Handicap social des formes précoces de sclérose en plaques

Handicap social des formes précoces de sclérose en plaques

R e v u e NeuRol o g i q ue 165 (2009) S167-S172 Handicap social des formes précoces de sclérose en plaques Social handicap at the onset of the multi...

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R e v u e NeuRol o g i q ue 165 (2009) S167-S172

Handicap social des formes précoces de sclérose en plaques Social handicap at the onset of the multiple sclerosis A. Créangea, P. Labaugeb aService

de Neurologie, CHU Albert Chenevier/Henri Mondor, AP-HP, Université Paris XII et Réseau SINDEFI-SEP, Créteil, France de la Sclérose en Plaques. CHU Caremeau. CHU de Nîmes. 30029 Nîmes cedex.

bClinique

RéSuMé Mots clés : Sclérose en plaques Handicap Socio-professionnel Key words: Social handicap Early phase of multiple sclerosis

La sclérose en plaques (SEP) est la maladie source cause de handicap du sujet jeune la plus fréquente dans les pays industrialisés. En raison de l’âge jeune des patients, du caractère chronique et récidivant, des atteintes multifocales, de l’évolution vers une forme progressive dans la moitié des cas, la SEP a des conséquences individuelles, familiales et socioprofessionnelles sources d’un handicap social fréquent, y compris au début de la maladie. A la phase précoce, le handicap est essentiellement social avec perte de revenus et perte d’emploi dans la moitié des cas, incidence familiale majeure, avec une fréquence estimée de divorce ou séparation de 10 %, et une nécessité d’aides quotidiennes dans 12 % des cas. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

ABSTRACT Multiple sclerosis is the most frequent cause of handicap in young adults. Because of the young age of patients, the chronic relapsing course, the multifocal consequences of lesions, and the frequent progressive chronic course, multiple sclerosis has multiple consequences including individuals, familial, social and professional, that induces, in the early stage, a wide social handicap overflowing consequences of the neurological deficit. Since the onset of the disease, social events are very frequent: jobless and decrease of salaries (50% of the cases), divorce (10%), daily help (12%). © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1.

Introduction

Les aspects sociaux de la sclérose en plaques (SEP) ont été traités dans la conférence de consensus sur la sclérose en plaque en 2001 (Vermersch et Marissal, 2001). Ces aspects sont essentiellement traités sur le plan administratif, telles que la mise en affection

de longue durée, les arrêts de travail et les indemnités qui en dépendent, le reclassement professionnel, les aides financières et matérielles, les possibilités d’aménagement du domicile et les conséquences de la carte d’invalidité. Ces aspects concernent essentiellement les formes évoluées de la maladie. Les aspects plus directement liés au handicap social, selon la définition de l’organisation mondiale de la santé ne sont pas traités (2001).

* Correspondance. Adresses e-mail : [email protected] (A. Créange) ; [email protected] (P. Labauge). © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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2.

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Définition

La SEP dans sa forme précoce est-elle déjà responsable de handicap social ? Compte tenu de la notion sociétale du handicap, selon la terminologie de la classification internationale du handicap, on pourrait presque dire sans crainte que, s’il existe un handicap dans la forme précoce de SEP, celui-ci est d’abord social. Si les premières classifications du handicap ont défini plusieurs aspects à la maladie à savoir, le déficit, l’incapacité et enfin le handicap, un langage plus positif récent a fait modifier ces termes d’incapacité et de handicap en participation et désavantage. Cela regroupe les mêmes notions, à savoir que le déficit est ce que le médecin est capable de mesurer, la participation ce que le patient est capable de réaliser malgré son déficit, et le handicap /désavantage est une notion beaucoup plus générale voire sociétale du déficit et de l’incapacité. Ainsi, si l’on est capable de mesurer des déficits mineurs à un stade précoce de SEP qu’ils soient moteurs, sensitifs, visuels, cognitifs, ce sont des dimensions différentes qui auront des conséquences et un retentissement pour le malade dans sa vie quotidienne, tels que les problématiques familiales et socioprofessionnelles liées à la notion même de maladie. Les études concernant la qualité de vie dans les formes précoces de SEP font appel à différents types de questionnements concernant les difficultés au quotidien. Dans les formes précoces de la maladie, il est nécessaire d’apprécier les désavantages sociaux afin d’améliorer les services aux patients. Habituellement, le déficit neurologique aux formes précoces de la maladie est mineur voire inexistant. En effet, le diagnostic de SEP est dorénavant fait précocement, possible désormais après une seule poussée de la maladie. Il s’ensuit que le temps entre l’apparition de la maladie et la survenue d’un déficit neurologique définitif conséquent s’est accru ces dernières années. Pourtant, différentes problématiques, dont le retentissement est important, sont apparues parallèlement à cette amélioration de la rapidité du diagnostic. C’est pourquoi, des initiatives, dont celles concernant l’annonce du diagnostic, ont été prises en compte par les spécialistes de la SEP.

3.

Niveaux de handicap

Différents niveaux de handicap social peuvent être analysés. Chacun est susceptible d’interagir dans la vie quotidienne des patients : handicap social individuel, handicap social familial, handicap social sociétal. Au niveau individuel, le handicap social est lié au traumatisme que représente l’annonce d’une maladie relativement inconnue par le patient, associé à un inconscient culturel et de connaissances approximatives de la maladie particulièrement inquiétants. Les principaux points mis en avant par les patients atteints de SEP sont essentiellement la crainte de la dépendance et du fauteuil roulant. Les troubles moteurs sont donc les points les plus importants que craignent les patients. Au début de la maladie, lorsque le patient n’a aucun déficit moteur, son inconscient est chargé émotionnellement par la crainte d’être paralysé. La perte narcissique de la pleine santé est particulièrement douloureuse

pour des jeunes adultes à l’aube de projets professionnels et familiaux. C’est ainsi que l’annonce diagnostique est un point nécessairement capital à prendre en compte lors d’une consultation initiale. Cette annonce diagnostique ne doit pas être effectuée en 15 minutes, 30 minutes ou une consultation, mais elle doit s’étendre sur plusieurs consultations, au mieux associée à un soutien réalisée par une amélioration des connaissances de la maladie (éducation thérapeutique) et une prise en charge psychologique si nécessaire. L’annonce diagnostique passe ainsi par plusieurs phases de déni de la maladie, perte narcissique d’intégrité physique, de deuil, de récupération de projet de vie. Ces quatre phases peuvent prendre un temps variable et des retours en arrière sont possibles à l’occasion d’événements stressants, que ce soit une poussée de la maladie, une difficulté familiale ou professionnelle. Il importera donc de suivre au plus près ce cheminement psychique que représente l’annonce de la maladie. Le deuil initial peut avoir pour conséquence un syndrome dépressif important dont le retentissement aussi bien dans la vie familiale que professionnelle peut être marqué. La nécessité de l’appropriation du diagnostic de SEP par le malade est une étape importante et marque la fin du déni de la maladie. Le malade doit lors d’une des consultations initiales, dire le nom de la maladie et exposer ce qu’il en connaît. Cette phase est à l’opposé du déni. Le handicap se situe également au niveau familial. La SEP a un important retentissement familial avec le conjoint, les enfants, et l’entourage. La mauvaise connaissance de la maladie entraîne pour le patient des difficultés à communiquer au sein de son couple et de ses enfants. La crainte d’être mal compris, d’avoir des difficultés dans son couple, d’avoir des enfants atteints de la maladie et d’éprouver des difficultés à les élever provoquent des bouleversements familiaux parfois importants et rendent d’autant plus utile l’éducation thérapeutique et le soutien psychologique. Différents symptômes précoces, dont la fatigue, peuvent être source de conflits ou d’incompréhension, de réactions dépressives voire de difficultés de couple. Les conséquences sur la structure familiale des patients atteints de SEP dépendent essentiellement de la façon dont les membres de la famille s’occupent du patient. Les conséquences sont probablement moindres dès lors que les membres de la famille ne s’occupent pas plus de la personne malade que de leurs propres aspirations (Power, 1985). L’accès à une information appropriée, des discussions libres sur les traitements et sur le handicap permet une meilleure adaptation, que l’absence d’aide ou l’exemption pour le patient des responsabilités familiales et quotidiennes. Cette organisation permet de réduire les risques de retentissement sur les performances scolaires des enfants, le comportement d’un conjoint dans sa vie professionnelle ou familiale. Une mauvaise qualité de la perception de la maladie, l’incertitude de la situation, ont un retentissement négatif sur la qualité de vie de chacun des conjoints et participent à la qualité de vie de chacun d’eux (Wineman et al., 1993). Dans une étude récente, réalisée en Grande-Bretagne, où 41 % des patients étaient considérés comme ayant une forme légère de SEP, il s’est avéré que les patients se plaignaient essentiellement de fatigue, des difficultés sexuelles, des troubles sphinctériens et de spasmes douloureux musculaires. Les patients ont répondu avoir consulté au moins une fois leur médecin généraliste. Cependant, il est évident qu’ils n’ont pas utilisé l’ensemble des



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services offerts pour la prise en charge de leurs troubles. Il est conclu que, au moins en Grande-Bretagne, il importe de centrer sur le médecin généraliste l’information disponible quant à la possibilité d’offrir des services plus vastes. Il est intéressant de noter qu’en dehors des trois principaux problèmes cités, les difficultés intellectuelles étaient quasiment les moins citées avec 15 % de manifestations considérées sévères, 20 % de troubles modérés et 11 % de problèmes mineurs. Les douleurs, qui classiquement n’appartiennent pas à la symptomatologie de la SEP, étaient par contre fréquemment citées et correspondaient à l’atteinte la plus fréquente lorsqu’on y associait les spasmes douloureux musculaires et les autres sources de douleurs. Le travailleur social, dans les formes modérées n’était consulté que dans 1  % des cas, contre 12 % pour les formes sévères. Les psychologues n’étaient pas cités dans le questionnaire (Vazirinejad et al., 2008). Un élément pouvant suggérer un retentissement social de la maladie est l’importance, y compris dans les formes précoces de SEP, de l’utilisation de la médecine non conventionnelle. Les techniques sont extrêmement diverses (aromathérapie, réflexologie, naturothérapie, homéopathie, acupuncture, traitement au venin d’abeilles…) L’utilisation de la médecine non conventionnelle suggère peut être un retentissement social dès le début de la maladie mais peut être aussi liée à la fuite dans l’irrationnel et dans une recherche de thérapeutique préventive pour éviter la progression (Vermersch et Zéphir, 2008). Elles traduisent aussi les limites des approches conventionnelles que les neurologues peuvent proposer aux malades. L’incapacité qui résulte du déficit neurologique a des conséquences sociales non négligeables sur les patients. Ce retentissement peut être accéléré ou ralenti selon les capacités personnelles ou environnementales des patients. L’incapacité entraîne des limitations aussi bien dans l’emploi, que dans l’éducation, ou encore dans les relations interpersonnelles (Roessler et al., 2004). Le support social correspond à l’ensemble des interactions que peut avoir une personne. Ce support a plusieurs fonctions : d’une part il améliore le sentiment de bien-être des personnes, il contribue à un meilleur développement de la personnalité, enfin il diminue le risque de stress associé aux différents événements de la vie. Il participe et influence le comportement émotionnel (amour et affection), l’aide matérielle, et enfin les informations disponibles. Il provient de la famille, des amis ou de l’environnement et des aides sociales telles qu’ils sont considérés dans le langage commun (professionnels de santé, travailleurs sociaux). Dans un travail récent conduit auprès de 207 patients atteints de SEP portant sur des échelles de qualité de vie, il a pu être montré que le support social apporté par la famille, les amis et l’ensemble des acteurs sociaux interagissant avec le patient, permettait d’influencer significativement le sentiment de santé générale au-delà de l’incapacité neurologique (Krokavcova et al., 2008). Il peut être donc important, en particulier chez les patients isolés, de les intégrer dans différents groupes, y compris des groupes de paroles, dans lesquels l’échange permettra de participer au support social. Le sentiment de santé, et donc les conséquences sociales qui en résultent, sont également altérées chez les patients sans altération physique comme le démontre une étude réalisée chez les patients ayant des EDSS < 4 (Pugliatti et al., 2008). Dans cette étude, ni le cours de la maladie, ni sa durée n’étaient corrélés aux différentes composantes de l’échelle

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de qualité de vie SF36 (Pugliatti et al., 2008). Deux points sont particulièrement remarquables, les scores les plus bas, pour ces patients non handicapées sur le plan physique, étaient justement les scores de rôle physique et de fonctionnement physique (Pugliatti et al., 2008). Des travaux épidémiologiques ont montré qu’il existait une association entre la sévérité de la maladie et le taux de non emploi d’une part et de divorce ou de séparation familiale d’autre part. Le risque de divorce ou de séparation est aussi bien présent chez l’homme que chez la femme, et dans les deux cas, il est corrélé avec l’importance du déficit neurologique (six et 18 % chez l’homme et huit à 13 % chez la femme) (Hammond et al., 1996). Une autre étude a montré des résultats relativement similaires avec un taux de divorce de 7,1  % dans les formes rémittentes et de 16,1 % dans les formes progressives de SEP (Janssens, 2004 ; Morales-Gonzales et al., 2004). De plus, un bon environnement social, comme dans d’autres maladies neurologiques chroniques, telles que les maladies du motoneurone où la maladie de Huntington, améliore les relations intra-familiales entre le patient et son conjoint ou son aidant (O’Connor E et al., 2008). Au-delà des relations familiales, la SEP entraîne des retentissements sur le processus décisionnel conduisant les patientes à avoir des enfants. Les éléments qui participent à cette décision concernent la santé propre de la patiente, puis la santé de l’enfant, la possibilité d’élever son enfant, le regard que peut avoir la société vis-à-vis du choix d’avoir un enfant malgré le risque de handicap, l’expérience de la parentalité. Une étude a montré que les informations vis-à-vis de la possibilité de mener à bien une grossesse au cours de la SEP n’étaient pas suffisamment diffusées auprès des femmes (Prunty et al., 2008). Ces difficultés de choix que peut représenter la grossesse chez les patientes atteintes de SEP doivent être connues des professionnels de santé. Si l’annonce diagnostique est responsable d’un sentiment de vulnérabilité et de menace sur l’intégrité physique, sur le plan matériel, les arrêts de travail sont susceptibles d’entraîner une perte des revenus, une altération du statut social avec pour conséquence une perte d’estime de soi. Il a été montré que 70 % des patients atteints de SEP sont des femmes, la majorité vit en couple. Soixante quatre pour cent des patients en couple ont au moins une personne à charge alors que 28 % des personnes qui vivent seules ont des personnes à charge (réseaux Lorsep et RBN-SEP). Cette notion de personnes à charge prend toute sa signification sociale lorsqu’on analyse les difficultés économiques des patients. Les chiffres rapportés dans le Livre Blanc de la SEP, montrent que 31,3 % des patients actifs (ayant actuellement une activité professionnelle) ont subi une perte de revenu, et plus généralement, près d’une personne sur deux (46,3 %) a subi une perte de revenu suite à la maladie (RBN-SEP). Plus de la moitié des patients ayant subi une perte de revenu ont au moins une personne à charge.

4.

Répercussions professionnelles

Dans la littérature, le risque de perte d’emploi a été évalué à 46 % dans les formes rémittentes et de 85 % dans les formes progressives (Janssens, 2004 ; Morales-Gonzales et al., 2004). Tous niveaux de handicaps confondus, 63 % des patients en

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activité ont eu un arrêt de travail au cours de l’année précédant l’enquête pour une durée moyenne de 30 jours. Une majorité de patients signalait manquer d’informations concernant la possibilité de modifier leurs horaires de travail (réduction) ou de trouver une activité professionnelle plus adaptée compte tenu des contraintes posées par leur maladie (Brochet et al., 2006). Vingt à 30 % des patients souffrant de SEP conservent leur emploi. Dans plus d’un tiers des cas, un déclassement professionnel avec diminution des responsabilités est constaté (frein à l’évolution du malade dans l’entreprise avec moindre accès aux promotions ou à la formation professionnelle). Toutes les études concluent au fait que le maintien en milieu ordinaire de travail au besoin aménagé doit être privilégié dans la mesure du possible. Pour les aménagements et les aides financières, pour l’adaptation du poste, l’association de gestion du fond pour l’insertion professionnelle des handicapés (AGEFIPH) peut intervenir. Des organismes référencés par les Maisons départementales des personnes handicapées aident dans les recherches et le suivi dans l’entreprise pour les travailleurs handicapés. La loi de juillet 1987 obligent tous les employeurs occupant plus de 20 salariés soit à embaucher un travailleur handicapé à hauteur de 6 % de l’effectif, soit à donner du travail en ateliers protégés, soit à verser une contribution à l’AGEFIPH. En contrepartie, une prime est versée à l’employeur à la signature d’un contrat de travail. Les données issues des travaux de l’équipe de René Marteau mettent en évidence des facteurs de risque de cessation du travail et des éléments qui semblent favorables à la poursuite de l’activité professionnelle (Verdier-Taillefer et al. 1995). Les facteurs de risque d’arrêt du travail peuvent être divisés en facteurs liés à la maladie et facteurs liés à l’emploi. Les facteurs liés à la maladie sont : l’importance du handicap permanent (aucune déficience n’apparaît plus responsable qu’une autre dans l’arrêt définitif du travail), un syndrome dépressif. Les facteurs liés à l’emploi sont : le travail en atelier, à l’extérieur, exposé aux intempéries, en position debout, avec déplacements fréquents, un travail qui demande de la force physique, de la précision manuelle, des cadences rapides, une exigence de rendement, des horaires irréguliers. Les éléments semblant favorables à la poursuite de l’activité professionnelle peuvent eux aussi être divisés en facteurs concernant la maladie [les formes à poussées sont plus nombreuses que les formes progressives (87 % comparées à 13 %) ; si la progression fait suite aux poussées, les personnes déjà intégrées continuent à travailler avec un handicap plus élevé] et en facteurs liés à l’emploi [l’emploi est un travail de bureau, rendu moins pénible par différents aménagements (travail en position assise, limitation des déplacements, 30 % ont un aménagement d’horaire, 13 % un aménagement de poste, 3 % un reclassement professionnel). Six pour cent des patients ont un statut de travailleur handicapé]. (Tableau 1). Les motifs les plus fréquents d’arrêts de travail dus à la SEP sont la fatigue et la difficulté à rester debout. Une personne souffrant de SEP, déclarée travailleur handicapé a beaucoup plus de chance de rester intégrée plus longtemps si elle reste dans son ancienne entreprise. Si elle se présente en recherche d’emploi à l’ANPE, après ou sans reclassement professionnel, elle a 5 fois moins de chance de se réinsérer.

5.

Coûts directs et indirects

À cette perte de niveau social, doit être ajouté le coût direct, notamment celui des traitements. On estime que plus de la moitié des malades vont avoir un traitement au long cours. Selon une étude rétrospective, sur 6151 patients ayant une SEP RR, 14.8 % d’entre eux bénéficiaient d’un traitement par interféron bêta (Kazaz et al., 2003). Le coût de ces traitements par Interféron représente 75, 6 % des dépenses (10 429 euros par malade en moyenne), à comparer à 1228 euros pour les indemnités journalières (forme rémittente, en relation avec les poussées) et 1685 euros pour l’invalidité (dans les formes évoluées). Ces derniers coûts sont multipliés par 10 pour les patients handicapés par rapport aux patients autonomes. À ces coûts directs, le plus souvent pris en charge en totalité par l’assurance maladie, il existe des coûts indirects, dont la prise en charge et de ce fait les conséquences chez les sujets, sont très variables. Les coûts indirects tangibles (arrêts de travail, perte d’emploi, mises en invalidité, incapacité de travail aménagement du domicile et de la voiture…) constituent l’expression économique du désavantage social pour les malades et du coût social pour la nation, en rapport avec à la maladie. Celle-ci réduit la contribution de l’individu à l’effort productif avec un impact budgétaire, des modifications d’activité de la personne atteinte mais aussi de son entourage. Les soins pris en charge par la famille sont appelés soins informels. Les coûts indirects intangibles rassemblent les coûts psychologiques inhérents à la survenue d’une maladie et supportés par le patient et son entourage. Il s’agit du coût psychologique lié à la fatigue, aux douleurs, aux troubles sphinctériens, reflet d’une qualité de vie très altérée dans la SEP mais difficilement mesurables. Cette dimension n’est étudiée que depuis les travaux du Canadian Burden of Illness Group et de l’interféron bêta MS Study Group (1995). Avant les interférons, ces coûts indirects représentaient 2/3 des dépenses. En Suède, en 1994, la SEP était à l’origine d’un coût annuel de 1736,4 millions de couronnes suédoises, notamment du fait des coûts liés aux sorties prématurées du marché du travail (68,2 % dans l’étude de Jönnson 1994). L’étude réalisée par la Stockolm School of Economics (Henriksson et Jonsson 1998) comparant les dépenses de 1991 et 1994 montre un accroissement de 14.8 % des dépenses sur

Tableau 1 – Conséquences socio-professionnelles dès la phase précoce de la SEP Social and professional consequences of the Multiple Sclerosis at the onset of the disease. Fréquence de perte d’emploi :

46 %

Fréquence d’arrêts de travail :

63 %

Aménagement des postes de travail :

horaire aménagés :

30 %



poste aménagés :

13 %



reclassement professionnel :

Recours à une aide ménagère : Coût moyen des aides informelles :

3 % 13 % 271,10 euros/mois

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ces 3 années du à une hausse de 26 % des arrêts de travail et mises en invalidité, les coûts indirects représentant 66,6 % du coût total en 1991 et 68,2 % en 1994. En Angleterre et en Ecosse, toujours avant les traitements immunomodulateurs, le coût annuel de la maladie était de 250,12 millions de livres pour les coûts indirects, soit 83,9 % du coût total évalué à 298,21 millions de livres (Blumhardt et al., 2000). En revanche, en 2002, la part des coûts indirects a diminué mais représentent encore plus de 42,5 % du total, dont 12,1 % pour les soins informels (soins et aides apportés par l’entourage, dont la charge se fait au détriment d’autres activités professionnelles ou de loisirs) pour Miltenburger et Kobelt (2002). Le poids des soins informels dans cette étude internationale variait néanmoins d’un pays à l’autre : 5 % en Suède, 12 % en Allemagne, 26 % en GB. Les coûts indirects sont les plus élevés dans l’étude canadienne de Grima et al (2000), sans doute parce qu’elle intègre les soins informels, alors qu’ils sont les plus bas dans le travail du Canadian Burden of Illness (1999) qui ne les prenait pas en compte.

6.

La vie quotidienne

Très peu d’études ont été réalisées, montrant là encore l’impact très fort du niveau de handicap mesuré par le score EDSS. En effet, 97,8 % des patients à EDSS compris entre 3,5 et 5,5, habitent leur propre domicile, alors qu’ils ne sont plus que 81,5 % avec EDSS supérieur ou égal à 6. Les aides à domicile sont également proportionnelles au score EDSS ; 12,5 % des patients à EDSS inférieur ou égal à 3 déclarent avoir besoin d’une aide dans la réalisation des actes de la vie quotidienne, contre 30,4 % si l’EDSS est compris entre 3,5 et 5,5 et 64,6 % des patients à EDSS supérieur à 5,5. Concernant l’aménagement du véhicule automobile, la stratification est identique. Pour les aides à domicile, la maladie génère non seulement des éventuelles réductions de l’activité professionnelle des proches, dans l’objectif de subvenir aux besoins ou aux déplacements des patients mais aussi par des modifications dans la location du temps des proches au détriment des activités de loisir. La description prospective durant une semaine de l’activité de l’aidant principal défini comme la personne de l’entourage aidant le plus le patient, montre l’ampleur du temps passé par ce dernier, 3 h en moyenne pour le groupe I (EDSS inférieur ou égal à 3), 18,2 h pour le groupe II (EDSS compris entre 3,5 et 5,5) et 18,9 h pour le groupe III (EDSS supérieur ou égal à 6). Chez des patients dont la SEP évolue depuis moins de 3 ans, 13 % des patients ont recours à une aide ménagère (salariée) et 51 % à une aide informelle pour les actes de la vie quotidienne du fait de la maladie (Grimaud, 2004). Le coût médian des soins informels et des aides informelles était estimé à 271,10 euros /mois pour les seuls patients qui en avaient bénéficié, avec des extrêmes allant de 16,15 à 1.938,00 Euros /mois/patient. Il participait pour 28 % au coût (médiane) de la sclérose en plaques. Le nombre d’heures d’aide informelle n’était pas corrélé au niveau de handicap. Par contre, il était en moyenne de 4,4 heures hebdomadaires pour les femmes contre 1,2 heure hebdomadaire pour les hommes. L’objectif d’une prise en charge complète est le bien-être du patient, notion par définition individuelle et donc subjective. Il a

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été montré que ce bien-être subjectif était amélioré également par les supports sociaux et l’anosognosie du déficit, alors que les troubles neuropsychologiques étaient associés à une moins bonne qualité de vie (Ryan et al., 2007). Plusieurs déterminants participent et sont associés au rôle social des patients atteints de SEP depuis moins de trois ans. Dans une étude de cohorte menée chez 156 patients récemment diagnostiqués, il a pu être montré que la vitalité, les supports sociaux ressentis comme disponibles par le patient et la charge lésionnelle en T2 étaient associés à un meilleur rôle social dans les deux ou trois ans. La vitalité, dans l’échelle SF 36, correspond pour une analyse dans la vie courante, à un manque d’énergie susceptible de conduire à des difficultés sociales, telles que les activités sportives ou de loisirs, et des difficultés pour travailler une journée entière. Si la vitalité pose la question du sentiment de fatigue ou d’énergie, les échelles de fatigue ne posent la question de la fatigue que dans ses conséquences sur le fonctionnement quotidien. Il s’agit d’une différence d’importance lorsqu’on s’adresse au ressenti et aux conséquences du ressenti de la vitalité dans la fonction sociale (de Groot et al., 2008). S’il est utile d’augmenter l’énergie et la vitalité, en particulier par des techniques d’entraînement physique, il importe donc également d’améliorer le sentiment de lien social, telles que peuvent les favoriser les approches multidisciplinaires de proximité et de réadaptation proposées par les réseaux de santé (Patti et al., 2002 ; Pozzilli et al., 2002). À ce titre, il importe également de traiter et de prendre en charge le statut thymique des aidants qui a un retentissement significatif sur le patient (Pozzilli et al., 2004). Même à un stade précoce de la maladie, les besoins perçus par les patients restent importants. La majorité des patients ont besoin de soutien psychosocial, de conseil social, au moins à certains moments. L’amélioration de la perception des besoins ressentis par le patient participe à une meilleure qualité de sa prise en charge (Ytterberg et al., 2008). Au-delà de la seule qualité de vie, les difficultés sociales et l’anxiété qui en résultent sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’histoire naturelle de la maladie. Les patients les plus anxieux sont ceux qui vont rapporter le plus d’événements stressants dans leur vie. Or, il est possible que la survenue d’événements stressant, tels qu’ils peuvent être considérés par le patient, soit associée à une plus grande fréquence des poussées de la maladie comme cela a pu être montré pour les infections (Potagas et al., 2008). La situation sociale de la SEP n’est-elle pas au mieux représentée dans la filmographie ? Entre 1941 et 2006 la SEP est apparue dans le thème de 23 films. Les troubles neurologiques représentés dans ces films (ataxie, paralysie, troubles de la vision, fatigue) correspondent grossièrement aux manifestations retrouvées dans la réalité. Il a pu être noté que la thématique et la représentation de la maladie avaient évolué en parallèle à l’amélioration thérapeutique, progressant d’une vision désastreuse de la maladie vers une représentation moderne de la prise en charge et d’histoires de stratégie de faire face (coping) de la maladie (Karenberg, 2008). Dans l’objectif de cette intégration sociale de la représentation de la maladie, des personnes connues du milieu audiovisuel, n’ont pas hésité à exposer leur diagnostic, véritable coming-out. Ainsi, non seulement les traitements ont progressé, mais la

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place du patient atteint de SEP dans la société est probablement en bonne voie d’amélioration. En conclusion, ces données mettent en évidence dès la phase initiale de la maladie des conséquences sociales, économiques et familiales majeures, malgré l’absence ou la modestie des conséquences neurologiques des premiers symptômes neurologiques de la maladie. Conflits d’intérêts L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts.

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