Étude prospective des facteurs prédictifs précoces de la survenue d’hypocalcémie définitive après thyroïdectomie bilatérale

Étude prospective des facteurs prédictifs précoces de la survenue d’hypocalcémie définitive après thyroïdectomie bilatérale

Annales de Chirurgie 127 (2002) 612–618 Article original Étude prospective des facteurs prédictifs précoces de la survenue d’hypocalcémie définitive...

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Étude prospective des facteurs prédictifs précoces de la survenue d’hypocalcémie définitive après thyroïdectomie bilatérale Early prediction of outcome of permanent hypocalcemia after bilateral thyroid resection: a prospective cohort study M. Jafari a, F. Pattou a, B. Soudan b, M. Devos c, S. Truant a, T. Mohiedine a, G. Taillier a, E. Cœugniet a, J.L. Wemeau d, B. Carnaille a, A. Boersma b, C. Proye a,* a Service de chirurgie générale et endocrinienne, hôpital Claude-Huriez, rue Michel-Polonovski, 59037 Lille cedex, France laboratoire de biochimie endocrinologie et périnatale, clinique Marc-Linquette, 6, rue du Professeur-Laguesse, 59037 Lille cedex, France c centre d’étude et de recherche en informatique médicale (CERIM), faculté de Médicine, rue Michel-Polonovski, 59037 Lille cedex, France d service de médecine interne et endocrinologie, clinique Marc-Linquette, 6, rue du Professeur-Laguesse, 59037 Lille cedex, France b

Reçu le 31 janvier 2002; accepté le 15 mai 2002

Résumé But de l’étude : Le but de cette étude prospective est de définir les critères prédictifs de la survenue d’une hypocalcémie définitive en cas d’hypocalcémie postopératoire après thyroïdectomie. Patients et méthodes : La calcémie (Ca) et la phosphorémie (Ph) ont été dosées quotidiennement jusqu’à la sortie chez 2 035 patients consécutifs ayant bénéficié d’une thyroïdectomie bilatérale. Tous les patients ayant présenté une hypocalcémie postopératoire, définie par une calcémie inférieure à 80 mg/L deux jours consécutifs, ont été inclus. Un dosage précoce de parathormone (PTH) a été effectué chez tous les patients hypocalcémiques, avant toute calcithérapie. Le Ca et le Ph ont été à nouveau dosées entre le 7e et 14e jour (Ca et Ph différés). Tous les patients ont été suivis jusqu’à la récupération de la fonction parathyroïdienne ou au moins un an. Les patients, toujours dépendants, un an après la thyroïdectomie d’un traitement substitutif ont été considérés comme ayant une hypocalcémie définitive. Nous avons recherché une corrélation entre la survenue d’une hypocalcémie définitive et les caractéristiques cliniques, le Ca et le Ph postopératoire, la PTH précoce et le Ca et Ph différés par analyse univariée puis multivariée (régression logistique). Résultats : Une hypocalcémie postopératoire a été retrouvée chez 153 patients (7,5 %) et s’est révélée définitive chez sept d’entre eux (0,3 %). Les taux de Ca différé et de Ph différé se sont révélés des facteurs prédictifs de la survenue d’une hypocalcémie en analyse univariée (p < 0,01). Le risque relatif d’avoir une hypocalcémie définitive était de 15 pour un taux de PTH précoce < 12 pg/ml, de 52 pour un Ph différé > 40 mg/L, et de 121 pour un Ca différé < 80 mg/L. Les 113 patients avec Ca différé ≥ 80 mg/L et Ph différé ≤ 40 mg/L ont récupéré, contrairement à un des 31 patients (3 %) ayant un Ca différé < 80 mg/L ou un Ph différé > 40 mg/L, et six des neuf patients (66 %) ayant un Ca différé < 80 mg/L et Ph différé > 40 mg/L. En analyse multivariée, les taux de Ca et de Ph différés sont apparus comme les seuls facteurs prédictifs indépendant de la survenue de l’hypocalcémie à un an. Conclusion : Les taux plasmatiques de Ca et Ph différés, mesurés entre le 7e et le 14e jour après le début de traitement substitutif par le calcium et avant l’administration de vitamine D, sont des facteurs prédictifs de la survenue d’une hypocalcémie définitive après thyroïdectomie. En pratique, les patients ayant un taux de Ca différé inférieur à 80 mg/L et/ou un taux de Ph différé supérieur à 40 mg/L, présentent un risque élevé de développer une hypocalcémie définitive. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant. Tél : +33-3-20-44-42-73 ; fax : +33-3-20-44-47-58. Adresse e-mail : [email protected] (C. Proye). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 0 0 3 - 3 9 4 4 ( 0 2 ) 0 0 8 2 1 - 0

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Abstract Aim of the study: The aim of this prospective cohort study was to identify the early criteria potentially predictive for outcome of permanent hypocalcemia after thyroidectomy. Patients et Methods: Serum calcium (Ca) et phosphorus (Ph) were measured daily until discharge in 2035 consecutive patients undergoing bilateral thyroidectomy. In all patients experiencing postoperative hypocalcemia, defined as a Ca < 8.0 mg/dl on two consecutive days, parathyroid hormone was measured prior initiation of calcium therapy et discharge (early PTH), et blood sample was also obtained 7 to 14 days after discharge for Ca et Ph measurements (delayed Ca et Ph). These patients were then followed up until complete resolution of hypocalcemia or at least one year. Those still needing substitutive therapy to maintain normocalcemia one year after surgery were considered to have permanent hypocalcemia. Correlation of outcome with clinical characteristics, postoperative Ca et Ph levels, early PTH, et delayed Ca et Ph were examined with univariate analysis et multivariate logistic regression. Results: Postoperative hypocalcemia occurred in 153 patients (7.5 %) and spontaneously recovered in all but 7 patients (0.3 %). Delayed Ca, and delayed Ph were found to be predictive for outcome of hypocalcemia by univariate analysis (p < 0.01). Relative risk to develop permanent hypocalcemia was 15 for patients with early PTH < 12 pg/ml, 52 when delayed Ph was > 4.0 mg/dl, and 121 when delayed Ca was < 8.0 mg/dl. None of the 113 patients with delayed Ca ≥ 8.0 mg/dl and delayed Ph ≤ 4.0 mg/dl developed permanent hypocalcemia, in contrast to 1 out of 31 patients (3 %) with delayed Ca >8.0 mg/dl or delayed Ph > 4.0 mg/dl, and 6 out of 9 patients (66 %) with delayed Ca < 8.0 mg/dl and delayed Ph > 4.0 mg/dl. Both delayed Ca and delayed Ph appeared as independent factors predicting outcome of hypocalcemia at one year with multivariate logistic regression analysis. Conclusion: Delayed serum calcium and phosphorus levels, when measured one week after starting calcium therapy but prior to administration of any vitamin D analogs, accurately predict outcome of hypocalcemia after thyroidectomy. Patients with delayed Ca under 8.0 mg/dl and/or delayed Ph above 4.0 mg/dl are at high risk to develop permanent hypocalcemia. © 2002 E´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Hypocalcémie; Thyroïdectomie; Calcémie; Phosphorémie; Parathormone Keywords: Hypocalcemia; Thyroidectomy; Serum calcium; Serum phosphorus; Parathyroid hormone

L’hypocalcémie est une complication fréquente de la chirurgie thyroïdienne dont l’incidence dans la littérature [1-18] varie de 1,6 % jusqu’à plus de 50 % des cas. Dans la plupart des cas, l’hypocalcémie est liée à un hypoparathyroïdisme transitoire, secondaire au traumatisme ou à la dévascularisation des parathyroïdes. D’autres facteurs tels que l’hémodilution péri-opératoire [19], la libération de calcitonine au cours de la manipulation de la thyroïde [20], ou la résolution de l’ostéodystrophie chez les patients hyperthyroïdiens [21] peuvent également contribuer à la diminution transitoire de la calcémie au décours d’une thyroïdectomie. La majorité de ces hypocalcémies sont transitoires, et se corrigent spontanément après un traitement substitutif de quelques jours à quelques semaines. Cependant environ 2 % des patients (Tableau I) restent définitivement hypocalcémiques et dépendants d’apports exogènes de calcium et de vitamine D. L’hypocalcémie est alors toujours secondaire à une lésion irréversible des parathyroïdes survenue au cours de la thyroïdectomie. L’hypoparathyroïdisme définitif, complication préoccupante en raison des contraintes et des risques non négligeables qu’elle entraîne à court terme comme à long terme [22], est souvent difficile à prévoir au décours immédiat de l’intervention. Au cours d’une étude rétrospective préalable, nous avons identifié plusieurs critères cliniques ou biologiques statistiquement associés avec l’évolution défavorable d’une hypocalcémie postopératoire [13].

Le but de cette nouvelle étude était d’étudier de manière prospective la validité de ces critères et de définir les critères prédictifs indépendants de la survenue d’une hypoparathyroïdie définitive en cas d’hypocalcémie postopératoire.

1. Patients et méthodes L’ensemble des patients opérés d’une thyroïdectomie totale ou quasi totale dans le service de chirurgie générale et endocrinienne de CHU de Lille, entre 1994 et 1997, ont été inclus dans cette étude prospective. Les patients ayant bénéficié d’une simple lobectomie thyroïdienne, ou d’un geste associé sur les glandes parathyroïdes pour hyperparathyroïdie ont été exclus de cette étude. En revanche, les réinterventions pour totalisation de la thyroïdectomie sur lobe ou moignons thyroïdiens restants ont été inclus, et ceci même si le geste initial avait été réalisé dans un autre centre. Toutes les interventions ont été réalisées par la même équipe chirurgicale, comprenant trois chirurgiens permanents et deux chefs de clinique. Dans tous les cas, l’opérateur a tout mis en œuvre pour repérer et préserver les glandes parathyroïdes, en particulier les deux supérieures. En cas d’impossibilité de préservation de la vascularisation d’une des parathyroïdes, celle-ci a été

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Tableau 1 L’incidence d’hypocalcémie postopératoire et d’hypocalcémie définitive après thyroïdectomie totale ou subtotale rapportée dans la littérature Série

Année

Patients à risque (n)

Hypocalcémie postopératoire (%)

Hypocalcémie définitive (%)

Jacobs et al. [1] Pederson et al. [2] Schwartz et Friedman [3] Peix et Zabot [4] Demard et al. [5] Kraimps et al. [6] Tovi et al. [7] Prades et al. [8] Proye et al. [9] Megherbi et al. [10] Olson et al. [11]a Al-suliman et al.[12] Pattou et al. [13] Lo et al. [14] Bergamaschi et al. [15] Menegaux et al. [16]b Werga-Kjellman et al. [17]c Prim et al. [18]

1983 1984 1987 1988 1988 1988 1989 1990 1990 1992 1996 1997 1998 1998 1998 1999 2001 2001

213 105 183 171 223 102 100 118 477 354 194 935 1 071 271 790 202 380 321

27,7 21,9 17,5 3,5 33,6 16,7 9,0 22,0 5,9 9,9 53,6 1,6 5,4 14,8 18,9 3,9 3,1 15,9

2,8 8,6 3,3 0,0 5,4 2,0 4,0 9,3 0,2 2,3 0,5 0,9 0,5 1,8 2,8 1,0 1,0 2,2

6 210

12

1,8

Total . a

Réimplantation parathyroïdienne systématique Réintervention c Hyperthyroïdie b

excisée et autotransplantée dans le muscle sternocléidomastoïdien homolatéral. La calcémie (Ca) et la phosphorémie (Ph) ont été dosées la veille de l’intervention puis quotidiennement jusqu’à la sortie (entre le deuxième et le cinquième jour postopératoire). Les patients ont été considérés comme hypocalcémiques lorsqu’au moins deux dosages de calcémie étaient inférieurs à 80 mg/L (2 mmol/L). Dans ce cas un dosage de la parathormone (PTH précoce) était réalisé. Les patients, présentant des signes cliniques d’hypocalcémie (paresthésies des extrémités, signe de Chvostek), ont été mis sous traitement substitutif par le calcium, après confirmation de l’hypocalcémie au 2e jour postopératoire ou avant en cas de nécessité, mais toujours après un dosage de PTH. Les patients hypocalcémiques ont été revus entre le septième et le quatorzième jour postopératoire pour la réalisation d’un nouveau dosage de calcémie et phosphorémie (Ca et Ph différés), avec ou sans traitement par le calcium mais toujours avant toute administration de vitamine D. La détection et le suivi exhaustifs des patients hypocalcémiques ainsi que l’analyse prospective des résultats ont été assurés par les internes en chirurgie du service et contrôlés dans le cadre des réunions mensuelles de morbidité. Tous ces patients ont été suivis jusqu’à la normalisation de leur calcémie en l’absence de tout traitement substitutif. Dans ce cas, l’hypocalcémie a été considérée comme transitoire. Lorsque la calcémie était toujours inférieure à 80 mg/L en l’absence de traitement substitutif un an après l’intervention, l’hypocalcémie a été considérée comme définitive.

Les taux sériques de calcium et phosphore ont été mesurés avec une méthode de colorimétrie automatique (Randox Laboratories, Crumlin, Grande-Bretagne). La valeur normale se situe entre 81 et 104 mg/L (2,02 et 2,60 mmol/L) pour le calcium, et entre 26,8 et 45 mg/L (0,87 et 1,045 mmol/L) pour le phosphore. Les taux sériques de PTH 1-84 ont été mesurés avec une technique immunoradiométrique (N-tact PTH SP Kit, Incstar, Stillwater, États-Unis). La valeur seuil de détection de la PTH par cette technique est de 5 pg/mL. Les valeurs normales sont comprises entre 10 et 55 pg/mL. Nous avons d’abord comparé les caractéristiques initiales des patients présentant une hypocalcémie transitoire ou définitive concernant l’âge, la pathologie thyroïdienne (hyperthyroïdie, cancer, réintervention), l’identification peropératoire des glandes parathyroïdes, la calcémie et la phosphorémie postopératoires, la PTH précoce, la calcémie et la phosphorémie différées. Les variables continues sont exprimées à l’aide de la moyenne et de la déviation standard. L’évolution de la calcémie et de la phosphorémie durant l’hospitalisation entre les deux groupes de patients a été comparée à l’aide d’un test ANOVA pour mesures répétées. Pour les comparaisons des autres critères entre les groupes, le test de Mann-Whitney et le test exact de Fisher ont été utilisés respectivement pour les variables continues et discontinues. Les différences ont été considérées comme significatives lorsque p < 0,05. L’analyse multivariée du caractère indépendant des différents critères prédictifs a été étudiée à l’aide d’une

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régression logistique. Les valeurs seuil discriminantes pour la calcémie et la phosphorémie différées ont été sélectionnées à l’aide d’une courbe ROC (receiver operating curve). Les calculs ont été réalisés à l’aide du logiciel Stat-View (Abacus concept). 2. Résultats Durant cette période de quatre ans, 2 035 patients ont bénéficié dans notre service d’une thyroïdectomie totale ou quasi-totale sur un total de 2 764 thyroïdectomies. Une hypocalcémie postopératoire a été retrouvée chez 153 patients (7,5 %). Il s’agissait de 12 hommes et 141 femmes d’âge moyen de 45 ans. Tous ces patients ont été suivis et 146 d’entre eux ont récupéré une calcémie normale après interruption de leur traitement substitutif dans les 12 mois suivant l’intervention. Sept autres patients (0,3 %), dont deux hommes et cinq femmes, étaient toujours dépendants d’un traitement par calcium et/ou vitamine D un an après thyroïdectomie. Ces résultats sont résumés dans le Tableau 2. L’analyse des caractéristiques cliniques (âge, pathologie thyroïdienne, identification et préservation des glandes parathyroïdes) ne montre pas de différence significative entre les deux groupes d’hypocalcémie postopératoire et hypocalcémie définitive (Tableau 3). L’évolution initiale de la calcémie et de la phosphorémie était identique dans les deux groupes du 1er au 4e jour postopératoire (Fig. 1). La calcémie minimale, la phosphorémie maximale ainsi que le taux de PTH des deux groupes n’étaient pas non plus significativement différents (TaTableau 2 Incidence d’hypocalcémie postopératoire et définitive après thyroïdectomie

Patients à risque Hypocalcémie postopératoire Hypocalcémie définitive .

n

(%)

2 035 153

100 7,5

7

0,3

Fig. 1. L’évolution de la calcémie et de la phosphorémie du 1er jour à la 2e semaine post-opératoire.

bleau 3). En revanche, la calcémie et la phosphorémie différées, dosées entre les septième et quatorzième jours postopératoires, étaient très significativement différentes entre les deux groupes. Les courbes ROC (Fig. 2) montrent la sensibilité et la spécificité de chaque valeur seuil pour la calcémie et la phosphorémie différées. Les valeurs de Ca différé ≥ 80 mg/L et Ph différé ≤ 40 mg/L, ont été retenues pour l’analyse multivariée. Le risque relatif d’avoir une hypocalcémie postopératoire définitive était de 15 pour un taux de PTH précoce < 12 pg/mL, de 52 pour un Ph différé > 40 mg/L, et de 121 pour un Ca différé < 80 mg/L. Les 113 patients avec Ca différé ≥ 80 mg/L et Ph différé ≤ 40 mg/L ont récupéré, contrairement à un des 31 patients (3 %) ayant un Ca différé < 80 mg/L ou un Ph différé > 40 mg/L, et six des neuf patients (66 %) ayant un Ca différé < 80 mg/L et Ph différé > 40 mg/L (Tableau 4). Lors de l’analyse multivariée (régression logistique), les taux de Ca et de Ph différés sont apparus comme les seuls facteurs prédictifs indépendants de la survenue de l’hypocalcémie à un an.

Tableau 3 Analyse univariée des caractéristiques cliniques et biochimiques des patients et la survenue d’hypocalcémie postopératoire Patients

Hypocalcémie postopératoire (n = 146)

Hypocalcémie définitive (n = 7)

Pa

Age Hyperthyroïdie Cancer Réintervention Parathyroïdes vues ± réimplantées Ca min. (mg/L) Ph max. (mg/L) PTH (pg/mL) Ca différé (mg/L) Ph différé (mg/L) .

46 ± 14 39 (27 %) 33 (23 %) 10 (7 %) 3,1 ± 0,8 71 ± 5 47 ± 9 12 ±13 88 ± 6 37 ± 7

44 ± 29 2 (28 %) 1 (14 %) 2 (29 %) 2,6 ± 0,5 68 ± 4 50 ± 12 4±6 69 ±12 55 ± 14

0,65 0,99 0,95 0,17 0,06 0,10 0,43 0,06 < 0,001 < 0,0001

a

analyses univariées utilisant exact test de Fisher pour les variables non continues et test de Mann-Whitney pour les variables continues.

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Fig. 2. Les courbes ROC montrant la sensibilité et la spécificité de chaque valeur seuil pour la calcémie et la phosphorémie différées. Tableau 4 Devenir des hypocalcémies postopératoires en fonction des dosages différées Dosages différés (mg/L)

Hypocalcémie postopératoire

Hypocalcémie définitive

Ca ≥ 80 et Ph ≤ 40 Ca < 80 ou Ph > 40 Ca < 80 et Ph > 40

113 31 9

0 (0 %) 1 (3 %) 6 (66 %)

Total .

153

7

3. Discussion Bien que ses conséquences soient souvent plus insidieuses que celles de la paralysie récurrentielle, l’hypocalcémie est la complication la plus préoccupante de la thyroïdectomie bilatérale. Elle prolonge souvent l’hospitalisation afin de dépister et de traiter une crise de tétanie [22]. La majorité de ces hypocalcémies sont transitoires et récupèrent spontanément. Cependant, quelques patients victimes de l’exérèse ou d’un traumatisme irréversible des glandes parathyroïdes vont développer un hypoparathyroïdisme définitif. Cette complication impose un traitement substitutif et un suivi à vie pour éviter les complications, parfois dramatiques, de l’hypocalcémie chronique [23]. Dans cette étude prospective portant sur une série consécutive de 2 035 thyroïdectomies totales ou quasi-totales, 135 (7,5 %) patients ont présenté une hypocalcémie post-

opératoire, définitive pour 7 (0,3 %) d’entre eux. Ces chiffres qui restent stables depuis deux décennies dans notre service [9,13,24], apparaissent plus faibles que ceux de la plupart des séries rapportées dans la littérature (Tableau 1). L’incidence de l’hypocalcémie postopératoire varie selon les séries, de moins de 1 % à plus de 50 %. Différents facteurs peuvent expliquer ces variations comme bien sûr la définition de l’hypocalcémie et le type de pathologie thyroïdienne prises en charge. Cependant, la technique chirurgicale joue probablement un rôle primordial. Cette série concerne l’ensemble des patients opérés durant quatre années et inclut des pathologies à risque élevé d’hypocalcémie, comme l’hyperthyroïdie et le cancer [25]. L’hypocalcémie postopératoire a été définie par une calcémie mesurée en-dessous de 80 mg/L à deux reprises. Les principes de la thyroïdectomie dans notre service reposent sur l’identification impérative des parathyroïdes supérieures, exceptionnellement hétérotopiques, et le respect scrupuleux de leur vascularisation, en particulier des éventuelles branches émanant de l’artère thyroïdienne supérieure, et l’identification souhaitée des parathyroïdes inférieures et le respect constant de leur arc vasculaire. La réimplantation immédiate des glandes dont la vascularisation apparaît compromise a été utilisée avec parcimonie. Cette pratique entraîne un risque élevé d’hypocalcémie postopératoire, souvent transitoire [11]. Nous lui préférons l’abaissement minutieux d’une parathyroïde légèrement ectopique même si la préservation de sa vascularisation nécessite de multiples ligatures. Différents facteurs peuvent contribuer à la diminution de la calcémie après thyroïdectomie. Au cours des premières 24 heures postopératoires, une diminution modérée de la calcémie est observée chez la plupart des patients. Habituellement asymptomatique, cette hypocalcémie régresse spontanément à partir du deuxième jour. Parallèlement, on observe également une diminution modérée de la phosphorémie chez l’opéré encore à jeun [19,26]. Cette hypocalcémie modérée postopératoire n’est pas spécifique de la chirurgie thyroïdienne. Elle s’observe après d’autres interventions [19] avec perte sanguine identique et semble liée à l’hypoalbuminémie, secondaire à l’hémodilution iatrogène péri-opératoire. La libération de calcitonine lors de la manipulation de la thyroïde a été avancée par d’autres auteurs [20] pour expliquer la diminution de la calcémie pendant quelques heures. Son rôle est cependant remis en cause par les études les plus récentes [19,25,26]. L’hypocalcémie postopératoire est particulièrement fréquente après chirurgie pour l’hyperthyroïdie. La diminution de la calcémie apparaît alors après la 24e heure et atteint généralement son nadir avant le 3e jour [27]. Elle peut être symptomatique et nécessiter un traitement substitutif. Le

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risque de survenue d’une hypocalcémie chez les patients en hyperthyroïdie est corrélé à la valeur de la thyroxine libre pré-opératoire [25]. Son intensité est proportionnelle à l’élévation préopératoire des phosphatases alcalines plasmatiques (marqueur de la réparation osseuse) [19] et de l’hydroxyproline urinaire (marqueur de la résorption osseuse) [28]. L’étiologie la plus probable de l’hypocalcémie chez ces patients semble donc l’accrétion osseuse du calcium lors de la réparation des lésions osseuses de l’hyperthyroïdie [21]. Le traitement préopératoire de l’hyperthyroïdie qui diminue l’hydroxyproline urinaire et plus lentement les phosphatases alcalines plasmatiques [21] ne diminue que partiellement la résorption osseuse et n’évite pas l’hypocalcémie postopératoire [28]. L’hypocalcémie induite après une thyroïdectomie bilatérale par ces différents mécanismes est heureusement toujours transitoire et c’est l’hypoparathyroïdie qui constitue l’étiologie la plus préoccupante. Toujours secondaire au geste chirurgical lui même, l’hypoparathyroïdie est secondaire à une lésion réversible ou non des parathyroïdes (traumatisme, dévascularisation), voire à leur excision malencontreuse. L’hypocalcémie associée à l’hypoparathyroïdie est généralement plus tardive et n’atteint son nadir qu’après quatre à cinq jours. Associée à une hyperphosphorémie, elle est généralement sévère et nécessite le plus souvent un traitement substitutif. Lorsque les lésions des parathyroïdes sont réversibles, la normalisation du bilan phosphocalcique peut prendre quelques semaines à plusieurs mois. Bien que des récupérations tardives aient été exceptionnellement décrites, les patients toujours dépendants du traitement substitutif un an après l’intervention doivent être considérés comme définitivement hypocalcémiques. Le but de cette étude était de déterminer des facteurs prédictifs, en cas d’hypocalcémie postopératoire, permettant de détecter les patients susceptibles de développer une hypocalcémie définitive. Nous n’avons pas trouvé de différence significative entre les caractéristiques cliniques préopératoires des patients et le pronostic à long terme de l’hypocalcémie. L’évolution précoce du bilan phosphocalcique chez les patients présentant une hypocalcémie postopératoire était également similaire dans les deux groupes. De même, la valeur prédictive de la fonction parathyroïdienne précoce évaluée par le dosage de la PTH reste limitée. En effet un taux de PTH précoce inférieur à la normale voire indétectable n’a été associé avec une évolution défavorable que dans moins de 40% des cas. Cette récupération secondaire de la fonction parathyroïdienne pourtant initialement effondrée correspond probablement à la revascularisation progressive de tissu parathyroïdien dévascularisé au cours de l’intervention. Chez le rongeur, après autotransplantation du tissu parathyroïdien, on assiste à une baisse immédiate de la sécrétion

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de PTH [29]. La néovascularisation débute après une semaine et s’accompagne de la réapparition d’une sécrétion de PTH. La revascularisation ne sera complète qu’au bout de trois semaines. Ces données expérimentales correspondent bien au délai nécessaire pour la normalisation spontanée de la calcémie après autotransplantation systématique des parathyroïdes [11]. Chez certains patients, on ne peut cependant pas exclure une stimulation progressive d’une 5e glande parathyroïde surnuméraire thymique ou médiastinale, retrouvée dans notre expérience chez 30 % des hémodialysés [30]. À l’inverse, l’hypocalcémie peut persister malgré une discrète sécrétion initiale de PTH, ce qui était le cas chez 65 % de nos patients avec hypoparathyroïdie définitive. Cela montre la capacité limitée de prolifération des cellules parathyroïdiennes et la nécessité de la préservation d’une masse suffisante de tissu parathyroïdien pour assurer une eucalcémie. L’apport essentiel de notre étude est de montrer la grande valeur prédictive du dosage différé de la calcémie et la phosphorémie, même sous supplémentation calcique mais avant l’introduction de la vitamine D. En effet entre les 7e et 14e jours postopératoires, la grande majorité des patients indemnes d’hypoparathyroïdie définitive a déjà récupéré et peut être définitivement rassurée. Dans notre étude, tous les patients qui avaient une calcémie supérieure ou égale à 80 mg/L et une phosphorémie inférieure ou égale à 40 mg/L ont récupéré une fonction parathyroïdienne normale. En revanche, si l’un ou l’autre de ces dosages reste en dehors des valeurs normales, la poursuite de leur surveillance étroite est impérative afin de ne pas méconnaître une hypoparathyroïdie définitive. Les valeurs seuil pour la calcémie et la phosphorémie différées ont été déterminées en raison de leur excellent rapport sensibilité/spécificité sur la courbe ROC. La simplicité des valeurs finalement retenues (80 mg/L pour la calcémie et 40 mg/L pour la phosphorémie) parmi la fourchette des valeurs acceptables (ayant une bonne sensibilité) a été également prise en compte pour garantir leur utilisation pratique.

4. Conclusion En conclusion, les hypocalcémies sévères après thyroïdectomie sont dues essentiellement à une insuffisance de la fonction parathyroïdienne secondaire au traumatisme opératoire. Ces hypocalcémies sont transitoires dans la plupart des cas et récupèrent spontanément en quelques semaines à quelques mois. Certaines d’entre elles seront cependant définitives. En cas d’hypocalcémie postopératoire, les caractéristiques cliniques initiales des patients et les examens biologiques précoces ne permettent pas de prédire l’évolution. En revanche, le dosage différé de la calcémie et de la

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M. Jafari et al. / Annales de Chirurgie 127 (2002) 612–618

phosphorémie, entre le 7e et le 14e jours postopératoires avec ou sans calcithérapie substitutive mais avant toute administration de vitamine D, est un excellent critère prédictif de la survenue d’une hypocalcémie définitive après thyroïdectomie. En pratique, au décours d’une thyroïdectomie totale, le dosage quotidien de la calcémie durant les deux premiers jours est indispensable pour identifier les patients présentant une hypocalcémie postopératoire. En cas d’hypocalcémie, l’administration orale du calcium (3 g par jour) est généralement suffisante pour éviter les symptômes cliniques de l’hyperexcitabilité neuromusculaire. En cas de besoin, on utilise l’injection intraveineuse du gluconate de calcium (2 g en bolus suivi de 6 g par 24 heures). Dès que la calcémie est supérieure à 80 mg/L, les patients peuvent quitter l’hôpital et sont revus systématiquement en consultation au cours de la deuxième semaine postopératoire. Le traitement est alors adapté en fonction de l’évolution clinique et des résultats du bilan phosphocalcique. La récupération de la fonction parathyroïdienne est certaine pour les patients qui ont une calcémie supérieure ou égale à 80 mg/L et une phosphorémie inférieure ou égale à 40 mg/L. Dans ce cas, la diminution progressive du traitement substitutif peut être programmée. Dans le cas contraire, c’est-à-dire avec calcémie inférieure à 80 mg/L et/ou phosphorémie supérieure à 40 mg/L, les patients présentent un risque non négligeable d’hypocalcémie définitive et doivent faire l’objet d’une surveillance attentive. Leur traitement substitutif doit être régulièrement adapté à l’évolution clinique et biologique, et une vitaminothérapie D (alfacalcidol 1 à 2 µg/j) peut éventuellement être introduite.

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