Formation, pratiques et attentes des médecins du travail vis-à-vis des risques psychosociaux

Formation, pratiques et attentes des médecins du travail vis-à-vis des risques psychosociaux

Texte des experts – pre´vention des risques psychologiques et actions sur les organisations du travail Professional training, practices and expectati...

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Texte des experts – pre´vention des risques psychologiques et actions sur les organisations du travail Professional training, practices and expectations of occupational health practitioners: Psychosocial risks at work M. Niezboralaa*, D. Chouanie`reb, C. De Clavie`rec a Porte´o, 5, rue Gironis, 31320 Castanet-Tolosan, France b IST, 1005 Lausanne, Suisse c

Formation, pratiques et attentes des me´decins du travail vis-a`-vis des risques psychosociaux

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

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AFSSET, 94700 Maisons-Alfort, France

e the`me des risques psychosociaux (RPS) a de´ja` e´te´ aborde´ lors de Journe´es nationales pre´ce´dentes, mais dans la perspective d’une meilleure compre´hension de leur nature et des facteurs les favorisant. Apre`s cette phase d’acquisition de connaissances, il faut maintenant re´fle´chir a` la fac¸on dont nous pouvons agir sur ces risques. En effet, ce sujet est de plus en plus pre´sent dans nos consultations, et ce, quelles que soient les entreprises. Nous devons donc eˆtre en capacite´ de repe´rer ces risques, d’alerter puis de conseiller sur la fac¸on de les analyser et de les traiter. Pour alimenter la re´flexion, nous avons souhaite´ interroger les me´decins du travail sur leur expe´rience de la prise en compte pratique des RPS. Pour cela, nous nous sommes appuye´s sur une enqueˆte par questionnaire aupre`s de me´decins volontaires sollicite´s par diffusion dans les re´seaux des auteurs. Au moment de la re´daction de ce texte, 384 me´decins avaient re´pondu. Notre e´chantillon e´tait diversifie´ tant du point de vue des caracte´ristiques sociode´mographiques des re´pondants (genre, aˆge, anciennete´, voie de formation) que de leurs conditions d’exercice (re´gion, type de service de sante´ au travail, nombre de salarie´s et d’entreprises pris en charge, principaux secteurs d’activite´ et risques professionnels couverts). La premie`re image que donne cette e´tude est celle d’une profession mobilise´e. Plusieurs re´sultats nous l’indiquent :  la plupart des me´decins (79 %) se sont forme´s aux RPS apre`s le de´but de leur exercice ; alors qu’ils sont peu (36 %) a` l’avoir e´te´ dans leur cursus initial. Depuis dix ans, la formation * Auteur correspondant. e-mail : [email protected]

initiale aux RPS tend a` se ge´ne´raliser et a` se diversifier. Pour la formation continue, le choix des me´decins s’est porte´ vers les techniques de gestion du stress (47 %), la physiologie du stress (39 %), la psychodynamique ou la clinique me´dicale du travail (37 %), l’ergonomie (34 %) et la psychologie du travail (33 %). Notons que des confre`res ont signale´ l’inte´reˆt pour leur pratique de formations a` l’e´coute, a` la me´diation ou a` la communication e´crite ou verbale ;  les me´decins ont tre`s majoritairement fait e´voluer leurs pratiques depuis le de´but de leur exercice qu’il s’agisse de la prise en charge individuelle des salarie´s (91 %) ou de la prise en charge collective des RPS (86 %). Ce the`me est aborde´ syste´matiquement lors des visites me´dicales par 60 % des re´pondants et presque tous les me´decins (95 %) ont alerte´ au moins une entreprise sur les RPS dans les deux anne´es qui ont pre´ce´de´ notre e´tude ;  enfin, plus de deux tiers des me´decins ont exprime´ des attentes pour ame´liorer leur pratique de pre´vention. Un deuxie`me constat fort est la place donne´e au ve´cu du travail dans la prise en compte des RPS. La quasi-totalite´ (98 %) des me´decins abordent le sujet lors des visites me´dicales en interrogeant les salarie´s sur leur ve´cu. Ils sont aussi 65 % a` rechercher des symptoˆmes de la sphe`re neuropsychique et 54 %, des signes de somatisation. Il faut mesurer l’importance de ce constat eu e´gard a` notre cursus initial de me´decin qui nous a pre´pare´ a` rechercher des symptoˆmes. Cette e´volution qui fait consensus interroge la pratique : comment aborder le ve´cu ? Quels e´le´ments positifs ou ne´gatifs faut-il rechercher ? Comment syste´matiser le recueil pour pouvoir en faire une exploitation collective ?

1775-8785X/$ - see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.admp.2010.03.060 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010;71:280-282

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Cette enqueˆte met aussi en e´vidence les atouts du me´decin du travail pour agir sur ces risques :  il accompagne l’entreprise dans la dure´e. C’est ainsi que 77 % des re´pondants de´clarent se servir de leur connaissance de l’entreprise lie´e a` leur anciennete´ pour faire le lien entre la souffrance exprime´e et le travail ;  il peut articuler l’individuel (avec la garantie du secret me´dical) et le collectif. Pour authentifier que la souffrance exprime´e par un salarie´ est en rapport avec le travail, 89 % des me´decins cherchent si d’autres salarie´s tiennent le meˆme discours dans l’entreprise. Quand ils pensent qu’un salarie´ souffre a` cause du travail, deux-tiers des me´decins cherchent si le proble`me est collectif ;  il peut articuler l’activite´ clinique avec l’action en milieu de travail. Pour confirmer qu’un mal-eˆtre pourrait eˆtre duˆ au travail, 40 % des me´decins vont re´aliser une analyse de l’activite´ du salarie´. Pour alerter l’entreprise suite a` des constats nourris par l’activite´ clinique, le me´decin se sert tre`s souvent de l’action en milieu de travail en re´alisant notamment la fiche d’entreprise. Ces trois points fondent une intervention originale (mais jamais explicite´e) et a` ce titre, ils sont au cœur du de´bat qui nous re´unit. Par exemple, la fiche d’entreprise qui est tre`s souvent utilise´e pour alerter les PME est-elle adapte´e a` cet usage ? Si non, comment ame´liorer cet outil ? Le dossier me´dical individuel est un autre exemple. Pre`s de deux tiers des me´decins conside`rent qu’il n’est pas adapte´ pour faire un bilan collectif sur les RPS. Les raisons qu’ils donnent sont multiples : pas de dossier informatise´, manque de temps pour syste´matiser le recueil, pas de the´saurus cadrant le recueil du ve´cu du travail et des petits signes pre´coces, requeˆtes informatiques complexes. L’originalite´ de la pratique des me´decins a une autre conse´quence : ils ne peuvent compter que sur euxmeˆmes pour l’organiser. Ils en ont conscience car ils sont nombreux a` de´sirer pouvoir constituer des groupes d’e´changes de pratiques. Ce constat interroge enfin l’avenir : la crise de´mographique me´dicale va-t-elle distendre les liens entre le me´decin et les entreprises plus nombreuses dont il aura la charge ? La re´ponse a` cette question renvoie au de´bat sur la pluridisciplinarite´, son organisation et le positionnement du me´decin dans l’e´quipe des pre´venteurs. Une difficulte´ pour les me´decins, soumis au secret, est la ne´cessite´ de communiquer dans l’entreprise. Quand un salarie´ souffre a` cause de son travail, en parler avec un membre de la hie´rarchie (avec l’accord du salarie´) est une priorite´ pour 44 % des me´decins. Pour alerter sur les RPS, 80 % des me´decins prennent rendez-vous avec un responsable de l’entreprise et 53 % des me´decins en parlent au CHSCT. Comment eˆtre efficace dans sa communication tout en restant e´thique ? Cela passera ine´vitablement par une re´flexion sur les pratiques. En effet, moins d’un quart des me´decins ont le sentiment que la conduite a` tenir dans la prise en charge individuelle des RPS leur paraıˆt plus claire en 2009 qu’au de´but de leur exercice et moins d’un tiers pour leur prise en charge collective.

L’image de la pluridisciplinarite´ renvoye´e par cette enqueˆte est mitige´e. L’attente exprime´e par les me´decins dans ce domaine est forte. Parmi les souhaits fre´quents figure l’existence d’une consultation « souffrance au travail » de proximite´ et accessible dans des de´lais raisonnables et/ou d’un re´seau local de soignants forme´s a` la relation sante´-travail et disponibles. L’inte´reˆt des assistantes sociales est souligne´ par certains. Pour la prise en charge collective des RPS, les me´decins aimeraient travailler en priorite´ avec des psychologues du travail et des ergonomes. Presque deux tiers des me´decins disent ne pas avoir eu le temps et/ou les compe´tences pour aider les entreprises a` traiter leurs proble`mes de RPS. Mais 61 % de ceux-la` de´clarent que ces ressources n’existent pas dans leur service de sante´ au travail ; et quand elles existent, 43 % des me´decins y ont recours rarement ou jamais. Dans une autre question, moins de la moitie´ des me´decins de´clarent travailler en pluridisciplinarite´ pour la prise en charge collective des RPS. La pluridisciplinarite´ paraıˆt donc une ne´cessite´ aux me´decins ; mais elle est loin d’eˆtre ge´ne´ralise´e et de nombreuses questions se posent encore. Elles concernent les effectifs et les compe´tences des IPRP mais aussi la constitution des e´quipes avec un besoin de confiance re´ciproque et de de´finition claire des roˆles de chacun. Parmi les trois facteurs justifiant le plus souvent d’alerter l’entreprise figurent logiquement les constats faits au cabinet me´dical : augmentation des plaintes (cite´e dans 90 % des cas) ou au moins un cas ave´re´ de souffrance ou de harce`lement (75 %). Deux autres facteurs sont fre´quemment cite´s et doivent donc retenir notre attention. Ce sont des changements (45 %) ou des conflits dans l’entreprise (38 %). Les modalite´s les plus fre´quentes de de´clenchement de l’alerte ont e´te´ la prise de rendez-vous avec un responsable, la re´alisation de la fiche d’entreprise et l’abord de la question en CHSCT. Il faut noter que, pour alerter, les me´decins se sont rarement adresse´s a` l’inspection du travail ou a` la CRAM. C’est ensuite, sur ce qu’il faut proposer a` l’entreprise que les avis des me´decins sont les moins convergents. Cela de´note qu’il faut clarifier les me´thodologies d’intervention possibles et analyser leurs avantages et inconve´nients. Les me´decins sont nombreux a` souhaiter connaıˆtre les diffe´rents spe´cialistes locaux des RPS et que ceux-ci leur pre´cisent leurs modes d’intervention. Au final et meˆme si la re´action des responsables la plus cite´e a e´te´ d’e´couter poliment et de ne rien faire ensuite (59 %), les me´decins disent qu’ils ont e´te´ entendus dans certaines de leurs interventions (39 %) et ou que l’alerte a bien e´te´ prise en compte mais avec une me´thode diffe´rente de celle propose´e (45 %). La moitie´ des me´decins estiment que leurs alertes ont permis d’ame´liorer la situation assez souvent ou tre`s souvent. Cela n’exclut pas que certains employeurs puissent re´agir ne´gativement en niant le proble`me (31 %), en faisant des reproches au me´decin (16 %), en se sentant attaque´ personnellement (13 %), voire en menac¸ant deux confre`res de service autonome de licenciement. Ces comportements de´notent chez ces responsables une me´connaissance

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persistante du roˆle du me´decin du travail et particulie`rement dans le domaine de la pre´vention collective. Cet aspect de la question ne devrait pas eˆtre oublie´ lorsqu’on essaie de sensibiliser les entreprises aux RPS. Deux tiers des me´decins ont e´te´ spontane´ment sollicite´s par une entreprise au moins une fois. Parmi les trois facteurs de´clenchant les plus fre´quents figurent :  des demandes exte´rieures au dirigeant local : repre´sentants du personnel ou CHSCT (56 %), haute direction d’un groupe (23 %), inspection du travail ou CRAM (10 %) ;  des situations particulie`res, augmentation des proble`mes relationnels (33 %), perspective de restructuration (28 %) ou e´ve`nement traumatisant survenu dans l’entreprise (26 %). Les entreprises attendaient avant tout du me´decin des conseils, des informations (62 %), qu’il de´piste les salarie´s en souffrance (50 %) et qu’il recueille des indicateurs collectifs (37 %). Au final, ces de´marches ont de´bouche´ peu souvent sur des modifications de l’organisation (cite´es par 11 % des me´decins), des me´thodes de travail (6 %) ou une ame´lioration de l’organisation favorisant l’entraide (8 %) et plus souvent sur une ame´lioration de la communication (35 %), des consignes ou une formation pour les managers (29 %) et une reconnaissance des RPS comme risque a` part entie`re (29 %), voire sur rien ou presque (26 %). Les entreprises mettent relativement peu souvent en place des actions de pre´vention des RPS sans consulter le me´decin du travail puisque cela n’est arrive´ qu’a` 38 % des me´decins (au moins une fois dans les deux anne´es pre´ce´dant l’enqueˆte). Dans ce cas, il s’agissait en ge´ne´ral d’actions de pre´vention collective. La grande majorite´ des me´decins (74 %) estiment que les pratiques des entreprises en matie`re de RPS ont change´ depuis le de´but de leur exercice. Ils de´clarent qu’il est plus facile de leur parler de ce risque (69 %), qu’elles sont plus conscientes du risque juridique lie´ aux RPS (63 %), qu’elles sont plus demandeuses de conseil sur le sujet (43 %) et qu’elles admettent plus facilement la dimension collective du risque (41 %).

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L’ensemble de ces re´sultats renvoie l’image d’entreprises ayant pris conscience, pour une bonne part d’entre elles, de l’impossibilite´ de continuer a` esquiver la question. Outre le risque juridique encouru, des e´ve`nements venant perturber leur bonne marche (conflit, restructuration, e´ve`nement traumatisant) les poussent a` agir. Le me´decin du travail apparaıˆt comme un conseiller difficile a` contourner, surtout si les repre´sentants du personnel le demandent. En revanche, si elles semblent preˆtes a` faire de la formation et de la communication, la question de l’organisation du travail reste un sujet difficile a` aborder. Face a` ce constat, les attentes fortes exprime´es par les me´decins sont que les futurs managers soient forme´s a` ce risque dans leurs cursus initial, que les entreprises soient sensibilise´es par les pouvoirs public, la presse ou les services de sante´ au travail. Ils demandent a` eˆtre e´quipe´s d’outils de communication. Ils soulignent la difficulte´ particulie`re d’agir dans les TPE compte tenu de leur nombre et de leurs spe´cificite´s et ils pensent que des me´thodes et des outils spe´cifiques doivent eˆtre de´veloppe´s pour convaincre les entreprises d’associer les e´quipes de sante´ au travail aux de´marches de diagnostic des RPS et d’e´laboration des plans d’action. Si cette enqueˆte apporte des donne´es inte´ressantes sur l’e´volution des pratiques des me´decins du travail et des entreprises vis-a`-vis des RPS, il faut ne´anmoins conside´rer les chiffres avec prudence car les me´decins du travail qui ont re´pondu sont probablement inte´resse´s, forme´s et suˆrement plus engage´s sur cette the´matique que l’ensemble des me´decins du travail. Malgre´ ce biais de se´lection, les tendances observe´es sont loin d’eˆtre optimales comme par exemple le taux de formation initiale, les difficulte´s d’une action dans l’entreprise vis-a`-vis d’une souffrance individuelle lie´e au travail, le manque de ressources et/ou le manque de recours a` celles-ci de la part des me´decins pour la prise en charge collective des RPS, la faible prise en compte, le de´ni, voire des reproches ou des attaques par les managers d’une alerte donne´e par les me´decins ou encore la mise en place d’actions de pre´vention des RPS dans l’entreprise sans consultation des me´decins.