Évaluation et prise en charge des troubles de la déglutition

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www.sciencedirect.com Nutrition clinique et métabolisme 25 (2011) 247–254

Revue générale

Évaluation et prise en charge des troubles de la déglutition Assessment and care of swallowing disorders Jean-Claude Desport a,∗,b , Pierre Jésus a , Philippe Fayemendy a , Cécile De Rouvray a , Jean-Yves Salle c a

Unité de nutrition, hôpital Dupuytren, CHU Limoges, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France b EA 3177, IFR 145 Geist, faculté de médecine, 2, rue du Dr-Marcland, 87025 Limoges cedex, France c Service de médecine physique et réadaptation, hôpital Rebeyrol, CHU Limoges, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France Rec¸u le 1er septembre 2011 ; accepté le 9 septembre 2011 Disponible sur Internet le 26 octobre 2011

Résumé La déglutition est un phénomène complexe qui permet l’alimentation per os tout en protégeant les voies respiratoires. Les troubles de la déglutition sont fréquents, portent sur l’alimentation solide et/ou liquide, et sont principalement dus à des affections neurologiques ou ORL. Ils ont un retentissement souvent majeur car ils altèrent la qualité de vie quotidienne des patients et de l’entourage et peuvent conduire à une dénutrition et une déshydratation, d’où un retentissement possible sur la survie. Le risque potentiel respiratoire est bien entendu important. Le bilan repose sur un entretien et un examen clinique attentifs, sur des examens complémentaires dont la référence est la radiovidéoscopie de déglutition, sur l’évaluation du retentissement en particulier nutritionnel. La prise en charge se fait idéalement en multidisciplinarité, regroupant le médecin, l’orthophoniste, le diététicien, le dentiste, dans certains cas le chirurgien, et intègre de manière incontournable le personnel paramédical et l’entourage du patient. La mise en nutrition entérale est une solution en cas de problèmes respiratoires récurrents ou sévères, de dégradation de l’état nutritionnel malgré l’enrichissement de l’alimentation, les modifications de texture ou l’utilisation de compléments oraux, de durée de repas trop élevée. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Déglutition ; Nutrition ; Neurologie ; Évaluation ; Soin

Abstract Swallowing is a complex phenomenon, allowing per os feeding but with a protection of respiratory tract. Swallowing disorders are frequent, involve liquids, solids or theses two textures, and are mainly caused by neurological or otorhinolaryngological diseases. They may have severe consequences, like an alteration of quality of life for patients or their relatives, an increased risk of aspiration, of malnutrition or dehydration, and finally a possible decrease of survival. Assessment includes careful questioning and physical examination. The reference complementary investigation is videofluoroscopic evaluation. Nutritional assessment is mandatory. Taking care of swallowing disorders in a multidisciplinary manner is recommended, with interventions of physician, speech therapist, dietician, sometimes dentist or surgeon, and needs a strong contribution of the paramedical staff and the patient relatives. Enteral nutrition is recommended when repeated or severe respiratory complications occur, when the nutritional status is altered in spite of feeding enrichment, modulations of textures or use of oral nutritional supplements, or when the meals are too long. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Swallowing; Nutrition; Neurology; Assessment; Care

1. Introduction Les troubles de la déglutition (TD) sont fréquents en pathologie humaine [1]. Ils sont dus dans un grand nombre de cas à des



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-C. Desport).

0985-0562/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.nupar.2011.09.001

atteintes neurologiques [1,2], et peuvent conduire non seulement à la survenue de fausses routes (FR), avec parfois un retentissement respiratoire sévère, mais aussi à une limitation des apports per os, voire à un arrêt de l’alimentation et de l’hydratation [1]. À l’inverse, les FR peuvent ne pas s’accompagner de toux dans de nombreux cas [1,3], ce qui conduit à des retards ou des erreurs de diagnostic [4]. Cet article est centré sur les TD secondaires aux atteintes neurologiques.

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2. Rappels de physiologie de la déglutition La déglutition permet le passage du bol alimentaire de la bouche jusqu’à l’estomac, tout en évitant le passage dans les voies aériennes. Sa fréquence est d’environ 300 fois par heure lors d’un repas, et d’une fois par minute en dehors des repas [5,6]. 2.1. Le carrefour aérodigestif Il est constitué de quatre cavités : la bouche, prolongée en arrière par l’oropharynx jusqu’à l’épiglotte, le pharynx inférieur qui va de l’épiglotte au sphincter supérieur de l’œsophage (SSO), et le cavum, situé au-dessus de l’oropharynx, en arrière des fosses nasales et du palais mou [6]. La zone périépiglottique constitue le réservoir valléculaire et l’entonnoir terminal le sinus piriforme.

le péristaltisme œsophagien diminue et l’incidence du reflux gastro-œsophagien augmente. L’augmentation du volume des ingesta, due à la perte d’efficience musculaire et à l’édentation, favorise la survenue de TD. Il en est de même en cas de consommation de psychotropes et d’anticholinergiques, à l’origine d’une bouche sèche (xérostomie). La baisse d’efficacité de la toux qui survient avec l’âge majore la gravité des FR. 2.3.2. La déglutition rapide Les liquides peuvent être propulsés avec simplement un coup de piston lingual, sans intervention du péristaltisme postérieur. Dans ce cas, lors de la prise de gorgées successives de liquide de manière rapide, l’appareil de déglutition ne revient pas au repos, le SSO reste ouvert, l’épiglotte reste abaissée et le pharynx raccourci.

2.2. Les trois phases de la déglutition 2.4. Les voies nerveuses On décrit la phase orale volontaire et réflexe, la phase pharyngée et la phase œsophagienne, ces deux dernières uniquement réflexes [6,7]. 2.2.1. La phase orale Les aliments insalivés et mastiqués restent d’abord en intrabuccal grâce à un accolement postérieur de la base de langue contre le palais. La formation et le positionnement du bol alimentaire nécessitent la continence jugale, assurée par les muscles buccinateurs, qui empêchent l’accumulation des aliments dans les sillons gingivojugaux et les renvoient dans la cavité buccale. Puis, dans un temps bref (d’environ une seconde), ils sont propulsés en arrière par l’accolement d’avant en arrière de la langue contre le palais, ce qui déclenche le réflexe de déglutition proprement dit. Le voile du palais remonte et ferme le rhinopharynx, un rétrécissement latéral de la partie supérieure de l’oropharynx survient, la base de langue se plaque contre le mur pharyngé postérieur ce qui repousse le bol alimentaire vers le bas. 2.2.2. La phase pharyngée Elle a une durée inférieure à une seconde, et est due à une onde de contraction péristaltique des muscles pharyngés constricteurs, orientant le bol vers le SSO qui est relâché. L’occlusion respiratoire associée à cette phase comprend l’élévation laryngée, la bascule postérieure de l’épiglotte, la fermeture glottique, et s’accompagne d’une inhibition centrale de la respiration. 2.2.3. La phase œsophagienne Elle permet la migration alimentaire jusqu’au sphincter inférieur de l’œsophage. La migration du bol est obtenue grâce aux mouvements péristaltiques œsophagiens, favorisée par la pesanteur et la pression intrathoracique négative en inspiration.

Les afférences sensitives sont issues de la base de langue, des piliers, du larynx, du voile du palais, du palais dur, de l’épiglotte et des vallécules. Les influx sont acheminés par le V (trijumeau), le IX (glosso-pharyngien) et le nerf laryngé supérieur, branche du X (pneumogastrique) [6,8]. Seule la stimulation du nerf laryngé supérieur déclenche de manière constante la déglutition. Des afférences motrices centrales sont issues de la circonvolution frontale ascendante. Les centres de la déglutition sont situés au niveau du bulbe rachidien, avec en particulier des amas de neurones localisés au niveau du faisceau solitaire et de la substance réticulée. Les efférences utilisent les nerfs V, facial (VII), IX, X et hypoglosse (XII). 3. Les troubles de la déglutition Ils affecteraient au moins 30 à 59 % des personnes âgées institutionnalisées [1,2,9–11], 10 à 19 % des personnes hospitalisées et 9 à 38 % des personnes âgées vivant à domicile [1,2,9,12]. Ils sont très variées, et ne peuvent donc pas se réduire aux FR, définies comme des passages alimentaires dans les voies respiratoires. La dysphagie est une sensation d’accrochage ou d’obstacle au passage de l’alimentation au niveau de la bouche, du pharynx ou de l’œsophage [7]. L’odynophagie désigne une déglutition douloureuse, et l’aphagie le blocage total de la prise alimentaire [7]. Après un AVC, la dysphagie augmente la durée d’hospitalisation en secteur intensif, la mortalité, la morbidité et les coûts de santé [13–15]. 3.1. Les causes des troubles de la déglutition Les causes principales sont neurologiques et ORL [7].

2.3. Les modulations physiologiques [1,6] 2.3.1. L’âge La durée de la déglutition s’allonge avec l’âge, la bouche œsophagienne reste ouverte plus longtemps, l’onde péristaltique est moins intense et moins rapide, la langue s’hypertrophie,

3.1.1. Les causes neurologiques Elles comprennent essentiellement les accidents vasculaires cérébraux (AVC), les traumatismes crâniens, les processus tumoraux cérébraux, les maladies neuromusculaires (MNM) et les maladies neurodégénératives [16].

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3.1.1.1. Les accidents vasculaires cérébraux. Ils représentent environ 50 % des causes neurologiques de TD et au moins 55 % des AVC s’accompagnent de TD [14,17]. Les AVC du tronc cérébral semblent plus souvent pourvoyeurs de TD [18]. La phase orale de la déglutition peut être perturbée, avec un bavage par occlusion buccale insuffisante, des difficultés de vidange des sillons buccojugaux, un déficit de sensibilité buccale et des anomalies de formation du bol alimentaire et de sa rétropulsion [1,6]. À la phase pharyngolaryngée, l’insuffisance partielle ou totale du réflexe, l’insuffisance d’ascension laryngée, de fermeture épiglottique et glottique produisent une inondation valléculaire et des sinus piriformes ainsi que des FR [1,6]. Ces TD sont majorés par une ouverture insuffisante ou trop brève du SSO [1,6]. 3.1.1.2. Les traumatismes crâniens. Ils représentent environ 20 % des causes neurologiques de TD. Les troubles peuvent être majorés chez ces patients ayant des atteintes cognitives ou des troubles psychologiques associés [6].

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3.1.3. Autres D’autres causes de dysphagie sont notables [7,9,16]. Parmi elles, on peut citer : • une pathologie inflammatoire de la bouche (pharyngite, amygdalite, une stomatite aphteuse) ; • des tumeurs et anomalies structurales de la tête et du cou (dont adénopathies, atteintes thyroïdiennes, autres compressions extrinsèques) ; • des infections (VIH, candidose, herpès, etc.) ; • des pathologies œsophagiennes : reflux gastro-œsophagien, troubles moteurs, sténose, diverticule, sclérodermie, achalasie, etc ; • une intoxication et/ou des brûlures toxiques ; • la prise de divers médicaments, en particulier neuropsychiatriques (neuroleptiques, sédatifs, benzodiazépines, antiépileptiques). 3.2. L’examen clinique

3.1.1.3. La maladie de Parkinson. C’est une maladie neurodégénérative fortement pourvoyeuse de TD, en particulier en fin d’évolution [6]. Il peut y avoir des troubles de motricité linguale, un retard de déclenchement du réflexe de déglutition, une insuffisance d’élévation laryngée, une dysfonction du SSO, des stases valléculaires et piriformes, des anomalies de péristaltisme œsophagien et de la fonction du sphincter inférieur de l’œsophage [1]. Au moins 50 % des patients en seraient atteints [19]. Une xérostomie (bouche sèche) est possible [20], soit du fait d’une respiration bouche ouverte en permanence soit liée aux traitements anticholinergiques. 3.1.1.4. Les démences, la maladie de Huntington, la sclérose en plaques. À un stade évolué, les démences seraient accompagnées de troubles de la déglutition dans 93 % des cas pour Feinberg et al., le plus souvent avec des perturbations de la phase orale, mais dans 42 % des cas avec des troubles portant sur les trois phases [21]. La maladie de Huntington ainsi que la sclérose en plaques peuvent s’accompagner de TD [2,16]. 3.1.1.5. Les maladies neuromusculaires. Les MNM comme la sclérose latérale amyotrophique (SLA ou maladie de Charcot) lorsqu’une atteinte bulbaire est présente, la dystrophie oculopharyngée, la myasthénie s’accompagnent de TD [2,16]. Des troubles salivaires (hypersiallorrhée, salive épaisse, xérostomie) peuvent également participer à la genèse de TD. Lors de la maladie de Duchenne de Boulogne, des malformations faciales, une hypertrophie linguale, des troubles de l’articulé dentaire peuvent affecter la déglutition à cause de fuites labiales lors des repas ou de difficultés d’élévation laryngée [6,22]. 3.1.2. Les causes ORL Elles sont multiples, que ce soit avant chirurgie, dès lors par exemple qu’un processus expansif gêne ou empêche une déglutition normale, ou surtout après chirurgie, en fonction de l’intervention réalisée [6]. Les laryngectomies totales sont fortement pourvoyeuses de TD.

3.2.1. L’entretien L’entretien avec le patient et/ou l’entourage (famille ou aidants) est fondamental. Il est facilité par l’utilisation d’une grille simple (Annexe 1), de remplissage rapide. À noter que : • l’anamnèse fournit un diagnostic de présomption dans près de 80 % des cas [7] ; • l’ancienneté des troubles doit être précisée [7] ; • les FR sont souvent déclenchées par la prise d’une alimentation à texture liquide, mais elles peuvent ne survenir qu’aux solides, ou être mixtes [1]. La détermination de ce point est fondamentale pour adapter le traitement ; • de 9 à 50 % des patients selon les séries ne toussent pas lors d’une FR (FR silencieuse) et dans 70 à 80 % des cas la toux est peu ou pas efficace [1,3] ; • une durée de repas de plus de 30 minutes est un signe d’alerte [23,24] ; • les effets anticholinergiques des médicaments doivent être recherchés systématiquement en cas de xérostomie. 3.2.2. L’examen physique Il objective si possible la réalité des troubles décrits. L’impossibilité d’occlusion des lèvres et de serrer les dents, qui favorisent le bavage et les TD, doivent être notées [1,6]. Un examen de la cavité buccale est réalisé avec une lampe de poche et un abaisse-langue. Il relève la présence et la consistance de la salive, l’état des muqueuses, des dents, de la langue, les possibilités de mastication, la sensibilité et les mouvements des lèvres, de la langue et du palais [1,6], mais il faut garder à l’esprit qu’un réflexe pharyngé intact ne signifie pas absence de dysphagie ou de FR. Les patients atteints d’un AVC ont environ trois fois plus de risque de développer une pneumonie s’ils sont dysphagiques que s’ils ne le sont pas [17]. Pour cette raison, l’examen pulmonaire est nécessaire, en sachant que les pneumopathies sont plus fréquentes en basal droit pour les patients assis ou debout, en apical gauche pour les patients couchés, du fait de l’anatomie des

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bronches souches. L’examen du cou recherche des adénopathies ou un goitre. Le principal test de dépistage de FR est le test de DePippo, dont la sensibilité est bonne, la spécificité moyenne [13,25]. Il consiste à faire boire au patient de manière rapide environ 90 mL d’eau, et à suivre l’évolution clinique dans la minute qui suit : la survenue d’une toux, d’une modification de la voix (voix voilée ou mouillée) est très évocatrice d’une FR. Le test peut également être pratiqué avec des solides. En cas de forte suspicion de FR récente (anamnèse, voix gargouillante ou mouillée spontanée lors d’une vocalisation), le test avec les liquides ne doit utiliser que de faibles volumes, et une titration avec des volumes croissants est souhaitable. Dans tous les cas, ce test ne doit être réalisé que dans des conditions de sécurité optimales : il doit être possible d’aspirer le patient, il faut disposer d’un matériel de désobstruction et si besoin pouvoir ventiler le patient. De nombreux autres tests sont disponibles, tels que le test semi-quantitatif de Salle qui nécessite un examen neurologique, buccopharyngé et comporte un versant neurologique et un versant ORL [26], le Gugging Swallowing Screen (GUSS test) [27], orienté vers les patients neurologiques, qui teste en semi-quantitatif les divers temps de la déglutition, le Modified Mann Assessment of Swallowing Ability (MMASA), test semiquantitatif global basé sur 12 items dont à la fois la sensibilité et la spécificité seraient bonnes, mais qui demande du temps [13]. Enfin, le récent Practical Aspiration Screening Scheme (PASS) associe le test de DePippo et le test de Salle, avec une sensibilité de 89 % et une spécificité de 81 % [28]. 3.3. Les examens complémentaires 3.3.1. L’examen de référence C’est la radiovidéoscopie de la déglutition [1,4,7]. Elle nécessite un équipement spécifique, donc n’est pas disponible partout. De plus, le patient doit pouvoir rester assis et bien comprendre et appliquer les consignes. L’examen visualise les TD ainsi que les positions qui permettent de les limiter ou corriger, le tout en fonction des diverses textures testées [1]. 3.3.2. L’endoscopie ORL Elle est de pratique simple. Elle visualise les TD et l’effet des modifications de textures, mais permet mal de proposer des corrections de posture [1]. 3.3.3. Le bilan stomatologique Il est important, en particulier pour les patients neuromusculaires. Un bilan odontologique est nécessaire devant la découverte d’un mauvais état dentaire ou d’une pneumopathie [29] et d’une manière plus générale chez les personnes âgées. 3.3.4. L’évaluation de l’état nutritionnel et de l’état d’hydratation Cette évaluation doit être associée au bilan de la déglutition, car les TD majorent le risque de dénutrition et de déshydratation [14,23,30], qui peuvent par elles-mêmes limiter la survie des patients [31,32]. Le calcul de l’indice de masse corporelle (IMC), de la variation de poids, la mesure de l’albuminémie sont

les principaux critères nutritionnels utilisés [23,30]. Le bilan des apports alimentaires est important, car certains patients suppriment les aliments qui leur posent des problèmes. Ce bilan est effectué grâce à la technique du rappel des 24 ou 72 heures ou grâce à l’enregistrement alimentaire prospectif sur cahier, portant sur trois à sept jours. Il faut rechercher des carences en sels minéraux, vitamines ou oligoéléments par l’examen clinique, et éventuellement avec des examens biologiques spécifiques. Le bilan clinique et biologique de l’hydratation est sans particularité. 3.3.5. En cas de présomption d’atteinte œsophagienne ou respiratoire Devant des troubles œsophagiens, des explorations endoscopiques ou radiologiques digestives ou une radiomanométrie sont proposées. Des explorations pulmonaires doivent être faites si l’examen clinique respiratoire est anormal. 3.4. Une prise en charge multidisciplinaire [1,30,33] Ce peut-être le médecin qui fait le lien, par exemple dans un secteur de médecine physique et réadaptation, mais aussi un orthophoniste ou un diététicien. 3.4.1. Le médecin Il intervient à plusieurs niveaux : • il traite les causes de TD qui peuvent l’être. Une chirurgie faciale, cervicale ou digestive peut être nécessaire ; • devant un problème de salive trop abondante ou de bavage, des médicaments à effet atropinique sont utiles, tels qu’un antidépresseur à effet atropinique (amitryptiline) en première intention lors de la SLA [23], de la scopolamine en patch, de l’atropine en gouttes buccales [1]. L’utilisation d’un appareil portable d’aspiration salivaire permet aux patients de garder longtemps une vie sociale tolérable [1]. Le recours à des injections de toxine botulique dans les glandes salivaires est envisageable [1,23]. Devant un problème de salive épaisse, les bêtabloquants sont proposés et face à une xérostomie, on prescrit des brumisations de bouche, de la salive artificielle, de la pilocarpine [1,23] ; • il prescrit si besoin les modifications de texture de l’alimentation qui doivent être appliquées [1] ; • en cas de dénutrition, il met en œuvre les protocoles usuels de prise en charge, en fonction de la gravité de la dénutrition et de la consommation alimentaire [1,30]. Une dénutrition très sévère fait redouter lors de la reprise alimentaire un syndrome de renutrition, qui doit être prévenu grâce à des apports très progressifs, une supplémentation transitoire en vitamines et minéraux, une surveillance clinique et biologique initiale attentive [34,35]. Le traitement de la déshydratation est aspécifique ; • la prise en charge des éventuels troubles respiratoires secondaires aux FR est nécessaire ;

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• l’information du patient et/ou de l’entourage porte sur la nature du TD présent, les risques encourus, les précautions de base et les thérapeutiques utilisées. 3.4.2. L’orthophoniste Il enseigne aux patients des exercices destinés à renforcer la mastication et la déglutition. Il informe sur les postures qui favorisent la déglutition : la position assise pour le repas est recommandée, à l’inverse de la position couchée, une antéflexion cervicale (position menton-sternum) peut aider à une bonne déglutition (Tableau 1) [1]. L’intérêt de la prise en charge orthophonique après AVC et chirurgie ORL est majeur et durable, alors qu’il peut n’être que transitoire lors de certaines MNM, du fait de leur évolution rapide. 3.4.3. Le diététicien Il a un rôle fondamental. Que le patient soit ou non dénutri, il évalue la consommation alimentaire, avec l’aide des personnels paramédicaux (infirmières, aides-soignantes, hôtelières ou personnels d’accompagnement), de l’entourage et/ou du patient lui-même. Il interprète les résultats de cette évaluation, informe sur les aliments les plus faciles à consommer, la manière de les préparer pour les rendre plus agréables au goût et pour maintenir un régime équilibré, les méthodes d’enrichissement des repas afin de couvrir les besoins nutritionnels du patient. Il indique les aliments à éviter, qui sont ceux qui contiennent de petits grains (taboulé, couscous, riz, fraises, framboises, raisins, tomates non épépinées), les aliments filandreux (poireau, céleri branche, plat de côtes, salade, persil, asperges, rhubarbe), ou consommés avec leur enveloppe (tomates non pelées, lentilles, haricots blancs) et les fruits secs (noisettes, cacahuètes, pistaches) [1]. Il oriente vers les produits qui peuvent faciliter la prise alimentaire (par exemple des épaississants, ou des compléments nutritionnels oraux enrichis en énergie et en protéines [36], dont les textures sont multiples) [1]. Tableau 1 Exemples de travail d’orthophonie lors de troubles de la déglutition [6]. Trouble de déglutition

Intervention orthophonique

Fermeture insuffisante des lèvres Réduction de la tension dans une joue

Exercices pour les lèvres

Réduction de la gamme des mouvements de la langue

Exercices pour la langue. Introduction de la nourriture dans la partie postérieure Posture (tête en arrière)

Réflexe retardé ou absent

Stimulation thermique Posture (tête vers l’avant)

Réduction du péristaltisme pharyngien Hémiparésie pharyngienne

Déglutition de liquides/solides en alternance

Ascension du larynx réduite

Déglutition sus-glottique

Fermeture du larynx réduite

Exercices d’adduction Déglutition sus-glottique

Posture (inclinaison du côté le plus puissant) Pression sur le côté plus faible

Posture (inclinaison de la tête du côté le plus puissant et rotation vers le côté le plus faible)

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3.4.4. Le dentiste et l’ergothérapeute Le dentiste peut être sollicité devant des problèmes dentaires, l’ergothérapeute pour mettre en place des aides adaptées au handicap : • utilisation si besoin d’un verre à encoche nasale ou d’une paille pour les boissons, qui évitent au patient de lever le menton lors de la prise de liquides (position qui favorise les FR) [1] ; • utilisation de couverts adaptés : support antidérapant pour l’assiette, cuillères, fourchette ou couteau avec manche adapté au handicap, assiette à haut rebord, tasse à anse large, etc [1] ; • optimisation de l’ergonomie des lieux où sont préparés les repas et où ils sont consommés. 3.4.5. Le personnel paramédical ou l’entourage Ils ont plusieurs rôles particulièrement importants [33,37] : • ils aident à rechercher l’horaire optimal de prise alimentaire. En effet, la dysphagie peut être accentuée par la fatigue, ce qui amène alors à ne pas privilégier le repas du soir. Lors de la maladie de Parkinson, les horaires de prise des repas doivent être adaptés aux périodes de meilleure aptitude (selon l’effet des traitements) ; • ils garantissent le respect de la dignité du patient en institutions : il ne faut pas exposer les personnes qui mangent avec difficulté aux remarques désagréables de l’entourage, ni obliger un patient à s’alimenter par la bouche si les TD sont majeurs ; • ils s’assurent que, pour les repas, le patient porte son dentier, ses lunettes, et/ou sa prothèse auditive ; • ils favorisent si besoin l’appétit du patient et sa production salivaire en lui permettant l’accès à une alimentation qui a du goût, de la saveur, qui est délivrée dans des conditions matérielles agréables. La salivation peut également être stimulée par des aliments ou boissons acides ; • ils laissent au patient le temps nécessaire pour manger ; • ils s’assurent que les postures prescrites pour une alimentation optimale sont respectées ; • ils ajustent l’apport des agents épaississants selon le type de TD et la tolérance ; • ils favorisent l’utilisation des outils adaptés au handicap ; • si une tierce personne nourrit le patient à la cuillère, les recommandations sont : ◦ de se placer au niveau du patient et non au-dessus, afin de ne pas l’obliger à lever le menton [1], ◦ de ne pas distraire le patient durant le repas, ◦ pour certains patients, de solliciter leur attention en rappelant les consignes régulièrement, ◦ d’éviter de toucher les dents pour que le patient ne morde pas la cuillère, ◦ de donner de faibles quantités, d’aborder la bouche du patient par le bas, de placer la nourriture au milieu de la bouche du patient sur le tiers avant de la langue, et de pousser la langue vers le bas pour aider à son refoulement vers l’arrière de la bouche [1],

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◦ de s’assurer que la cavité buccale du patient est vide avant de lui offrir la bouchée suivante, ◦ à la fin du repas, de nettoyer la bouche du patient, qui devrait ensuite rester assis 20 minutes; • ils peuvent inciter le patient à recourir au grignotage, qui est parfois un bon moyen pour couvrir les besoins alimentaires quotidiens ; • ils s’assurent d’une utilisation correcte des compléments nutritionnels oraux [38]. D’une manière générale : • chaque nouveau problème doit être noté et transmis, amenant à une réévaluation du patient ;

• Si les apports per os sont insuffisants ou impossibles, avec une chute du poids et de l’IMC, si la durée des principaux repas augmente (seuil : 45 minutes pour la SLA par exemple), si les FR et les infections pulmonaires se pérennisent, la priorité est d’envisager la mise en nutrition entérale [23]. La gastrostomie est la voie à proposer en première intention, de manière à éviter les inconvénients de la sonde nasogastrique (gêne, lésions ORL ou œsophagiennes, reflux). Du fait de ses risques, en particulier infectieux, la nutrition parentérale doit rester le dernier recours nutritionnel. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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Annexe 1. Proposition de grille de repérage des troubles de la déglutition et facteurs associés.

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