De la chirurgie bariatrique à la chirurgie métabolique : une histoire en devenir Partie 1. L’histoire de la chirurgie bariatrique

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De la chirurgie bariatrique à la chirurgie métabolique : une histoire en devenir Partie 1. L’histoire de la chirurgie bariatrique

From bariatric surgery to metabolic surgery: An evolving story Part 1. History of bariatric surgery

J.-L. Schlienger Professeur émérite, Faculté de médecine de Strasbourg.

Résumé La chirurgie bariatrique a été développée, au début des années 1950, pour traiter les obésités massives. Les premières interventions étaient des court-circuits (bypass) jéjuno-iléaux et jéjuno-coliques, responsables de complications digestives et générales sévères. Par la suite, la chirurgie de l’obésité s’est développée selon trois voies : une restriction des apports caloriques, une malabsorption de ceux-ci, ou une combinaison des deux. Après une période de déceptions et de doutes face aux échecs et aux complications, la chirurgie bariatrique est devenue un traitement de deuxième ligne reconnu de l’obésité massive (morbide), et de l’obésité sévère associée à une comorbidité, grâce à la mise au point de procédés efficients réalisables par voie laparoscopique. À présent, ce sont les interventions de restriction qui sont les plus utilisées, du fait d’un ratio bénéfice/risque/facilité favorable. Une meilleure compréhension de l’obésité et des mécanismes de la régulation neuro-hormonale de la faim et de la satiété aboutiront, dans le futur, à la mise au point de procédés encore plus pertinents. Mots-clés : Obésité – chirurgie bariatrique – histoire – bypass gastrique – anneau gastrique – gastrectomie longitudinale.

Summary Bariatric surgery was designed to treat super-obesity 60 years ago. Its initial development based on jejuno-ileal and jejuno-colic bypasses accounted for severe complications. Thereafter procedures have evolved along three lines: restrictive that interfere with intake of calories, malabsorptive that interfere with their absorption, and a combination of these two approaches. After a period of doubt and disappointment, bariatric surgery which clearly benefits from the growing of laparoscopic surgery, is now considered as a second line treatment of morbid obesity. Purely restrictive procedures were becoming more popular with a favorable benefit/risk ratio. A better understanding of obesity and its mechanisms, mainly hormonal and neural pathways of regulating appetite and satiety will help to develop safer and more efficient procedures in the future. Key-words: Obesity – bariatric surgery – history – gastric bypass – lap-band – sleeve gastrectomy.

Correspondance Jean-Louis Schlienger 8, rue Véronèse 67200 Strasbourg [email protected] © 2015 2014 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Médecine des maladies Métaboliques - Novembre 2015 - Vol. 9 - N°7

De la chirurgie bariatrique à la chirurgie métabolique : une histoire en devenir

Introduction Conçue pour résoudre la problématique des super-obèses qui émergeaient avec insistance dans le paysage « étasunien » au lendemain de la seconde guerre mondiale, la chirurgie de l’obésité, dite bariatrique, a connu un essor aussi extraordinaire qu’imprévisible. Des pionniers, dont l’audace n’a eu d’égal que la réticence académique ambiante, se sont lancés « sabre au clair » dans une chirurgie dont les complications furent, initialement, pire que le mal qu’elle prétendait traiter. Il a fallu persévérance et imagination pour faire oublier ces premiers pas malheureux, et parvenir à transformer l’essai en un procédé standardisé acceptable, en écartant certains procédés barbares, comme le vissage des mâchoires. À tel point que la chirurgie a conquis une place raisonnable et raisonnée dans la stratégie thérapeutique de l’obésité, devenue entre-temps une maladie chronique à part entière. Aujourd’hui, la chirurgie apparait comme la seule option thérapeutique capable de diminuer le poids de façon importante et durable, avec un rapport bénéfice/ risque démontré dans l’obésité massive et dans l’obésité sévère compliquée [1]. L’odyssée de cette chirurgie validée, qui a connu un succès météorique au cours des deux dernières décennies, illustre la performance d’une alliance entre médecins et chirurgiens dans un domaine de la médecine où les possibilités thérapeutiques étaient des plus limitées. Soixante ans après l’intervention fondatrice, le temps est venu de se retourner vers les origines et de lever le voile sur les inventeurs et les développeurs qui ont permis ce bond en avant, qui fait désormais partie de la routine clinique.

Le premier (faux) pas La paternité officielle de la chirurgie bariatrique peut être attribuée à un chirurgien américain de Minneapolis (Minnesota), John H. Linner (1918-2013) (figure  1). Ses premières années ont été marquées par les atrocités de la guerre. Encore étudiant en médecine, il a servi la Navy avec la fonction de photographe et participé au débarquement de Normandie en 1944. Sa vocation

chirurgicale est peut-être née à bord d’un navire transformé en hôpital de fortune après qu’eurent été débarqués les véhicules et les chars qu’il transportait. Il assista, puis participa, aux soins des blessés opérés sur les tables du mess avec des moyens limités par des risque-tout dont la détermination permit de sauver quelques vies dans des conditions effroyables. Rendu à la vie civile après une autre affectation du côté d’Okinawa, Linner reprit ses études, et effectua un résidanat de chirurgie dans l’équipe du Pr Arnold J. Kremen, qui menait des recherches sur les mécanismes de l’absorption intestinale en réséquant ou en dérivant des segments d’intestin grêle chez le chien. Installé comme chirurgien, Linner vit une femme affligée d’une obésité qu’elle ne parvenait pas à maitriser en dépit de nombreuses tentatives de régimes. Quoiqu’elle fît, son indice de masse corporelle (IMC) oscillait entre 47 et 67 kg/m2. Il lui fit part de ses expériences de dérivation de la partie haute du jéjunum dans l’iléon, qui entrainaient une perte de poids importante et définitive chez le chien, sans omettre de préciser qu’un tel montage n’avait jamais été réalisé chez l’homme. Cette femme se montra impatiente de bénéficier de cette solution innovante « de la dernière chance ». Après en avoir discuté avec son maître Kremen, à une époque où il n’existait pas de comité d’éthique, Linner réalisa un court-circuit (bypass) jéjuno-iléal (figure 2) avec exclusion fonctionnelle des deux-tiers du grêle, début 1954, au Mount Sinaï Hospital de Minneapolis (Minnesota). Il s’en suivit une perte de poids rapide, dont la patiente fut très satisfaite. Ce cas princeps fut présenté la même année au Congrès Américain de Chirurgie, à Cleveland, puis mentionné dans la discussion d’un article rapportant les résultats de court-circuits intestinaux réalisés chez le chien [2]. Lors de ce congrès, un intervenant rapporta l’expérience d’un chirurgien suédois de Götheborg, Viktor Henriksson, qui avait réalisé, depuis 1950, des interventions du même type, mais avait renoncé à publier ses observations en raison de la sévérité des complications nutritionnelles. En réalité, un autre chirurgien de Minneapolis, Richard L. Varco, avait

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réalisé la même intervention un an auparavant, sans l’avoir publiée. L’accueil réservé à ce procédé chirurgical fut enthousiaste de la part de quelques chirurgiens, qui s’empressèrent de reproduire - avec quelques variantes l’intervention décrite par Linner, à une époque où l’obésité massive devenait de plus en plus préoccupante. Pourtant, les critiques ne manquèrent pas de la part des internistes qui réprouvaient l’intrusion de la chirurgie dans un domaine métabolique, et de la part de la plupart des chirurgiens qui considéraient qu’il était inacceptable d’opérer un organe normal pour traiter une situation qui n’était qu’une rançon de la gloutonnerie. Linner lui-même se montra prudent, et prit le temps de la réflexion en se contentant

Figure 1. John H. Linner, de Minneapolis, qui a réalisé la première intervention de chirurgie bariatrique publiée en 1954 (bypass jéjuno-colique).

Figure  2. Bypass jéjuno-iléal, premier procédé de chirurgie bariatrique.

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de suivre l’évolution clinique du cas princeps qui perdit initialement une trentaine de kg puis, après une reprise chirurgicale motivée par une dérive pondérale 2 ans plus tard, au total 45 kg pour son plus grand bonheur. Elle survécut 22 ans à l’intervention et décéda à l’âge de 61 ans. Linner se montrait préoccupé par les effets indésirables observés chez nombre des patients opérés par ses collègues. La survenue de diarrhées sévères et d’un amaigrissement au-delà du raisonnable chez certains patients ne freina pas les partisans de cette chirurgie, dont certains n’hésitèrent pas à transformer la dérivation jéjuno-iléale en dérivation jéjuno-colique en conservant une anse borgne pour assurer la réversibilité du montage. Linner tarda à se remettre à cette chirurgie, d’autant qu’il avait été interloqué par le commentaire d’Ancel Keys, célèbre nutritionniste et épidémiologiste de l’époque, qui lui suggéra malicieusement de « suturer la bouche de ses patients plutôt que de dériver leur intestin ». Il est vrai que les complications de cette chirurgie étaient si fréquentes et si sévères qu’elles aboutissaient à un état pathologique imposant de remettre en continuité le grêle pour éviter le pire, avec un immanquable et violent rebond pondéral. On disait alors que la chirurgie remplaçait une simple disgrâce par une maladie expérimentale bien pire que le mal qu’elle prétendait corriger… D’abord occultées dans les publications, les complications finirent par être au-devant de la scène par leur fréquence, leur gravité, et leur caractère systémique. Dénutrition, diarrhée hydrique, troubles hydro-électrolytiques, cétose, carences vitaminiques, anorexie paradoxale chez des hyperphages, et dépression, pouvaient aisément s’expliquer. En revanche, la survenue de cirrhoses authentifiées à l’histologie, de lithiases oxaliques récidivantes, d’arthralgies migratrices et d’arthrite inflammatoire, était plus mystérieuse. Ces complications systémiques furent secondairement rattachées aux conséquences d’une prolifération des bactéries gram- et anaérobies dans l’anse borgne. À l’évidence, la dérivation jéjuno-iléale n’était pas la panacée espérée. Mais les chirurgiens, qui ne sont pas gens impressionnables, attendirent 1963

pour s’alarmer des désastres métaboliques provoqués par des court-circuits de l’intestin grêle de plus en plus étendus [3]. Convaincu de la pertinence de la chirurgie dans le traitement de l’obésité, Linner se remit à opérer lorsque d’autres procédures que la sienne furent mises au point. Il rédigea un traité de référence « Surgery for morbid obesity », paru en 1984 chez Springer-Verlag NY, et fonda, avec quelques autres, la Société américaine de chirurgie bariatrique, en 1985, avant de se retirer et publier ses carnets de guerre. Figure  3. Edward E. Mason, qui mit au point, en 1967, le court-circuit (bypass) gastrique, première intervention de type restrictif.

De la malabsorption à la restriction • Edward E. Mason (figure  3) s’est formé à la chirurgie à l’Université du Minnesota, entre 1945 et 1953, sous la férule d’Owen H. Wangensteen qui préconisait d’abandonner la classique gastrectomie de Billroth II dans le traitement de l’ulcère gastrique, en raison de la fréquence des ulcères peptiques. L’objectif était de mettre au point, chez l’animal, une gastrectomie, à la lumière des données récentes concernant les mécanismes de la sécrétion acide de l’estomac (découverte de la gastrine) en excluant fonctionnellement les cellules

pariétales gastriques responsables de la sécrétion acide. Une gastrectomie partielle avec anastomose de la partie supérieure de la poche gastrique dans une anse intestinale parvint à éviter les ulcères peptiques anastomotiques, au prix, toutefois, d’un amaigrissement irréversible en dépit d’une alimentation normale. Mason, qui avait rejoint l’Université de l’Iowa, poursuivit ses travaux de chirurgie expérimentale avec l’aide de Chikashi Ito, de Saporo, Japon (décédé en 2003), avec l’objectif

Tableau I. Les grandes dates de la chirurgie bariatrique. 1953

Premières tentatives de bypass intestinal

1954

Première publication dans un journal référencé (A.-J. Kremen et J.-H. Linner)

1967

Bypass gastrique (E.-E. Mason)

1971

Gastroplastie verticale bandée (E.-E. Mason)

1976-1979

Dérivation bilio-pancréatique (N. Scopinaro)

1977

Bypass gastrique sur anse en Y selon Roux (RYGBP), par W.-O. Griffen

1978

Premier consensus du NIH (États-Unis)

1978

Cerclage gastrique non ajustable

1986

Anneau gastrique (L. Kuzmak)

1986

« Duodenal switch » (D.-S. Hess)

1988 et 1997

Sleeve gastrectomie

1991

Introduction de l’anneau gastrique en Europe

1994

Réalisation d’un RYGBP par voie laparoscopique

2009

Recommandations de bonne pratique de la HAS (France)

2011

Plicature gastrique

HAS : Haute Autorité de Santé ; NIH : National Institutes of Health.

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De la chirurgie bariatrique à la chirurgie métabolique : une histoire en devenir

Encadré • L’apport décisif et involontaire de César Roux Contrairement à une croyance entretenue par une homonymie avec Philibert Roux (1780-1854), chirurgien à l’Hôtel-Dieu de Paris, qui connut la consécration de l’Académie en opérant des cataractes et des fentes vélo-palatine, César Roux (1857-1934) n’était pas Français, mais Suisse. Chirurgien-chef à l’hôpital cantonal de Lausanne en 1887, nommé professeur de chirurgie lors de la création de l’Université de Lausanne, en 1890, César Roux mit au point, en 1897, l’anastomose éponyme en Y pour reconstruire le tube digestif et pour « drainer l’estomac ou le tractus pancréato-biliaire ». Célèbre et adulé, il se distingua en se déplaçant à Besançon avec toute son équipe et tous ses instruments pour apporter sa science et ses soins aux blessés de la Grande Guerre, en octobre 1914. Il fut aussi celui qui opéra le premier phéochromocytome, en 1926. Figure 4. Modification de l’intervention de Mason par une anse montée en Y selon Roux (Roux-en-Y gastric bypass, RYGBP), réalisée par Ward O. Griffen, en 1977.

d’utiliser cet effet secondaire comme un atout thérapeutique dans l’obésité, en réduisant au maximum la poche gastrique et en excluant fonctionnellement le reste de l’estomac. En 1967, il proposa un bypass gastrique avec une trans-section gastrique conservatrice et une anastomose gastro-jéjunale latéro-latérale en regard de la poche gastrique, avec des résultats pondéraux un peu moins spectaculaires que ceux obtenus avec le bypass iléojéjunal, dont la vogue était alors à son apogée, mais avec une bien meilleure tolérance [4]. Mason abandonna la chirurgie de l’ulcère pour se consacrer totalement à la chirurgie bariatrique, en se faisant l’apôtre de la restriction gastrique. Pour éviter les mauvaises surprises que pouvait réserver une anastomose digestive, il développa, entre 1973 et 1982, une gastroplastie avec une petite poche gastrique qui se vidait dans le corps de l’estomac par un orifice étroit. Il perfectionna l’intervention, qui respectait globalement l’anatomie fonctionnelle du tube digestif, en réalisant une gastroplastie verticale calibrée (bandée) avec une petite poche gastrique cerclée par une bande en polypropylène et polyéthylène (« Marlex »). Les résultats furent satisfaisants et les complications relativement bénignes. • En 1977, Ward O. Griffen, de l’Université du Kentucky, eut l’idée géniale d’associer à la restriction du bypass gastrique de Mason une « dose » de malabsorption,

en remplaçant l’anastomose latéro-latérale par une longue anse intestinale, non fonctionnelle, dite alimentaire, montée en Y selon Roux (Roux-en-Y gastric bypass, RYGBP) (figure 4 ; encadré). Un nouveau concept de restriction-malabsorption était né. En s’affranchissant de la maléfique anse borgne, la chirurgie de l’obésité était désormais placée sur une orbite plus sereine. La chirurgie ne remplaçait plus une maladie par une autre, et accédait enfin à un statut respectable qui finit par convaincre la plupart de ceux qui prenaient en charge des patients super-obèses.

Faut-il choisir entre malabsorption et restriction ? La maitrise des concepts et des techniques a inspiré les audacieux. L’un des

Figure 5. Nicola Scopinaro, qui a réalisé, en 1979, une diversion bilio-pancréatique associant restriction, malabsorption, et maldigestion.

plus téméraires fut assurément Nicola Scopinaro (figure 5), qui décida de voler au secours de ceux dont le poids ne diminuait pas suffisamment après un bypass gastrique avec anse en Y selon

Figure 6. Dérivation bilio-pancréatique selon Scopinaro (à gauche), modifiée par Douglas S. Hess par un « duodenum switch », en 1990 (à droite).

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Roux [5]. Entre 1976 et 1979, à peine sorti de la faculté de Gênes, en Italie, où il exerce toujours comme professeur de chirurgie, il imagina une intervention réversible associant restriction, malabsorption et maldigestion, en associant un bypass gastrique avec une anse montée très longue et une dérivation bilio-pancréatique (figure  6). Cette intervention un peu rude, entachée d’une période post-opératoire souvent mouvementée lorsqu’elle n’est pas parfaitement maîtrisée (dumping syndrome, ulcères gastriques, carences), détient encore, à ce jour, le record de perte pondérale. Réservée à une élite chirurgicale et à des obèses «  hors normes  », cette intervention partiellement réversible et réalisable par abord laparoscopique, a été modifiée par Douglas S. Hess, de Bowling Green (Ohio, États-Unis), au tout début des années 1990, sous la forme d’un «  duodenal switch  » [6] (figure  6). Le volume gastrique a été réduit grâce à un agrafage sur toute la hauteur, avec conservation du pylore et de l’antre – ce qui améliorait nettement le confort digestif –, et la fréquence de la diarrhée a été réduite par un allongement de l’anse commune qui collecte l’anse bilio-pancréatique et l’anse alimentaire. C’est en réalisant la première étape de cette intervention, que Douglas Hess constata que l’agrafage gastrique vertical qui réduisait le volume gastrique était suffisant pour obtenir un amaigrissement conséquent. Il réalisa, presqu’à son insu, la première gastrectomie longitudinale, ou « sleeve gastrectomy », ne se doutant pas qu’elle allait s’imposer comme l’un des procédés de chirurgie bariatrique les plus en vogue, une vingtaine d’années plus tard. Cette technique purement restrictive consistait en une résection longitudinale des deux-tiers de l’estomac, emportant le site de sécrétion de la ghréline (qui stimule l’appétit), avant que cette hormone ne fût découverte. Réputée plus facile à exécuter, elle fut initialement réservée au traitement des obésités dites à risque, avant de se banaliser. La plicature de la grande courbure gastrique par imbrication stomacale (invagination intra-gastrique) au moyen de sutures par des fils non résorbables,

Les points essentiels • Les débuts de la chirurgie bariatrique datent du début des années 1950, sous la forme de court-circuits (bypass) jéjuno-iléaux ou jéjuno-coliques réalisant une malabsorption à l’origine de complications sévères. • La restriction gastrique, mieux tolérée, a été développée par Mason, à partir de 1967, sous la forme d’un bypass gastrique, qui sera amélioré à plusieurs reprises. • La dérivation bilio-pancréatique associée au bypass, imaginée par Scopinaro, à la fin des années 1970, permet des pertes de poids considérables, en associant restriction, maldigestion, et malabsorption. • Depuis deux décennies, la restriction gastrique par gastroplastie verticale calibrée ou par la mise en place d’anneaux gastriques ajustables, a popularisé la chirurgie bariatrique, mais le bypass gastrique reste une valeur sûre, alors que la gastrectomie longitudinale (sleeve) fait actuellement une belle percée. • L’ensemble des interventions peut être réalisé par voie laparoscopique. • La chirurgie bariatrique, codifiée par les sociétés savantes et les autorités de santé, est devenue le traitement de 2e ligne dans l’obésité massive (morbide) et dans l’obésité sévère compliquée, depuis la démonstration de son efficience, en 2007.

imaginée il y a une douzaine d’années, connait un regain d’intérêt [7]. Elle réalise une autre mouture de restriction gastrique, en donnant à l’estomac une forme tubulaire, ayant l‘avantage d’être moins invasive, moins longue, et moins couteuse, que la sleeve.

L’ère de l’anneau gastrique Après la démonstration de la faisabilité de la chirurgie de l’obésité et de l’intérêt et de la bonne tolérance de la restriction gastrique, les recherches se dirigèrent vers la mise au point de techniques de restriction gastrique moins invasives. C’est ainsi que naquit l’idée de la réalisation d’une petite poche gastrique par un collier périgastrique mis en place par chirurgie à ciel ouvert puis, ultérieurement, par chirurgie laparoscopique. En 1978, Lawrence H. Wilkinson et Ole Peloso, d’Albuquerque (au Nouveau-Mexique, États-Unis), ouvrirent l’ère de l’anneau gastrique [8]. Par sa simplicité apparente, ce dispositif astucieux fit beaucoup pour la popularité de l’approche mécanique du traitement chirurgical de l’obésité. De nombreux perfectionnement améliorèrent le procédé initial, assez rudimentaire, qui enserrait l’estomac pour restreindre sa capacité et limiter la prise alimentaire. En 1985, Ludomyr Kuzmak (1929-2006) développa un anneau gastrique ajustable en silicone, proche de celui qui est toujours utilisé (figure 7). Cet Ukrainien de naissance, devenu Polonais après le

remodelage des frontières de l’aprèsguerre, médecin diplômé de la Faculté de Lodz en 1953, devint professeur de chirurgie à l’Université de Silésie en 1965. Il émigra aux États-Unis, où il découvrit la chirurgie de l’obésité et créa un centre de chirurgie de l’obésité dans le New-Jersey. C’est là qu’il perfectionna le dispositif, en le rendant calibrable et gonflable à partir d’un petit réservoir en silicone radioopaque accessible par voie percutanée. Le dispositif, commercialisé après approbation de la Food and Drug Administration (FDA), connut un succès grandissant en Europe, où il arriva en 1990, alors qu’aux États-Unis, la tendance était de rester fidèle au RYGBP [9].

En France, une lente montée en charge La chirurgie eut plus de mal à prendre pied en Europe, où l’obésité n’a été considérée comme une maladie pleine et entière

Figure  7. Gastroplastie par anneau gastrique ajustable, développée, vers 1986, par Ludomyr Kuzmak.

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qu’après 1995. Au milieu des années 1970, c’est la dérivation iléo-jéjunale qui avait été proposée par quelques chirurgiens, au moment où elle tendait à être abandonnée aux États-Unis. Les terribles effets indésirables qui l’avaient discréditée Outre-Atlantique ne manquèrent pas de faire leurs ravages, et condamnèrent pendant plus d’une décennie toute velléité de traitement chirurgical de l’obésité en France, alors qu’elle connaissait un succès grandissant sur le continent nord-américain sous d’autres formes. L’intervention de Mason et le bypass gastrique en Y selon Roux (RYGBP) furent ignorés longtemps. L’anneau gonflable en silastic et la gastroplastie verticale bandée devinrent les techniques les plus utilisées en chirurgie bariatrique pendant une dizaine d’années, avant d’être peu à peu supplantées par le RYGBP, puis par la « sleeve gastrectomy » (figure 8). En effet, l’anneau, longtemps plébiscité, est associé à un échec dans un cas sur deux. L’intérêt relativement tardif pour cette chirurgie a permis aux patients de bénéficier - presque d’emblée - des avantages de la chirurgie laparoscopique, qui s’est révélée être applicable à tous les types d’intervention dans les centre spécialisés. Après quelques tergiversations académiques et quelques entrechats coutumiers en la matière, les organismes sociaux ont accepté de prendre en charge la chirurgie bariatrique, après une entente préalable vérifiant le respect des bonnes pratiques. Les réticences initiales ont suscité la constitution d’associations de patients, véritables « cercles des anneaux », militant pour la « cause » et pour obtenir une extension des indications bridées par des recommandations opposables. À présent, plus de 40 000 patients sont opérés chaque

Figure  8. Gastrectomie longitudinale (sleeve gastrectomy).

Conclusion La chirurgie bariatrique, née grâce à l’audace d’une phalange de chirurgiens aussi inspirés que téméraires, a connu un essor justifié. Conçue pour obtenir une perte de poids importante et la plus durable possible, elle a gagné ses galons de traitement de deuxième intention de l’obésité massive et de l’obésité sévère associée à une comorbidité, grâce aux améliorations techniques constantes qui l’ont simplifiée, sécurisée et codifiée, avec un rapport bénéfice/risque favorable. Elle est aussi devenue le prélude d’une chirurgie métabolique prometteuse. Gageons que d’autres développements, fondés sur les connaissances de la régulation neuro-hormonale de la prise alimentaire et de la digestion, transcenderont cette chirurgie pour en faire un auxiliaire métabolique précieux.

année, mais 30 à 50 % d’entre eux sont perdus de vue, alors que le risque de carences nutritionnelles et de complications potentiellement graves est élevé. Le RYGBP voit sa cote monter au détriment de l’anneau gastrique, alors que c’est le mouvement inverse qui se dessine outre-Atlantique.

de Santé (HAS), en 2009 [10]. Au niveau européen, les recommandations proposées sous l’égide de plusieurs sociétés savantes ont été réactualisées en 2013 [11]. Elles ont souligné la nécessité d’une évaluation multidisciplinaire en pré- et post-opératoire, et de l’élaboration d’un parcours de soins adapté.

La part des autorités de santé

Déclaration d’intérêt L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu de cet article.

Toute nouvelle approche thérapeutique doit faire la preuve de son efficience, avec un niveau d’exigence qui n’a cessé d’augmenter au fil des décennies, afin de protéger les patients tout en se montrant soucieux des enjeux économiques. Les conférences de consensus et autres réunions d’experts ont contribué au développement maitrisé de la chirurgie bariatrique, en précisant ses indications et, par là même, en reconnaissant son intérêt. C’est en 1978, qu’une conférence de consensus sous l’égide du National Institutes of Health (NIH) des États-Unis porte officiellement cette chirurgie sur les fonts baptismaux. Elle met en doute le ratio bénéfice/risque des bypass intestinaux et entrouvre la porte aux techniques de restriction gastrique. En 1992, une nouvelle conférence du NIH déclare que le bypass gastrique avec anse en Y selon Roux et la gastroplastie verticale bandée sont les deux procédés recevables pour des patients ayant un surpoids de 45 kg ou un IMC > 40 kg/ m2, ou encore compris entre 35 et 40 kg/ m2 en cas de comorbidité sévère. En France, c’est initialement la Sécurité Sociale qui prend les devants, en sollicitant des experts afin d’édicter un code de bonnes pratiques précisant les indications et les contre-indications, avant de passer la main à la Haute Autorité

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