorise la victime à agir en réparation complémentaire contre le laboratoire d’analyse, son employeur, et parce qu’elle lui donne droit à la majoration de sa rente versée au titre de l’indemnisation automatique. 2.1. L’influence de l’obligation de sécurité sur la reconnaissance de la faute inexcusable Les juges ont longtemps défini la faute inexcusable comme un acte ou omission volontaire d’une exceptionnelle gravité, commis avec la conscience du danger, dépourvu de cause justificative11 et constituant la cause déterminante de l’accident12 . Cette définition était peu favorable aux victimes qui devaient établir ces composantes cumulatives. Aussi, à partir de 2002 et des retentissants arrêts « Amiante »13 , la jurisprudence l’a fait notablement évoluer. Elle a lié la faute inexcusable à l’obligation de sécurité de résultat dont l’employeur est débiteur à l’égard du salarié en vertu du contrat de travail et a décidé que cette faute n’avait plus à être la cause déterminante de l’accident14 . Selon la formule consacrée et reprise par l’arrêt rapporté, l’employeur est tenu de cette obligation à l’égard du salarié « lorsqu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Pour autant, la victime ne bénéficie d’aucune présomption de faute inexcusable. La seule survenance de l’accident, si elle montre que le résultat n’a pas été atteint et rend inutile la preuve de l’exceptionnelle gravité de l’acte, ne dispense pas la victime de prouver que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle était exposée et qu’il avait omis de prendre les mesures nécessaires pour l’en préserver. La faute inexcusable est alors retenue dans des circonstances diverses telles la fourniture au salarié d’un véhicule dépourvu d’un élément essentiel à sa stabilisation15 ou la dégradation continue des relations de travail ayant compromis l’équilibre psychologique du salarié16 . La deuxième chambre civile qui procède à un contrôle de la qualification estime en l’espèce que les juges du fond pouvaient retenir la faute inexcusable car elle était caractérisée par plusieurs éléments de fait. Ces derniers ont en effet considéré que 11

Ch. réunies, 15 juillet 1941, JCP. 1941, II, 1705, note Mihura. Cass. soc., 17 fév. 1950, Bull. III, no 168 ; Cass. ass. plénière 18 juil. 1980, JCP. 1980, II, 19642, note Y. Saint-Jours. 13 Cass. soc. 28 fév. 2002, Bull. V, no 81 ; L. Millet, « La faute inexcusable de l’employeur en cas d’accident du travail », RDPS 2003, 181. 14 M. Badel, « Le contrat de travail, l’obligation de sécurité de résultat et la faute inexcusable dans le risque professionnel, suite », Rev. Lamy Droit aff. 2002, 13 ; G. Vachet, « Chronique sur un assassinat programmé : la jurisprudence sur la faute inexcusable », SSL 2007, no 1289, 7 ; Y. Saint-Jours, « De l’obligation contractuelle de sécurité de résultat de l’employeur », D. 2007, no 43, chron., 3024. 15 Cass. civ. 2e , 10 nov. 2009, no 08-20580. 16 Cass. civ. 2e , 22 fév. 2007, no 05-12771. 12

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le laboratoire d’analyse avait l’obligation d’assurer une bonne organisation de la collecte des aiguilles souillées, de leur acheminement et de leur manipulation lors du tri. Or, cela n’a pas été le cas puisqu’elles étaient collectées dans une urne qui ne pouvait être considérée, soit dans sa conception, soit dans son utilisation, comme hermétiquement fermée compte tenu de l’accident survenu. L’assertion selon laquelle le laboratoire « ne pouvait ignorer les risques encourus par la salariée » montre que la conscience du danger s’apprécie in abstracto, par référence au standard de l’employeur normalement averti, prudent et diligent. Ceci est classique et en définitive justifié car l’inverse permettrait à l’employeur de se prévaloir de sa désinvolture ou de son ignorance pour se soustraire à sa responsabilité. 2.2. Les conséquences de la faute inexcusable de l’employeur sur l’indemnisation de la victime La faute inexcusable emporte deux conséquences majeures sur l’indemnisation : la majoration de la rente de la victime et le droit d’agir en réparation complémentaire17 . Toutes deux sont abordées ici. L’indemnisation complémentaire est rapidement évoquée avec l’évaluation des préjudices à caractère personnel. Ceci n’est guère étonnant puisque le régime de l’indemnisation pour faute inexcusable, dérogatoire au droit commun, ne permet de réparer que certains dommages. Il s’agit des souffrances physiques et morales endurées, des préjudices esthétiques et d’agrément, de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle. Ce n’est donc qu’après expertise que ces préjudices pourront être indemnisés.

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La question de la majoration de la rente est en revanche plus problématique. Le Code de la Sécurité sociale ne disant rien du quantum de cette majoration, les juges l’ont longtemps liée à l’appréciation de la faute inexcusable de l’employeur : plus celle-ci était grave, plus la majoration était importante, ce favorisait la subjectivité. Puis, à la faveur de l’intense activité jurisprudentielle amorcée en 2002, la Cour de cassation a décidé que la faute inexcusable de l’employeur devait entraîner la majoration maximale de la rente, la réduction ne pouvant intervenir qu’en cas de faute inexcusable de la victime18 . Dans la droite ligne de cette jurisprudence, en l’absence de faute concourante de la victime, l’arrêt retient la majoration maximale de la rente. La solution est du reste juridiquement fondée puisque le Code de la Sécurité sociale ne mentionne que la faute inexcusable quand il aborde la majoration et la réduction de la rente. La formule de l’arrêt selon laquelle « cette majoration suivra l’évolution du taux d’incapacité de la victime », attribuée par le demandeur au pourvoi aux juges du fond, est en revanche extrêmement troublante. On se souvient en effet que, si les juges avaient été tentés de lier la majoration de la rente au taux d’incapacité de la victime fin 200419 , la Cour de cassation avait coupé court en affirmant de la fac¸on la plus claire que « seule la faute inexcusable du salarié est de nature à limiter la majoration de la rente à laquelle il est en droit de prétendre en raison de la faute inexcusable de son employeur »20 . La solution que l’on croyait abandonnée serait-elle de nouveau d’actualité ? Si tel était le cas, elle amplifierait le rôle de l’incapacité et lui confèrerait une fonction qu’elle n’a pas, la majoration, cette dernière devant être uniquement dépendante de la faute inexcusable.

18 Cass. soc. 2 déc. 2002, M. Badel, « Nouvelle étape dans l’indemnisation des victimes des accidents du travail : calcul des rentes et fautes inexcusables », LPA 22 av. 2004, 12 ; Cass. civ. 2e , 27 janv. 2004, RJS 2004, 314, no 457. 19 Cass. civ. 2e , 14 déc. 2004, M. Badel, « La majoration doit suivre l’évolution du taux d’incapacité de la victime », JCP 2005, II, 10133. 20 Civ. 2e , 23 nov. 2006, no 05-13426, Civ. 2e , 14 sept. 2006, no 04-30418.