Douleurs abdominales atypiques au premier trimestre de la grossesse

Douleurs abdominales atypiques au premier trimestre de la grossesse

Journal de Gyn´ ecologie Obst´ etrique et Biologie de la Reproduction (2008) 37, 204—206 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE ...

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Journal de Gyn´ ecologie Obst´ etrique et Biologie de la Reproduction (2008) 37, 204—206 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE

Douleurs abdominales atypiques au premier trimestre de la grossesse Atypical abdominal pain in the first trimester of pregnancy C. Muris a,∗, N. Refahi b, Y. Roche c, M. Dreyfus a a

Service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction, CHU de Caen, avenue Georges-Clémenceau, 14033 Caen, France b Service de gynécologie obstétrique, hôpital mémorial France—États-Unis, 50 000 Saint-Lô, France c Service de médecine interne et gastroentérologie, hôpital mémorial France—États-Unis, 50 000 Saint-Lô, France Rec ¸u le 20 aoˆ ut 2007 ; avis du comité de lecture le 11 octobre 2007; définitivement accepté le 17 d´ ecembre 2007 Disponible sur Internet le 4 f´ evrier 2008

MOTS CLÉS Thrombose de la veine porte ; Thrombophilie ; Doppler

KEYWORDS Portal vein thrombosis; Thrombophilia; Doppler studies



Résumé Nous présentons le cas d’une jeune femme de 22 ans qui a consulté à six semaines d’aménorrhée pour une violente douleur épigastrique. Le diagnostic de thrombose de la veine mésentérique supérieure s’étendant à la veine porte avec conservation de sa perméabilité a été porté. Le bilan étiologique a retrouvé une mutation du gène de la prothrombine à l’état hétérozygote. Le diagnostic de thrombose de la veine porte est exceptionnel et difficile à faire. Il ne peut être posé que par le doppler, examen de deuxième intention qui doit être demandé devant toute douleur abdominale haute inhabituelle pendant la grossesse. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary We report the case of a 22-year-old woman who presented a violent epigastric pain at eight-weeks gestation. Superior mesenteric vein thrombosis was detected, with an extension to portal vein and remaining blood flow. Screening for thrombophilia revealed a heterozygote prothrombin gene mutation. Portal vein thrombosis is uncommon and difficult to diagnose. Diagnosis is made by Doppler ultrasound, a second intention test to be done in case of unusual upper abdominal pain during pregnancy. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Muris).

Les thromboses veineuses représentent une complication classique de la grossesse et du post-partum (jusqu’à 3 %) [1]. Mais si l’attention du clinicien est facilement attirée par les phlébites surales, le diagnostic peut être beaucoup plus difficile à évoquer en cas de localisation plus rare de

0368-2315/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jgyn.2007.12.005

Douleurs abdominales atypiques au premier trimestre de la grossesse la thrombose. Ce sont alors les antécédents personnels et familiaux de la patiente qui doivent aider au diagnostic.

Cas clinique Nous présentons l’observation d’une primigeste de 22 ans. Elle présentait dans ses antécédents personnels une phlébite sous pilule estroprogestative à l’âge de 19 ans, sans bilan étiologique réalisé et un tabagisme à dix cigarettes par jour. Elle présentait les antécédents familiaux suivants : sa grand-mère paternelle avait présenté une phlébite profonde du membre inférieur et son père avait été hospitalisé à l’âge de 51 ans pour une embolie pulmonaire. Le bilan de thrombophilie retrouvait un statut hétérozygote pour la mutation du gène de la prothrombine chez ce patient. Elle avait consulté une première fois aux urgences à six semaines d’aménorrhée (SA) pour une douleur épigastrique évoluant depuis environ un mois, d’aggravation récente. La douleur était devenue en quelques jours intense, permanente, transfixiante et insomniante. L’interrogatoire ne retrouvait ni signe fonctionnel digestif, ni point d’appel gynécologique. À l’examen, l’abdomen était souple, douloureux dans l’hypochondre gauche et dans l’épigastre. L’échographie pelvienne retrouvait une grossesse intrautérine évolutive. Le bilan biologique mettait en évidence des perturbations modérées du bilan hépatique (ASAT 73 UI/l (5—34), ALAT 107 UI/l (5—55) et gamma GT 95 UI/l (9—36)). Il existait un syndrome inflammatoire biologique modéré avec une CRP à 27,7 mg/l (0—3). Une échographie abdominale réalisée en urgence montrait un foie de taille normale et d’échostructure homogène. Il n’existait pas de dilatation des voies biliaires, la vésicule avait un aspect échographique normal. Étant donné ses antécédents personnels et familiaux, une thrombose porte était évoquée, diagnostic confirmé par une échographie doppler qui montrait une thrombose complète de la veine mésentérique supérieure s’étendant dans le tronc porte qui restait cependant perméable. Il n’existait pas de thrombose de la veine splénique. Le bilan de thrombophilie retrouvait une mutation G20210A du gène de la prothrombine à l’état hétérozygote. La patiente a été traitée par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à dose curative et la douleur a cédé en trois jours. Le déroulement ultérieur de la grossesse est resté simple, la patiente étant traitée tout au long de celle-ci par HBPM à dose curative, ajustée sur le dosage de l’anti-Xa. Elle a accouché par césarienne pour siège et refus de voie basse d’une enfant normotrophe. Le post-partum a été sans particularité, avec un relais par anticoagulants oraux. Le dosage de la protéine S à distance de la grossesse est encore en attente.

Discussion La prise en charge de cette patiente s’est déroulée en deux temps : tout d’abord, les examens classiques d’exploration d’une douleur épigastrique ont été réalisés, mais n’ont pas permis de poser un diagnostic. En effet, le dosage des enzymes hépatiques et le dosage de la CRP étaient seulement très discrètement perturbés. Les concentrations sériques de ces enzymes ne sont pas modifiées par la

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grossesse et leur modification était ici en rapport avec une hypertension portale modérée. L’échographie hépatique et des voies biliaires était normale. Ce n’est qu’en tenant compte des antécédents personnels et familiaux de la patiente que le diagnostic a été évoqué et qu’une recherche spécifique a été réalisée sous la forme d’un doppler de la veine porte et de la veine mésentérique supérieure. La revue de la littérature rapporte peu de cas de thromboses des veines porte et mésentérique supérieure pendant la grossesse [2—5]. Un auteur a rapporté un cas d’infarctus veineux mésentérique survenu dans le post-partum chez une jeune femme prenant des contraceptifs oraux de type estroprogestatif [6]. Enfin, quelques cas de thromboses veineuses portale et mésentérique supérieure en dehors de la grossesse ont été décrits [7—9]. Que la thrombose survienne pendant la grossesse ou non, les signes cliniques sont généralement bruyants mais peu spécifiques : il s’agit de douleurs intenses localisées dans l’épigastre, le flanc ou l’hypochondre droit accompagnées de nausées et parfois de vomissements [3,4,6,8,9]. Certains patients avaient une symptomatologie plus atypique avec une masse abdominale [10] ou étaient totalement asymptomatiques [2]. L’échographie abdominale est normale en l’absence de complication, comme dans notre observation. Elle a pour intérêt d’exclure les diagnostics différentiels de douleur de l’hypochondre et du flanc droits (colique hépatique, cholécystite, colique néphrétique). Le diagnostic est porté par une échographie doppler qui montre un thrombus et une veine porte extrahépatique distendue par le thrombus [2,3]. Celui-ci s’étend fréquemment à la veine splénique et à la veine mésentérique supérieure [4,8—10]. La gravité est liée à l’interruption du flux veineux. Quand celui-ci est préservé, il n’y a pas de complication, comme dans notre observation ou dans un cas rapporté dans la littérature [10]. L’élément essentiel est alors la rapidité du diagnostic et de la mise en route du traitement anticoagulant. Quand le flux veineux est interrompu dans la veine porte, la thrombose se complique d’hypertension portale. Classiquement, ses manifestations cliniques peuvent être aiguës ou chroniques. Dans la phase aiguë, on constate une ascite ou une tension abdominale, qui disparaissent quand l’obstruction se lève ou lorsque se développe une circulation collatérale. Quand elle persiste apparaissent des signes d’hypertension portale chronique comme une splénomégalie ou la présence de varices œsophagiennes et d’ascite [3,4]. On découvre rarement un véritable infarctus hépatique [5]. Quand il existe une obstruction complète de la veine mésentérique supérieure, le tableau peut être celui d’un infarctus veineux mésentérique, tableau rare mais dramatique [6,8,9]. Les auteurs insistaient dans ce dernier cas sur la difficulté diagnostique. Dans tous les cas décrits, les patients étaient traités avec efficacité par héparine non fractionnée ou HBPM à dose curative, exception faite d’un cas gravissime d’infarctus mésentérique étendu [6]. Les cas de thrombose portale publiés dans la littérature survenaient presque toujours dans un contexte de thrombophilie. Dans notre observation, l’accident a été révélateur d’une mutation du gène de la prothrombine. De plus, la grossesse entraîne des modifications franches de l’hémostase qui peuvent démasquer une tendance thrombo-

206 tique préexistante constitutionnelle ou acquise. La mutation G->A en position 20210 du gène de la prothrombine serait à l’origine d’une augmentation des taux plasmatiques de la prothrombine et d’une production accrue de thrombine. Elle entraînerait des thromboses veineuses et pourrait être également impliquée dans les thromboses artérielles, les maladies multisystémiques et les angiopathies (maladie de Léo-Buerger, syndrome de Raynaud et migraines) [11]. Cette mutation est considérée comme une situation à risque modéré lorsqu’elle est présente à l’état hétérozygote aussi bien en ce qui concerne la maladie thromboembolique veineuse que la pathologie vasculaire placentaire. Il n’est donc pas recommandé, en l’absence d’antécédents personnels, de traiter préventivement ces patientes pendant la grossesse, en dehors de la prescription d’une contention élastique. Elles doivent être traitées par HBPM à forte doses pendant six à huit semaines dans le post-partum (enoxaparine 40 mg/j, par exemple). Dans le cas de notre patiente, la coexistence d’un antécédent personnel de thrombose veineuse et de la mutation du facteur II à l’état hétérozygote la faisait considérer comme à risque élevé de thrombose. En l’absence d’accident pendant la grossesse, elle aurait donc dû être traitée préventivement par de fortes doses d’HBPM au troisième trimestre, le traitement devant être prolongé dans le post-partum [12]. Par ailleurs, son seul antécédent de phlébite sous contraception estroprogestative aurait pu être considéré comme une indication à un traitement préventif de la thrombose veineuse pendant la grossesse, comme le suggèrent certains auteurs [13]. Néanmoins, le niveau de preuve est faible et ce traitement n’étant indiqué qu’au troisième trimestre, il n’aurait également pas été actif à 6 SA. En conclusion, le diagnostic de thrombose de la veine porte est difficile car les signes cliniques sont peu spécifiques tant que l’obstruction n’est pas complète. Il implique une étroite collaboration entre obstétriciens, radiologues et gastroentérologies. Il ne peut être posé que par le doppler, examen de deuxième intention qui doit être demandé devant toute douleur abdominale haute inhabituelle pendant la grossesse. En effet, ce tableau atypique peut se compliquer rapidement de manière dramatique. La grossesse est un facteur de risque isolé de pathologie thromboembolique. Toutefois, dans cette situation particulièrement grave, il convient de ne pas faire l’économie d’un bilan de thrombophilie complet car la recherche s’avère souvent positive.

C. Muris et al.

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