Insertion et maintien dans l'emploi des personnes en situation de handicap en France

Insertion et maintien dans l'emploi des personnes en situation de handicap en France

EMC-Toxicologie Pathologie 2 (2005) 111–136 www.elsevier.com/locate/emctp Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap...

740KB Sizes 6 Downloads 168 Views

EMC-Toxicologie Pathologie 2 (2005) 111–136

www.elsevier.com/locate/emctp

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France Insertion and maintenance in employment of persons with a handicap in France Ph. Watine (Médecin du travail) * Service interentreprise de santé au travail SOMIE-Paris, 64 bis, rue de Vaugirard, 75006 Paris, France

MOTS CLÉS Handicap ; Discrimination ; Aptitude ; Insertion professionnelle

KEYWORDS Handicap; Disability; Discrimination; Capacity; Vocational integration

Résumé L’attitude à l’égard des « personnes handicapées » se situe entre deux tendances, allant du refus de l’altérité à son acceptation. Depuis 30 ans, le devoir de solidarité est inscrit dans la loi, en privilégiant l’intégration sociale par le travail. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’obligation d’emploi des « travailleurs handicapés ». Un dispositif complexe de mesures contraignantes ou incitatives s’est progressivement mis en place pour « égaliser les chances ». La déclinaison du handicap en trois notions – déficience, incapacité et désavantage – a apporté une contribution décisive pour la compréhension du concept. Ce vocabulaire doit cependant tendre à s’effacer pour laisser la place à des mots positifs : efficience, capacité de travail, participation sociale. Si toutes les disciplines médicales ont un rôle à jouer pour favoriser cette participation, trois spécialistes se distinguent en France par l’originalité de leurs missions dans le domaine de l’insertion professionnelle : le médecin de la Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (Cotorep) lors de l’évaluation de l’incapacité au travail, le médecin de l’organisme d’assurances sociales au regard de la protection sociale et le médecin du travail pour l’estimation de l’aptitude médicale à un poste de travail identifié. L’évaluation de l’aptitude est à la croisée du domaine médical et du champ social. Confrontée aux différentes formes de discrimination sociale, elle permet de repérer la place originale du médecin du travail parmi les acteurs du réseau de l’intégration professionnelle et du maintien dans l’emploi. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The common attitude towards disabled persons tends to be either the refusal of otherness or its acceptance. For thirty years, as written in the Law, solidarity is a duty that consists, for example, in the social integration by the work. In this context, the employment of handicapped workers has become an obligation. A complex series of either constraining or incentive measures has been implemented, to ’equalize opportunities’. Considering disability as a pool of three notions – deficiency, incapacity and disadvantage – has markedly contributed to the understanding of the concept. Such terminology should however be replaced by more positive words: efficiency, capacity for work, social participation. Although all medical fields play a role in favouring this participation, three types of practitioners are more specifically involved in the employment of disabled persons: the physician of the technical commission for vocational guidance and insertion

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Watine). 1762-5858/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emctp.2005.06.001

112

P. Watine for the assessment of work incapacity; the physician of the social insurance system, and the Occupational Medicine physician for the evaluation of the worker’s ability to fulfil the post requirements. Such evaluation is both medical and social since it has to deal with various forms of social discrimination. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction Le mot « handicapé » fait référence à une population très hétérogène, identifiée à partir de critères qui mêlent de façon très confuse des notions sociales, juridiques, psychologiques et bien sûr médicales. Pourtant, à l’exception de quelques spécialistes, en particulier ceux de la réadaptation, les médecins sont mal à l’aise pour traiter du sujet. Leur implication est indiscutable, mais elle est mal cernée. Point fort Trois secteurs sont particulièrement impliqués par l’évaluation médicale des situations de handicap : les organismes de protection sociale, les Commissions techniques d’orientation et de reclassement professionnel (Cotorep), les services de santé au travail. La spécificité de leur mission et la complémentarité de leur rôle s’analysent au regard d’un concept fédérateur : celui de discrimination. Ce concept moderne s’inscrit dans une histoire chaotique, avec alternance de comportements contradictoires vis-à-vis des personnes « pas comme les autres ».

Handicap médical et/ou handicap social ? Les groupes sociaux s’organisent autour de divers signes d’appartenance, en fonction de leur passé commun et de leur histoire contemporaine. En se dotant d’une identité communautaire, ils marginalisent ceux qui s’éloignent des caractéristiques générales. Les comportements vis-à-vis de ces derniers oscillent alors entre deux tendances.1 La première s’appuie sur une acceptation assez large de l’altérité. La société se construit telle une mosaïque où se côtoient des personnes de culture et de genre de vie différents, sans que cela soit un critère d’exclusion systématique. La seconde, de type égalitariste, cherche à normaliser le plus possible, à effacer les différences, à assimiler le plus grand nombre dans un moule commun. Chaque époque de l’histoire a été marquée par un va-et-

vient entre ces deux mouvements, allant tantôt vers l’acceptation des différences, tantôt vers la tentative de normalisation. Cet article limite le propos aux situations de handicap à point de départ médical. Il n’est cependant pas possible de les isoler du contexte social. Les deux champs sont indissociables. Ainsi, la marginalisation sociale touche parfois ceux qui, à la suite d’un accident ou d’une maladie chronique, ont des troubles fonctionnels durables. Et réciproquement, l’exclusion d’origine sociale génère avec le temps une altération de la santé physique et psychique, rendant encore plus incertaine la réinsertion. Bien qu’intriqués, ces deux facteurs d’exclusion ne bénéficient pas des mêmes dispositifs d’aide à l’emploi. Les personnes handicapées ont accès à un réseau institutionnel et associatif qui apparaît plus organisé que celui des personnes en précarité sociale. Il est vrai que la loi de juillet 1987 les met en meilleure position face à la recherche d’emploi. Cependant, cela reste théorique. L’observation de la réalité quotidienne amène en fait à constater des similitudes entre le handicap « médical » et le handicap « social », mêlant à l’insuffisance de formation, le faible niveau de rémunération, la précarité de l’emploi, l’altération de l’état de santé. Quel que soit le point de départ, en l’absence de mesures palliatives, la spirale d’exclusion s’enclenche. Certes, les mesures publiques pour désamorcer le processus se sont construites dans des champs spécifiques. Mais, en pratique, des chevauchements s’opèrent. Un exemple significatif de cette intrication est donné par l’analyse des demandes de l’allocation adulte handicapé (AAH) : conçue pour fournir une garantie de ressources aux personnes lourdement handicapées, cette allocation est maintenant fréquemment sollicitée par un public relevant davantage du revenu minimum d’insertion (RMI).

Approche sociopolitique du handicap Évolution historique des idées Toute l’histoire des « handicapés »,2 terme moderne se substituant à bien d’autres – infirme,

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France débile mental, fou, paralytique, aliéné, invalide... – balance entre des positions contraires, entre le rejet et le soutien, la compassion et l’évitement, le déni et l’écoute. L’image sociale de la personne « différente » a longtemps été imprégnée des croyances religieuses. La malformation congénitale était par exemple, chez les Hébreux, le signe du péché, ce qui n’empêchait pas la compassion qu’il fallait maniˆ ge, le fester à l’égard des impotents. Au Moyen A devoir de charité conduit à la construction de lieux d’hospitalité pour les infirmes et les déments. Cependant, l’enfermement reste préféré à toute autre alternative. Progressivement, une vision se prétendant plus rationnelle intègre les connaissances scientifiques de l’époque, sans toutefois oublier les représentations du passé. Ainsi, lorsque Diderot écrit en 1748 La Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, il étonne ses contemporains ; même incrédulité quand l’abbé de L’Epée fonde une école pour les enfants sourds, grâce à un enseignement gestuel. La controverse perdure encore de nos jours entre les partisans et les détracteurs de la langue des signes, les premiers revendiquant légitimement des droits spécifiques, les seconds les refusant au nom de la normalisation. Au fil du temps, la notion laïque de réparation a pris le relais de la charité religieuse. La prise en charge des blessés de guerre en est un exemple significatif : sous Louis XIV, avec la création de l’Institution des Invalides ou après la Première Guerre mondiale avec la création d’une pension d’invalidité pour les anciens combattants, déterminée grâce à un guide d’évaluation des handicaps subis. Ce barème d’évaluation de l’invalidité des militaires servira plus tard de référence pour l’attribution de rentes aux civils. Une notion nouvelle voisine bientôt avec celle de réparation du préjudice : l’intégration sociale par le travail. Là encore, pour des motifs ambivalents. Par ambition humaniste en faveur d’une intégration, mais aussi par opportunisme dans un contexte de déficit de main-d’œuvre après l’hécatombe de la guerre de 14-18. Déjà la loi de 1898 mettait à la charge de l’employeur l’indemnisation des accidentés du travail. La loi du 17 avril 1916 institue, une quinzaine d’années plus tard, le système des « emplois réservés » au bénéfice des mutilés de guerre, complété par la création de centres de rééducation professionnelle. Solidarité oblige, cette rééducation est gratuite. En 1924, l’obligation d’emploi des mutilés de guerre se précise : les entreprises de plus de 10 salariés doivent les employer à hauteur d’au moins 10 %, taux qui sera révisé à la baisse dans les lois ultérieures. Les

113

accidentés du travail deviendront eux aussi bénéficiaires du droit au reclassement professionnel avec la parution de la loi du 14 mai 1930. Parallèlement naît à cette époque l’amorce du réseau associatif pour accompagner les malades et les accidentés. La création de la Sécurité sociale, en 1945, marque évidemment un tournant important de la protection sociale. Tout salarié a l’assurance d’une compensation partielle de la perte de gain liée à l’interruption d’activité. Sous réserve bien sûr de certaines conditions d’attribution, la protection s’applique en cas de difficulté temporaire, durable ou définitive et cela, quelle que soit l’étiologie, incluant donc la maladie et l’accident non professionnel. Si la loi Cordonnier du 5 août 1949 évoque encore l’assistance aux infirmes, celle du 23 novembre 1957 introduit pour la première fois le terme de « travailleur handicapé », en complément de la création des Commissions départementales d’orientation des infirmes (CDOI). Les conditions du reclassement professionnel en « milieu de travail ordinaire » sont alors précisées, tandis qu’est instauré dans le même temps l’espace du « travail protégé ». Les éléments de cette loi seront repris aux articles L. 323-29 et suivants du Code du travail. Le milieu protégé s’adresse aux personnes handicapées pour lesquelles le placement dans un milieu normal de travail s’avère impossible. Elles sont admises soit dans un atelier protégé (AP) si leur capacité de travail est au moins égale au tiers de la capacité normale de production, soit dans un centre d’aide par le travail (CAT), prévu à l’article 167 du Code de la famille et de l’aide sociale. Les ateliers protégés sont créés soit par des organismes publics, soit par des structures privées. La demande d’agrément est sollicitée auprès du représentant de l’État dans la région. Les AP accueillent des travailleurs handicapés dont la productivité est comprise entre 30 et 70 % de celle d’un salarié « valide ». Des centres de distribution de travail à domicile, assimilés aux ateliers protégés, permettent également aux travailleurs handicapés de produire chez eux des travaux manuels ou intellectuels. Les travailleurs handicapés pour lesquels la capacité de production est comprise entre 5 et 30 % de celle d’un salarié « valide » sont, quant à eux, admissibles dans les centres d’aide par le travail. Ces CAT sont le plus souvent des structures gérées par des associations privées à but non lucratif. La création du secteur protégé et surtout la qualification de « travailleur handicapé en milieu ordinaire de travail » posent les premiers jalons de la loi du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, loi fondatrice de toutes les orientations du cadre juridique actuel.

114 Réglementations depuis la loi-cadre de 1975 Le rapport de M. François Bloch-Lainé,3 chargé en 1967 du VIe plan, et la publication en 1974 du livre Les Exclus de René Lenoir,4 directeur de l’Action sociale, influencent fortement l’évolution des idées et la compréhension des mécanismes qui conduisent à l’exclusion. La notion d’inadaptation individuelle vient progressivement se fondre dans un concept plus général d’inadaptation de la société, incapable de gérer correctement l’altérité et, par voie de conséquence, productrice ellemême de situations de rupture. Ce constat bouleverse, au moins dans le discours politique, les orientations stratégiques qui prônent le rapprochement entre le dépistage, la prévention, l’éducation et le maintien au plus près du cadre de vie habituel.5 Tous les domaines de l’action publique sont touchés par la loi-cadre de 1975 : la solidarité à l’égard du mineur ou de l’adulte handicapé physique, sensoriel ou mental devient une « obligation nationale ». L’impulsion vise autant les institutions que les droits et les prestations individuels. Les axes de la loi de 1975 ont ensuite été déclinés dans la loi du 10 juillet 1987. Les décrets d’application précisent l’étendue de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, des mutilés de guerre et assimilés, autour de trois novations : • la première substitue à l’obligation de moyens une réelle obligation de résultat, sanctionnée financièrement en cas d’insuffisance ; • la deuxième étend le champ de cette contrainte à l’ensemble du monde du travail, secteurs privé et public confondus, avec cependant des modalités d’application spécifiques pour le secteur public ; • enfin, l’emploi des personnes handicapées entre dans le domaine de la politique contractuelle. Ce programme ambitieux est loin d’être atteint 25 ans plus tard. Le rapport présenté par MarieClaude Lasnier au Conseil économique et social6 montre que beaucoup de chemin reste à parcourir pour donner aux personnes handicapées la possibilité d’une participation « pleine et entière » à la vie sociale.7

Adhésion de la France aux recommandations internationales Le modèle français s’appuie historiquement sur une approche individuelle de la personne handicapée, à l’inverse des conceptions plus collectives. Cellesci, à l’exemple de la politique danoise, insistent sur les besoins généraux à mettre en œuvre, sans s’attarder aux aspects médicaux personnels.

P. Watine De nombreux pays donnent la priorité à l’intégration par l’emploi, en installant des procédures contraignantes pour l’embauche de personnes handicapées. Ils instituent par la loi le principe de quotas à atteindre, avec des seuils différents d’un pays à l’autre : 6 % en Allemagne, en Italie et en France, 7 % en Grèce, de 2 à 4 % en Espagne et au Luxembourg. Ce mode de gestion par la fixation de taux reste un objectif car, en réalité, il n’est jamais atteint. Il l’est d’autant moins qu’il n’est pas vraiment accompagné d’un système de contrôle. La politique est plus libérale en Belgique, en Angleterre et au Portugal notamment. L’incitation à l’emploi passe par des compensations de salaire pouvant atteindre la moitié de celui-ci en Belgique, par des programmes de formation et d’intégration en Angleterre, par des primes attribuées aux entreprises du Portugal. En Autriche, une taxe de compensation finance l’adaptation des postes de travail. Conformément à leur culture traditionnelle, la Finlande, la Suède et le Danemark se sont engagés dans des politiques intégratives. C’est dans ces pays que l’on trouve le plus grand nombre de programmes de réadaptation, d’actions de coordination, de subventions pour aménager l’environnement ou pour la création « d’entreprises solidaires ». Ce dynamisme intégratif des pays nordiques a progressivement gagné du terrain parmi d’autres pays européens. Il tend à rapprocher les conceptions individuelles et collectives dans les différentes situations de la vie sociale, scolaire, professionnelle. Ce mouvement est en phase avec les préconisations de l’Organisation des Nations unies. L’ONU a en effet adopté en 1975 une Déclaration des droits des personnes handicapées, inspirée de la Déclaration des droits de l’homme, qui insiste sur le principe d’égalité des chances pour les personnes handicapées. Le Conseil de l’Europe a ensuite encouragé les États membres à développer des politiques cohérentes en faveur des personnes handicapées pour leur permettre de participer à une vie sociale pleine et entière.8 La France a adhéré à ces textes internationaux qui prohibent toute forme de discrimination du fait du handicap. En 1980, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a largement contribué à l’adoption d’un vocabulaire commun dans lequel le handicap est présenté comme la conséquence sociale des déficiences et des incapacités individuelles non compensées. Ce vocabulaire et les débats suscités par l’introduction de la classification internationale des handicaps et des inadaptations ont clarifié, au fil des ans, le concept de handicap.

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France

Concept de handicap Éléments statistiques : qui est concerné ? Toute tentative pour évaluer le nombre de « personnes handicapées » se heurte à des difficultés quasi insurmontables. Seul le croisement d’indicateurs hétérogènes permet d’esquisser les multiples facettes de cette recherche, sans s’exonérer de leur contexte subjectif. Selon le secrétariat d’État aux personnes handicapées, la France compte en 2003 environ 3,5 millions « d’handicapés ». Parmi eux, un peu plus de 350 000 sont en fauteuil roulant, 850 000 ont une déficience motrice significative, 650 000 sont atteints d’un trouble mental ou intellectuel et 700 000 d’une maladie psychique chronique sévère. Les déficiences visuelles touchent plus de 200 000 personnes, dont 60 000 sujets aveugles. La déficience auditive sévère ou profonde atteint environ 450 000 personnes. L’approche par les aides aux personnes qui bénéficient d’une compensation financière ou d’un placement permet de repérer approximativement : • 120 000 jeunes bénéficiaires de l’allocation d’éducation spéciale (AES) ; • 160 000 personnes ayant un complément de ressources pour l’aménagement de leur logement ; • 90 000 personnes bénéficiaires de l’aide d’une « tierce personne » ; • 150 000 places d’hébergement, de soins ou de travail disponibles dans des établissements divers : maisons d’accueil spécialisées, CAT, etc. ; • plus de 700 000 personnes allocataires de l’AAH ; • plus de 120 000 personnes qualifiées de « travailleur handicapé » chaque année par la première section de la Cotorep. Une enquête conduite dans le cadre du rapport coordonné par P. Lubeck, F. Werner et M. Laroque9 en 1998, avait pour objectif de rechercher, dans les dossiers de la deuxième section des Cotorep, la déficience principale qui motivait la demande de l’AHH. Voici les résultats, en pourcentage : • 42 % déficience intellectuelle ou trouble du psychisme ou du comportement ; • 24 % : déficience motrice et de l’appareil locomoteur ; • 8 % : déficience de la fonction et de la sphère digestive ; • 7 % : déficience de la fonction cardiorespiratoire ; • 5 % : déficience esthétique ; • 5 % : déficience métabolique ou enzymatique ; • 3 % : déficience du système immunitaire ou hématopoïétique ;

115

• 2 % : déficience de la vision ; • 2 % : déficience de l’audition ; • 1 % : déficience liée à l’épilepsie ; • 1 % : déficience de la fonction urinaire. Dans un livre consacré à l’insertion des personnes handicapées, A. Labregère10 a donné des indications sur les taux de prévalence par tranche d’âge selon l’origine du handicap. Le graphique présenté distingue l’origine congénitale, accidentelle ou à la suite d’une maladie (Fig. 1). La courbe cumulée de l’ensemble des étiologies montre un changement de pente assez net à 45 ans. Au-delà de cet âge, le pourcentage de personnes handicapées augmente plus rapidement. Or, cela est bien connu, c’est aussi à partir de cet âge que les possibilités de recrutement en entreprise, ainsi que l’accès aux formations s’amenuisent considérablement. L’analyse des informations précédentes ne permet pas de pousser plus avant la réflexion sur la capacité de travail des personnes identifiées. Car ce qui importe ce n’est pas la cause du handicap, mais son retentissement dans la vie sociale. Parmi les travaux qui se sont orientés dans cette recherche, ceux qui ont été conduits dans la région lyonnaise par P. Minaire et D. Weber11 sont à la fois simples et pertinents. Leur objectif : évaluer la gêne ressentie par la population d’une petite bourgade dans les activités de la vie courante. Pour apprécier cette gêne, un groupe d’obstacles a été disposé sur la place publique et chaque habitant a été invité à les franchir, tandis qu’un observateur

Figure 1 Évolution des taux de prévalence (*) par tranches d’âge et selon les origines du handicap. *Taux de prévalence : pourcentage par rapport à l’ensemble de la population des personnes présentant une caractéristique déterminée. Source : Labregère A, Les personnes handicapées. Notes et études documentaires, n° 4611-12. Paris : La Documentation Française ;1981.

116

P. Watine

Figure 2 Mesure du handicap dans un village français.

notait l’importance de la difficulté rencontrée (Fig. 2). Les relevés ont donné des renseignements allant sensiblement au-delà de ce qui était attendu. Par exemple, il a été montré que si la grande majorité de la population, tous âges confondus, descendait aisément trois marches de 20 cm de hauteur, l’exercice devenait ensuite plus difficile lorsque la marche était un peu plus haute. Elles ne sont plus que 4 sur 10 quand la marche est de 30 cm. Et seulement une personne sur cinq n’est pas du tout gênée par une hauteur de 35 cm, hauteur fréquente de la marche d’autobus... L’évaluation du pourcentage par classe d’âge pour une difficulté donnée a apporté des indications complémentaires intéressantes. Après 60 ans, une personne sur deux peine à monter trois marches de 25 cm de hauteur sans appui. Quand la hauteur passe à 35 cm, au moins une personne sur deux de plus de 20 ans est gênée, la gêne augmentant régulièrement avec l’âge. Cette étude, bien que limitée à la notion de gêne, est très révélatrice du fait que le handicap n’est pas une constante mais une variable. Ce n’est pas une notion absolue, mais une notion relative qui dépend de plusieurs déterminants. Autrement dit, il est nécessaire d’introduire la composante situationnelle dans le concept de handicap.

nuité de la Classification internationale des maladies (CIM), la CIH s’en distingue nettement, en ce sens qu’elle ne s’arrête pas à l’observation des séquelles : elle évalue leurs conséquences pour la personne concernée, aussi bien dans l’environnement quotidien que dans l’espace social (Fig. 3). L’un des objectifs de la classification CIH était de permettre une évaluation statistique des populations porteuses de déficiences. Ainsi, en France, une nomenclature, directement inspirée de la CIH, a fait l’objet d’un arrêté, publié en mai 1988.13 Cependant, le codage systématique est rapidement

Dimension situationnelle du handicap La nécessité de dépasser la sphère strictement personnelle s’est imposée depuis une vingtaine d’années, à partir des travaux de Philip Wood.12 Ceux-ci ont largement contribué à la construction de la Classification internationale des handicaps (CIH), publiée en 1980 dans sa version anglaise sous l’égide de l’OMS. Bien qu’elle soit dans la conti-

Figure 3 De la classification internationale des maladies (CIM) à la classification internationale du handicap (CIH).

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France apparu comme une opération très fastidieuse, car l’utilisation de la version détaillée de la nomenclature est d’un maniement complexe, réservé aux chercheurs avertis. En revanche, le fait de décliner le handicap en trois séquences s’est imposé comme une novation majeure qui améliore nettement la compréhension du concept. La déclinaison permet de jalonner successivement ce qui relève de la déficience de la personne, puis de l’incapacité dans la vie quotidienne et enfin ce qui en découle, nommé le « désavantage social ». Cette distinction est devenue une référence incontournable, dont la connaissance est indispensable à tout acteur exerçant dans le champ de l’intégration sociale, scolaire ou en milieu de travail. Car, pour la première fois, l’ensemble des professionnels dispose d’un langage fondé sur des définitions explicites. Elles sont présentées ici de façon très simplifiée, en se limitant aux caractéristiques essentielles de chacune d’elles (Fig. 4–7). Très pédagogique, la CIH a cependant été critiquée14,15 car, si le langage est clarifié, la présentation garde une connotation très négative. C’est pourquoi d’autres modèles ont mis l’accent sur un vocabulaire plus positif. À titre d’exemple, il est possible d’utiliser des mots plus « incitatifs » pour une utilisation en médecine du travail (Fig. 8). La notion d’efficience répond en miroir à la déficience, en intégrant les compensations acquises, par exemple par la rééducation. À l’incapacité se substitue la capacité à « faire autrement », grâce à l’apprentissage, la motivation et les acquisitions progressives. Enfin, l’évaluation de l’aptitude se conclut par un avis transmis à l’employeur, en intégrant à la fois la dimension médicale individuelle et la connaissance du milieu de travail, y compris l’ensemble des aménagements et des interventions permettant de maîtriser au mieux le désavantage social. Réalisée par l’Institut national des statistiques et études économiques (INSEE) entre octobre 1998 et décembre 2001, la très importante enquête dénommée « Handicap-Incapacité-Dépendance (HID) »16

117

Figure 5 Présentation de la déficience.

Figure 6 Présentation de l’incapacité.

Figure 4 Classification internationale des handicaps (Wood).

s’est particulièrement intéressée aux conséquences des problèmes de santé dans la vie quotidienne des Français. L’intention était de mesurer le nombre de personnes dépendantes ou présentant des gênes en relation avec des déficiences, en tenant

118

P. Watine sept groupes a différencié cette population en fonction de l’importance du handicap, de sa nature et des caractéristiques dominantes au sein de chaque groupe : • groupe 1 : 5 millions = incapacité isolée et mineure ; • groupe 2 : 2,3 M = personnes âgées dépendantes, sans allocations ; • groupe 3 : 1,2 M = 40-70 ans inactifs, avec allocations ; • groupe 4 : 1,2 M = 30-39 ans, avec allocations ; • groupe 5 : 0,8 M = incapacités diffuses non repérées ; • groupe 6 : 0,65 M = déficiences intellectuelles ou mentales ; • groupe 7 : 0,3 M = maladies limitantes chroniques.

Démarche participative

Figure 7 Présentation du désavantage.

Figure 8 Correspondances aptitude et handicap.

compte de leur situation sociale. Pour cette investigation, étalée sur quatre années avec près de 500 000 entretiens, l’INSEE a mobilisé 800 agents recenseurs associés à 400 enquêteurs. Ils ont identifié un nombre considérable de personnes répondant à au moins un critère d’inclusion, puisque le quart de la population générale a signalé « une incapacité ou une limitation d’activité ou une reconnaissance sociale d’un handicap ». Si l’on déduit les 5 millions de personnes qui ont signalé une simple gêne, par exemple pour voir ou entendre, il reste 6 millions et demi de personnes déclarant une difficulté vraiment significative. Un classement en

À la critique sur le vocabulaire négatif de la CIH s’est ajoutée la contestation de la vision linéaire du processus de handicap. C’est pourquoi, à la suite de nombreuses contributions allant toutes dans le sens d’une interprétation plus globalisante, l’OMS17 a apporté une révision de la CIH en mai 2001. Cette nouvelle classification ne conserve qu’un seul mot négatif, celui de déficience. Elle met l’accent sur la participation sociale des personnes, mais aussi sur les facteurs personnels de réussite, ainsi que sur l’ensemble des moyens que la société se doit de mettre en œuvre pour donner les meilleures chances à l’intégration scolaire, à l’insertion professionnelle en milieu ordinaire, ou à la réalisation de projets de vie personnels (Fig. 9). Dans cette classification CIH2, les structures anatomiques correspondent à l’ensemble des parties anatomiques du corps, telles que les organes et les membres. Les fonctions organiques associent les fonctions physiologiques et psychologiques des systèmes organiques. Les déficiences révèlent, sous forme d’écarts ou bien de perte importante, les dysfonctionnements organiques ou les défauts de structures anatomiques. Une activité personnelle est définie par l’exécution d’une tâche ou d’une action. Les limitations d’activités indiquent les difficultés rencontrées dans leur exécution. La participation désigne l’implication d’une personne dans une situation de la vie réelle. Les restrictions de participation signalent les difficultés rencontrées face à cette mise en situation. Les facteurs personnels exposent le cadre de vie particulier : l’éducation, le contexte social, le com-

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France

Figure 9 Évolution de la classification internationale des handicaps : la CIH 2.

portement, les expériences et le mode de vie, l’âge, la formation professionnelle. Les facteurs environnementaux incluent l’environnement physique et social de voisinage. Sans être fondamentalement différente, la terminologie évolue. Le domaine des conditions de santé est positionné en générique et se décline selon que l’on se place du point de vue de la personne en tant qu’individu ou en qualité d’être social. Les mots sont dynamiques : motivation, activité, participation...18 Ils donnent de nouveaux repères sur ce qui compose le niveau de bien-être physique, psychologique ou mental, sans se polariser exclusivement sur l’observation de la déficience.19

Concept de discrimination Graduation des approches Définir le handicap à partir des notions de déficience, de capacité et de participation permet d’aborder le sujet sous différents angles : médical, fonctionnel, environnemental et politique. L’approche strictement médicale se limite à la connaissance et au recensement des pathologies qui, par leur gravité et leur durée dans le temps, ont un retentissement sur l’activité des personnes atteintes, quelle que soit la nature de cette activité. Le diagnostic posé permet la mise en œuvre d’un traitement, le plus curatif possible. Cette approche est suffisante quand la thérapeutique permet d’éviter de lourdes séquelles. Le passage à la chronicité du fait de l’absence ou de l’inefficacité du traitement conduit à mettre en

119

œuvre des techniques palliatives pour mobiliser au mieux les capacités dites « restantes ». Cette approche fonctionnelle se concrétise par exemple par l’ergothérapie ou par une rééducation dans le milieu de vie quotidienne ou encore par une mise en situation dans le cadre de l’activité professionnelle. L’action centrée sur la personne a évidemment besoin d’un complément d’intervention sur l’environnement de proximité. Quelle que soit l’action sur cet environnement, l’objectif est de limiter au maximum la dépendance. L’aménagement de services appropriés, la mise à disposition d’aides techniques domotiques ou professionnelles visent à procurer cette autonomie. Cependant, l’obtention d’une autonomie de qualité dépasse souvent les seules ressources de la personne handicapée ou celles des soutiens familiaux et amicaux. L’engagement de la collectivité est alors nécessaire pour atténuer, ou mieux encore pour supprimer les obstacles au déroulement d’une vie sociale la plus « commune » possible. La réduction des inégalités générées par une situation handicapante passe donc par l’élaboration de règles de droit, protectrices ou incitatives, associées ou non à l’attribution d’allocations à visée économique ou sociale et, d’une manière générale, par la levée des barrières de toute nature qui entravent l’intégration au sein de la société. Pour illustrer les mesures concrètes découlant directement de la loi, voici quelques-unes des réglementations relatives à l’accessibilité des lieux de travail :20 • les normes d’accessibilité à respecter lors de la construction des bâtiments recevant du public sont étendues aux lieux de travail (loi n° 91-663 du 13 juillet 1991) ; • la réglementation s’applique non seulement aux opérations de construction, mais également aux travaux d’aménagement des bâtiments, à la création de surfaces, aux travaux de restructuration dans la mesure où les structures ou l’implantation le permettent (arrêté du 27 juin 1994 – circulaire d’application n° 95-07) ; • le principe de l’accessibilité concerne les différents types de handicap (art. R.235-3-18 du Code du travail). Cette action politique en faveur des personnes en situation de handicap n’est pas concevable isolément.21 Elle s’insère forcément dans une politique plus globale de lutte contre les discriminations, quelles qu’en soient les causes. Avec cependant une originalité qui mérite d’être soulignée en ce qui concerne la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé : c’est une forme de discrimination positive !

120

Figure 10 Santé et travail. Graduation des interventions.

Cette particularité incite à repérer parmi les différentes formes de discrimination celles qui apportent un bénéfice à l’individu et, à l’opposé, celles qui contrarient, de façon évidente ou de manière plus diffuse, le développement des projets professionnels (Fig. 10).

Discrimination négative Dans le domaine du travail, cette forme de discrimination a pour effet de marginaliser ou d’exclure, en limitant ou en interdisant l’accès à l’emploi. Flagrante ou le plus souvent insidieuse, elle s’observe principalement dans deux domaines : celui de l’accessibilité aux espaces de travail et celui de l’acceptabilité des personnes. Ce qui vient d’abord à l’esprit lorsque l’on parle d’accessibilité, ce sont les multiples entraves que rencontrent les personnes en fauteuil roulant ou les personnes malvoyantes pour se déplacer dans les habitations, les bâtiments publics, les espaces urbains ou les transports en commun ; des efforts sont entrepris dans de nombreuses municipalités pour limiter le nombre des barrières architecturales,22 ici en abaissant les trottoirs aux passages de rue, là en équipant les bus, ailleurs en dotant les bordures de quais avec des plaques en relief ou en sonorisant les guichets de poste pour les personnes atteintes de déficience auditive. Cependant, beaucoup reste encore à faire pour rendre moins hostiles les moyens de transport,23 les lieux publics, les espaces de culture ou de savoir, le milieu de travail... Bien d’autres barrières s’ajoutent à ces obstacles physiques. Elles prennent des formes diverses. Ce sera par exemple le refus de titularisation dans la fonction publique ou l’interdiction d’exercice de certains métiers dans le secteur privé. Les arguments légitimant cette discrimination font souvent référence à des motifs sécuritaires. Ils cachent parfois des raisons plus discutables. Il en est ainsi des multiples barrages qui filtrent, voire bloquent l’accès à la formation scolaire, à l’entrée à l’uni-

P. Watine versité, à une formation professionnelle. Sous couvert d’impossibilité technique, c’est la crainte qui conduit à la discrimination. Car, consciemment ou non, chaque individu est imprégné des stéréotypes véhiculés autour du mot « handicapé » avec, en arrière-plan, un sentiment de peur quasiment toujours présent. À la peur du public envers telle ou telle forme de différence, exacerbée en cas de handicap mental, répond celle de la personne handicapée lorsqu’elle subit le regard des autres. Il n’est donc pas surprenant que ces préjugés s’observent dans le monde du travail. Là encore, le discours est ambivalent. Ainsi, si les employeurs considèrent généralement le bien-fondé de l’insertion professionnelle des personnes handicapées, divers sondages d’opinion ont montré la contradiction entre cette acceptation de principe et le passage à l’acte. Conséquence pour les salariés en situation de handicap : une durée de chômage double et un taux de chômage considérablement plus important comparé à l’ensemble de la population active. Et pourtant, quatre employeurs sur cinq ayant embauché une personne handicapée se disent satisfaits... Une enquête menée par le docteur Jean-François Ravaud24 illustre de façon éloquente les réticences à l’embauche. Cette étude a été menée au sein d’entreprises dont les métiers étaient tout à fait accessibles à une grande diversité de travailleurs handicapés. Des réponses aux annonces d’emploi ont été adressées dans ces entreprises en mentionnant sur la moitié des curriculum vitae le fait que le demandeur présentait un handicap moteur. Les conclusions de l’enquête ont révélé une forte discrimination à l’embauche : les candidats handicapés très qualifiés avaient deux fois moins de chances d’avoir une réponse positive et ceux dont la qualification était plus modeste, quatre fois moins de chances que les autres candidats. Les barrières psychologiques sont telles qu’on les retrouve même dans la loi du 10 juillet 1987, dont l’objet est pourtant l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Comment expliquer autrement, en effet, l’existence d’une liste d’emplois qui échappe aux obligations et au calcul des effectifs, et donc à l’effort de solidarité ?

Discrimination positive Il existe pour les enfants et les jeunes de moins de 20 ans une Commission départementale de l’éducation spéciale (CDES). Sa mission est double. D’une part, elle fixe le taux d’incapacité permettant l’ouverture du droit à l’AES, allocation complémentaire aux prestations familiales de droit commun, d’autre part, elle se prononce à propos de l’orien-

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France tation, soit vers un établissement scolaire, soit en milieu médico-social d’éducation spéciale. Lorsque le jeune est scolarisé « au milieu des autres », des dispositifs spécifiques sont accessibles à leur famille ou à la direction de l’établissement afin de faciliter son intégration. Après l’âge de 20 ans, la Cotorep prend le relais pour guider l’adulte handicapé en fonction de l’évaluation médicale. Créée par la loi d’orientation de 1975, cette commission a compétence dans chaque département pour reconnaître la qualité de travailleur handicapé (RQTH). De ce fait, une forme de distinction s’opère en faveur des personnes en difficulté au regard de l’emploi. D’où cette notion de discrimination positive, avec toute l’ambiguïté de la formule, attachée à une population identifiée par un terme à connotation péjorative. Placée sous l’autorité du préfet, chaque Cotorep est présidée alternativement par le Directeur départemental du travail et de l’emploi et par le Directeur départemental des affaires sanitaires et sociales. La Commission comprend 20 membres et 20 suppléants nommés pour 3 ans, choisis pour leur compétence dans le domaine de l’emploi, de la santé et de la formation professionnelle. Elle est dotée d’un secrétariat permanent et d’une équipe technique composée de médecins exerçant dans le domaine médicosocial, de psychologues et d’assistants sociaux. Ils reçoivent les dossiers, analysent les demandes et émettent un avis. La conclusion est transmise selon le cas à l’une des deux sections de la commission. La saisine de la Cotorep est possible pour tout adulte de 20 ans et plus, ainsi que pour les jeunes d’au moins 16 ans s’ils sont salariés. Il est important de noter le fait que la démarche doit être réfléchie et qu’elle procède d’une initiative personnelle. C’est un acte volontaire et non contraint. Avec le consentement de la personne atteinte d’une déficience, la demande peut être initiée par ses parents ou par les représentants légaux ; elle peut émaner également du Directeur départemental des affaires sanitaires et sociales, de l’Agence nationale pour l’emploi, de l’organisme d’Assurance maladie concerné ou du service appelé à verser une allocation au titre du handicap ou encore de l’autorité responsable de tout centre, établissement ou service médical ou social intéressé. Un formulaire administratif permet de cibler la demande ; il doit être accompagné d’un certificat médical. Seul le demandeur est informé des conclusions du dossier après son instruction, sachant que les membres des commissions sont soumis au secret professionnel. La durée de validité des décisions est toujours limitée dans le temps, sans dépasser le terme de 5 ans.

121

Commission d’orientation et de reclassement professionnel première section Elle s’exprime exclusivement dans le domaine de la relation au travail. Elle apporte un soutien pour entrer ou être maintenu dans le milieu professionnel ordinaire ou dans le secteur du travail protégé. Cette section ne procure donc pas directement un avantage pécuniaire, à l’exception de quelques aides, notamment à l’entreprise en cas d’abattement de salaire. Elle se prononce sur la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la RQTH et, éventuellement, sur l’orientation ou le reclassement professionnel. Si la demande n’est pas rejetée, son acceptation est assortie d’un classement en fonction de la difficulté prévisible d’intégration : • la catégorie A correspond à une contrainte laissant espérer une adaptation à moyen terme ; • la catégorie C est prononcée dans les situations lourdes, permanentes, imposant toujours des aménagements conséquents et durables ; • la catégorie B correspond aux cas intermédiaires entre les catégories A et C ; L’orientation professionnelle (ORP) dirige vers l’une des quatre options suivantes : • l’emploi en milieu ordinaire, avec ou sans aide des structures accompagnantes ; • le stage dit de préorientation ; • le placement dans un milieu professionnel protégé : AP ou CAT ; • la formation en Centre de reclassement professionnel (CRP) ou dans un centre non spécialisé par exemple celui de l’Association de formation professionnelle des adultes (AFPA). Commission d’orientation et de reclassement professionnel deuxième section Son champ d’intervention traverse l’ensemble du domaine social. Cette section évalue le taux d’incapacité qui, le cas échéant, ouvre droit à l’attribution d’aides financières, notamment : • l’AAH, pour les personnes considérées dans l’incapacité théorique de tenir un emploi quelconque ; • l’allocation compensatrice pour frais professionnels (ACFP), afin de régler des dépenses spécifiques inhérentes à la situation de handicap ; • l’allocation compensatrice pour tierce personne, contribuant aux frais liés au besoin d’accompagnement. La deuxième section est habilitée à délivrer la « carte d’invalidité », assortie éventuellement d’une mention en fonction de la déficience, par exemple « canne blanche ». L’obtention de la carte ouvre à divers droits, aides fiscales ou exonération de taxes.

122 C’est aussi cette section qui donne son aval à l’orientation en milieu médicosocial, par exemple en foyer occupationnel, en foyer d’hébergement, en appartement de vie ou en maison d’accueil spécialisée. Le décret du 19 décembre 2003 a introduit une réforme de l’organisation des Cotorep, en précisant ses modalités par la circulaire du 19 février 2004. Pour moderniser les instances chargées de l’accueil, de l’évaluation des capacités et des besoins des personnes handicapées adultes et leur orientation, le principe du secrétariat unique et d’équipes techniques unifiées est institué, avec dotation progressive de médecins coordonnateurs. Cette nouvelle Commission des droits et de l’intégration devrait permettre de mieux appréhender la personne handicapée dans sa globalité. L’évolution de cette institution va dans le sens de l’efficacité et de la cohérence, sans toutefois empêcher la contradiction entre la volonté de reconnaître dans la personne handicapée une personne « comme tout le monde » et dans le même temps la qualifier de travailleur handicapé, au risque de manquer le but poursuivi. Il faut tout à la fois faciliter l’intégration et éviter la stigmatisation par un statut spécifique, entrer, en quelque sorte, à défaut de non-discrimination, dans un processus de « discrimination active »...

P. Watine discriminations sociales. L’article L. 122-45 complété développe l’extension du champ de la protection à l’ensemble du déroulement de la vie professionnelle : le recrutement, l’accès à un stage ou à une formation, la rémunération, le reclassement, l’affectation, la qualification, la classification, la mutation, le renouvellement de contrat. Le 4e alinéa de cet article précise la répartition de la charge de la preuve entre le salarié et l’employeur, en l’équilibrant davantage qu’auparavant. Ainsi, le salarié ou le candidat à l’embauche doivent faire la preuve du fait de discrimination, en procurant les indices « laissant supposer l’existence d’une discrimination ». L’employeur, quant à lui, a la responsabilité d’établir, en cas de différence de traitement, que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La procédure de contestation est à l’initiative du salarié ou, s’il ne s’y oppose pas, d’une organisation syndicale, d’une association de lutte contre les discriminations, toujours avec l’accord du salarié ou du candidat, ou bien encore des délégués du personnel par le biais du droit d’alerte. L’inspecteur du travail donne, le cas échéant, communication de tous documents ou éléments d’informations utiles à la constatation de faits susceptibles d’établir une discrimination. Le juge engage les mesures d’instruction qu’il estime nécessaires.

Principe de « non-discrimination » La loi du 12 juillet 1990 a posé le principe général de non-exclusion, en défendant toute personne contre une discrimination en raison de son état de santé ou de son handicap. Depuis cette date, est passible de sanction le refus du bénéfice d’un droit, d’un lieu ou d’un service sans motif légitime. Cette loi concerne donc le lieu de travail, aussi bien dans le domaine public que dans le secteur privé. Avec cependant une exception notable, notée à l’article 416 du Code pénal, lorsque le refus d’embauche ou le licenciement sont fondés sur l’avis d’aptitude formulé par le médecin du travail. Cette dérogation est reprise à l’article L. 122- 45 du Code du travail qui stipule : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude médicalement constatée par le médecin du travail. » Bien entendu, cet avis doit être accompagné, ainsi que le précise l’article L. 122-24-4 du Code du travail, d’une recherche de reclassement professionnel. Dix années après cette première loi de nondiscrimination, le principe est encore renforcé par la loi du 6 novembre 2001 de lutte contre les

Évaluation médicoprofessionnelle de la situation de handicap Comment mesurer la santé, c’est-à-dire, selon la définition de l’OMS, le bien-être physique, psychologique et mental, sinon par défaut ? Comment se vit une limitation de performance physique ? Comment apprécier si la vie relationnelle ou professionnelle est en accord avec les souhaits personnels ? Et qui est en droit de réaliser cette évaluation ? Toute tentative de réponse à ces questions commence par une écoute attentive de la personne en situation de handicap.25,26 Elle doit être entendue dans toute sa singularité. L’expression du ressenti de la personne amorce le processus évaluatif de toutes les disciplines qui gravitent dans le champ du handicap ; chaque professionnel conduit ensuite cette évaluation en fonction des objectifs qui lui sont assignés.

Évaluation de la qualité de vie Des questionnaires généraux permettent d’aborder la diversité des éléments de ce qu’il est convenu d’appeler la qualité de vie. Ils explorent les domai-

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France

123

nes de la vie quotidienne, de la vie relationnelle, des loisirs, des sentiments, des projets, de la motivation, de l’estime de soi... Des questionnaires plus spécifiques ciblent des données en lien avec une maladie chronique ou des séquelles d’accident : l’évolution prévisible, l’écart entre le pronostic médical et l’avis personnel, les effets perçus des traitements, les représentations liées à l’affection... Un exemple du bénéfice de cette estimation est bien démontré lors du suivi des personnes atteintes de polyarthrite rhumatoïde.27 L’autoquestionnaire spécifique, dénommé « EMIR court » (échelle de mesure de l’impact de la polyarthrite rhumatoïde), apporte une grande richesse d’informations sur la maladie telle qu’elle est vécue intimement par le patient dans chacune des cinq « dimensions » suivantes : • les 12 items de la dimension physique renseignent sur la manière dont sont intégrées les activités motrices, la mobilité, la dextérité, la capacité de satisfaire les besoins de la vie courante ; • les trois items de la dimension « douleur » s’intéressent au ressenti de son intensité et de son retentissement diurne et nocturne ; • les cinq items de la dimension psychologique abordent l’état d’anxiété ou de dépression réactionnelle ; • les quatre items relatifs à la dimension sociale explorent les éléments relationnels ; • enfin, la dimension travail est, le cas échéant, évaluée par les deux questions suivantes : C avez-vous été dans l’incapacité de faire un travail ménager ou scolaire ou une activité rémunérée ? C les jours où vous avez travaillé, avez-vous été obligé(e) de changer votre façon de travailler ? Si les questions posées sont simples en apparence, leur élaboration demande beaucoup d’attention et le recours à des regards croisés pluridisciplinaires. Car leur pertinence, leur fiabilité, leur sensibilité et leur acceptabilité conditionnent la qualité de restitution de ce que le patient souhaite faire comprendre et partager avec ceux qui ont vocation à l’accompagner.

en fonction de l’efficacité du traitement. Le repos est un élément constitutif de ce traitement ; • le médecin-conseil de l’organisme d’assurances sociales apprécie l’incapacité physique du salarié à reprendre « le travail » (article L. 321- 1 al. 5 du Code de la sécurité sociale) et non pas son poste de travail. Avec cependant une nuance en cas d’accident du travail, l’article L.433-1 précisant que le versement des indemnités journalières au 1er jour et durant la période d’incapacité de travail qui précède la guérison ou la consolidation se détermine au regard de la capacité à effectuer « son travail » ; • le médecin expert donne un avis sur l’incapacité d’exercer totalement ou partiellement une activité quelconque ; C en droit commun, le médecin d’assurances privées circonscrit son évaluation à l’incapacité totale ou partielle du salarié à effectuer son travail. Pour une personne au chômage, il juge de sa capacité à rechercher du travail ; C le médecin de main-d’œuvre estime « la capacité restante » du candidat, en la situant dans le cadre d’un secteur d’activité professionnelle ; C le médecin agréé de la fonction publique statue sur l’entrée dans la fonction publique, en tenant compte d’un certain nombre de critères d’exclusion. Le médecin de prévention du secteur public a un rôle complémentaire, dans la mesure où il se prononce ensuite sur la compatibilité entre la santé et la fonction postulée ou exercée. Trois disciplines méritent d’être exposées plus en détail, car elles sont très impliquées dans l’insertion professionnelle. Elles concernent le médecin de Cotorep dans le cadre de l’évaluation de l’incapacité au travail, le médecin-conseil de l’Organisme d’assurances sociales au regard de l’invalidité, et enfin le médecin du travail dans sa démarche d’estimation de l’aptitude médicale.28 La spécificité de leur pratique est révélatrice de la diversité des points de vue et de leur complémentarité.

Évaluation médicale « santé et travail »

Le médecin de la Cotorep dispose d’un « guidebarème »29 pour l’attribution des prestations aux personnes handicapées. La publication au Journal Officiel du 6 novembre 1993 d’un document actualisé permet de différencier les déficiences selon qu’elles touchent le comportement, le psychisme, le langage et la parole, l’audition, la vision, l’appareil locomoteur, l’atteinte viscérale ou générale ou

Il existe des différences notables selon le mode d’exercice médical. Sans donner une liste exhaustive de toutes les disciplines professionnelles, voici quelques exemples significatifs qui les distinguent : • le médecin généraliste est prescripteur des arrêts de travail ; il estime le temps d’interruption

Évaluation de l’incapacité par le médecin de la Cotorep

124

P. Watine

encore esthétique. À chaque déficience est attribuée une donnée quantitative permettant de calculer un taux d’incapacité. Le guide reprend la terminologie de la classification internationale des handicaps et des inadaptations en distinguant les trois dimensions d’atteinte : déficience, incapacité et désavantage. Le manque d’informations et de moyens d’investigations complémentaires rend cependant aléatoire la mesure du désavantage réel. L’évaluation se cantonne donc le plus souvent à l’estimation de la perte de capacité en fixant un taux théorique qui ne peut s’exonérer des représentations liées à telle ou telle déficience. La révision attendue du guide devrait permettre de mieux ajuster les taux en fonction de l’évolution des thérapeutiques et de l’appréciation plus fine du retentissement social.

tion se situe aux alentours de 80 % et plus encore dans la zone de 50 %. Un taux approchant les 80 %, associé à une réelle difficulté à se procurer un emploi, entraînera aisément le versement de l’allocation. En revanche, autour de 50 %, ce n’est pas tant la gravité de la déficience qui orientera la décision que la capacité à trouver un emploi. Or, la notion « d’employabilité » est une notion toute relative. Elle intègre un ensemble d’éléments qui débordent largement les capacités fonctionnelles : le parcours professionnel, la compétence, la motivation, la possibilité de formation, le marché de l’emploi, la conjoncture économique... L’acceptation ou le refus d’attribuer l’allocation est donc tributaire de l’environnement, du moment de la demande et de l’appréciation subjective de la Cotorep.

Allocation adulte handicapé L’évaluation en Cotorep apprécie, selon le cas : • la possibilité « théorique » de travailler, indépendamment de la déficience ; • l’aptitude au travail dans l’activité professionnelle exercée ou correspondant à la formation ; • le handicap au regard de l’emploi dans l’activité exercée, compte tenu de l’environnement, notamment du marché de l’emploi et de l’âge du demandeur ; • le handicap au regard de la possibilité de trouver un emploi dans un domaine quelconque. Mettre l’accent sur le marché de l’emploi rapproche l’AAH d’une allocation de type RMI. S’exonérer du contexte social lui donne un rôle plus limité d’allocation de complément pour financer exclusivement les compensations fonctionnelles liées à la déficience. Cette disparité d’appréciation est liée au flou qui entoure les deux articles du Code de la Sécurité sociale relatifs aux conditions restrictives de son attribution. L’article L 821-1 stipule que l’AAH peut être sollicitée par toute personne adulte dont « le taux d’incapacité permanente est au moins égal à 80 %, lorsqu’elle ne peut prétendre au titre d’un régime de Sécurité sociale, de pension de retraite ou d’une législation particulière à un avantage de vieillesse ou d’invalidité ou une rente accident de travail au moins égale à la dite allocation ». L’article L 821-2 précise que les personnes dont l’incapacité permanente est comprise entre 50 et 80 % sont éventuellement bénéficiaires lorsque la Cotorep reconnaît après enquête qu’ils sont, compte tenu de leur handicap, dans l’impossibilité de se procurer un emploi. Le Code laisse donc au médecin de la Cotorep une réelle marge d’appréciation. Cela est particulièrement important à souligner lorsque l’évalua-

Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé Les remarques ci-dessus s’appliquent également, mais à un degré moindre, à l’évaluation de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. En effet, l’enjeu n’est pas de même nature : la RQTH ne procure pas automatiquement un avantage à court terme. Être reconnu travailleur handicapé est cependant une condition nécessaire pour bénéficier de certaines aides à l’insertion professionnelle ou au maintien dans l’emploi lorsque, comme l’indique l’article L. 323-10 du Code du travail, « les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d’une insuffisance ou d’une diminution des capacités physiques ou mentales ».

Évaluation de l’invalidité par le médecin de l’assurance sociale Dans le régime général de la Sécurité sociale, la pension d’invalidité est une prestation en espèces dont l’objectif est de compenser partiellement la perte de gain subie par un assuré social dont la santé est durablement altérée. La déficience ne doit pas être consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Si elle est stabilisée et antérieure à l’immatriculation de l’assuré, seule une aggravation autorise éventuellement l’octroi de cette pension. L’appréciation de l’état d’invalidité est de la responsabilité du médecin-conseil de la Caisse primaire d’Assurance maladie. Il statue uniquement pour les demandeurs de moins de 60 ans remplissant les conditions administratives requises. L’évaluation médicale du préjudice fonctionnel résultant de la déficience physique ou mentale n’est pas quantifiée en s’aidant d’un guide-barème. De plus,

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France la décision n’est pas subordonnée uniquement à des éléments de santé car le médecin-conseil complète l’examen clinique du patient par la collecte d’un ensemble d’informations à caractère socioéconomique ou professionnel. Parmi les critères pris en compte se trouvent l’âge, l’usure prématurée de l’organisme, les facultés physiques et mentales, la formation et l’expérience professionnelle, le marché de l’emploi, etc. Il s’agit bien, du moins en théorie, d’une évaluation globale médico-socioprofessionnelle. La connaissance de l’ensemble de ces déterminants indique la capacité potentielle de travail de l’assuré et, en quelque sorte, son « employabilité », après éventuellement un temps de réadaptation ou un reclassement professionnel. Une fois cette estimation générale effectuée, le médecinconseil prononce sa décision au regard de la définition légale de l’invalidité, à savoir si « l’assuré est incapable de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur au tiers du salaire normal, perçu dans la même région par un travailleur de sa catégorie dans la profession qu’il exerçait au moment de l’arrêt de travail suivi d’invalidité ou de la date de constatation médicale d’invalidité... ». Déjà compliquée dans sa formulation, cette définition est rendue encore plus complexe par la déclinaison en trois catégories d’invalidité : • 1re catégorie : invalide capable d’exercer une activité rémunérée légère et adaptée ; • 2e catégorie : invalide absolument incapable d’exercer une quelconque activité professionnelle ; • 3e catégorie : invalide en 2e catégorie obligé de recourir à l’assistance d’une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie. Dans chacune de ces catégories, la référence commune est la réduction au moins des deux tiers de la capacité de travail et de gain, deux notions en réalité bien difficiles à quantifier avec précision dans la réalité. C’est dire qu’en pratique, la décision du médecin-conseil est prise au cas par cas. C’est aussi pourquoi une pension d’invalidité est personnelle et qu’elle ne peut être attribuée et versée à ses ayants-droit, conjoint, enfants, personnes à charge... Le versement de la pension succède en général à celui des indemnités journalières de l’Assurance maladie, au terme des 3 ans maximum pour une affection de longue durée, auquels s’ajoute exceptionnellement une année en cas de rééducation professionnelle. La pension est attribuable également dans d’autres cas : au moment de la consolidation d’un accident hors législation du travail si les séquelles le justifient, ou avant le terme de

125

3 ans si la maladie est stabilisée et non améliorable. Enfin, autre circonstance parfois méconnue, l’attribution est possible d’emblée, sans nécessité d’arrêt de travail préalable, sur constatation médicale de l’état d’invalidité. Une pension d’invalidité est toujours attribuée à titre temporaire. La situation de l’assuré invalide est susceptible d’évoluer, avec demande de réexamen soit à l’initiative du médecin traitant, soit à celle de l’assuré ou encore à celle du médecinconseil. Les modalités de révision de la pension donnent un éclairage intéressant sur la latitude laissée au médecin-conseil. La décision est toujours encadrée par l’appréciation médicale, mais sur des bases socioéconomiques sensiblement différentes. Une aggravation de l’état de santé justifie parfois le passage de la 1re à la 2e catégorie. À l’inverse, une amélioration est susceptible de diminuer le montant de la pension. Lorsque l’amélioration est telle que l’assuré est en état de se procurer dans une profession quelconque un salaire supérieur à la moitié de la rémunération d’un travailleur de la catégorie professionnelle à laquelle il appartenait antérieurement, la pension est suspendue ou supprimée. En revanche si la capacité de gain reste inférieure à 50 %, l’invalidité est maintenue, éventuellement assortie d’un changement de classement. À retenir Ainsi, l’évaluation de la situation de handicap par le médecin-conseil est en lien direct avec les modalités de versement par la Caisse d’assurances sociales, tant pour le montant de la pension que pour les droits annexes, par exemple l’exonération du ticket modérateur. Cette évaluation est en revanche sans lien avec le contrat de travail, ce qui explique le paradoxe suivant : un assuré en invalidité de 2e catégorie peut travailler, malgré la définition assurancielle qui le décrit comme absolument incapable d’exercer une activité quelconque. Cela est possible car l’avis du médecin-conseil ne s’impose pas au médecin du travail. Et c’est vers ce dernier, et lui seul, que l’employeur doit se tourner pour recueillir son avis sur l’aptitude médicale du salarié.

Évaluation de l’aptitude médicale par le médecin du travail Le choix d’embaucher ou celui de maintenir en fonction un salarié relève toujours, in fine, de la responsabilité de l’employeur. Selon les termes de

126 la réglementation, les conclusions du médecin du travail doivent être prises en considération par l’employeur. Cette formulation a son importance. Le médecin du travail ne décide pas : le législateur laisse au chef d’entreprise ses prérogatives de dirigeant, tout en ouvrant un espace obligatoire de médiation et de recherche de solution.30 En l’absence de définition légale ou jurisprudentielle de l’aptitude médicale, le médecin du travail a comme référence le principe général qui guide l’ensemble de son activité : « éviter l’altération de la santé des travailleurs du fait du travail ». Cela le conduit à intégrer plusieurs déterminants, en particulier celui de dangerosité pour le salarié ou pour les tiers et celui d’adaptation. Il conclut son évaluation par la formulation d’un « avis d’aptitude » rapprochant l’estimation de l’état de santé et la situation de travail, à un moment donné et dans un contexte déterminé. La connaissance du milieu de travail dans lequel évolue le salarié distingue donc l’évaluation du médecin du travail de celle des autres disciplines médicales. Son appréciation est qualitative, elle se décline avec des mots et non en pourcentage. Elle s’organise en plusieurs séquences qui se chevauchent plus qu’elles ne se succèdent. Chacune d’elles intègre des données collectées à la fois au cabinet médical et en milieu de travail, comme le montre la représentation schématique de la Figure 11. L’entretien avec le salarié est le temps essentiel qui conditionne tous les autres. Le médecin du travail n’est pas un médecin choisi, la confiance ne

Figure 11 Évaluation de l’aptitude médicale par le médecin du travail.

P. Watine naît pas forcément à la première rencontre. Par approches successives, il devient possible de mesurer le degré d’autonomie, l’acceptation ou le déni de la déficience, le risque d’évolutivité, l’existence ou non d’un soutien amical ou familial, la motivation personnelle, autant d’éléments à confronter à la situation de travail. Cette connaissance du milieu de travail est tout aussi déterminante. L’histoire de l’entreprise, ce qu’elle produit, sa taille, l’image qu’elle a, celle qu’elle souhaite diffuser, les équipes de travail, le climat social, l’environnement économique... tout cela influe bien évidemment. La stratégie d’insertion différera d’une entreprise à l’autre, selon qu’elle affiche une culture intégrative ou, à l’inverse, qu’elle considère l’obligation d’emploi des personnes handicapées comme une contrainte. L’examen clinique permet de se faire une première opinion sur les capacités à exercer l’activité professionnelle. Cet examen doit s’attacher aux fonctionnalités. La mesure de l’acuité visuelle par exemple est intéressante, mais insuffisante. C’est bien l’appréciation de la vision fonctionnelle qui est déterminante, mais celle-ci doit être contrôlée en évitant l’excès d’investigation, au risque de ne plus être dans le cadre de l’évaluation de la compatibilité, mais dans un processus de sélection, à l’opposé d’une démarche intégrative ! Il existe aussi une clinique du travail. Elle s’appréhende bien sûr lors des visites des locaux mais aussi par les confidences des salariés. Le cadre de travail, l’ambiance générale, l’existence de nuisances spécifiques, l’accessibilité des lieux, le niveau de sécurité sont autant de points à confronter à la problématique spécifique posée. Ici aussi, il faut se garder des représentations qui entourent la notion de handicap, par exemple en donnant une importance excessive à telle ou telle contrainte. L’activité risque-t-elle d’aggraver la déficience ? La perte fonctionnelle est-elle susceptible de créer un accident pour l’intéressé ou pour autrui ? On est là confronté à la délicate question du « risque acceptable »...31 Selon la taille de l’entreprise, les contacts se font soit directement avec l’employeur, soit avec les différents échelons hiérarchiques. Les entretiens permettent de mieux connaître les conditions de travail, les contraintes, les possibilités de soutien de la part des collègues. Les échanges doivent d’une part respecter le secret médical et, d’autre part, les confidences reçues auprès des tiers. L’insertion d’une personne handicapée est en général plus aisée quand l’entreprise a préalablement été sensibilisée à tout ce qui environne la notion de handicap. Le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHS-CT) est une instance

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France particulièrement bien placée pour concourir à cet accueil et pour témoigner des réussites d’intégration. L’ensemble des informations recueillies révèle la qualité des compensations acquises et celles qu’il faut encore gagner. Parfois, le constat conduit à différer une reprise de travail. Dans d’autres cas, l’avis d’aptitude sera accompagné de recommandations. Plus rarement, le salarié sera déclaré inapte à exercer son activité, ouvrant la voie de la négociation avec l’employeur pour trouver une alternative positive, conformément à l’article L. 24110-1 du Code du travail, qui stipule que « le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutation ou transformation de poste, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé des travailleurs ». C’est dans ce cadre que sera éventuellement mobilisé le réseau pluridisciplinaire d’insertion. L’orientation vers une Cotorep ne va pas de soi, une discussion s’impose préalablement pour mesurer avec l’intéressé le bénéfice potentiel qu’apporterait la reconnaissance « travailleur handicapé ». C’est ici que l’information sur les associations de soutien ou d’aide à la conduite de projet trouve évidemment sa place, comme celle d’un bilan de compétence lorsque cette évaluation apparaît pertinente. La place du médecin du travail consiste donc à accoler l’évaluation de l’efficience de la personne à celle de la situation de travail, à une réalité concrète et non pas hypothétique. Cette situation prend en compte l’environnement matériel et humain, la polyvalence, les qualités techniques requises. L’aptitude médicale ne doit cependant pas être confondue avec l’aptitude professionnelle, même si parfois les frontières sont difficiles à cerner. Le but est de trouver la meilleure adéquation entre le sujet et un métier qui atténuerait, ou mieux effacerait le handicap. En réalité, la diversité des avis formulés montre que cet objectif n’est pas toujours atteint, loin s’en faut. Entre les conclusions « apte » et « inapte », l’éventail des conclusions intermédiaires est large (Fig. 12). Chaque situation intermédiaire ouvre sur une alternative, selon qu’il est possible ou non de répondre à la sollicitation. Ainsi, entre l’insertion réussie et le constat d’échec, les conclusions temporaires conduisent à un nouveau cycle de recherche et de médiation...

Outils d’insertion professionnelle La loi du 10 juillet 1987 fait de l’intégration professionnelle et sociale des personnes handicapés une

127

Figure 12 L’avis d’aptitude formulé par le médecin du travail.

obligation nationale. Pour atteindre cet objectif, un dispositif complexe s’est progressivement constitué, dans lequel se mêlent des mesures incitatives et d’autres plus contraignantes. Toutes ces mesures ont la même finalité : l’égalité des chances.32

Autonomie de la personne handicapée Avoir son autonomie, c’est se déplacer librement, se loger, trouver du travail pour gagner sa vie et se doter d’une identité sociale. Cela ne va pas de soi. Pour l’adaptation du logement, des aides fiscales allègent les coûts d’acquisition ou de rénovation, en complément de primes ou de subventions spécifiques. Cependant, si d’importants progrès sont réalisés pour l’accès dans les transports et les lieux publics – aménagements de trottoirs, rampes, guichets pour malentendants, dalles en relief sur les quais de gare... – beaucoup reste à faire pour rendre l’environnement quotidien accessible. L’accessibilité ne se limite pas à créer une pente pour autoriser la circulation d’un fauteuil roulant ! Il faut considérer l’architecture d’un lieu de travail dans sa globalité. Ce recensement concerne les personnes ayant des difficultés motrices, mais aussi celles qui ont un déficit sensoriel ou une maladie chronique, une affection cardiaque, respiratoire, etc. Le diagnostic d’accessibilité concerne des professionnels ayant des compétences diverses, l’un sur la législation, un autre à propos de la rénovation des bâtiments, un autre encore sur la technologie, les contraintes de production... Le point de vue des usagers – grands, petits, en fauteuil, malvoyants, sourds... – est évidemment essentiel. Écouter leur « différence », conduit à intégrer, si possible dès la construction des ouvrages, la spécificité et la diversité de chacun. Apprécier la qualité d’un site passe donc par l’observation des moyens de repérage et d’orientation dans l’espace, par l’évaluation des

128 contraintes liées aux déplacements ou à la préhension des objets, par la mesure de la luminosité, de l’acoustique, de la température, sans négliger tout ce qui touche à la sécurité et aux consignes d’évacuation. En ce qui concerne ce dernier point, l’évacuation des personnes à mobilité réduite est souvent oubliée dans les consignes générales ; celles-ci sont donc à concevoir compte tenu de la diversité des publics. Ce qui est indispensable pour certains se révèle vite profitable à tous : moins de fatigue, plus de confort, de sécurité, meilleure qualité de vie au travail... et, par voie de conséquence, meilleure qualité de la production !

Aides techniques situationnelles Selon la norme internationale ISO 1999 est considérée comme aide technique « tout produit, instrument ou système utilisé par une personne handicapée et destiné à prévenir, compenser, soulager ou neutraliser la déficience, l’incapacité ou le handicap ».33 Ces aides sont assez souvent coûteuses. Le remboursement n’est pas toujours garanti par l’organisme d’Assurance maladie et, quand il est pris en charge, ce n’est que très partiellement, sur la base du tarif des prestations sanitaires. Un financement est possible dans le cadre du travail à condition de faire valoir l’impératif professionnel. Il en est ainsi des prothèses auditives, sous réserve qu’elles puissent être requalifiées en aides techniques situationnelles ! Il ne s’agit pas ici de présenter de façon exhaustive l’ensemble des aides disponibles, mais seulement d’illustrer par quelques exemples leur application pratique. Diverses associations et de nombreux ouvrages – en particulier ceux qui sont édités par le Centre technique national d’études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI) – mettent à la disposition des usagers une documentation spécialisée, consultable en fonction de la particularité de chaque situation. Compensation d’une déficience auditive Les personnes qui portent une prothèse auditive comprennent et identifient mieux l’origine et la nature des sons lorsque des aides techniques spécialisées sont installées dans les locaux. La plus classique de ces aides est la « boucle magnétique ». C’est un système simple, efficace et peu coûteux. Il donne un bon confort d’audition car le son au lieu d’être reçu par les haut-parleurs est perçu amplifié par la boucle, sans bruit de fond et sans perturber les personnes voisines. Une autre technique, fondée sur l’émission d’ondes radio courtes de haute fréquence est plus com-

P. Watine plexe à mettre en œuvre. Son avantage est de permettre le déplacement dans un périmètre plus large que celui de la technique précédente. Le système par infrarouges, quant à lui, utilise l’onde lumineuse comme support de la modulation de fréquence. Son coût est lié à l’acquisition d’appareils récepteurs spéciaux. La mobilisation de la perception visuelle ou tactile peut être utilisée pour pallier les signaux sonores devenus inaudibles comme la sonnerie du téléphone, une alarme, un moteur en marche. Le message est transmis selon le cas soit par une lampe pour indiquer une mise en service, soit par un voyant lumineux clignotant pour alerter, soit encore par un vibrateur ou par un système de soufflerie pour se substituer au bruit d’une machine en mouvement. Les personnes malentendantes sont particulièrement gênées par les ambiances bruyantes ou très sonores. Un éclairement de bonne qualité aide à la lecture labiale, à condition bien sûr que l’interlocuteur évite de se placer à contre-jour, près d’une fenêtre par exemple. Compensation d’une déficience visuelle Le non-voyant se représente l’environnement par l’écoute des sons, leur résonance, leur direction.34 Il recherche des contrastes acoustiques entre les espaces parcourus. Un exemple d’aide technique consiste donc à installer, sur un parcours de fréquentation habituelle, une succession de réflecteurs d’ambiance sonore. L’utilisation de matériaux différents donne ainsi des informations utiles, comme la proximité d’un escalier. Ces zones de contraste doivent avoir une longueur et une hauteur de 2 m au minimum. Le balayage de la canne blanche complète ce guidage, pour « voir » les obstacles gênants, ainsi que les modifications de relief, en particulier le long des trottoirs ou à l’approche d’un dénivelé. La personne malvoyante sera aidée dans ses déplacements par un marquage au sol à l’aide de bandes colorées. Son orientation sera facilitée et la sécurité générale renforcée. Il en est de même pour tout obstacle peu visible à hauteur d’homme, en particulier les portes vitrées sur lesquelles doivent impérativement être posées des bandes de repérage. Cette précaution est d’ailleurs une obligation dont l’utilité est évidente pour tous.

Obligation d’emploi Les articles L.323-1 à 39 du Code du travail traitent des modalités d’emploi des travailleurs handicapés en déclinant les dispositions générales inscrites dans la loi du 10 juillet 1987. Ils précisent la qualité

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France des bénéficiaires, ainsi que les responsabilités qui incombent aux employeurs. C’est également dans cette partie du Code que l’originalité de certaines dispositions est exposée, en particulier dans le domaine de la formation, de la réadaptation ou de l’accès au réseau de l’insertion socioprofessionnelle. En contrepartie de l’obligation d’emploi, l’État soutient des initiatives d’embauche ou de remise au travail en milieu ordinaire de production.35 Les conditions d’obtention de l’aide sont codifiées, soit pour accorder directement aux employeurs un financement d’emploi de travailleurs handicapés, soit en cofinancement d’opérations novatrices, par exemple la conception ergonomique d’outils pour en faciliter l’utilisation. Obligation d’emploi dans le secteur privé général L’entreprise entre dans le champ de la loi lorsque son effectif est de 20 salariés et plus. Elle a la faculté d’opter, de façon exclusive ou complémentaire, entre quatre possibilités pour s’acquitter de son obligation : • l’embauche ou le maintien dans l’emploi de « personnes bénéficiaires » au sens de la loi, c’est-à-dire : C les travailleurs reconnus handicapés par une Cotorep ; C les victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle ayant une incapacité permanente partielle (IPP) au moins égale à 10 % et titulaires d’une rente attribuée au titre du régime général de Sécurité sociale ou de tout autre régime de protection sociale obligatoire ; C les titulaires d’une pension d’invalidité attribuée au titre du régime général de Sécurité sociale, de tout autre régime de protection sociale obligatoire ou au titre des dispositions régissant les agents publics à condition que l’invalidité des intéressés réduise au moins des deux tiers leur capacité de travail ou de gain ; C les anciens militaires et assimilés, titulaires d’une pension militaire d’invalidité au titre du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ; C les veuves et orphelins de guerre, sous certaines conditions ; • la mise en œuvre d’une politique interne dans le cadre d’un accord de branche, d’entreprise ou d’établissement, selon des modalités précisées à l’article L. 323-8-1 du Code du travail ; • la signature de contrats de sous-traitance, de prestations de services ou d’achat de fourni-

129

tures auprès du secteur protégé, dans la limite de la moitié du quota ; • le versement d’une contribution volontaire à l’AGEFIPH (association nationale pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées). Cette dernière modalité est choisie, partiellement ou en totalité, par plus de la moitié des entreprises. Ce versement ne doit pas être confondu avec les pénalités infligées aux entreprises qui « oublient » de faire correctement leur déclaration et de l’adresser aux services de l’emploi, et cela au plus tard le 15 février de l’année civile. Le principe directeur du quota est simple en apparence. Le calcul est en réalité assez complexe car le taux de 6 % ne correspond pas forcément à un nombre de six travailleurs handicapés pour 100 salariés. En effet, ce pourcentage se déduit d’un calcul basé sur le principe « d’unités bénéficiaires proratisées » (UBP). Une personne reconnue travailleur handicapé (TH) compte au moins pour une unité. En fonction de différents paramètres – l’âge, la catégorie TH, le taux d’incapacité – des fractions d’UBP supplémentaires sont éventuellement attribuées, en considérant que l’effort d’intégration est a priori plus important lorsque la déficience est plus lourde. En toute hypothèse, le seuil individuel de 5,5 UBP ne peut être dépassé. Le recensement des UBP n’est autorisé qu’à partir des signalements volontaires des personnes concernées. Une fois leur accord obtenu, le décompte total s’obtient en divisant toutes les UBP par l’effectif de l’entreprise. Cet effectif prend en considération le temps contractuel de travail et la nature de l’activité exercée. En effet, certains emplois sont exclus du champ de l’obligation d’emploi, par exemple les ouvriers du bâtiment. Les entreprises de travail temporaire sont assujetties uniquement pour leurs salariés permanents. Obligation d’emploi dans la fonction publique Le quota de 6 % de travailleurs handicapés s’applique également dans la fonction publique d’État, des collectivités territoriales et du secteur hospitalier. Cependant, les administrations ne cotisent pas au fonds AGEFIPH. Elles ne sont donc pas pénalisées lorsqu’elles n’approchent pas ce taux. En contrepartie, elles financent avec leurs propres crédits de fonctionnement les aménagements de postes de travail. Le Fonds interministériel d’aide à l’insertion professionnelle des personnes handicapées, créé dans la fonction publique en 1998, ne leur apporte pas de dotation complémentaire importante car il a seulement vocation à soutenir les initiatives novatrices.

130 L’accès aux emplois publics est subordonné à une décision préalable d’une commission spécifique de la Cotorep, qui s’exprime sur la compatibilité entre le handicap des candidats et des emplois postulés. Ensuite, plusieurs modalités d’entrée cohabitent : • la première voie d’accès est celle du concours de droit commun avec éventuellement des aménagements selon la déficience du candidat ; • la seconde est celle des « emplois réservés », système qui existait également dans le secteur privé avant 1987 et qui a été abandonné depuis. Le principe demeure dans le secteur public : un certain nombre de postes sont dédiés en priorité aux travailleurs handicapés ; • enfin, la voie contractuelle est possible pour toutes les catégories d’emploi depuis 1995. Le contrat est conclu pour 1 an renouvelable une fois. Après cette période initiale, le contractuel est titularisé à la double condition d’avoir fait preuve de compétence professionnelle et d’être à égalité de diplôme avec les candidats de la filière classique du concours. Contrat de travail du salarié « travailleur handicapé » Quelques garanties supplémentaires sont octroyées, au moment de l’embauche ou en cas de licenciement. Le bénéfice de ces avantages est à l’initiative du salarié car, comme cela a été dit plus haut, l’employeur n’est pas en droit d’évoquer de lui-même le motif « handicap », au risque d’être sanctionné pénalement lors d’une procédure de recrutement, ou lors du départ d’un collaborateur. La période d’essai est fixée par les conventions ou accords collectifs de travail. Il peut être convenu de dispositions permettant un temps d’adaptation aux tâches prescrites. En cas de maladie ou d’accident, des avantages spéciaux conventionnels sont accordés dès l’embauche. Le salaire ne peut pas être inférieur à celui fixé par la convention collective applicable ou par les réglementations en vigueur. Cependant, un abattement de salaire est envisageable si le rendement professionnel est notoirement diminué. L’employeur doit alors solliciter une dérogation auprès de la Commission départementale des travailleurs handicapés, habilitée également à statuer sur les contestations. En cas d’acceptation, un complément de rémunération est versé par l’état au salarié handicapé, par le biais de la garantie de ressources. Ces dispositions procurent au salarié handicapé une protection sociale renforcée. Cela ne veut pas dire pour autant que le travailleur handicapé soit un salarié protégé au sens juridique du terme. Le licenciement pour un motif non lié à son état de

P. Watine santé ou à son handicap ne bénéficie pas de protection particulière, hormis un allongement de la durée de préavis : le délai-congé est doublé, sans dépasser le terme de 3 mois. Formation professionnelle La formation professionnelle des jeunes est fonction de l’orientation scolaire dans l’enfance : soit dans le cadre des études classiques, soit en milieu adapté. Ainsi l’apprentissage est possible dans un centre de formation d’apprentis spécialisé (CFAS) ou de droit commun (centre de formation des apprentis [CFA]), ou en lycée professionnel. Si nécessaire, un financement spécifique est accordé soit directement à l’apprenti, soit aux enseignants, pour des aménagements techniques ou pour le soutien en personnel complémentaire. L’entrée en apprentissage est autorisée jusqu’à 26 ans au lieu de 25 ans, assortie de la possibilité d’allonger la durée du contrat d’apprentissage. Le travailleur handicapé adulte a évidemment accès à la formation continue ainsi qu’aux bilans de compétence aux mêmes conditions que tout autre salarié. En cas d’accompagnement par une Cotorep, une évaluation spécifique est envisageable pour guider une réorientation professionnelle. La formation s’effectue dans le cadre normal d’un congé individuel de formation (CIF), ou dans celui de la formation professionnelle des adultes (AFPA). Elle pourra prendre une filière plus originale, par exemple celle d’un contrat de rééducation en entreprise (CRE), ou d’une formation qualifiante dans un centre de rééducation professionnelle ou encore d’un soutien pédagogique subventionné. Contrat de rééducation en entreprise Peu connu et, il faut bien le reconnaître assez lourd à mettre en œuvre, le contrat de rééducation en entreprise (CRE) à durée déterminée séduit par son pragmatisme. Conclu entre l’employeur, le salarié et l’organisme de protection sociale, il vise à la reprise de l’activité antérieure après actualisation des acquis ou après l’apprentissage d’un nouveau métier. L’originalité de la formule, en comparaison des stages en centre de rééducation professionnelle, est qu’elle se déroule sur site, ce qui lui donne une plus grande efficacité. Elle a également le mérite d’écourter le temps de rupture avec le tissu relationnel de l’entreprise.

Adaptation des situations de travail Le maintien dans l’emploi d’un salarié en situation de handicap fait appel à des mesures qui ont pour objectif de compenser la déficience, de modifier l’environnement de proximité ou encore d’agir sur

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France l’organisation générale du travail. Ces mesures sont mobilisées isolément ou, le plus souvent, de façon combinée. Le rôle du médecin du travail est déterminant pour leur mise en œuvre.36 Le cas le plus classique est celui d’une intervention ponctuelle auprès d’un salarié « inapte au poste » en raison d’une maladie évolutive ou d’un accident qui laisse des séquelles. La reprise de l’activité qu’il occupait antérieurement à l’arrêt de travail n’est plus envisageable en l’état. Le constat de cette impossibilité est encore trop souvent exprimé dans l’urgence, au moment d’une visite de reprise de travail programmée à la hâte. Dans d’autres cas heureusement, un signalement durant la période d’arrêt de travail donne au médecin du travail la possibilité de recevoir le salarié dans le cadre d’une visite dite de « préreprise ». Initiée par le médecin-conseil, le médecin traitant ou le salarié, cette visite prépare dans les meilleures conditions l’éventualité du retour au travail. Temps partiel thérapeutique L’organisation d’une reprise progressive d’activité est possible dans le cadre d’une prescription spécifique modifiant temporairement les durées de repos et de travail, sans pour autant toucher au temps contractuel de travail. L’intérêt est double : tester la capacité de réintégration et limiter le temps d’arrêt complet d’activité, sachant que plus l’éloignement du milieu de travail est prolongé, plus les chances de succès s’estompent. La mise en œuvre d’un temps partiel thérapeutique mobilise cinq intervenants : trois demandeurs et deux décideurs. La demande vient parfois du salarié, plus souvent du médecin traitant ou du médecin du travail. Ces trois interlocuteurs ont à se concerter pour évaluer la pertinence de la proposition. La prescription de l’arrêt de travail à temps partiel relève du médecin traitant, avec indication de la durée et du temps global de repos. À noter que si la séquence la plus utilisée est le mi-temps, d’autres modalités sont possibles. Seule condition préalable : la prescription doit succéder à un arrêt de travail « à temps plein ». Le rôle du médecin du travail est de donner son point de vue sur la partie travaillée, en précisant le rythme et le contenu de l’activité exercée à temps partiel. Les deux décideurs sont le médecin-conseil de l’organisme d’Assurance maladie et l’employeur du salarié concerné. Le médecin-conseil est le correspondant du médecin traitant et du patient ; il autorise ou non la prise en charge financière de la prescription. L’employeur est le correspondant du médecin du travail et du salarié ; il est en droit d’accepter ou de refuser la demande de limitation temporaire de l’activité.

131

Aménagements pour compenser une déficience Une altération de la motricité conduira à préconiser une modification de la procédure de travail, un allégement des tâches, une limitation des déplacements, une aide ponctuelle par un collègue d’atelier... Une atteinte sensorielle amènera à doter le poste de travail de matériel spécifique. Par exemple pour une personne malvoyante, en mettant à sa disposition une aide technique situationnelle de type synthèse vocale ou logiciel « gros caractères ». Il n’y a évidemment pas d’aménagement standard. Chaque cas a ses spécificités et impose une étude précise des besoins. Cette étude conduira parfois à observer les limites de l’aménagement du poste de travail, laissant persister un risque d’exclusion. Il est alors essentiel de retracer le parcours de la personne et de repérer les liens complexes entre l’état de santé et l’environnement professionnel, dans sa double composante humaine et technique. Ce diagnostic de la situation de handicap permet par exemple d’observer que la réponse n’est pas tant matérielle que relationnelle. Encourager l’expression des uns et des autres dans l’entreprise suffit parfois à lever les craintes, à mieux se comprendre, à s’organiser autrement sans que cela nuise aux contraintes de production. La situation de handicap dépasse parfois la sphère individuelle, pour toucher plusieurs salariés, par exemple atteints de troubles musculosquelettiques suite à des gestes répétitifs. Si l’analyse est similaire à celle qui est exposée ci-dessus, la résolution mobilise encore davantage l’ensemble des structures de l’entreprise. Elle suppose une prise de conscience globale pour susciter la modification de l’organisation du travail, celle des rythmes et des procédures, afin que l’entreprise ne soit plus productrice de déficiences ! Stratégie de maintien dans l’emploi Une fois la situation de handicap repérée, la démarche d’intervention en entreprise passe, comme toute conduite de projet, par la construction de la demande, sa mise en œuvre et l’évaluation des résultats. Étapes du projet Le premier temps est celui de la prise de contact avec l’entreprise, après s’être assuré de l’accord du salarié concerné. L’interlocuteur est le chef d’entreprise. En fonction des circonstances, un ou plusieurs membres de la hiérarchie ou encore les délégués du personnel participent aux échanges. Des intervenants extérieurs s’ajoutent éventuellement à cette liste : le médecin-conseil de l’orga-

132 nisme d’Assurance maladie, un chargé d’insertion, un ergonome, une assistante sociale, etc. L’analyse du contexte de la demande permet de cerner les enjeux de l’intervention projetée et de recueillir les différents points de vue. L’investigation repère le ou les déterminants du risque d’exclusion : un arrêt de travail qui se prolonge et qui conduit à des difficultés d’organisation interne, un événement nouveau, un changement d’organisation ou de responsable hiérarchique. Les échanges avec l’employeur méritent souvent d’être formalisés par un écrit. Lorsque la démarche implique la mobilisation de moyens conséquents, il y a lieu de préciser les modalités de l’action envisagée, le rôle et les missions des acteurs impliqués, en particulier celles d’un « chef de projet » nommément désigné. Cette formalisation contractuelle du cadre, du contenu et de la méthode projetée est sans doute contraignante. Elle permet cependant d’éviter des malentendus et de programmer le calendrier d’intervention. Point fort L’analyse de l’activité de travail comprend une observation détaillée des tâches et de l’environnement matériel et humain. Il est important de mesurer les interactions entre les éléments objectifs et subjectifs. Ces derniers, comme cela a déjà été souligné, jouent un rôle essentiel à ne jamais négliger. La restitution de l’analyse globale évalue la faisabilité du maintien dans l’emploi, au mieux dans l’entreprise, à défaut par le biais d’un reclassement externe. Bien sûr, l’implication du salarié dans la démarche est décisive. Accompagnement Le maintien dans l’emploi ne nécessite pas forcément de financement spécifique. En cas de besoin, le dossier doit être correctement argumenté pour donner les meilleures chances d’acceptation et de rapidité. Cette argumentation se construit en partenariat avec le réseau de maintien dans l’emploi. Il est souvent utile d’établir un calendrier de suivi pour valider au fil du temps les solutions techniques retenues. Au mieux, une situation d’équilibre se crée, avec l’espoir de la voir se pérenniser. Parfois, malheureusement, une rupture du statu quo remet tout en question. Parmi la multitude de causes possibles, on retiendra l’évolution de l’état de santé, la modification d’une procédure de travail, l’impossibilité de tenir le rythme imposé, un changement de personne dans la hiérarchie, le rejet de collègues, une restructuration... ou tout simplement l’âge.

P. Watine

Réseau pluriprofessionnel d’insertion et de maintien dans l’emploi L’intégration en milieu ordinaire de travail sollicite de nombreuses structures, chacune ayant son propre mode de fonctionnement et, assez fréquemment, un champ d’intervention qui chevauche partiellement celui d’autres organismes. Un mouvement se dessine cependant pour donner plus de cohérence et d’efficacité aux partenariats.

Association nationale de gestion pour l’insertion professionnelle des handicapés Comme cela a été indiqué, cet organisme (l’AGEFIPH) gère les fonds alimentés par les contributions des entreprises qui n’atteignent pas le quota de 6 %. Ces fonds collectés servent à développer un large éventail d’actions au sein desquelles l’association se positionne non pas en tant qu’opérateur direct mais en qualité d’initiateur ou de soutien de projets, en complémentarité des aides de l’État.37 Les projets doivent satisfaire à un ensemble de conditions énumérées dans un programme d’intervention structuré, décliné en « vingt mesures pour l’emploi ou le maintien dans l’emploi des personnes handicapées dans les entreprises » : • information et sensibilisation ; • diagnostic et conseil ; • bilan d’évaluation et d’orientation ; • mise à niveau et mobilisation ; • formation professionnelle ; • aides à l’apprentissage ; • aides à la formation en alternance ; • soutien et suivi de l’insertion ; • aides techniques et humaines ; • aménagement des situations de travail ; • accessibilité des lieux de travail ; • détachement en entreprise ; • rapprochement du milieu protégé et du milieu ordinaire ; • action préparatoire au placement ; • réseau d’insertion et de placement ; • maintien dans l’emploi ; • création d’activité ; • prime à l’insertion ; • soutien à l’intégration en milieu ordinaire de travail ; • aides aux innovations. L’AGEFIPH soutient de façon indifférenciée l’intégration quelle que soit l’origine ou la forme de la déficience. De façon annexe, elle contribue à l’action des structures d’appui-conseil dédiées à des situations spécifiques par exemple en faveur de personnes aveugles, ou atteintes de surdité, de maladie mentale,38 de déficit moteur, etc.

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France Par l’intermédiaire de ses 18 délégations régionales, l’AGEFIPH est en relation privilégiée avec l’ensemble du réseau d’insertion, en particulier avec les structures « Cap emploi » qui regroupent les équipes de préparation et de suite du reclassement (EPSR) et les organismes d’insertion et de placement (OIP). Ce rassemblement au sein d’une seule entité est révélateur de la volonté de rapprocher des moyens dispersés. Il fait suite à une convention d’objectifs entre l’État et l’AGEFIPH, signée en 1998, pour donner plus de cohérence entre les actions des organismes de placement et celles conduites par les autres opérateurs. Sous la dénomination commune « Cap emploi », divers organismes se sont ainsi fédérés en réseau. Financés par l’AGEFIPH, ils comprennent plus d’un millier de collaborateurs dont la mission est d’informer les entreprises et d’accompagner le recrutement ou le reclassement des personnes en situation de handicap.

Programmes départementaux d’insertion des travailleurs handicapés Les programmes départementaux d’insertion des travailleurs handicapés (PDI-TH), ont vocation à assurer une bonne articulation entre les actions des différents partenaires publics et privés de l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés. Créés dans quelques régions à titre expérimental en 1991, ils se sont progressivement implantés dans chaque département. La conception et la mise en œuvre des actions relèvent de la Direction du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Chaque comité de pilotage détermine les orientations en fonction des besoins locaux, allant de la sensibilisation auprès des entreprises à l’élaboration de projets personnalisés, de bilans préparatoires à l’emploi, ou encore au soutien à des formations qualifiantes...

Services de l’emploi La personne reconnue travailleur handicapé qui se trouve en recherche d’emploi en milieu ordinaire de travail a la possibilité, comme toute autre personne, de s’adresser à l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE). Faisant partie des publics prioritaires de la politique de l’emploi, elle bénéficie d’un accès privilégié aux contrats aidés par l’État. En général, elle est guidée par un conseiller pour l’insertion des travailleurs handicapés. Ce conseiller est en relation avec l’antenne départementale « Cap emploi ». Celle-ci prend, le cas échéant, le relais pour accompagner le demandeur d’emploi dans ses démarches. Des cellules spécia-

133

lisées apportent leur compétence, en lien avec les structures d’insertion et en collaboration avec les médecins du travail.

Organismes de protection sociale Les Caisses régionales d’Assurance maladie sont dotées d’un service social spécialisé dont la mission est d’apporter une aide personnalisée aux assurés, non seulement pour l’accès aux soins mais aussi pour l’insertion et la prévention de la désinsertion. Lorsque le retour au travail d’une victime d’accident du travail ou de maladie professionnelle apparaît problématique, le médecin-conseil a la possibilité de se concerter avec le médecin du travail. Le signalement se fait par le biais d’une fiche de liaison. Dans certains départements, ce signalement est effectué systématiquement pour tout arrêt prolongé, quelle qu’en soit la cause. Chaque Caisse primaire d’Assurance maladie comporte une antenne « reclassement professionnel ». Il est possible de la solliciter pour faciliter le maintien dans l’emploi. Elle est par ailleurs concernée par les formations en CRP dont elle suit l’accompagnement et prend en charge certains frais, notamment pour compenser partiellement la perte de salaire.

Secteur associatif Il existe un très grand nombre d’associations de type « loi de 1901 » dont l’objectif est de soutenir les personnes handicapées et leur entourage. Certaines d’entre elles s’adressent sans distinction à toutes les situations handicapantes, d’autres ciblent leur action auprès des personnes atteintes d’une déficience spécifique. D’importance et de notoriété variables, ces associations ont chacune leur histoire et leur originalité. L’impact de ce réseau a été et reste déterminant pour dynamiser les politiques intégratives. La loi du 10 juillet 1987 a donné aux associations ayant pour objet principal la défense des intérêts des handicapés la faculté d’exercer une action civile fondée sur l’inobservation des prescriptions de cette loi, lorsque cette inobservation porte un préjudice certain à l’intérêt collectif qu’elles représentent (art. L. 323-8-7 du Code du travail).

Exemple d’accompagnement pluriprofessionnel L’intégration de personnes atteintes de déficience visuelle fait volontiers appel à des compétences multiples. Tout d’abord parce qu’il est important

134 de distinguer la cécité complète de la basse vision et, dans ce dernier cas, d’apprécier si l’affection est stabilisée ou non. Ensuite parce que, à déficience égale, les conséquences fonctionnelles et psychologiques sont variables d’une personne à l’autre. La mesure arithmétique de l’acuité visuelle est insuffisante : ce qu’il faut apprécier, ce sont les potentialités de compensation. Ce point est particulièrement important en cas de maladie évolutive chez une personne en âge de travailler. La rééducation fonctionnelle s’intéresse d’une part à ce que le sujet perçoit de l’information visuelle tronquée que le cerveau décrypte et, d’autre part, au retentissement dans la vie psychique, relationnelle et de travail. La rééducation a pour objectif l’obtention d’un maximum d’autonomie, en aidant à faire face à des situations imprévues, à s’adapter aux réactions des autres, à connaître ses limites et ses possibilités d’actions. La démarche demande donc un effort et un investissement du patient considérables. Le programme de rééducation commence par optimiser l’information visuelle par le biais de stratégies adaptées à chaque cas, en particulier en prenant en compte l’altération centrale ou périphérique. Les conseils sont spécifiques : protection contre l’éblouissement ou apport d’un éclairage intense, usage ou non de la couleur, entraînement à la vision de près, intermédiaire ou lointaine. Selon le degré de performance obtenu, l’étape suivante consiste à utiliser les informations sensorielles non visuelles, par le toucher et l’audition, en y associant le développement des capacités de mémorisation. Ce temps a pour objectif de renforcer la possibilité de représentation mentale globale des objets et de l’environnement. Enfin, le troisième temps de la rééducation consiste à mettre en pratique les nouveaux acquis en situation réelle, chez soi, dans la rue, au bureau...et de tester les progrès obtenus. Cette évaluation permet d’ajuster si nécessaire les mesures d’accompagnement : acquisition de matériel, modification des procédures, bilan de compétences, changement d’affectation... Ainsi, avec la participation active de la personne aveugle ou malvoyante, l’évaluation de la déficience et l’accompagnement de la personne concernée sollicitent de nombreuses contributions. La compétence de l’ophtalmologiste est relayée par celle de l’opticien mais aussi par celle de l’instructeur en aide à la vie journalière. Le médecin du travail apporte la connaissance des conditions de travail, à affiner si nécessaire avec le concours complémentaire du psychomotricien, de l’ergonome, du spécialiste informatique. Le sec-

P. Watine teur associatif contribue, quant à lui, au soutien psychologique et procure des informations ciblées. Cet exemple d’accompagnement est reproductible pour la résolution de toute autre situation de handicap complexe. Quelle que soit la déficience, la réussite dépend à la fois de la dynamique personnelle de la personne concernée et de la capacité des professionnels à travailler en réseau pluridisciplinaire.

Conclusion Le principe de l’égalité des droits et des chances envers les personnes handicapées est de plus en plus affirmé, quels que soit la nature, la cause et les effets de leur déficience. Il trouve une résonance dans tous les secteurs et lieux de vie : au domicile, à l’école, au travail, pour les loisirs, les soins. Selon le cas, cela est obtenu par le droit commun ou, seulement si nécessaire, par des dispositifs spécifiques.39 Pour satisfaire cette ambition, un ensemble de mesures vise à rendre accessibles les lieux, mais aussi les structures et les procédures. L’accessibilité ne concerne donc pas seulement les bâtiments et les transports publics, mais également l’inscription dans une école publique ou l’entrée dans un processus de formation professionnelle qualifiante. Lorsque le handicap est très lourd, des mesures particulières sont mobilisables : lieux d’accueils adaptés, auxiliaires de vie, aides personnalisées aux familles et aux associations. Le secteur du travail est particulièrement concerné40 pour rendre effectif ce principe d’équité, aussi bien dans la grande entreprise, que dans les petites et moyennes entreprises (PME) et même dans la très petite entreprise. Lorsque l’insertion en milieu ordinaire de travail n’est pas envisageable, le secteur protégé se doit d’offrir une capacité d’accueil en phase avec les besoins. Sans ressources suffisantes, il est impossible d’équilibrer les chances. C’est pourquoi la réflexion politique actuelle tend à procurer non seulement les compensations financières liées au surcoût du handicap, mais également les moyens de subsistance qui ne seraient pas obtenus par l’activité.41 On retrouve ici la notion de solidarité nationale pour garantir à chacun une existence « autonome et digne ». La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a encore étendu le champ de cet effort collectif en posant le principe général du droit à compensation des conséquences d’une déficience. Dans le même esprit, la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades rappelle que toute personne handicapée a droit à la solidarité, quelle

Insertion et maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap en France que soit la cause de sa déficience, dans la continuité de la loi du 12 juillet 1990 qui sanctionne toutes les formes de discrimination, notamment celles qui sont relatives à la maladie ou au handicap. Au cours de la décennie, l’accompagnement individuel a indiscutablement progressé. Dans de nombreuses situations, les aides techniques et les mesures intégratives ont atteint leur but. Cependant, la connaissance des dispositions facilitatrices est encore loin d’être communément partagée. L’expression « parcours du combattant » est toujours d’actualité... Le projet de loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » résume dans son intitulé les ambitions de la réforme de la loi du 30 juin 1975. Ce projet, qui entre en application en 2005, ouvre la voie au droit à la prestation de compensation, se substituant à l’allocation compensatrice pour tierce personne. Il amorce la suppression progressive de toutes les dispositions comprenant une distinction entre les personnes handicapées en fonction de leur âge. La pleine citoyenneté est affirmée, sous-tendue par le principe général de non-discrimination. La « personne handicapée » est au cœur des dispositifs d’aide. L’accessibilité physique et fonctionnelle s’adresse à toutes les formes de déficience, sans se limiter aux difficultés motrices. La logique administrative cède le pas à une logique de service... Ainsi, l’idée d’installer des guichets uniques ouvrant sur un ensemble de compétences pluridisciplinaires42 apparaît très pertinente pour mieux diffuser l’information et donner directement accès à un système homogène de mesures dédiées aux personnes en situation de handicap, à leurs proches et aux professionnels accompagnant leur parcours personnel ou professionnel. Concrètement, cette idée se réalise déjà dans quelques départements où des « sites pour la vie autonome » reçoivent les demandes et proposent des plans d’aides personnalisés. Dans le même esprit, la réflexion engagée au sein des Cotorep est intéressante. Elle manifeste une volonté de clarification et de progrès pour mieux répondre à la délicate mission de conseil, d’orientation et d’attribution d’allocations spécifiques. D’une manière plus générale, l’objectif « autonomie des personnes handicapées » s’inscrit dans une démarche éthique. Certes, l’adaptation au cas par cas de la personne à son environnement nécessite toujours des ajustements. Mais ne faudrait-il pas raisonner autrement, inverser le processus d’intervention, en pensant « a priori » l’environne-

135

ment en fonction de la diversité des utilisateurs, de tous les utilisateurs, valides ou non, handicapés ou non, aptes ou inaptes à travailler ? Et, seulement dans un nombre limité de situations, agir spécifiquement par un accompagnement que l’on pourrait alors qualifier de « discrimination active »...

Références 1.

2.

3.

4. 5. 6.

7. 8.

9.

10. 11.

12.

13. 14.

15.

16. 17. 18.

19.

Hamonet CL. Situations handicapantes, désavantages et évaluation du handicap : pour une autre vision du normal et du pathologique. J Ergothér 1997;19:113–8. Stiker HJ, Vial M, Barral C. Handicap et inadaptation. Fragments pour une histoire : notions et acteurs. Paris: CTNERHI; 1996. Bloch-Lainé F. Étude du problème général de l’inadaptation des personnes handicapées. Rapport au Premier ministre, Supplément aux notes et études complémentaires. Paris: La Documentation française; 1969. Lenoir R. Les exclus. Paris: Seuil; 1974. Réduire les handicaps. Paris: La Documentation françaiseInserm; 1985. Lasnier MC. L’insertion professionnelle en milieu ordinaire des personnes en situation de handicap. Paris: Conseil économique et social-édition des Journaux Officiels; 2003. Ville I, Ravaud JF. Personnes handicapées et situations de handicap. Probl Polit Soc 2003;(n° 892) 124p. Conseil de l’Europe. Réadaptation et intégration des personnes handicapées : politiques et législations, rapport élaboré par le Comité pour la réadaptation et l’intégration des personnes handicapées. Strasbourg: éditions du Conseil de l’Europe; 2003. Lubeck P, Werner F, Laroque M. Rapport sur l’allocation aux adultes handicapés. Paris: Inspection générale des affaires sociales; 1998. Labregère A. L’insertion des personnes handicapées. Paris: La Documentation française; 1989 176p. Minaire P, Cherpin J, Flores JL, Weber D. La mesure du handicap dans la communauté : une micro-enquête dans un village français. Stat Sanit Mond 1989;42:167–76. Wood PH. Comment mesurer les conséquences de la maladie : la classification internationale des infirmités, incapacités et handicaps. Chronique OMS 1980;34:400–5. Nomenclature des déficiences, incapacités, désavantages. JO 1988;(n°spécial)88/13(bis) 28p. Minaire P, Cherpin J, Flores JL. La classification des handicaps : données actuelles, avantages et limites Encyclopédie médico-chirurgicale. Paris: éditions Techniques; 1991 5p. Rossignol C. Classification internationale des altérations du corps, invalidités et handicaps : modèles et enjeux du processus de révision. Handicap et inadaptations. Cah CTNERHI 1998;79-80:49–65. Handicap-incapacités-dépendance. Rev Fr Affaires Social 2003;57:1–2. OMS. Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Genève: OMS; 2001. Ebersold S. Le champ du handicap, ses enjeux et ses mutations : du désavantage à la participation sociale. Handicap, Rev Sci Hum Social 2002;94-95:152–6. Ville I, Ravaud JF, Letourmy A. Les désignations du handicap : des incapacités déclarées à la reconnaissance administrative. Rev Fr Affaires Social 2003;57:34–8.

136

P. Watine

20.

Leroy A. Conception des lieux de travail, Obligations des maîtres d’ouvrage, réglementation. Paris: INRS; 1997.

21.

Fardeau M. Personnes handicapées : analyse comparative et prospective du système de prise en charge. Paris: Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Ministère de la Santé; 2001.

22.

Grosbois LP. Handicap et construction. Paris: Le Moniteur; 1998.

23.

Levy G. L’accessibilité des transports aux personnes handicapées et à mobilité réduite. Paris: Secrétariat d’État aux personnes handicapées, secrétariat d’État aux transports et à la mer; 2003.

24.

Ravaud JF, Ville I, Jolivet A. Le chômage des personnes handicapées, l’apport d’une explication en termes de discrimination à l’embauche. Arch Mal Prof 1995;56:445–56.

25.

Ravaud JF, Fardeau M. Insertion sociale des personnes handicapées : méthodologie d’évaluation. Paris: INSERM/CTNERHI; 1994 276p.

26.

Ravaud JF, Didier JP, Aussilloux C, Ayme S. De la déficience à la réinsertion : recherches sur les handicaps et les personnes handicapées. Paris: INSERM/CTNERHI; 1997 261p.

33.

34. 35. 36. 37.

38. 39.

40.

41.

Lecomte D. Aides techniques aux personnes handicapées : situation actuelle, données économiques, propositions de classification et prise en charge. Paris: Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées; 2003. Hugues JF. Déficience visuelle et urbanisme. Malakoff: éditions Jacques Lanore; 1987. Triomphe A, Hermange C. Droits des personnes handicapées en France. Paris: Euredit; 1999. Rossignol F, Folliot D. Handicap et médecine du travail. Paris: Masson; 1998. Agefiph. Le maintien dans l’emploi des salariés malades ou handicapés en Île-de-France. Synthèse de la conférence régionale » Maintien dans l’emploi » du 28 février 2002. Paris: Agefiph; 2003. AGEFIPH. Maladie mentale et emploi. Point de repères. 1999. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. La politique française en direction des personnes handicapées. Paris: La Documentation française; 2000. Blanc A, Stiker HJ. L’insertion professionnelle des personnes handicapées en France. Paris: Desclée de Brouwer; 1998. Blanc P. Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur la politique de compensation du handicap. Paris: Les Rapports du Sénat; 2002 369p. Piveteau D. Propositions pour la mission et la structure d’une « Agence nationale des handicaps ». Rapport à l’attention des ministres des Affaires Sociales et de la Santé et de la secrétaire d’État aux personnes handicapées. Paris: éditions du Journal Officiel; 2003.

27.

Bregeon C. La qualité de vie dans la polyarthrite rhumatoïde. Médecine de l’homme 1999;244:9-14.

28.

Inapte au poste : que faire?. Paris: Cinergie; 2001.

29.

Guide barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées. Paris: CTNERHI; 1994 140p.

30.

Expert C, Watine P. Handicap et travail. In: Médecine et risque au travail. Paris: Masson; 2002. p. 673–83.

Pour en savoir plus

31.

Watine P. L’emploi des personnes ayant une épilepsie, rôle du médecin du travail. Réadaptation 1999;457:35–6.

32.

Poupon MT. Le potentiel productif des personnes handicapées. Conditions sociales et technologiques de sa valorisation. Paris: La Documentation française; 1992 205p.

www.handicap.gouv.fr. www.handitrav.ort. www.agefiph.asso.fr. www.ctnerhi.com.fr. www.handiplace.org.

42.