Enthésopathies sous acitrétine au cours d’un rhumatisme psoriasique

Enthésopathies sous acitrétine au cours d’un rhumatisme psoriasique

Revue du Rhumatisme 72 (2005) 646–649 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/ Fait clinique Enthésopathies sous acitrétine au cours d’un rhumatism...

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Revue du Rhumatisme 72 (2005) 646–649 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/

Fait clinique

Enthésopathies sous acitrétine au cours d’un rhumatisme psoriasique > Acitretin-induced enthesitis in a patient with psoriatic arthritis Véronique Vincent a,*, Laurent Zabraniecki a, Olivier Loustau b, Bertrand Godfrin a, Frédérique Bertrand Latour a, Jean-Jacques Railhac b, Bernard Fournié a a b

Service de clinique rhumatologique, CHU Purpan, place du Docteur-Baylac 31059 Toulouse, France Service central d’imagerie médicale, CHU Purpan, place du Docteur-Baylac 31059 Toulouse, France Reçu le 23 décembre 2003 ; accepté le 30 juin 2004 Disponible sur internet le 11 septembre 2004

Résumé Nous rapportons l’observation d’un patient ayant un rhumatisme psoriasique avec une atteinte cutanée traitée depuis dix ans par de l’acitrétine. Le bilan radiographique met en évidence des ossifications exubérantes de certaines enthèses. Celles-ci sont atypiques pour un rhumatisme psoriasique. Nous les avons imputées à l’acitrétine. En effet, les rétinoïdes sont reconnus pour donner des lésions d’hyperostose, surtout s’ils sont pris à forte dose et sur une longue période. L’association de deux diathèses avec un tropisme commun pour les enthèses expliquerait l’exubérance des ossifications rencontrées chez notre patient. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract A patient with psoriatic arthritis and cutaneous psoriasis took acitretin for ten years to treat his skin lesions. Radiographs disclosed exuberant ossifications in several entheses. Their features were not typical for psoriatic arthritis but were consistent with acitretin-induced hyperostosis. Retinoids are known to induce hyperostosis, most notably when they are used in high dosages and over long periods. The concomitant presence of two conditions affecting the entheses may explain the exuberant nature of the ossifications in our patient. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Rétinoïdes ; Enthèses ; Rhumatisme psoriasique Keywords: Retinoids; Entheses; Psoriatic arthritis

1. Introduction Les dérivés synthétiques de la vitamine A sont une étiologie rare d’enthésopathies. Ceci a d’abord été mis en évidence chez l’animal. En effet, chez le chat [1], une maladie spontanée et expérimentale, la spondylose cervicale déformante a été décrite par des vétérinaires australiens. Elle est liée à une hypervitaminose A due à l’ingestion de foie de bœuf cru. Elle a été reproduite par l’ingestion de fortes doses de vitamine A. Chez l’homme [2], >

Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Vincent). 1169-8330/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2004.06.013

des descriptions ont été faites d’intoxications à la vitamine A se traduisant cliniquement par des arthralgies ou des douleurs osseuses et des signes d’hyperostose vertébrale ressemblant à la maladie de Forestier sur les radiographies standards. Puis des observations proches de la maladie hyperostosique [3–5] ont été rapportées en dermatologie après traitement par les rétinoïdes, dont la première description remonte à 1983 par Pittsley [6]. Nous rapportons l’observation d’un patient, démonstrative par l’étendue des lésions observées. 2. Observation M. L., 60 ans, retraité, a consulté en novembre 2002 pour douleur de la cheville droite. Le patient avait un rhumatisme

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Fig. 1. Radiographie cheville droite : ossification de la membrane interosseuse.

psoriasique HLA B17 évoluant depuis 25 ans, répondant aux critères de Fournié [7]. Il avait débuté par une polyarthrite des petites articulations touchant les interphalangiennes distales. Puis l’évolution a été marquée par une talalgie plantaire gauche inflammatoire. Il n’y a jamais eu de douleurs axiales. Il était traité par des anti-inflammatoires non stéroïdiens depuis plusieurs années et par de la sulfazalasine depuis neuf mois. Son psoriasis cutané était traité depuis dix ans par acitrétine à la posologie de 25 mg par jour. Les douleurs de la cheville droite, d’horaire mécanique évoluaient depuis un an et l’avaient contraint à arrêter ses activités sportives. À l’examen clinique, les articulations tibiotarsiennes et sous-taliennes étaient libres et indolores. La palpation du tiers inférieur de la jambe droite était douloureuse. Biologiquement, la vitesse de sédimentation était à 10 mm, la CRP à 4 mg/l, l’hémogramme et le bilan hépatique étaient normaux, ainsi que le bilan phosphocalcique sanguin. Les facteurs rhumatoïdes par technique d’immunonéphélémétrie et par Waaler Rose, les antiprotéines citrullinées et les ACAN étaient négatifs. Radiologiquement, les clichés standards des chevilles de face et de profil (Fig. 1) mettaient en évidence une ossification de la membrane interosseuse de la jambe droite. La scintigraphie osseuse montrait une hyperfixation correspondant au siège de l’ossification, mais également au tiers supérieur de la jambe droite, cliniquement asymptomatique. Des radiographies des deux genoux étaient donc réalisées. Celles-ci montraient également une ossification de la membrane interosseuse, mais aussi une ossification de l’insertion du tendon quadricipital sur la tubérosité tibiale. Dans le cadre de son rhumatisme psoriasis, d’autres clichés ont été réalisés. Les radiographies du bassin (Fig. 2) montraient une ossification du ligament iliolombaire, des ossifications du bourrelet cotyloïdien et une sacro-iliite de stade III. Les clichés du rachis montraient un pont osseux de D12 à L1 et de D4 à D5. Les clichés des deux pieds de profil (Fig. 3) mettaient en évidence une ossification de la plante du pied. Une tomodensitométrie a été réalisée afin de préciser cette ossification. Cet examen a permis de visualiser l’ossification de plusieurs ligaments notamment de l’insertion ac-

Fig. 2. Ossification des ligaments iliolombaires, du bourrelet cotyloïdien et sacroiliite de stade III.

Fig. 3. Radiographie pied de profil : ossification de la plante du pied.

cessoire du jambier postérieur sur le premier cunéiforme (Fig. 4), du ligament interscaphoïde cuboïdien (Fig. 5) et du grand ligament calcanéocuboïdien plantaire (Fig. 6). Au terme de ces examens, il a été décidé d’arrêter l’acitrétine. Le patient a été revu un mois après, la douleur de la cheville avait disparu, et à huit mois le patient était toujours asymptomatique.

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Fig. 6. Coupe sagittale (scanner) : ossification du ligament calcanéocuboïdien plantaire. Fig. 4. Coupe sagittale (scanner) : ossification de l’insertion accessoire sur le premier cunéiforme du ligament jambier postérieur.

Fig. 5. Coupe coronale (scanner) : ossification du ligament inter scaphoïde cuboïdien.

3. Discussion Isotretinoine, étrétinate et acitrétine sont des dérivés synthétiques de la vitamine A. Ils agissent sur la prolifération et la différenciation cellulaire. Ils sont utilisés dans les troubles sévères de la kératinisation [8] (ichtyoses graves, érythrodermies ichtyosiformes, kératodermies palmoplantaires sévères, maladie de Darier), dans certaines formes de psoriasis (psoriasis pustuleux ou érythrodermique, psoriasis palmoplantaires et psoriasis sévères et étendus résistants aux autres traitements) et dans les acnés sévères, nodulokystiques et conglobata. L’isotrétinoïne est plus efficace pour traiter les

troubles de la kératinisation et les acnés. L’étrétinate et l’acitrétine, quant à eux sont utilisés dans les dermatoses psoriasiques. L’étrétinate est de moins en moins utilisé au profit de l’acitrétine mieux supporté [9]. Ils donnent, en effet, de nombreux effets secondaires [8]. Outre l’effet tératogène majeur, les pertubations du bilan hépatique, lipidique et les effets cutanéomuqueux, ils sont connus pour donner des complications ostéoarticulaires [10,11]. Parmi ces complications, des arthromyalgies, des arthrites, des myopathies ont été rapportées. Chez l’enfant, une soudure prématurée des cartilages de conjugaison a été signalée dans de rares cas. Quelques études ont suggéré que les rétinoïdes pouvaient entraîner une déminéralisation et une ostéoporose. La principale complication ostéoarticulaire est l’hyperostose, avec des ostéophytes, des ponts osseux, des calcifications du ligament vertébral antérieur et postérieur, des calcifications et des ossifications des tendons et des ligaments. Ces signes sont très semblables à ceux observés dans l’hyperostose vertébrale ankylosante ou maladie de Forestier. L’étrétinate et l’acitrétine donneraient plutôt des enthésopathies périphériques [12,16], calcanéum, genoux, bassin et épaules. Quelques cas d’ossifications de la membrane interosseuse de l’avant-bras ont été décrits avec l’étrétinate [13]. L’atteinte rachidienne, quant à elle, surviendrait plutôt avec l’isotrétinoïne [14–16]. Les ossifications sont cependant souvent sans traduction clinique. Il n’y aurait aucune corrélation entre les symptômes et les signes radiologiques. Les signes radiologiques sont d’autant plus importants que la dose de rétinoïdes est élevée et que la durée du traitement est longue. Le délai d’apparition des lésions radiologiques serait pour l’étrétinate en moyenne de 24 à 36 mois et dix mois pour l’isotrétinoïne. Après arrêt du traitement, les lésions se stabilisent mais ne disparaissent pas [17]. La physiopathologie de ces ossifications demeure inconnue mais certaines études montrent un rôle direct de la vitamine A. Elle serait augmentée dans l’hyperostose vertébrale ankylosante [18]. Il a également été montré que la sécrétion de GH était stimulée par l’acide rétinoïque [19].

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Dans l’acromégalie, il existe des enthésopathies ; la survenue d’enthésopathies sous rétinoïdes pourraient donc être du fait d’une hypersécrétion de GH. Dans cette observation, coexistent deux étiologies d’enthésopathies, le rhumatisme psoriasique et les rétinoïdes représentées ici par l’acitrétine. Le rhumatisme psoriasique ne semble pas être la cause de la symptomatologie décrite. En effet, la douleur est d’horaire mécanique, il n’y a pas de syndrome inflammatoire, l’ossification de la membrane interosseuse n’est pas une localisation connue de ce rhumatisme et de telles ossifications des ligaments et tendons de la voûte plantaire ne sont pas classiques du rhumatisme psoriasique. En revanche, l’acitrétine donne les mêmes ossifications que l’hyperostose. Les ossifications multiples des enthèses de notre patient se rapprochent plus de l’hyperostose que de celles du rhumatisme psoriasique. La topographie des enthésopathies, quelque soit l’origine, est souvent identique ; probablement par contrainte exagérée. La plus classique des enthésopathies mécaniques est d’ailleurs l’épine calcanéenne. La coexistence de plusieurs étiologies d’enthésopathies accroît, vraisemblablement le risque de voir apparaître de telles ossifications, comme c’est le cas dans notre observation. Cependant, il n’a jamais été démontré que les patients sous rétinoïdes atteints de rhumatisme psoriasique avaient plus de risque d’avoir des signes d’hyperostose que ceux ayant un psoriasis (sous rétinoïdes) sans atteinte rhumatismale. Il serait intéressant de mieux définir les populations à risque de lésions d’hyperostose avec les rétinoïdes.

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