Facteurs de risque professionnels du syndrome du tunnel radial chez les salariés de l’industrie de production de masse

Facteurs de risque professionnels du syndrome du tunnel radial chez les salariés de l’industrie de production de masse

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Chirurgie de la main 22 (2003) 293–298 www.elsevier.com/locate/chimai

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Facteurs de risque professionnels du syndrome du tunnel radial chez les salariés de l’industrie de production de masse Occupational risk factors for radial tunnel syndrome in mass production workers Y. Roquelaure a,*, G. Raimbeau b, Y. Saint-Cast b, Y.-H Martin c, M.-C Pelier-Cady b a

Centre de consultation de pathologie professionnelle, centre hospitalier universitaire, 49033 Angers cedex, France b Centre de la main, rue Auguste-Gautier, 49100 Angers, France c Service médical inter-entreprise de l’Anjou, 25, rue Carl-Linné, 49009 Angers, France

Résumé Étude. – L’étude avait pour objectif d’évaluer les facteurs de risque professionnels et extraprofessionnels du syndrome du tunnel radial (STR) chez les employés de trois grandes entreprises. Méthodes. – Vingt-et-un cas de STR ont été comparés à 21 témoins appariés sur l’âge, le sexe et l’entreprise. Dans neuf cas, le STR est associé à un syndrome du canal carpien (SCC). L’analyse a porté sur les antécédents médicaux, les activités domestiques et les caractéristiques ergonomiques et organisationnelles des postes de travail. Résultats. – L’étude a démontré l’existence de trois facteurs de risque du STR liés aux conditions de travail. L’exercice régulier de force d’au moins 1 kg (OR = 9,1 [1,4–56,9]) était le principal facteur de risque biomécanique. Le travail statique de la main était fortement associé avec un risque accru de STR (OR = 5,9 [1,2–29,9]), de même que le fait de travailler avec le coude régulièrement en extension (0–45°) (OR = 4,9 [1,0–25,0]). L’extension complète du coude, associée à une pronosupination de l’avant-bras est susceptible de traumatiser le nerf radial dans le tunnel radial. En revanche, aucun facteur personnel et aucune activité extraprofessionnelle n’était associée à un risque accru de STR. Conclusions. – L’étude a démontré que les mouvements nécessitant des efforts intenses et réalisés avec le coude en extension et l’avant-bras en pronosupination augmentent le risque de STR. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Study. – The purpose of the study was to evaluate the professional and extraprofessional risk factors for radial tunnel syndrome (RTS) in employees of three large companies. Method. – Twenty-one cases of RTS were compared to 21 controls, matched for age, sex, and activity. In nine cases, RTS was associated with carpal tunnel syndrome. The analysis considered medical history, extraprofessional activity, and the ergonomic and organisational aspects of work. Results. – The study demonstrated three risk factors of RTS related to work conditions. The regular use of a force of at least 1 kg (OR = 9.1 (1.4–56.9)) more than 10 times per hour is the main biomechanical risk factor. Static work (OR = 5.9 (1.2–29.9)) as well as work with the elbow constantly extended 0° to 45°, is strongly associated with an increased risk of RTS (OR = 4.9 (1.0–25.0)). Complete extension of the elbow associated with pronation and supination of the forearm may cause trauma to the radial nerve in the radial tunnel. On the other hand, we found no personal factors and no extraprofessional activities which were associated with an increased risk of RTS. Conclusions. – This study shows that motions of the forearm requiring intense effort and performed with the elbow in extension and the forearm in pronation and supination increase the risk of RTS. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Nerf radial ; Neuropathie canalaire ; Travail ; Posture ; Force Keywords: Radial nerve; Nerve entrapment; Musculoskeletal disorders; Work-related; Posture; Force

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Roquelaure). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.main.2003.09.013

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1. Introduction Les syndromes canalaires représentent une cause importante d’affection douloureuse des membres supérieurs par hypersollicitation, notamment le syndrome du canal carpien (SCC) [1]. Le syndrome du tunnel radial (STR) est dû à la compression intermittente du nerf radial dans le tunnel radial qui s’étend de l’interligne articulaire huméroradiale au bord distal du muscle supinateur [2–5]. Le nerf radial peut être comprimé par divers éléments : bandes de fascia en avant de la capsule huméroradiale, vaisseaux radiaux récurrents, rebord tendineux de l’extenseur court du carpe ou le bord fibreux proximal du supinateur dénommé arcade de Fröhse [3,6,7]. Cliniquement, le STR se manifeste par une douleur de l’avant-bras sans parésie, liée à la compression de la branche profonde du nerf radial [3,7]. Les principaux signes cliniques sont une sensibilité au point radial située entre 3 et 5 cm distalement par rapport à l’épicondyle latéral, et une douleur aux mouvements contrariés de supination, d’extension du poignet et des doigts centraux. La dénomination « syndrome du nerf interosseux postérieur » [8] s’adresse aux syndromes parétiques. Le STR, qui est plus rare que le SCC ou le syndrome du tunnel cubital, serait présent dans 5 % des cas d’épicondylalgies [5]. Néanmoins, peu d’informations sont disponibles pour évaluer la prévalence et les facteurs de risque du STR car il est souvent confondu avec l’épicondylite latérale. L’observation de cas de STR chez des travailleurs de force ou des ouvriers de l’industrie [3,7,9,10] suggère l’existence d’un mécanisme par hypersollicitation biomécanique et de facteurs de prédisposition d’origine professionnelle. De nombreux cas de STR ont été diagnostiqués chez des employés de trois grandes entreprises de la région angevine. Comme une étude concernant le SCC avait déjà été réalisée avec des cas-témoins [11], une étude du même type a été mise en place pour évaluer l’influence respective des caractéristiques individuelles et de l’histoire médicale, des activités extraprofessionnelles et des conditions de travail dans la survenue de STR chez des salariés de l’industrie. 2. Matériels et méthodes L’étude cas-témoins a été réalisée dans trois grandes entreprises produisant des téléviseurs (A), des freins (B) et des chaussures (C). Il s’agissait d’entreprises performantes et très automatisées employant respectivement 1000, 800 et 850 employés. Les sujets souffrant de STR qui avaient été opérés dans le même centre [7] ont été comparés à des sujets témoins, après appariement sur le sexe, l’âge et l’entreprise (A, B ou C). 2.1. Sujets 2.1.1. Cas Deux évaluateurs ont passé en revue les dossiers médicaux des services de médecine du travail de chaque entre-

prise. Tous les employés directement affectés à la production, âgés de 18 à 59 ans, ayant un antécédent de STR, SCC ou autres pathologies d’hypersollicitation des membres supérieurs entre 1990 et 1992 ont été analysés. Les cas de STR ont été pré-inclus s’ils avaient été traités dans le même centre de chirurgie de la main. Les dossiers chirurgicaux ont ensuite été consultés. Les cas de STR ont été définitivement inclus si les dossiers comportaient les informations suivantes : • douleur de l’avant-bras avec sensibilité du point radial, 3 à 5 cm distalement par rapport à l’épicondyle latéral ; • déclenchement d’une douleur dans la région de l’insertion des extenseurs communs par l’extension contrariée du majeur, le coude étendu et/ou par le test de supination contrariée de l’avant-bras ; • étude neurophysiologique du nerf radial positive ; • et libération chirurgicale du nerf radial, associée à une libération du nerf médian si nécessaire entre janvier 1990 et décembre 1992. Les sujets ayant des antécédents de STR ou autre pathologie d’hypersollicitation avant 1990 furent exclus de même que les rares salariés ayant présenté une affection maligne, un diabète, une dysthyroïdie ou une maladie rhumatismale. L’existence d’anomalies électrophysiologiques était nécessaire pour réaliser la libération chirurgicale du nerf radial, les examens étant effectués par le même médecin selon une procédure standardisée décrite dans un travail antérieur [7]. La définition du SCC nécessitait la présence d’au moins trois des conditions suivantes [11] : • paresthésies et/ou engourdissement dans le territoire du médian avec recrudescence nocturne survenant au moins 20 fois ou plus de trois semaines au cours de l’année précédente ; • un signe de Tinel positif et un test de Phalen positif ; • ou un ralentissement des vitesses de conduction sensitive ou motrice (< 40 m/s) du nerf médian au niveau du poignet ; • et/ou une libération chirurgicale du nerf médian dans le canal carpien. La définition de l’épicondylite latérale nécessitait la présence : • d’une douleur directement localisée au niveau de l’épicondyle latérale ; • d’une sensibilité de l’épicondyle latérale à la pression ; • et une douleur localisée à ce niveau lors de l’extension contrariée du poignet. Au total, 21 travailleurs (17 femmes, 4 hommes d’âge moyen = 40,1 ± 8,0 ans) ayant présenté un STR entre 1990 et 1992 ont été inclus dans l’étude. Le STR était unilatéral dans 20 cas (12 droits, 8 gauches) et bilatéral dans un cas. Il s’agissait de cas sévères qui ont tous été opérés dans le même centre chirurgical spécialisé. Le STR était associé à un SCC dans neuf cas, à une tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule dans un cas et à une épicondylite latérale dans deux cas (Tableau 1).

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Cas numéro

Sexe, age (année)

Latéralité

Coude atteint

EMG

Chirurgie pour STR

SCC (1)

EPI ou TCR (2)

Entreprise

Ancienneté (année)

Ancienneté au poste de travail

Poste de travail

Force (kg)

Temps de cycle (sec)

Tableau 1 Données cliniques et caractéristiques des postes de travail des cas de STR

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13W 14W 15W 16W 17W 18W 18W 20W 21W

F,39 H,31 F,47 F,42 F,30 H,44 H,38 F,52 F,37 F,28 F,36 F,37 M,36 F,56 F,49 F,48 F,35 F,36 F,38 F,45 F, 37

D D D D D D D D D D D D D D D D D D G D D

G D G G D G D D G D D G D D D D G B G D D

+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + +

1992 1992 1990 1990 1992 1992 1992 1991 1992 1991 1991 1991 1992 1992 1990 1991 1990 1991 1991 1990 1990

– – – – – – – – – – – – D,1992 D,1992 B,1992 D,1991 G,1991 B,1991 G,1991 D,1990 D,1990

– – – – – – – – – – EPI,D,1992 EPI,B,1991 – – – – SCR,G,1992 – – – –

B B B B B C C C C C C C A A A A A A B C C

19 12 13 19 13 19 22 17 16 10 18 19 3 30 19 29 16 16 22 19 17

10 10 12 18 13 13 22 10 16 2 2 11 2 1 2 1 5 1 9 1 15

Assemblage Encollage Piqûre Piqûre Piqûre Assemblage Assemblage Extrudage Informatique Assemblage Assemblage Assemblage Assemblage Assemblage Assemblage Assemblage Réglage machine Assemblage Contrôle Assemblage Assemblage

<1 <1 <1 <1 <1 2 <1 2 <1 2 2 <1 3 <1 3 <1 3 <1 <1 2 2

20 20 20 20 20 20 20 20 45 20 20 20 36 20 20 20 36 36 20 20 20

F = femme, H = homme ; D = droit, G = gauche, B = bilatéral ; SCR = syndrome de la coiffe des rotateurs ; EPI = épicondylite latérale ; Entreprise A = assemblage de téléviseurs; B = fabrication de chaussures ; C = assemblage de freins. (1) année de l’intervention chirurgicale pour SCC ; (2) année du diagnostic de EPI ou SCR. W Cas de STR associé à un SCC

2.1.2. Témoins Un sujet témoin a été tiré au sort et apparié pour chaque cas parmi les travailleurs directement productifs dans la même usine et de même sexe et année de naissance. Les dossiers des visites annuelles de médecine du travail, qui étaient remplis par le même médecin du travail que les cas, ont été passés en revue par les mêmes investigateurs. Les témoins devaient impérativement être indemnes de tout symptôme ou signe de STR ou autre pathologie d’hypersollicitation de l’appareil moteur entre 1984 et 1992. Les critères d’exclusion étaient identiques à ceux des cas opérés. Vingt-et-un témoins (17 femmes, 4 hommes, d’âge moyen = 40,4 ± 7,1 ans) ont été inclus dans l’étude. 2.2. Recueil des données 2.2.1. Caractéristiques individuelles Les antécédents médicaux antérieurs au début du STR ou à une date correspondante pour le témoin apparié ont été étudiés. Les caractéristiques anthropométriques, les habitudes de vie, les traitements reçus ont été systématiquement étudiés. L’histoire gynécologique et obstétricale a été prise en considération. 2.2.2. Activités extraprofessionnelles Un autoquestionnaire a permis de recueillir des informations sur les activités domestiques (ménage, couture, repas-

sage, tricot), les loisirs (jardinage, bricolage) et les activités sportives. 2.2.3. Activité professionnelle Le poste de travail occupé par les cas de STR six mois avant le diagnostic a été étudié. Pour les témoins, il s’agissait du poste occupé à la fin de l’année 1992. L’ancienneté de la vie professionnelle, de l’exposition au travail manuel ainsi que l’ancienneté dans l’entreprise et au poste de travail ont été étudiées. L’analyse du travail a été réalisée en 1993 par observation directe des postes de travail à l’aide d’une liste de contrôle validée lors d’une étude préalable sur le SCC [11] par deux investigateurs ne connaissant pas le statut, cas ou témoins, des salariés. Lorsque le sujet occupait plusieurs postes, l’analyse a porté sur le poste le plus fréquemment tenu. Les changements réguliers de poste de travail ont été pris en compte. Les données recueillies concernaient les actions réalisées, les outils utilisés, la cadence de travail, le temps de cycle de travail, le nombre et la durée des opérations élémentaires au cours de chaque cycle de travail ainsi que les efforts exercés. Les efforts étaient considérés élevés lorsque des charges ou des pièces de plus de 1 kg étaient manipulées plus de dix fois par heure [11]. L’analyse de la posture des membres supérieurs a été réalisée à l’aide de la méthode RULA [12] qui permet l’évaluation de la position du coude (extension complète [entre 0 et 45°], flexion modérée [entre

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45 et 90°], flexion complète [supérieure à 90°]), de l’avantbras (neutre, pronation/supination supérieure à 30°) et du poignet (flexion supérieure à 45°, neutre, extension supérieure à 45°). Les types de préhension (en pince, à pleine paume), leur degré de précision et le travail statique (effort sans mouvement des doigts pendant la majeure partie du cycle de travail) de la main ont été analysés. 2.3. Analyses statistiques Les cas et les témoins étaient appariés individuellement pour les facteurs âge, sexe et entreprise. Les « odd ratio » OR (en français : rapport des cotes) appariés ont été calculés à l’aide de la méthode de McNemar pour estimer les associations entre le STR et les variables qualitatives. Les données quantitatives ont été étudiées à l’aide du test de Wilcoxon apparié. L’analyse multivariée a porté uniquement sur les variables qualitatives associées au STR avec une valeur de p inférieure à 0,20. Les associations entre le STR et ces facteurs de risque ont été étudiées par des régressions logistiques conditionnelles en utilisant la méthode pas à pas descendante. Les cas de STR associés avec un SCC ont été comparés avec les cas isolés à l’aide du test de Student ou des tests proportionnels. Les traitements statistiques ont été réalisés avec le logiciel SPSS 10.0 (SPSS Inc, Chicago, Illinois, États-Unis).

3. Résultats 3.1. Caractéristiques individuelles L’indice de masse corporelle (IMC) n’était pas significativement différent entre les cas opérés et les témoins (24,9 kg/m2 ± 4,9 vs 24,8 kg/m2 ± 3,0 ; p = 0,9). De même, l’obésité (IMC > 30) n’était pas associée avec le STR (14 vs 5 % ; p = 0,3). Il en était de même pour le tabagisme (p = 0,6). Aucune association n’a été trouvée entre le STR et les antécédents d’hystérectomie (p = 1,0), d’ovariectomie (p = 0,6), de ménopause (p = 0,6) ou de prise de contraceptifs oraux (p = 0,5). La parité des femmes atteintes de STR [1,7 ±1,5]

était comparable à celle des femmes témoins (1,9 ± 1,5 ; p = 0,5). 3.2. Activités extraprofessionnelles La durée hebdomadaire consacrée aux travaux domestiques était comparable pour les deux groupes (7,7 ± 6,1 heures vs 7,9 ± 2,9 heures ; p = 0,9). Réaliser plus d’une heure quotidienne de ménage n’était pas associé au STR (95 vs 85 % ; p = 0,3). De même, il n’y avait pas de différence concernant le bricolage (p = 0,7), le jardinage (p = 0,7), la pratique de la musique (p = 0,8) ou d’une activité sportive (p = 0,6). 3.3. Exposition professionnelle L’ancienneté dans l’entreprise était comparable pour les deux groupes (16,9 ± 6,6 ans vs 14,5 ± 8,7 ans ; p = 0,6). La durée quotidienne de travail était identique pour les cas opérés et les témoins (7,5 heures). Il en est de même pour le nombre et la durée des pauses. L’analyse statistique multivariée révèle trois facteurs de risque professionnels (Tableau 2). La réalisation d’effort de plus d’ 1 kg plus de dix fois par heure était fortement associée au STR [OR = 9,1 (95 % IC 1,4–56,9)]. En revanche, aucune variable décrivant la répétitivité du travail (temps de cycle inférieur à 30 secondes, monotonie) n’était significativement plus fréquente chez les cas. Le travail statique de la main, tel que pincer ou tenir fermement un objet ou un outil, est fortement associé au STR [OR = 5,9 (95 % IC 1,2–29,9)]. Travailler régulièrement avec le coude en extension complète est également associé avec le STR [OR = 4,9 (95 % IC 1,0–25,0)]. L’association entre le STR et la posture en pronation / supination forcée de l’avant-bras est importante mais à la limite du seuil de signification [OR = 4,4 (95 % IC 0,7–20,7)]. Le modèle statistique ne révèle pas d’autres postures du poignet ni mode de préhension spécifique. Aucune relation statistique n’a été mise en évidence entre le STR et les facteurs personnels étudiés, ni avec les activités extraprofessionnelles prises en considération. Les cas ont été comparés selon qu’ils étaient associés ou non à un SCC. L’âge et l’IMC étaient comparables pour les

Tableau 2 Facteurs de risque de STR dans le modèle logistique Facteurs a Exercice de force supérieur à 1 kg b Travail statique de la main c Extension du coude (0–45°) pendant le travail

Cas N 9 10 8

% 43 48 38

Témoins N 2 5 4

% 10 24 19

OR

95 % IC

9,0 5,9 4,9

1,4–56,9 1,2–29,9 1,0–25,0

(OR = Odd Ratio, 95 % IC = 95 % intervalle de confiance). Les variables suivantes ont été testées dans le modèle logistique : exercice de force supérieure à 1 kg plus de dix fois par heure, temps de cycle inférieur à 30 secondes, nombre de mouvements par cycle de travail inférieur à quatre, durée de l’opération élémentaire la plus courte inférieure ou égale à dix secondes, travail statique de la main survenant pendant la majorité du cycle de travail, pronosupination de l’avant-bras supérieure à 30°, extension complète du coude (entre 0 et 45°), tâche nécessitant des mouvements précis pendant la majorité du cycle de travail, absence de changement de poste de travail a : Facteurs dichotomiques, la référence est l’alternative ; b : force supérieure à 1 kg plus de 10 fois par heure ; c : travail statique de la main pendant la majorité du cycle de travail. NB : Odd Ratio = rapport des cotes en français comme pour les bookmakers. L’intervalle de confiance correspond aux bornes supérieures et inférieures de l’estimation de l’OR.

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deux sous-groupes, de même que les antécédents médicaux ou les activités extraprofessionnelles. L’ancienneté au poste de travail était moindre pour les cas de STR associé au SCC (4,1 ± 4,9 ans vs 11,5 ± 5,9 ans ; p < 0,01). Aucune différence n’a été observée concernant les caractéristiques ergonomiques des postes de travail (répétitivité, force). Cependant, les postures de travail avec le coude en extension complète étaient moins fréquentes en cas d’association avec le SCC (55 vs 92 % ; p = 0,06). 4. Discussion Comme pour de nombreuses études [3,4,7,9,10,13], la faible prévalence du STR n’a permis d’inclure qu’un faible nombre de cas, d’autant que les critères d’inclusion étaient très stricts pour éviter les erreurs de classification avec l’épicondylite latérale. Tous les cas de STR ont été opérés par la même équipe de chirurgiens spécialisés, ce qui a permis une meilleure cohérence technique et de la description des lésions anatomiques. L’exploration électrophysiologique a permis d’éliminer les autres sites de compression du nerf radial [7,8,14]. Bien qu’il s’agisse d’une technique difficile [4,13,14], cela n’a pas entraîné l’exclusion de nombreux cas potentiels, les sujets ayant eu une libération du nerf radial avaient une exploration électrophysiologique positive avant l’intervention [7]. Bien que les sujets témoins n’aient pas bénéficié d’examen électrophysiologique, les erreurs de classification entre les cas opérés et les témoins sont probablement faibles car les médecins du travail remplissaient leurs dossiers médicaux de manière identique. Du fait de l’ancienneté importante des cas et des témoins à leur poste de travail, il n’y a probablement pas eu de biais important en ce qui concerne la mesure de l’exposition. La quasi-totalité des salariés atteints de STR ont repris leur travail au même poste de travail après l’intervention chirurgicale bien qu’il s’agissait de cas sévères. Cela ne s’explique pas seulement par l’efficacité des interventions chirurgicales mais aussi par l’impossibilité de trouver des postes moins contraignants dans les entreprises. De plus l’important recul après l’intervention (plus de cinq ans) permet de valider l’absence de récidive de STR après libération chirurgicale. Le modèle de risque du STR mis en évidence est un modèle multifactoriel à trois facteurs liés aux conditions de travail. Le principal facteur de risque biomécanique était l’exercice régulier de force de préhension importante. Du fait de la durée des cycles de travail et du nombre d’opérations par cycle de travail, la fréquence des préhensions peut être estimée à au moins quatre par minute. Le seuil choisi était relativement bas, 1 kg, car un faible nombre de salariés exerçaient des forces supérieures à 4 kg et même 2 kg. Cependant, un effort de 1 kg peut être considéré comme significatif car la plupart des opérations nécessitaient des mouvements précis et des prises en pince plutôt que des prises à pleine paume [15]. L’excès de risque de STR associé aux préhensions en force est concordant avec de nombreuses études rapportant des cas de STR chez des travailleurs de

Fig. 1. Vue latérale de l’avant-bras d’après O. Jacob in traité d’anatomie topographique — L. Testut et O. Jacob — Paris G. Doin Ed. 1922. Noter la variation de tension du nerf radial entre Supination (S) et Pronation (P) dans son passage entre les deux chefs du muscle supinateur.

force [5,9,11,16]. L’association entre le travail statique prédominant de la main, telle que lors du maintien en place d’une pièce ou d’un outil, et le STR est en accord avec les données de la littérature ergonomique [1]. La posture de travail avec le bras en extension (entre 0 et 45°) est clairement identifiée comme un facteur de risque de STR, en particulier quand s’y associent une pronation et supination de l’avant-bras. Ce résultat est en accord avec les études cliniques qui montrent l’apparition de STR chez des travailleurs manuels effectuant des tâches nécessitant des mouvements répétitifs de pronosupination et de flexion / extension du coude [3,7,9,10]. Il corrobore également les études anatomiques (Fig. 1) qui montrent l’existence d’un conflit dynamique entre le nerf radial et le site de compression lorsque le coude est étendu et l’avant-bras en supination complète [5,9]. La branche profonde du nerf radial oscille devant la tête radiale lors des torsions de l’avant-bras alors qu’il est étiré lors des mouvements de flexion / extension du coude [7]. Le muscle supinateur joue un rôle majeur dans la compression du nerf car l’espace disponible pour le nerf radial entre ses deux chefs varie avec les mouvements de pronosupination, quel que soit le site de compression [5,7]. C’est pourquoi, la pression exercée sur le nerf varie avec la posture du membre supérieur et les forces exercées par la main [17]. Aucune association n’est trouvée entre le STR et la répétitivité de la tâche car tous les salariés sont soumis à des tâches hautement répétitives dans les trois entreprises. Toomingas et al. [18] ont rapporté une relation entre le STR et un niveau élevé de stress professionnel. Des facteurs psychologiques ont pu intervenir dans notre étude mais ils ne peuvent pas être quantifiés du fait de l’évaluation rétrospective de l’exposition.

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En accord avec des études antérieures, le STR était souvent associé à un SCC [4] ou une épicondylite latérale [5,9]. Ces cas n’ont pas été exclus pour ne pas diminuer la puissance statistique de l’étude cas-témoins. Cependant, il existait peu de différence entre les cas de STR avec et sans SCC. La plus faible ancienneté dans le poste de travail peut s’expliquer par de plus longues périodes d’arrêt de travail. En effet, ces patients ont fréquemment subi au moins deux interventions chirurgicales. L’exposition était comparable pour les deux sous-groupes, excepté l’extension complète du coude. L’extension complète du coude étant moins fréquente en cas d’association entre le STR et le SCC, il est possible que l’étude ait sous-estimé la relation entre le STR et l’extension du coude lors du travail. 5. Conclusion

[3] [4] [5] [6] [7]

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[9] [10]

L’étude montre que le travail manuel intensif, en particulier lorsqu’il nécessite des mouvements en force et répétitifs de pronosupination de l’avant-bras avec le coude en extension augmente considérablement le risque de survenue de STR. La prévention doit porter sur l’aménagement ergonomique des postes de travail pour réduire l’intensité et la répétitivité des efforts et les postures contraignantes.

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Remerciements

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Cette étude a bénéficié d’un financement du ministère de la recherche et de la technologie (92-D-094).

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Références

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Hagberg M, Silverstein B, Wells R, Smith R, Hendrick HW, Carayon P, Perusse M. In: Kuorinka I, Forcier L, editors. Work related musculoskeletal disorders (WMSDs) A reference book for prevention. London: Taylor & Francis; 1995. Capener N. The vulnerability of the posterior interosseous nerve of the forearm. A case report and an anatomical study. J Bone Joint Surg 1966;48B:770–83.

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