Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 78–81
ANESTHÉSIE–RÉANIMATION
Douleur postopératoire en chirurgie ORL A. Deleuze a,*, M. Gentili b a b
Clinique de l’Espérance, groupe A.-Tzank, 122, avenue du Docteur-M.-Donat, 06250 Mougins, France Polyclinique Saint-Vincent, avenue Saint-Vincent, BP 129, 35763 Saint-Grégoire cedex, France
Mots clés : Douleur postopératoire ; Chirurgie ORL
La lutte contre la douleur postopératoire (DPO) est un élément important des soins. En chirurgie ORL, la DPO est souvent considérée, peut-être à tort comme faible à modérée, ce qui explique que ce problème a peu retenu l’attention. 1. CARACTÉRISTIQUES DE LA DOULEUR EN ORL Après chirurgie carcinologique du larynx et du pharynx chez l’adulte, la douleur postopératoire peut être intense [1]. De plus, l’extrême variabilité individuelle et interindividuelle des scores d’évaluation de la douleur a révélé une insuffisance de contrôle de ces douleurs par la prescription d’analgésique à heure fixe. En ce qui concerne les amygdalectomies et les adénoïdectomies, la DPO semble également très intense. Il a été montré que l’intensité de la DPO se situait entre 50 et 70 durant les premiers jours postopératoires avec un score EVA moyen à la quatrième heure postopératoire de 70 et une douleur persistante durant dix jours après l’intervention. Le protocole antalgique utilisé pour calmer ce type de douleur était constitué de dérivés morphiniques faibles [2]. Dans une des rares études portant sur la chirurgie thyroïdienne, les scores moyens de DPO se situaient entre 60 et 80 durant la première journée postopératoire et ce malgré la prescription de morphine par voie sous-cutanée à des doses de 0,2 mg/kg en moyenne à 90 % des opérés [3]. 2. TRAITEMENT DE LA DOULEUR EN ORL 2.1. Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) La chirurgie amygdalienne comporte un risque hémorragique particulier du fait de la présence de substances profi* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Deleuze). © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0750-7658(03)00510-0
brinolytiques dans la cavité buccale. Les AINS ont démontré leur efficacité analgésique après amygdalectomie et adénoïdectomie [4]. Cependant, ils interfèrent avec l’hémostase. Dans ce type de chirurgie, une hémorragie postopératoire même mineure peut être considérée comme une complication préoccupante. En effet, la reprise chirurgicale d’une amygdalectomie pour hémostase s’accompagne d’un risque d’inhalation sanguine au moment de l’induction anesthésique. Le kétorolac, dont la commercialisation a été interrompue en France, est l’AINS le plus étudié dans cette indication. Cependant, même si les études de méthodologie correcte (niveau I) ne rapportent pas d’accroissement significatif de la fréquence de ces réinterventions après amygdalectomie, la majorité d’entre-elles note un nombre de patients plus important repris pour une hémorragie dans le groupe AINS [1,5]. Au total, après amygdalectomie, les antalgiques type AINS ou aspirine prescrits en période pré- ou postopératoire augmentent la fréquence du saignement périopératoire et le nombre de réinterventions pour hémostase chirurgicale (niveau de preuve I à III). En ce qui concerne le reste de chirurgie oto-rhino-laryngologique, il n’y a pas d’argument à la fois dans la littérature et dans la pratique clinique pour penser que les AINS augmenteraient le saignement postopératoire. 2.2. Cas particulier des inhibiteurs sélectifs de la Cox-2 Les AINS agissent par une modulation de la synthèse des prostaglandines (Pgs) en bloquant une des nombreuses enzymes nécessaires à leur métabolisme dont les cyclooxygénases (Cox) cellulaires. Deux isoformes des Cox sont décrites. Jusqu’à très récemment, les AINS commercialisés agissaient à la fois sur la Cox-1 et la Cox-2. Leur intérêt antalgique était ainsi mis en balance avec leurs effets secondaires (ulcère gastroduodénal, risque hémorragique, insuffi-
A. Deleuze, M. Gentili / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 78–81
sance rénale). Cependant des AINS inhibant sélectivement la Cox-2 sont maintenant commercialisés et pourraient en faire un traitement analgésique de choix après une intervention chirurgicale ORL.
79
qu’en intensité par une perfusion continue. Les cibles de cet analgésique sont les douleurs d’intensité faible et moyenne en association mais certainement pas en monothérapie. 2.6. Morphine et autres opiacés
2.3. Le paracétamol Le mode d’action de cette molécule, passe essentiellement par un mécanisme central ; que ce soit par voie intraveineuse ou orale cette molécule a montré son efficacité en monothérapie pour les chirurgies d’intensité douloureuse faible à modérée, ou en association aux morphiniques ou aux AINS ou elle permet un effet d’épargne morphinique en réduisant les scores EVA, que ce soit au repos ou à la mobilisation. Cette molécule s’intègre donc dans le cadre de la prise en charge de la douleur en ORL et doit faire partie systématiquement, en l’absence de contre-indications, de la prescription initiale postopératoire. 2.4. Le tramadol Molécule synthétique, elle agit principalement par un mécanisme inhibiteur des voies sérotoninergiques et noradrénergiques descendantes, le mécanisme opioïde ayant quant à lui une part relativement faible (faible affinité pour les récepteurs µ, 6000 fois plus faible que la morphine). La dose unitaire standard orale ou IV est de 100 mg administrée toutes les six heures avec un délai d’action d’une heure, d’où l’intérêt de l’administrer de manière précoce en fin d’intervention. Les effets indésirables sont essentiellement à type de nausées, de vomissement et de constipation. Les effets indésirables respiratoires sont quant à eux quasiment inexistants aux doses thérapeutiques. Les cibles de cette molécule sont les douleurs d’intensité faible à moyenne en monothérapie ou en association. Les modalités d’utilisation sont simples que ce soit par voie intraveineuse ou orale et le relais avec des molécules plus puissantes est possible sans problème d’antagonisme. 2.5. Le néfopam Le chlorhydrate de néfopam agit en inhibant la recapture des monoamines au niveau central spinal et supraspinal. Il n’a aucune action sur les récepteurs morphiniques. La dose unitaire standard est de 20 mg que ce soit par voie IV ou IM. Le délai d’action par voie IV est de 15 à 30 minutes d’où l’intérêt de commencer l’administration sous anesthésie générale et son rythme d’administration est d’une injection toutes les quatre à six heures. Les effets indésirables du produit sont surtout de type neurovégétatif à type de sueur, de somnolence, de nausées et de vomissement, de vertige. Quelques manifestations atropiniques à type d’hyposialie et de tachycardie sont également à noter ainsi qu’une douleur au niveau du trajet veineux. À noter que ces effets indésirables sont de durée brève et diminuent en fréquence ainsi
Quelle que soit sa voie d’administration, la morphine a fait preuve de son efficacité dans la prise en charge des phénomènes douloureux postopératoires. Depuis la description initiale du concept d’analgésie autocontrôlée [6], la technique s’est largement développée dans la prise en charge des DPO et notamment en chirurgie cervicofaciale. La PCA intraveineuse s’est imposée comme un concept thérapeutique efficace qui permet une titration continue de la dose nécessaire de morphine par le malade lui-même, et qui semble adaptée à la grande variabilité des besoins durant la période postopératoire [7]. Il apparaît donc que la chirurgie carcinologique cervicofaciale doit être considérée comme douloureuse notamment durant les premières heures postopératoires et nécessite une prise en charge précoce et adaptée. La grande variabilité individuelle des besoins en analgésiques ainsi que les problèmes de communication inhérents à ce type de chirurgie font de la PCA intraveineuse une technique d’analgésie particulièrement adaptée aux circonstances. 2.7. Péri et rachianesthésie L’anesthésie péridurale cervicale présente un intérêt et permet d’assurer une anesthésie chirurgicale aussi bien qu’une analgésie postopératoire. Les répercussions hémodynamiques dépendent de la concentration d’anesthésique local utilisée et de l’étendue du bloc sympathique obtenu. L’extension du bloc au nerf phrénique ainsi qu’aux nerfs intercostaux aboutit à un syndrome restrictif modéré. Ceci amène les auteurs à ne pas recommander cette technique chez des patients insuffisants respiratoires notamment. D’autres auteurs ont proposé d’injecter 4 mg de morphine puis 10 mg par jour en continu durant deux jours dans l’espace péridural thoracique et ont constaté une certaine efficacité de la technique [8]. L’injection intrathécale de morphine a également permis d’obtenir à elle seule une analgésie de qualité durant les 24 premières heures postopératoire [9]. La pratique de ces techniques, dans le contexte de la chirurgie ORL, reste cependant marginale. 2.8. Infiltration d’anesthésiques locaux L’infiltration d’anesthésiques locaux au niveau du site chirurgical, technique déjà ancienne est de plus en plus pratiquée, notamment dans les chirurgies dont la douleur est surtout à composante pariétale. Les interventions chirurgicales sur le corps thyroïde ont la réputation d’être peu douloureuses. Cependant, selon certaines études, une titration de morphine intraveineuse
80
A. Deleuze, M. Gentili / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 78–81
s’est avérée nécessaire chez 70 à 80 % des patients. Par ailleurs, la fréquence des nausées–vomissements après thyroïdectomie incite à limiter le recours à la morphine, dont les propriétés émétisantes aggravent l’inconfort postopératoire des patients. Dans une étude portant sur 40 patients devant bénéficier d’une thyroïdectomie, 10 ml de bupivacaïne à 0,5 % ont été infiltrés au niveau du site opératoire en fin d’intervention et il a été constaté une diminution des scores douloureux durant le premier jour postopératoire [3].
riennes supérieures durant le sommeil postopératoire des sujets normaux [5], il semble préférable de proposer ce mode d’analgésie sous surveillance renforcée dans une salle de soins postinterventionnelle ou dans une unité de soins intensifs et en ayant recours au mode d’administration suivant : absence de perfusion continue, bolus de faible dose (0,5 à 1 mg), limitation de la dose maximale à 20–30 % de la dose préconisée.
3. CONCLUSION 2.9. Les blocs de la face La face est innervée essentiellement par le trijumeau. Cinq blocs tronculaires de réalisation assez simple permettent de l’anesthésier pratiquement en totalité. Les meilleures indications chirurgicales sont représentées par la chirurgie tégumentaire, notamment en chirurgie maxillofaciale ou ils peuvent être utilisés pour l’analgésie. Il s’agit également de techniques rentrant dans le cadre d’une alternative à l’anesthésie générale qui semblent surtout adaptées à la chirurgie ambulatoire et stomatologique et qui ne présentent pas une réelle application en chirurgie carcinologique oto-rhinolaryngologique. 2.10. Cas particulier du syndrome d’apnée du sommeil Le syndrome d’apnée du sommeil (SAS) bien que présentant une incidence élevée dans la population, puisque 2 % des femmes et 4 % des hommes d’âge moyen (30–60 ans) en souffriraient, n’a fait l’objet que de peu d’études sur sa prise en charge péri-opératoire. Le SAS conduit parfois les patients à subir une uvulopalatopharyngoplastie. Que ce soit lors du traitement chirurgical du SAS type uvulopalatopharyngoplastie ou à l’occasion de gestes chirurgicaux variés, deux grandes complications périopératoires sont à prévoir chez ce type de patient : l’intubation difficile [9] ainsi que l’obstruction respiratoire postopératoire [10]. Réaliser une analgésie postopératoire de qualité chez ces patients, nécessite une connaissance de ces complications afin de définir au mieux le type d’antalgique utilisable. Les antalgiques de palier 1 de type paracétamol ou AINS sont à utiliser en première intention et ce sans restriction tout en respectant leurs principales contre-indications. L’infiltration d’anesthésiques locaux que ce soient dans les tissus amygdaliens, thyroïdiens ou palatins permet également d’assurer une analgésie de qualité [3] ainsi que les blocs centraux et périphériques. Le néfopam, analgésique central non morphinique présente également un intérêt à condition d’être administré de manière continue afin de limiter l’incidence des effets indésirables (tachycardie...). En règle, l’auto-administration de morphine en PCA est contre-indiquée chez ces patients. La morphine pouvant provoquer des épisodes obstructifs sévères des voies aé-
La douleur postopératoire est très variable selon le type de chirurgie pratiqué en ORL mais elle est souvent mésestimée. Un protocole adapté à chaque type d’intervention est donc nécessaire afin de bénéficier du maximum d’efficacité durant les 72 premières heures postopératoire, période durant laquelle les phénomènes douloureux sont les plus intenses. Comme nous l’avons vu précédemment et contrairement à la pratique quotidienne, les douleurs rencontrées dans les suites de la chirurgie ORL qu’elle soit carcinologique ou fonctionnelle sont à la fois intenses et fréquentes et n’ont fait l’objet que de très peu d’études. Les problèmes de communication rencontrés dans ce type de chirurgie parfois liés à la réalisation d’une trachéotomie ou d’une trachéostomie sont à l’origine d’une inadéquation entre la demande en antalgique formulée par le patient et la distribution par le personnel paramédical. La PCA de morphine par voie intraveineuse apparaît comme le traitement de base de la DPO en chirurgie ORL carcinologique et devrait être dans l’avenir systématiquement mis en place. L’association à la morphine de molécules telles que le néfopam, le paracétamol, le tramadol ou les AINS doit être également systématiquement réalisée, ceci s’intégrant dans le cadre d’une analgésie multimodale dont l’efficacité tient essentiellement à la grande diversité des mécanismes d’action. Une place doit être également réservée à certaines techniques d’anesthésie locorégionale telles que l’infiltration d’anesthésiques locaux au niveau du site chirurgical qui représente à la fois une technique simple et efficace et qui permettrait, associée à la PCA intraveineuse de réaliser une analgésie de meilleure qualité ainsi qu’une épargne en produit morphinique.
RÉFÉRENCES [1]
Bost P, Commun F, Albuisson E, Guichard C. Postoperative pain assessment in head and neck cancer surgery of patient controlled analgesia. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 1999;116:154–61.
[2]
Jebeles JA, Reilly JS, Gutierrez JF, Bradley EL, Kissin I. The effect of pre-incisional infiltration of tonsils with bupivacaine on pain following tonsillectomy under general anesthesia. Pain 1991;47:305–8.
A. Deleuze, M. Gentili / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 78–81 [3]
[4]
[5]
[6]
Gozal Y, Shapira SC, Gozal D, Magora F. Bupivacaine wound infiltration in thyroid surgery reduces postoperative pain and opioid demand. Acta Anaesthesiol Scand 1994;38:813–5. Sutters KA, Levine JD, Dibble S. Analgesic efficacy and safety of single-dose intramuscular ketorolac for postoperative pain management in children following tonsillectomy. Pain 1995;61:145–53. Agrawal A, Gerson CR, Seligman I, Dsida RM. Postoperative haemorrhage after tonsillectomy: use of ketorolac tromethamine. Otolaryngol Head Neck Surg 1999;120:335–9. Sechzer PH. Objective measurement of pain. Anesthesiology 1968; 29:209–10.
[7]
81
Olsen KD, Creagan E. Pain management in advanced carcinoma of head and neck. Am J Otolaryngol 1991;12:154–60. [8] Sakuramoto C, Kanai I, Matoba F, Goto F. Treatment of postoperative pain with thoracic epidural morphine in oral malignant tumor patients. Clin J Pain 1996;12:142–4. [9] Tobias JD, Deshpande JK, Wetzel RC, Solca M. Intrathecal morphine as an adjunct to anesthesia for head and neck surgery. South Med J 1990;83:649–52. [10] Riley RW, Powell NB, Guilleminault C, Pelayo R, Troell RJ, Li KK. Obstructive sleep apnea surgery: risk management and complications. Otolaryngol Head Neck Surg 1997;117:648–52.