Épidémiologie et facteurs de risque des cancers bronchiques primitifs

Épidémiologie et facteurs de risque des cancers bronchiques primitifs

EMC-Pneumologie 1 (2004) 7–18 www.elsevier.com/locate/emcpn Épidémiologie et facteurs de risque des cancers bronchiques primitifs Epidemiology and r...

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EMC-Pneumologie 1 (2004) 7–18

www.elsevier.com/locate/emcpn

Épidémiologie et facteurs de risque des cancers bronchiques primitifs Epidemiology and risk factors of primary lung cancer L. Thiberville, C. Paris Clinique pneumologique, Service de pathologie professionnelle, Hôpital Charles Nicolle, 1, rue de Germont, 76000 Rouen France

MOTS CLÉS Cancer bronchique primitif ; Tabagisme ; Maladie professionnelle

Résumé Le nombre de cancers bronchiques, dont l’incidence suit de deux décennies la courbe de consommation tabagique, a augmenté au cours des 50 dernières années de 220 % chez l’homme et 600 % chez la femme. Un million deux cent mille nouveaux patients en ont été atteints au cours de l’année 2000 dans le monde. Si l’incidence des cancers bronchiques ébauche un plateau chez l’homme dans les pays industrialisés, elle continue à augmenter de façon importante chez les femmes ainsi que dans les pays en voie de développement. Globalement, son taux d’accroissement est de l’ordre de 3 % par an, le plus élevé de toutes les affections néoplasiques. Du fait d’un taux de mortalité proche de 85 %, les cancers bronchopulmonaires arrivent de loin au premier rang en terme de mortalité par cancer (1,1 million de décès dans le monde au cours de l’année 2000). Ils sont responsables de 29 % des décès par cancer chez l’homme en Amérique du Nord et en Europe. Le facteur de risque essentiel du cancer bronchique, connu depuis plus d’un demi siècle, est la fumée de tabac, mais d’autres facteurs, en particulier l’exposition à des carcinogènes d’origine professionnelle sont impliqués dans 20 % des cas. Le cancer bronchique est ainsi à la fois un cancer évitable, et le plus meurtrier des cancers de l’homme dans les pays industrialisés. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Primary lung cancer; Tobacco smoking; Occupational disease

Abstract The number of lung cancers has been multiplied by 220 % in men and 600 % in the last 50 years. One million and two hundred thousand new cases of primary lung cancers were diagnosed in the world during the year 2000. The annual incidence curve of lung cancer, which reflects cigarette smoking in men and women over the past two decades, currently plateaus in North America and United Kingdom, but continues to rise in women worldwide and in males in the developping countries. The rate of increase of lung cancer is estimated to 3 % per year, which represents the steeper increase over time of all cancers. Because of its very high mortality rate (close to 85 %), lung cancer is the leading cause of cancer death worlwide (1.1 million deaths in the year 2000) . In North America and European Countries, it represents 29 % of cancer death in men. Cigarette smoking has been recognized as the predominant risk factor for lung cancer for 50 years but other risk factors, such as occupational exposure to carcinogens, may account for nearly 20 % of lung

Adresse e-mail : [email protected] (L. Thiberville).

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/S1762-4223(03)00005-9

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L. Thiberville, C. Paris cancer cases. Thus, lung cancer is not only a preventable disease but also the most common cause of cancer death in industrialized countries. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction Un million deux cent mille nouveaux patients ont été atteints de cancer bronchopulmonaire primitif au cours de l’année 2000 dans le monde. L’incidence de ce cancer ne cesse d’augmenter chaque année avec un taux d’accroissement de l’ordre de 3 % par an, le plus élevé de toutes les affections néoplasiques6. Ainsi, alors que le nombre de cancer du rectum et du côlon a diminué de 21 % chez l’homme et de 41 % chez la femme entre 1950 et 1999, le nombre de cancer bronchique a, dans la même période, été multiplié par 220 % chez l’homme et 600 % chez la femme. Du fait d’un taux de mortalité proche de 85 %, les cancers bronchopulmonaires arrivent au premier rang en termes de mortalité par cancer (1,1 million de décès dans le monde au cours de l’année 2000). En Amérique du Nord et dans la plupart des pays européens, ils sont responsables de 29 % des décès par cancer chez l’homme15. Le facteur de risque principal du cancer bronchique, connu depuis plus d’un demi-siècle, est la fumée de tabac64, mais d’autres facteurs, en particulier l’exposition à des carcinogènes d’origine pro-

fessionnelle, seraient impliqués dans près d’un cas sur cinq43. Le cancer bronchique est ainsi à la fois un cancer évitable, et le plus meurtrier des cancers de l’homme dans les pays industrialisés. L’épidémiologie des cancers bronchiques sera exposée successivement sous l’angle des facteurs démographiques et des facteurs de risque.

Épidémiologie descriptive Influence du sexe Les femmes ont, à niveau de tabagisme équivalent, un risque relatif (RR) de cancer bronchique plus élevé que les hommes (Fig. 1). Ainsi, dans l’étude récente française menée dans les centres hospitaliers généraux, les femmes atteintes de cancer bronchique avaient, au moment du diagnostic, une consommation cumulée de tabac et une durée du tabagisme significativement inférieure à celle des hommes 11. L’origine de cette susceptibilité supérieure à la fumée de tabac n’est pas connue. À côté du tabagisme, d’autres facteurs de risque expliquent vraisemblablement les différences observées

Hommes

Femmes

80

30 Sein

Poumons

60

25

Bouche, pharynx, larynx, œsophage

50

40 Côlon et rectum Prostate

30

20

Estomac

Taux pour 100000, standard européen

Taux pour 100 000, standard européen

70

20 Côlon et rectum

15 Utérus Poumons

10

Foie

5

10

Vessie

Estomac

Ovaires

0 1950

0 1960

1970

1980

1990

2000

1950

1960

Figure 1 Mortalité par cancer en France, 1950-1998 (d’après27).

1970

1980

1990

2000

Épidémiologie et facteurs de risque des cancers bronchiques primitifs entre hommes et femmes, puisque, en France, 30 % des femmes présentant un cancer bronchique n’ont jamais fumé, contre 2,5 % chez les hommes11. En 2002, l’incidence du cancer bronchique chez la femme est restée inférieure à celle des hommes dans tous les pays du monde, mais elle augmente proportionnellement plus que celle des hommes. La probabilité de développer un cancer bronchique au cours de sa vie était en 2002 de 6,6 % chez l’homme et de 0,9 % chez la femme. C’est dans les pays anglo-saxons, où le tabagisme féminin s’est développé dès les années 1960, que, parmi les patients atteints de cancer bronchique, la proportion des femmes est la plus élevée, avec un sex-ratio de 4/6. Aux États-Unis, le cancer bronchique est devenu le cancer le plus fréquent de la femme, devançant le cancer du sein46. Dans l’ensemble de l’Europe, le sex-ratio n’est encore en moyenne que d’une femme pour six hommes atteints, avec cependant des variations nationales. L’incidence des cancers bronchiques de la femme est la plus élevée au Royaume-Uni, en Irlande et au Danemark, particulièrement dans les tranches d’âge les plus élevées (Tableau 1). En France au cours de l’année 2000, 26 743 nouveaux cas de cancer bronchique ont été relevés, dont 3 833 chez la femme. Comme dans les autres

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pays occidentaux, la mortalité par cancer bronchique y est en constante augmentation depuis 1975 chez les femmes (Fig. 1). Le taux d’accroissement est surtout marqué chez les femmes les plus jeunes, avec une progression de 56 % chez les femmes de moins de 65 ans entre 1985 et 1995, contre 5 % chez l’homme27. Ainsi, parmi les sujets atteints de cancer bronchique, la proportion de femmes a été estimée en France à 13 % en 199010 et à plus de 16 % dans l’étude menée en 2000 dans les centres hospitaliers généraux11. Ces données font craindre, dans les 20 prochaines années en France et en Europe, une mortalité par cancer bronchique chez la femme dépassant celle des cancers mammaires.

Influence de l’âge Dans les pays occidentaux, où la prévalence de cancer bronchique est importante, l’âge est un déterminant majeur du risque de développer un cancer de la sphère respiratoire. L’incidence des cancers bronchiques est ainsi multipliée par 90 chez l’homme et par 30 chez la femme lorsque l’on compare les âges de 35 et de 75 ans. Le vieillissement de la population n’explique pas à lui seul l’accroissement de l’incidence des cancers

Tableau 1 Taux annuel d’incidence des cancers bronchiques en Europe pour 100 000 habitants, selon la tranche d’âge, valeurs standardisées à la structure d’âge de la population mondiale (d’après52). < 44 ans Pays Hommes Grèce Espagne France Belgique Luxembourg Autriche Italie

Taux

45-69 ans Pays

Taux

> 70ans Pays

Taux

4,1 4,0 3,3 3,0 2,7 2,5 2,5

Belgique Pays-Bas Italie Luxembourg Grèce Royaume-Uni France

214 201 201 198 166 161 157

Pays-Bas Royaume-Uni Belgique Irlande Luxembourg Finlande Danemark

722 664 645 513 513 510 450

Union européenne

2,5

Union européenne

164

Union européenne

447

1,4 1,4 1,3 1, 1,0 1,0 1,0 0,9 0,9 0,9

Danemark Royaume-Uni Irlande Pays-Bas Suède Autriche Union européenne Luxembourg Belgique Allemagne

87 70 58 44 34 31 30 28 25 25

Royaume-Uni Irlande Danemark Autriche Union européenne Luxembourg Suède Finlande Italie Allemagne

182 176 129 91 76 65 63 63 60 59

Femmes Pays-Bas Danemark Autriche Luxembourg Royaume-Uni Belgique Grèce Allemagne Suède Union européenne

10 bronchiques en Europe, puisqu’on observe également une augmentation du nombre de décès prématurés, survenant avant l’âge de 65 ans. En France, le cancer bronchique représentait, en 1995, 10,5 % de la mortalité de l’homme de moins de 65 ans, toutes causes confondues. L’âge de survenue des cancers bronchiques est variable en Europe d’un pays à l’autre, résultant des habitudes tabagiques des populations52 (Tableau 1). L’analyse des incidences dans les tranches d’âge inférieures à 45 ans, entre 45 et 65 ans et au-delà de 70 ans, montre que dans les 20 prochaines années, la Grèce, l’Espagne, la France et la Belgique présenteront l’incidence la plus élevée de cancer bronchique en Europe. À l’inverse, comme cela est déjà le cas aux États-Unis, l’incidence devrait décroître chez l’homme dans les pays du Nord de l’Europe, et en particulier au Royaume-Uni, mais continuer à augmenter chez la femme.

Distribution géographique Près de 60 % des cas incidents de cancer bronchopulmonaire surviennent dans les pays industrialisés22. Le cancer bronchique occupe ainsi la première place en termes de prévalence et de mortalité chez l’homme en Europe, Amérique du Nord, les Caraïbes, l’Amérique du Sud tempérée, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Asie du SudEst. Dans le monde, l’incidence la plus élevée se rencontre parmi la population masculine noire de Louisiane (110/100 000 habitants). Elle est de 62/100 000 chez les Américains de race blanche et en moyenne de 52/100 000 en Europe. À l’inverse, l’incidence du cancer bronchique reste faible en Inde rurale (1,5/100 000 habitants), en Afrique de l’Est et de l’Ouest (5/100 000 habitants). Cependant, l’augmentation de la consommation tabagique dans les pays en voie de développement indique que le nombre de cancer bronchique y augmentera de façon rapide dans les prochaines années. Il existe des variations d’incidence entre les différents pays d’Europe, y compris après ajustement sur l’âge de la population mondiale37 (Tableau 1). Chez l’homme, l’incidence la plus élevée est retrouvée en Belgique (75,2/100 000 habitants), Pays-Bas (74,4), Luxembourg (66) et Royaume-Uni (63,2). Les pays européens à plus forte incidence chez la femme sont le Danemark (25,2), le Royaume-Uni (23,5) et l’Irlande (20,2). En France, il existe des disparités régionales d’incidence et de mortalité par cancer bronchique. Les taux sont plus élevés dans le Nord du pays et

L. Thiberville, C. Paris l’Est, ainsi que dans les bassins industriels (Seine) et les grandes agglomérations. Ces variations régionales sont essentiellement sensibles chez l’homme, suggérant le rôle associé de facteurs de risque d’origine professionnelle et industrielle, alors que les variations relevées chez la femme sont parallèles à la taille des agglomérations, en lien probable avec le tabagisme.

Variations temporelles Dans les pays industrialisés, l’incidence du cancer bronchique suit de 20 à 30 ans les variations de consommation tabagique. Les courbes d’incidence marquent un plateau dans les pays occidentaux chez l’homme et amorcent une décroissance aux États-Unis, mais pas chez la femme (Fig. 2)46. Ce phénomène, lié à la diminution régulière de la consommation tabagique chez l’homme au cours des 20 dernières années dans les pays anglo-saxons, n’est sensible en Europe que dans les pays du Nord de l’Europe et le Royaume-Uni.

Répartition histologique Les quatre grands types histologiques de cancer bronchique (épidermoïdes, indifférenciés à grandes cellules, adénocarcinomes et cancers à petites cellules) représentent la quasi-totalité des cancers bronchiques. La distribution de ces types histologiques s’est modifiée au cours des 20 dernières années, avec une augmentation du nombre d’adénocarcinomes, qui représentent la forme histologique la plus fréquente chez la femme, et une diminution des cancers bronchiques microcellulaires. Les cancers épidermoïdes restent les plus fréquents en France, les deux sexes confondus (40 % de l’ensemble des cancers bronchiques primitifs), les adénocarcinomes représentent 30 %, les cancers indifférenciés à grandes cellules 12,5 %, les cancers à petites cellules 16,5 % (contre 20 % au milieu des années 1980) et les cancers bronchioloalvéolaires 1 %11. Des variations histologiques de même tendance ont eu lieu dans les deux dernières décennies en Amérique du Nord, où les adénocarcinomes sont devenus le premier type histologique de cancer bronchique chez l’homme comme chez la femme. Ce phénomène serait lié aux modifications des habitudes tabagiques avec une augmentation de l’utilisation de tabac blond, moins chargé en nicotine, et des cigarettes avec filtre. L’utilisation de ces cigarettes entraîne en effet une inhalation plus profonde de la fumée de tabac, qui atteindrait ainsi des cibles bronchiolaires et alvéolaires où se développent préférentiellement les adénocarcinomes65.

Épidémiologie et facteurs de risque des cancers bronchiques primitifs

11

Slovaquie Islande France Pays-Bas Autriche Suisse Finlande Allemagne Europe totale Suède Italie Royaume-Uni Estonie Pologne Slovénie Écosse Danemark 0

2

4

6

8

10

12

14

Figure 2 Survie estimée à 5 ans des patients atteints de cancer bronchopulmonaire en Europe. Données déduites des Registres des cancers européens37 1988-1992, en % de l’incidence ajustée à l’âge de la population européenne.

Mortalité

Tabagisme

Le cancer bronchique est, parmi les affections néoplasiques, une de celles dont le taux de survie à 5 ans est le plus faible 15. En Europe, il varie de 6 à 12 %. Cependant, les variations de mortalité constatées entre les différents pays européens semblent surtout liées aux variations de l’incidence selon l’âge.

Tabagisme actif

Facteurs de risque du cancer bronchique Le tabagisme est connu depuis les années 1950 comme étant à l’origine de l’augmentation exponentielle des cas de cancer bronchique18. Le risque de cancer bronchique attribuable au tabagisme est ainsi estimé à 80-90 % des cas incidents, affectant toutes les formes histologiques. À côté du tabagisme, les expositions professionnelles à l’amiante, aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et à la silice représentent la seconde cause de cancer bronchique chez l’homme29. D’autres facteurs jouent un rôle probable (pollution intérieure par le radon et produits de filiation, pollution atmosphérique, susceptibilité individuelle) mais les connaissances actuelles sont encore insuffisantes pour évaluer précisément leur poids dans les étiologies des cancers bronchiques.

Variations quantitatives Les variations de la mortalité par cancer bronchique dans la population générale sont très clairement liées à celles de la consommation de cigarettes dans les deux décennies qui précèdent. La relation est établie avec la durée du tabagisme (odds ratio [OR] variant de 5,0 à 25 pour une durée de 20 ans à 40 ans et plus) ainsi qu’à la consommation cumulée (OR variant de 11 pour une consommation de < 20 paquets-années, à 37 pour 40 paquets-années et plus)7,50. Chez les fumeurs, le taux de mortalité peut être également rapporté au nombre moyen de cigarettes fumées quotidiennement dans la décennie précédente22 (Tableau 2). Il varie ainsi de 7/100 000 pour les non-fumeurs, à 57/100 000 pour une quantité quotidienne de 1-14 cigarettes/j, 139/100 000 pour 15-24 et 227/100 000 pour plus de 25 cigarettes par jour19. Variations qualitatives L’usage du tabac brun est associé à un risque deux fois plus fort (OR : 1,94) même lorsque l’on tient compte des autres caractéristiques du tabagisme et de la catégorie socioprofessionnelle7. Cet excès de risque apparaît encore plus marqué chez les femmes (OR : 4,79)50.

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L. Thiberville, C. Paris

Tableau 2 Risques relatifs de décès par cancer bronchique, variations en fonction de la quantité de cigarettes quotidienne (d’après9). Études British Doctors Study (1951-1973)

Cancer Prevention Study II (1982-1988)

Femmes Statut tabagique Non fumeurs

Risque relatif 1,0

Hommes Statut tabagique Non fumeurs

Risque relatif 1,0

Fumeurs 1-14 cig./j 15-24 cig./j >25 cig./j

5,0 1,3 6,4 29,7

Fumeurs 1-14 cig./jour 15-24 cig./jour >25 cig./jour

14,0 7,8 12,7 25,1

Non fumeurs

1,0

Non fumeurs

1,0

Ex-fumeurs Fumeurs 1-9 cig./j 10-19 cig./j 21-39 cig./j

4,7 11,9 3,9 8,3 21,4

Ex-fumeurs Fumeurs 1-9 cig./j 10-19 cig./j 21-39 cig./j

9,4 20,3 12,2 14,6 22,8

L’usage d’un filtre pourrait diminuer légèrement le risque pour les cancers épidermoïdes, les cancers à petites cellules et les cancers indifférenciés, sans que cela soit totalement démontré, en particulier lorsque l’on prend en compte les autres caractéristiques tabagiques50. L’inhalation de la fumée de cigarettes (fréquence et profondeur) est un facteur aggravant démontré, quelle que soit la forme histologique. La consommation de tabac de pipes et de cigares est plus faiblement associée à une élévation de la mortalité par cancer bronchique (43/100 000 et 96/100 000 respectivement). Sevrage tabagique En France, au moment du diagnostic de cancer bronchique, 40,3 % des patients sont des exfumeurs et 52,5 % des fumeurs actifs5. Cependant, l’arrêt du tabagisme entraîne une diminution du risque, variable selon la durée du sevrage, avec une mortalité allant de 128/100 000 pour les fumeurs actifs à 67/100 000 pour les ex-fumeurs sevrés depuis moins de 5 ans, 49/100 000 pour les exfumeurs sevrés depuis 5 à 9 ans, 18/100 000 pour les ex-fumeurs de plus de 10 ans19. Les sujets ayant eu une consommation importante (15 cigarettes par jour et plus) conservent un excès de risque de cancer bronchique même après 30 ans d’arrêt. La diminution du risque est significative quel que soit l’âge auquel survient l’arrêt du tabagisme25, mais de façon plus marquée chez les sujets les plus jeunes. Ainsi, l’arrêt du tabagisme à l’âge de 60, 50, 40 et 30 ans est associé à un risque cumulatif de développer un cancer bronchique à l’âge de 75 ans

de respectivement 10 %, 6 %, 3 % et 2 %, en comparaison à une probabilité de 16 % chez les fumeurs actifs. Ces résultats montrent que l’arrêt du tabagisme doit être encouragé chez tous les sujets fumeurs, quel que soit leur âge, l’ancienneté tabagique et leur niveau de consommation. Exposition dite « passive » à la fumée de tabac Les sujets soumis involontairement à la fumée de tabac subissent une exposition estimée entre 1 et 10 % de celle des fumeurs actifs à l’origine de l’exposition. Cette exposition est composée à 80 % d’un courant dit « secondaire », fait de la fumée émise directement dans l’air par la combustion de la cigarette et à 20 % d’un courant primaire consécutif à la fumée exhalée par le fumeur après inhalation. Le courant secondaire est particulièrement riche en agents carcinogènes. L’élévation du risque de cancer bronchique par inhalation « passive » de fumée de cigarette a été estimée entre 1,17 à 1,44, avec une relation doseeffet basée sur l’exposition tabagique cumulée17. Cette relation dose-effet se traduit par une augmentation du risque de 23 % chaque fois que la consommation quotidienne du conjoint augmente de 10 cigarettes24. Au total, l’élévation du risque est de 20 à 30 % chez les conjoints de fumeurs68, et serait plus élevée lorsque le conjoint fumeur est une femme.

Facteurs professionnels Les facteurs professionnels représentent la seconde cause de cancer bronchique chez l’homme. Après

Épidémiologie et facteurs de risque des cancers bronchiques primitifs ajustement au tabagisme, le risque attribuable à l’ensemble des expositions professionnelles pour le cancer bronchique a été estimé à 9,2 % aux États Unis38 et 25 % en Europe16,30, en population générale, toutes expositions professionnelles confondues. De nombreuses expositions professionnelles ont été spécifiquement associées au risque de cancer bronchique42. L’amiante, la silice, les HAP et certains métaux sont les plus fréquemment impliqués. Amiante Le pouvoir cancérigène de l’amiante a été établi dans les années 196049. Il est désormais acquis que toutes les variétés de fibres augmentent le risque de cancer bronchique. Une relation dose-effet a été clairement établie. Elle prend la forme d’une relation linéaire, fonction de la concentration en fibres d’amiante dans le milieu de travail, sans seuil26. Les risques relatifs rapportés à l’exposition à l’amiante varient en fonction des secteurs industriels, probablement en relation avec les caractéristiques physicochimiques des fibres qui diffèrent selon le procédé industriel. Les secteurs les plus à risque sont représentés par l’industrie textile (OR de 2 à 10), le secteur de l’isolation thermique (OR de 3 à 6), la fabrication d’amiante ciment (OR allant de 1,5 à 5,5), et de matériaux de friction (OR de 1,5 à 3,5)25. Enfin, une interaction de type multiplicatif est admise entre l’exposition professionnelle à l’amiante et le tabac vis-à-vis du cancer bronchique60. Au sein de la population générale européenne, le risque attribuable à l’exposition asbestosique est estimé chez l’homme entre 10 et 20 %2. Chez l’homme professionnellement exposé, ce risque peut atteindre 35 % 62 suivant le niveau d’exposition et le type d’industrie. On estime ainsi en France que près d’un tiers des cancers bronchiques du fumeur sont dus à la coexposition tabac et amiante20,41. Autres carcinogènes professionnels Parmi les autres agents cancérogènes principaux, la silice cristalline a été récemment identifiée comme cancérogène pour l’homme. Les circonstances d’exposition sont surtout le travail en carrière, en fonderie, l’industrie de la pierre, du verre. L’association entre silicose et cancer bronchique est actuellement admise, avec un RR variant de 1,3 à 7 selon les études épidémiologiques55. Les HAP représentent la troisième catégorie d’exposition professionnelle à des cancérogènes bronchiques. L’identification de leur pouvoir cancérogène à partir d’études épidémiologiques chez l’homme a été compliquée par la présence simulta-

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née, fréquente en milieu industriel, de nombreux HAP et d’autres cancérigènes identifiés (amiante, silice, métaux, etc. par exemple). Plusieurs activités professionnelles comportant une exposition aux HAP, comme la production d’aluminium par électrolyse, le travail en fonderie, en cokerie, l’utilisation de bitumes, sont associées à un excès de risque de cancer bronchique avec des OR de l’ordre de 2. Un risque significativement élevé (OR : 1,33) a également été observé chez les travailleurs exposés professionnellement à la fumée de diesel, représentés principalement par les chauffeurs de poids lourds et les cheminots8. Enfin, un excès significatif de décès par cancer bronchique est démontré pour l’exposition à certains composés métalliques comme l’arsenic, le béryllium, le nickel, le cadmium ou le chrome. Les OR associés à ces expositions varient entre 1,49 et 3,69. Ces expositions sont habituellement rencontrées dans la métallurgie, et en particulier dans les fonderies ou les verreries, ou liées à des travaux de soudure ou d’usinage d’alliages spéciaux45. L’exposition au bis-chlorométhyl-éther serait plus souvent responsable de cancers à petites cellules. L’exposition aux radioisotopes sera vue plus loin. Le Tableau 3 résume les principales circonstances d’exposition professionnelle associée au cancer bronchique.

Pathologies respiratoires Plusieurs affections respiratoires ont été associées à un excès de risque de cancer bronchopulmonaire. Fibrose et affections infiltrantes diffuses L’incidence du cancer bronchique parmi les sujets atteints d’une fibrose interstitielle diffuse est multipliée par 8,2528. On estime que la majorité de ces cancers correspondent à des « cancers bronchiques sur cicatrice »3. Plus spécifiquement, la fibrose asbestosique semble être un facteur de risque du cancer bronchique, indépendamment du rôle de l’exposition professionnelle elle-même3, en particulier pour le développement d’adénocarcinomes situés dans les parties inférieures des poumons. Après ajustement sur les habitudes tabagiques, l’âge et le sexe, et l’exposition, l’excès de risque a été estimé à 2 s’il existe des signes radiographiques de fibrose asbestosique, et à 1,5 s’il n’en existe pas. De même, l’excès de risque est estimé à 1,3 pour les sujets exposés à la silice, et à 2,3 en présence de signes radiographiques de silicose33. Autres affections respiratoires bénignes L’existence d’une bronchite chronique obstructive est un facteur de risque du cancer bronchique. Le

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L. Thiberville, C. Paris

Tableau 3 Facteurs professionnels (agents, mélanges ou circonstances d’exposition) identifiés par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), Lyon, comme cancérigènes certains (I) ou probables (IIA) chez l’homme. Facteurs professionnels Amiante Arsenic et dérivés Béryllium et dérivés Bis-chlorométhyl-éther, chlorométhyl-méthyléther Cadmium et dérivés Chlorure de vinyle Dérivés chlorés du toluène et chlorure de benzoyle Chrome hexavalent Formaldéhyde Gaz moutarde Dérivés du nickel Papillomavirus (16 et 18) Radon et produits de filiation Silice cristalline Talc contenant des fibres asbestosiques 2,3,7,8 tétrachlorodibenzo(para)dioxine Pulvérisation et application d’insecticides arsenicaux Brouillard d’acide fort contenant de l’acide sulfurique Industrie du caoutchouc Mine d’hématite (radon) Peintres Verrerie d’art Fonderie de fonte et d’acier

risque relatif, tenant compte de la consommation tabagique cumulée et de l’âge, varie de 2,5 à près de 5, dépendant du degré d’obstruction bronchique59. Il est en particulier de 2,1 [1,3-3,5] parmi les sujets dont le volume expiratoire maximal-seconde (VEMS) est inférieur à 84,5 % de la théorique (quartile inférieur) en comparaison aux sujets dont le VEMS était supérieur à 103,5 % (quartile supérieur)40. Enfin, un antécédent de tuberculose est associé au cancer bronchique67 avec un OR de 1,5 [1,2-1,8] après prise en compte des habitudes tabagiques. Le risque croît avec l’ancienneté de la tuberculose avec des OR de 2,5 [1,2-5,2] et 2,8 [1,6-5,0] pour une ancienneté de 3-9 ans et 10-19 ans respectivement. Carcinogenèse respiratoire multifocale La fréquence des cancers bronchiques synchrones a été estimée entre 0,26 % et 1,33 % selon les auteurs21. Elle est significativement plus élevée lorsque l’on tient compte des formes bronchiques les plus superficielles, radio-occultes ou in situ, pouvant alors atteindre 10 % des patients44. L’incidence des seconds cancers, dits métachrones, est estimée à 1 % par an pour les patients antérieurement atteints d’un cancer non à petites cellules, et à 6 % pour les patients antérieurement atteints d’un cancer à petites cellules31,54. L’inci-

CIRC I I I I I I IIA I IIA I I I I I I I I I I I I IIA I

dence du cancer bronchique après cancer ORL est également élevée, estimée à 3,1 % après un suivi de 372 mois32. De nombreux facteurs ont été proposés pour expliquer la fréquence de ces seconds cancers, incluant le passé tabagique, par le biais d’un mécanisme de cancérisation en champ53, une susceptibilité individuelle et les traitements anticancéreux reçus (radiothérapie thoracique, chimiothérapie) .

Pollution atmosphérique Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de réponse définitive concernant le rôle de la pollution atmosphérique sur la survenue de cancers bronchiques. Il est en effet difficile d’une part, d’évaluer les expositions environnementales sur de longues périodes et d’autre part, de dégager l’effet propre des facteurs de confusion tels que le tabagisme ou les facteurs professionnels, du fait de la faiblesse des niveaux de risque estimés. Deux études nord-américaines méritent toutefois d’être considérées. La première étude porte sur plus de 500 000 individus suivis pendant 8 ans et vivant dans 151 zones urbaines des États-Unis47. Après ajustement sur l’âge, le sexe, le tabagisme, l’exposition professionnelle et l’indice de masse corporelle, l’analyse par causes de décès a révélé une association significative entre les niveaux de SO4 et les décès par

Épidémiologie et facteurs de risque des cancers bronchiques primitifs cancer bronchique (RR = 1,36 [1,11-1,66]), alors qu’aucune association n’a été observée avec la concentration de l’air en particules de diamètre inférieur à 2,5 lm (PM 2,5) . La deuxième étude concerne le suivi prospectif d’une cohorte de plus de 6 000 sujets Adventistes du septième jour de race blanche, non fumeurs, sur la période 1977-19921. Après prise en compte des facteurs de confusion potentiels, cette étude a montré chez les hommes un lien entre la mortalité par cancer pulmonaire (RR = 2,38 [1,42-3,97]) et la concentration de l’air en particules de diamètre inférieur à 10 lm. Une association significative a également été observée entre la concentration de SO2 et la mortalité par cancer bronchique dans les deux sexes. Les RR pour une augmentation de 10 lg/m3 de SO2 sont de 1,99 [1,24-3,20] chez les hommes et de 3,01 [1,88-4,84] chez les femmes. Un accroissement de risque de mortalité par cancer bronchique de 4,19 [1,81-9,69] lié aux concentrations d’ozone a également été observé chez les hommes.

Radiations ionisantes Le risque de cancer bronchique est augmenté chez les mineurs d’uranium, fumeur ou non fumeur (OR estimé entre 1,5 et 15)5. L’excès de risque professionnel est lié à l’inhalation de radon, gaz radioactif inerte formé à partir du radium, lors de la décomposition de l’uranium. En dehors des mines d’uranium, le radon, incolore et inodore, est retrouvé à de très faibles niveaux dans le sol et les roches, et peut-être libéré par les murs des habitations, particulièrement ceux construits en granit. La question de la responsabilité d’une exposition résidentielle au radon n’est pas aujourd’hui résolue, l’excès de risque étant moyen dans certaines études (OR : 1,8), faible ou non identifiable dans d’autres51,56. Le risque de cancer bronchique lié à l’irradiation d’un cancer du sein est clairement démontré à partir de très grandes séries. Ces cancers bronchiques radio-induits surviennent du côté de l’irradiation, plus de 10 ans après l’irradiation. Les OR sont de l’ordre de 2, 15 ans après l’irradiation, et se maintiennent pendant au moins 20 ans après l’irradiation66. Le risque cancérigène lié à l’irradiation médicale diagnostique n’est pas non plus clairement quantifié. Ce risque potentiel a justifié la mise au point d’examens tomodensitométriques thoraciques dits « faiblement irradiants », en particulier au cours des protocoles de dépistage du cancer bronchique utilisant le scanner thoracique39.

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Susceptibilité génétique Plus de 80 % des fumeurs ne développeront pas de cancer bronchique au cours de leur existence, faisant poser la question d’une susceptibilité individuelle aux agents carcinogènes génétiquement transmise. Les données les plus avancées concernent l’impact des variations interindividuelles dans la capacité de métaboliser les carcinogènes de la fumée de cigarette. Cependant, les données sont encore préliminaires et insuffisantes pour permettre une prédiction individuelle. La plupart des carcinogènes de la fumée de tabac sont métabolisés dans l’organisme par des mécanismes d’activation ou de détoxification. L’activation des carcinogènes est liée aux enzymes dites « de phase I » catalysant des réactions d’oxydation, qui permettent, à partir d’agents procarcinogènes, d’obtenir des composés carcinogènes réactifs intermédiaires. Il s’agit des isoenzymes des cytochromes P450 (CYP) ou les hydroxylases lysosomiales (mEH) . La détoxification permet l’élimination de ces carcinogènes par un mécanisme de conjugaison. Elle est réalisée par les enzymes de phase II, telles que la glutathion-S-transférase (GST) et les N-acétyltransférases. Schématiquement, on peut considérer que plus l’activité des cytochromes P450 est élevée, plus l’organisme peut être exposé aux carcinogènes actifs, alors que plus lente est l’action de la GST et plus longue est la période pendant laquelle l’organisme y est exposé. Variation d’activité des enzymes de phase I L’impact des variations polymorphiques des cytochromes CYP1A1 et CYP2D6 a été le plus étudié. CYP1A1 est l’enzyme principale métabolisant les HAP tels que le benz [a] pyrène et le diméthylbenzanthracène. Son activité est induite par le tabagisme. Les données de la littérature suggèrent une association chez les Asiatiques entre les variations polymorphiques de la région 3’ non codante du gène (polymorphisme de restriction MspI) ou de celle de l’exon 7 (Ile-Val) et le risque de cancer bronchique61. Le risque semble restreint aux sujets petits fumeurs (OR : 2). L’influence de ce polymorphisme est plus discuté chez le sujet caucasien. Le CYP2D6 est impliqué dans le métabolisme de médicaments (débrisoquine). Il est probablement impliqué dans l’activation des nitrosamines dérivées de la fumée de tabac et dans le métabolisme de la nicotine. On individualise, en fonction de leur polymorphisme pour l’activité du CYP2D6, des sujets à phénotype « métaboliseurs lents » (PM) ou « rapides » (EM) . Une méta-analyse des études

16 récentes a montré un excès de risque de cancer bronchique chez les patients métaboliseurs rapides (OR : 1,3) . Le risque serait ici plus important chez le grand fumeur. L’activité du CYP2D6 semble liée à la probabilité d’addiction au tabac13. Variation de l’activité des enzymes de phase II Les isoenzymes GST, qui catalysent la détoxification d’un grand nombre de substances réactives toxiques dont les HAP, sont codées par une famille de gènes où l’on connaît des variations polymorphiques. Les trois polymorphismes les plus étudiés sont situés sur le gène Mu (GSTM1 et GSTM3) et Pi (GSTP1) . Un polymorphisme du gène GSTM1 serait responsable, pour la moitié de la population blanche, d’une réduction de la capacité de détoxification des HAP. Le génotype GSTM1 nul confère un risque pour le cancer bronchique de 1,2 chez les sujets caucasiens et de 1,5 chez les sujets asiatiques. Les risques associés aux polymorphismes GSTM3 et GSTP1 ne sont significatifs que dans le groupe des patients GSTM1 nul. Les effets de ces polymorphismes sont plus marqués chez le grand fumeur6. Les N-acétyltransférases sont impliquées dans les réactions d’activation-inactivation de nombreux xénobiotiques, incluant celles concernant les amines aromatiques dérivées du tabac. Elles sont codées par deux gènes dont les variations polymorphiques rendent compte des phénotypes acétyleurs rapides, normaux ou lents. Certaines données suggèrent un risque plus élevé chez l’acétyleur lent14.

Facteurs alimentaires Différentes études épidémiologiques ont montré une association entre régime alimentaire riche en fruits et légumes verts, aliments riches en bêtacarotène (précurseur de la vitamine A) et diminution du risque de cancer bronchique23. Plusieurs études prospectives ont également montré que des taux sériques faibles de bêtacarotène, de vitamine E et de sélénium sont associés à une augmentation du risque pour le développement d’un cancer bronchique dans les années qui suivent le prélèvement59. Ces données ne signifient toutefois pas formellement que le bêtacarotène ou la vitamine A exerce un rôle protecteur dans la cancérogenèse bronchique. Il est en effet reconnu que les sujets fumeurs consomment moins de fruits, légumes et fibres et plus de viande, graisses animales, café et alcool. Cependant, le tabagisme ne semble pas expliquer la totalité de l’effet observé puisqu’il existe également chez les sujets non fumeurs36. Il faut insister ici sur la complexité des facteurs alimentaires pouvant avoir un effet protecteur

L. Thiberville, C. Paris contre le cancer, soit directement du fait de leur action antioxydante ou anticarcinogène propre, soit indirectement en modulant différentes activités enzymatiques63. Ces dernières années, plusieurs grandes études testant, dans les populations non carencées, une supplémentation de micronutriments pour prévenir la survenue de cancers bronchiques chez les sujets à risques se sont soldées par des échecs57,58. La nature précise du ou des facteurs alimentaires responsables de l’effet protecteur des fruits et légumes verts reste ainsi à identifier.

Épidémiologie des lésions précancéreuses bronchiques L’existence de lésions épithéliales spécifiques associées aux cancers bronchiques est connue depuis les travaux d’Auerbach4 et de Saccomanno et al.48. Toutefois, c’est depuis le développement de la fibroscopie en autofluorescence35 qu’une étude plus précise de ces lésions a pu être entreprise. Le diagnostic et le traitement précoces de ces lésions supposent néanmoins que l’on puisse cibler avec plus de précision les populations à risque. Les lésions dysplasiques proximales semblent moins fréquentes à tabagisme égal chez la femme34 alors que l’existence d’un trouble ventilatoire obstructif semble associé à un risque plus élevé. Les facteurs de risque associés aux cancers in situ et aux dysplasies sévères bronchiques proximales ont récemment été décrits1, montrant le rôle indépendant de l’existence d’un cancer bronchique controlatéral (OR : 11,7), d’un tabagisme actif (OR : 6,7), d’une exposition professionnelle à l’amiante (OR : 6,7 et OR : 10,8 pour des durées d’exposition inférieures à 20 ans et de plus de 20 ans respectivement). Enfin, l’impact d’autres cancérigènes bronchiques professionnels a pu être démontré (OR : 5,9). Récemment, le potentiel évolutif des dysplasies sévères et des carcinomes in situ a pu être étudié par une étude histologique longitudinale, montrant la persistance ou la progression à 2 ans de 37 % des dysplasies sévères et de 87 % des carcinomes in situ12.

Conclusion Le cancer bronchique est aujourd’hui le plus meurtrier des cancers de l’homme. Il s’agit pourtant d’un cancer très largement évitable, par l’association de mesures de prévention du tabagisme et

Épidémiologie et facteurs de risque des cancers bronchiques primitifs d’exposition en milieu professionnel. Au cours des dernières années, la lutte contre le tabagisme a permis d’initier une diminution de la mortalité chez l’homme dans les pays anglo-saxons et un épaulement des courbes dans la plupart des pays développés. Les plus grandes craintes viennent aujourd’hui de l’évolution de la mortalité par cancer bronchique chez les femmes, ainsi que de l’augmentation préoccupante du tabagisme dans les pays en développement. Ces données laissent supposer une progression encore importante du nombre et de la mortalité par cancer bronchique dans le monde de la première moitié du XXIe siècle.

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