Déficiences mentales liées au chromosome X : un continuum des formes syndromiques aux formes non spécifiques

Déficiences mentales liées au chromosome X : un continuum des formes syndromiques aux formes non spécifiques

Archives de pédiatrie 11 (2004) 569–572 www.elsevier.com/locate/arcped Table ronde : les retards mentaux : quelles explorations demander devant une d...

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Archives de pédiatrie 11 (2004) 569–572 www.elsevier.com/locate/arcped

Table ronde : les retards mentaux : quelles explorations demander devant une déficience mentale apparemment isolée chez l’enfant ?

Déficiences mentales liées au chromosome X : un continuum des formes syndromiques aux formes non spécifiques X-linked mental retardation: a continuous spectrum from syndromic forms towards non-specific forms V. des Portes a,*, C. Moraine b a

b

Service de neuropédiatrie, hospices civils de Lyon, France Service de génétique, hôpital Bretonneau, Inserm U619, Tours, France Disponible sur internet le 08 mai 2004

Depuis 1995, après la découverte de plusieurs gènes impliqués dans des formes « syndromiques » (cliniquement identifiables) de retard mental lié au chromosome X (RMLX), une quinzaine de nouveaux gènes ont été impliqués dans des déficiences mentales « non spécifiques » liées au chromosome X, et la vitesse de découverte de nouveaux gènes ne cesse de s’accroître ; on estime qu’une centaine de gènes du chromosome X responsables de déficience mentale est probablement impliquée. La découverte de ces nouveaux gènes a permis des avancées sensibles dans la compréhension des mécanismes physiopathologiques des processus cellulaires et moléculaires impliqués dans les déficiences mentales. Pour le clinicien, la découverte de ces nouveaux gènes devrait modifier la démarche diagnostique devant une déficience mentale inexpliquée. Mais aucun arbre décisionnel fondé sur la clinique n’est actuellement disponible, en particulier pour les retards mentaux « non spécifiques » ou isolés, pour lesquels aucun marqueur biologique, radiologique ou morphologique ne permet d’orienter le diagnostic. Actuellement, pour chacun de ces nouveaux gènes, seules quelques familles sont connues comme mutées et très peu de données cliniques ont été publiées à leur sujet. Par ailleurs, certains gènes du chromosome X, antérieurement connus comme impliqués dans des syndromes reconnaissables, sont aussi incriminés dans des formes non spécifiques de déficience mentale, ce qui suggère l’existence d’un continuum entre les retards mentaux syndromiques et non spécifiques. Certains phénotypes cliniques reconnaissables sont détaillés dans ce chapitre. * Auteur correspondant. Service de pédiatrie, centre hospitalier Lyon Sud, 69495 Pierre-Bénite, France. Adresse e-mail : [email protected] (V. des Portes). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.arcped.2004.03.114

1. Des retards mentaux non spécifiques aux retards mentaux syndromiques : un continuum Compte tenu du caractère actuellement très évolutif des données génétiques et cliniques qui concernent les RMLX, les présentations que nous ferons ici de tableaux cliniques associés à quelques gènes de retard syndromique (MRXS) ou « non spécifique » (MRX) ne le seront qu’à titre d’exemple et sans prétention d’exhaustivité. Signalons qu’une mise à jour régulière des nouveaux gènes de RMLX est tenue sur un site web spécifique (http://xlmr.interfree.it/home.htm). 1.1. Oligophrénine-1 (OPHN-1) : un gène MRX (retard non spécifique), en réalité responsable d’un nouveau syndrome clinique Après la mise en évidence des deux gènes associés à un X fragile (FMR1, impliqué dans le syndrome de l’X fragile, et FMR2, impliqué dans une forme probablement rare de déficience mentale jugée non spécifique), OPHN-1 a été le premier des gènes de déficience mentale non spécifique (MRX) à avoir été identifié. Impliqué initialement dans un retard mental « non spécifique », une étude clinique attentive (IRM 3D) des deux premières familles publiées et d’une troisième, a permis secondairement de mettre en évidence un phénotype clinique particulier associant une hypotonie néonatale suivie d’un retard postural sans ataxie franche à l’âge adulte, un strabisme bilatéral très prononcé, des crises comitiales partielles complexes débutant avant un an et cédant avant six ans, un retard mental modéré à sévère, et un aspect particulier du visage qui se complète au cours de l’enfance avec, en particulier, une impression d’yeux profondément enfoncés dans les orbites (Moraine, observation personnelle). Récem-

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ment, deux groupes indépendants ont publié des présentations cliniques similaires dans trois familles non apparentées. En sus des signes cliniques décrits plus haut, Bergmann et al. décrivent une épilepsie de type myoclono-astatique, une ataxie et un hypogénitalisme. Philip et al. rapportent, pour leur part, une macrocéphalie dans une famille dans laquelle des femmes transmettrices sont modérément symptomatiques. Par ailleurs, les IRM cérébrales ont mis en évidence chez tous les sujets étudiés des anomalies cérébelleuses comportant une dysplasie vermienne avec hypoplasie ou agénésie partielle des lobules VI et VII (postérosupérieurs), et une dilatation ventriculaire de degré variable associée à une atrophie cérébrale prédominant dans les régions frontotemporales. L’anomalie vermienne peut être isolée ou associée à un kyste rétrocérébelleux ou à une méga-grande citerne. C’est pourquoi nous proposons que toute malformation vermienne, kystique ou non, observée chez un sujet déficient mental conduise à chercher une mutation dans le gène OPHN-1, ce qui devrait permettre de mieux préciser les caractéristiques de ce nouveau syndrome. 1.2. Cinq gènes MRXS (forme syndromique) sont aussi impliqués dans des retards mentaux non spécifiques Plusieurs gènes connus comme mutés dans des formes syndromiques de déficience mentale (MRXS) ont été montrés, dans de rares cas il est vrai, impliqués dans des tableaux cliniques non ou peu spécifiques (MRX). 1.2.1. Le gène RSK2 Le gène RSK2 est muté dans le syndrome de Coffin-Lowry qui est caractérisé par une dysmorphie craniofaciale et des déformations squelettiques spécifiques. En 1999, une mutation faux sens de ce même gène (exon 14) a été mise en évidence dans une famille de RMLX non spécifique. 1.2.2. Le gène FGD1 De même, dans le gène FGD1, dont des mutations ont été objectivées chez des sujets atteints d’un syndrome d’Aarskog, une mutation, de nature différente (P312L) a été retrouvée chez trois frères considérés comme atteints d’un MRX. Ces sujets avaient, certes, une petite taille et de petits pieds, mais pas les anomalies craniofaciales, squelettiques et génitales caractéristiques du syndrome. En revanche, leur déficit cognitif était plus sévère que celui observé habituellement dans le syndrome d’Aarskog. 1.2.3. Le gène XNP Dans le même registre, une mutation non sens a été décrite dans une famille de retard léger à modéré isolé dans le gène XNP, impliqué initialement dans une forme syndromique de déficience mentale, le syndrome ATR-X associant alpha thalassémie, retard mental sévère, hypogénitalisme, dysmorphie faciale caractéristique.

1.2.4. Le gène ARX Encore plus hétérogènes dans leurs présentations cliniques, sont les mutations du gène ARX (Aristaless related Homeobox) qui ont été trouvées simultanément dans des retards mentaux non spécifiques, chez des garçons présentant un syndrome de West cryptogénique, dans le syndrome de Partington comportant une dystonie distale très particulière des membres supérieurs, dans des épilepsies myocloniques familiales et dans le syndrome XLAG, qui associe une forme particulière de lissencéphalie à un hypogénitalisme. Plus fascinant encore, est le fait que l’on a observé une mutation identique de ce gène (duplication de 24 pb dans l’exon 2) à la fois dans les formes non spécifiques, dans des spasmes infantiles et dans un syndrome de Partington. 1.2.5. Le gène MECP2 La situation de MECP2 (methyl-CpG-binding protein 2) est, elle aussi, très particulière. Ce gène est, on le sait, muté dans 80 % des syndromes de Rett, une génopathie dominante liée au sexe qui est donc observée presque exclusivement chez des sujets féminins. En plus des mutations retrouvées dans le syndrome de Rett chez les filles et dans de rares cas d’encéphalopathie précoce létale chez des garçons, des mutations différentes, à type de faux sens ont été retrouvées chez des garçons atteints de déficience mentale légère à modérée, dont la présentation clinique était beaucoup moins grave. Aucune des mutations observées dans le syndrome de Rett, probablement létales chez le garçon, n’a été retrouvée chez ces patients. De nombreux « polymorphismes » ont aussi été mis en évidence dans le gène MECP2, appelant à une grande prudence avant d’affirmer qu’une mutation identifiée chez un garçon est responsable du retard mental qu’il présente. Malgré tout, certaines mutations pathogènes « propres au garçon » sont récurrentes : c’est le cas de la plus fréquente (A140V), qui est associée à des tableaux cliniques dont la nature varie avec les familles où elle a été observée : retard mental isolé ou associé à une diplégie spastique ou à des troubles psychiatriques délirants à type de schizophrénie atypique.

2. De nombreux gènes attendent encore un phénotype reconnaissable 2.1. Gènes de RMLX impliqués dans des formes syndromiques cliniquement encore mal définies : exemple du transporteur de la créatine (SCL6A8/CT1) À la différence de OPHN-1, le gène codant pour le transporteur de la créatine (SCL6A8/CT1) illustre la difficulté à définir un phénotype clinique reconnaissable et spécifique. Certes, une fois évoquée, cette nouvelle maladie est facilement diagnostiquée sur une spectroscopie IRM qui met en évidence une absence de pic de créatine dans le cerveau. Cependant, si la perte de fonction du transporteur de la créatine provoque un retard postural et un retard mental

oui absence du pic de créatine spectroscopie RMN

oui

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sévère associés à une épilepsie, ainsi qu’à des traits autistiques ou une dystonie, ces signes cliniques ne sont pas assez spécifiques pour orienter le clinicien vers ce gène. En effet, l’épilepsie est peu sévère et à ce jour mal décrite ; par ailleurs, les troubles autistiques sont inconstants, tout comme la dystonie et les traits physiques, discrets (hypoplasie médiofaciale, hyperextensibilité articulaire) qui n’ont été décrits que dans une seule famille. En effet, dans quatre autres familles, la clinique était réduite à une déficience mentale associée à des troubles sévères du langage expressif. Le développement progressif de la spectroscopie IRM couplée à l’IRM morphologique devant tout retard inexpliqué devrait permettre le diagnostic de tous les troubles connus du métabolisme de la créatine, et non seulement le déficit en transporteur (lié à l’X), mais surtout les deux déficits de synthèse de la créatine (autosomiques récessifs : déficits en GAMT et AGAT), qui sont partiellement ou totalement réversibles par un apport exogène de créatine à condition qu’un diagnostic précoce ait été effectué. 2.2. Gènes de MRX, impliqués dans des déficiences mentales apparaissant à ce jour « vraiment non spécifiques »

rab-GDI

oui

Au moins huit gènes demeurent impliqués dans des « vrais MRX », c’est-à-dire des déficiences mentales encore considérées à ce jour comme cliniquement isolées : Rab-GDI, PAK3, AGTR2, TM4SF2, IL1RAPL, FRAXE (FMR2), ARHGEF6/aPIX, et le gène codant pour la Fatty Acid ligase (FACL4). La question reste ouverte de savoir si ces déficiences mentales sont réellement isolées et « non spécifiques » ou si des études cliniques bien conduites permettront secondairement de découvrir des signes cliniques subtils mais caractéristiques. 3. Les femmes conductrices de mutations dans les gènes RMLX

Histoire naturelle Déficience mentale Psychiatrie Examen neurologique Comitialité Femmes conductrices symptomatiques Femmes conductrices biais inactivation Imagerie

hypoplasie ou agénésie partielle du vermis

MECP2 OPHN-1

Tableau 1 Signes cliniques susceptibles d’orienter le diagnostic clinique des retards mentaux liés à l’X

FACL4

SCL6A8 transporteur de ARX FMR2 XNP ARHGEF6 la créatine hypotonie du nourrisson hypotonie du nourrisson régression transitoire 2e année modérée à sévère légère possible modérée à sévère modérée à sévère modérée à sévère modérée à sévère Légère possible sévère modérée schizophrénie atypique Strabisme bilatéral spasticité modérée dystonie possible dystonie possible C. partielles C astatiques épilepsie à caractériser spasmes infantiles possible possible possible

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Un point utile au diagnostic est le biais complet d’inactivation des chromosomes X observé constamment chez les femmes conductrices (hétérozygotes) asymptomatiques pour les gènes XNP, ARHGEF6, et FACL4 : non aléatoire, l’inactivation observée chez ces femmes adultes intéresse le chromosome X muté dans la totalité ou presque des leucocytes étudiés. Dans une situation familiale évocatrice de MRX ou de MRXS, un tel phénomène, facile à mettre en évidence, doit orienter préférentiellement vers l’implication de ces trois gènes, notamment si une étude de liaison a permis de localiser le gène en cause. 4. Approche clinique pour la recherche de mutations dans les nouveaux gènes XLMR À ce jour, un arbre décisionnel orienté par des signes cliniques ou d’imagerie précis peut difficilement être pro-

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posé. Cependant, certains d’entre eux qui peuvent guider le clinicien sont résumés dans le Tableau 1. En conclusion, malgré les progrès importants réalisés dans le démembrement clinique des RMLX, des mutations dans de nombreux gènes MRX restent encore associées à un retard mental non spécifique, et de nombreux autres gènes du chromosome X demeurent probablement à découvrir. Des investigations cliniques, neuropsychologiques et radiologiques supplémentaires doivent être poursuivies dans ces familles pour affiner le diagnostic clinique. De plus, toute exploration d’un retard mental familial inexpliqué devrait

comporter dorénavant une spectroscopie IRM et une étude du profil d’inactivation des chromosomes X chez les femmes transmettrices. Pour les cas de RM « réellement » isolé, il est probable que les progrès dans les techniques de recherche de mutations à grande échelle (DHPLC) permettront le criblage simultané de plusieurs dizaines de gènes. Cependant, un criblage moléculaire tous azimuts ne remplacera jamais un bon examen clinique à la recherche de signes d’orientation spécifiques d’un gène donné. Bibliographie, sur demande à l’auteur.