L’aviolicide, un parricide de substitution ? À propos d’un cas clinique

L’aviolicide, un parricide de substitution ? À propos d’un cas clinique

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AMEPSY-2755; No. of Pages 5 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2019) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Me´moire

L’aviolicide, un parricide de substitution ? A` propos d’un cas clinique Aviolicide: A substitute parricide? A case report Camille Larhant *, Sophie Raymond, Ivan Gasman Hoˆpital Paul-Guiraud, 54, avenue de la Re´publique, 94806 Villejuif, France

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Rec¸u le 27 de´cembre 2018 Accepte´ le 28 fe´vrier 2019

Observation. – L’aviolicide, ou meurtre des grands-parents, est un phe´nome`ne rare et peu e´tudie´. Nous pre´sentons le cas clinique de M. X, 31 ans, ne´ en ex-URSS et e´leve´ en France par ses grands-parents paternels. Vers ses 20 ans, M. X commence a` consommer des toxiques, puis s’isole sur le plan social. Un diagnostic de schizophre´nie paranoı¨de est pose´ a` l’aˆge de 24 ans. M. X est hospitalise´ plusieurs fois pour des troubles du comportement he´te´ro-agressifs et un de´lire de perse´cution a` l’e´gard de ses grandsparents. Le double aviolicide survient dans un contexte de rupture de suivi et de traitement. Discussion. – Nous comparons tout d’abord le cas de M. X avec les articles sur l’aviolicide retrouve´s dans la litte´rature, ce qui nous permet de conceptualiser la dynamique de l’acte soit comme un de´placement de la haine contre un parent, soit comme l’attaque des grands-parents en tant que figure parentale (en raison de l’absence re´elle ou symbolique des parents). Partant de ce constat, nous questionnons ensuite l’affiliation de l’aviolicide au parricide : nous retrouvons une similitude du profil (un homme jeune, de´sinse´re´ socialement, pour lequel un diagnostic de schizophre´nie paranoı¨de a e´te´ pose´ plusieurs anne´es auparavant, en rupture de traitement), mais aussi des passages a` l’acte comparables (au domicile des victimes, de´clenche´s brutalement par un e´ve´nement en apparence anodin, avec un mode ope´ratoire de´sorganise´, sans tentative de dissimulation). Conclusion. – Nous soulignons les similitudes entre aviolicide et parricide. Dans le cas de M. X, les grands-parents font office de figure parentale a` la fois sur le plan le´gal et symbolique. Ces e´le´ments nous conduisent donc a` envisager l’aviolicide comme un parricide de substitution.

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Mots cle´s : Addiction Cas clinique Grand-parent Homicide Parricide Passage a` l’acte Schizophre´nie

Keywords: Acting out Addiction Clinical case Grandparents Homicide Parricide Passage a` l’acte Schizophrenia

A B S T R A C T

Aviolicide is a specific form of parricide, referring to the act of killing one’s grandparents. It appears to be a rare event, although no precise data can be found about its occurrence, since it has not been often studied in medical literature. Observation. – We report the case of M. X, 31 years old, hospitalized in a high secure unit after killing both his paternal grandparents. This patient was born in Eastern Europe and raised by his grandparents in France. In his early twenties, he started consuming alcohol and drugs (mainly cannabis) and isolating from his relatives. He was diagnosed with paranoid schizophrenia when hospitalized at the age of 24, after a psychotic episode, with delusions of persecution towards his grandparents, aggressiveness and agitation. The delusions got more and more intense in the next years, as the patient did not take his medication. One day, after 3 days of hesitation trying to resist delusional injonctions, triggered by a minor comment from his grandmother, he violently assaulted his grandparents and killed them. He did not run away from the crime scene and went back to his everyday activities right after the assault. Discussion. – When compared to the socio-demographic and clinical profile of the few cases of aviolicide found in literature, M. X appears to have a lot in common with them. Indeed, many of his features have been previously described: the fact that his parents suffered from alcoholism; his migration; the fact that he suffered from paranoid schizophrenia; addiction to cannabis and alcohol; a context of long lasting fight over money; the homicide happening at the victim’s place; the extreme violence. Furthermore,

* Auteur correspondant: 54, avenue de la Re´publique, 94800 Villejuif, France. Adresse e-mail : [email protected] (C. Larhant). https://doi.org/10.1016/j.amp.2019.02.007 C 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve´s. 0003-4487/

Pour citer cet article : Larhant C, et al. L’aviolicide, un parricide de substitution ? A` propos d’un cas clinique. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/j.amp.2019.02.007

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most of the aviolicide cases happened in families where the grandparents had a parental role (after the parents died – as in M. X’s case –, or the parents being symbolically absent), or were the result of the hatred towards the parents shifting to the grandparents. Based on this observation, we then compared M. X’s profile and acting out to those found in the literature about parricide. We realized they were very similar, since M. X is a male in his early thirties, single, not working, diagnosed with paranoid schizophrenia several years ago and not taking his prescribed medication. As parricides often do, his acting out happened at the victims’ home, brutally triggered by a seemingly minor event, in a disorganized way, and the perpetrator does not try to run away. Conclusion. – The similarities to parricide and the fact that the grandparents played a parent-like role on both a symbolical and legal level lead us to conclude that aviolicide has a similar psychopathology to parricide, and can be understood as a substitutive parricide. However, we have to underly the fact that this parricide/aviolicide profile is non specific. It is highly similar to the profile found in literature about dangerousness in schizophrenia. We end up stressing the major suicidal risk in the aftermath of such an act, as the delusion of persecution ceases after treatment and the patient starts realizing his act.

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1. Introduction Le terme « parricide », apparu dans l’Antiquite´ romaine, a connu une e´volution diachronique : initialement utilise´ pour qualifier le meurtre d’un proche (du latin parus [proche] et caedere [tuer]), il de´signe a` partir de 1810 dans le code pe´nal napole´onien le meurtre d’un ascendant (ge´ne´ralement le pe`re ou la me`re). Afin de qualifier plus pre´cise´ment le cas du meurtre d’un grand-parent, le terme aviolicide, parfois orthographie´ avitolicide, a e´te´ propose´. Il est forme´ a` partir du pre´fixe avi (les grands-parents). Nous retrouvons sa premie`re occurrence dans l’article de Bornstein et al. en 1984 [7]. Si le parricide, au sens du meurtre des parents, est un sujet relativement bien e´tudie´, l’aviolicide l’est beaucoup moins. Les articles retrouve´s sur ce sujet sont uniquement des vignettes cliniques (de un a` quatre cas) [7,8,22,27], le nombre de cas semblant trop re´duit pour constituer des cohortes analysables sur le plan statistique. Nous ne disposons pas de donne´es e´pide´miologiques pre´cises, mais il semble s’agir d’un crime extreˆmement rare. Nous retrouvons ainsi dans la litte´rature les chiffres de trois cas d’aviolicides sur 5 000 expertises judicaires chez Bornstein et al. [8], et de quatre cas expertise´s en Tunisie entre 1995 et 2012 [27]. Nous remarquons d’ailleurs que si l’imaginaire collectif est peuple´ de figures patricides et matricides (mythologiques, historiques ou romanesques), l’aviolicide est, lui, quasiment absent de la culture populaire. Nous pre´sentons le cas clinique de M. X, patient souffrant de schizophre´nie, admis en Unite´ pour Malades Difficiles (UMD) dans les suites du double homicide de ses grands-parents. Nous comparons le profil de ce patient et la dynamique psychopathologique de son passage a` l’acte aux donne´es de la litte´rature. Nous questionnons ensuite son affiliation au parricide (au sens ge´ne´ralement entendu de « meurtre des parents »). 2. Observation clinique 2.1. E´le´ments biographiques M. X est ne´ en ex-URSS. Ses parents, tous deux alcoolode´pendants et en situation de pre´carite´ sociale, le confient dans ses premie`res anne´es de vie a` ses grands-parents maternels. Cela ne paraıˆt pas exceptionnel sur un plan culturel, l’entraide interge´ne´rationnelle e´tant habituelle dans les pays d’ex-URSS, et la grand-me`re exerc¸ant un roˆle souvent important aupre`s des enfants [26]. Les grands-parents paternels ayant migre´ en France pour des raisons e´conomiques et ayant monte´ une entreprise florissante, la famille de´cide d’envoyer M. X les rejoindre lorsqu’il a 6 ans. Ces

derniers deviennent rapidement les de´positaires le´gaux de l’autorite´ parentale. Quant aux parents, reste´s en ex-URSS, ils de´ce`dent durant l’adolescence de M. X. En France, M. X grandit dans un milieu aise´ et effectue une scolarite´ primaire et secondaire sans particularite´, apre`s avoir rapidement appris le franc¸ais. L’e´vocation de ses parents par ses grands-parents semble ne se faire qu’au travers d’un discours souvent disqualifiant, qui les confine dans un statut d’e´chec social, de marginalite´ et de toxicomanie. Apre`s l’obtention du bac, M. X commence a` consommer divers toxiques, principalement de l’alcool (de manie`re festive, puis quotidienne) et du cannabis (une dizaine de joints par jour), mais aussi cocaı¨ne, me´thyle`nedioxy-N-me´thylamphetamine (MDMA) et die´thyllysergamide (LSD), de manie`re plus occasionnelle. Il se replie socialement et interrompt ses e´tudes. Au moment de l’acte, M. X a 31 ans, il vit seul, ses grandsparents e´tant ses seuls contacts exte´rieurs. Il est financie`rement entie`rement a` leur charge. Leur relation est marque´e par une dynamique utilitaire et se limite ge´ne´ralement a` des demandes d’argent de la part de M. X, formule´es de manie`re souvent hostile et menac¸ante. 2.2. Ante´ce´dents Nous ne retrouvons pas d’ante´ce´dent somatique particulier. Sur le plan psychiatrique, les troubles apparaissent vers l’aˆge de 20 ans, se manifestant initialement par des violences envers le voisinage. Le patient est hospitalise´ pour la premie`re fois a` l’aˆge de 24 ans, sous contrainte, suite a` des troubles du comportement he´te´ro-agressifs avec agitation psychomotrice, impulsivite´ et intole´rance a` la frustration. Il est note´ une activite´ de´lirante de the´matique principalement perse´cutive, au travers, par exemple, d’un de´lire d’empoisonnement ciblant la grand-me`re. Le patient exprime aussi des doutes sur sa filiation, pensant avoir e´te´ enleve´ a` ses parents par la mafia. Un diagnostic de schizophre´nie paranoı¨de est alors pose´. S’ensuivront plusieurs hospitalisations pour le meˆme motif, entre lesquelles M. X arreˆte tout traitement et suivi. Il est traite´ successivement par Olanzapine, Risperidone puis Pipotiazine. 2.3. Dynamique du passage a` l’acte Les conflits avec les grands-parents s’intensifient dans les mois pre´ce´dant le passage a` l’acte, avec des e´pisodes de violence physique. Le de´lire de perse´cution se fait de plus en plus envahissant, avec hallucinations acoustico-verbales et intrapsychiques. Des injonctions hallucinatoires meurtrie`res apparaissent

Pour citer cet article : Larhant C, et al. L’aviolicide, un parricide de substitution ? A` propos d’un cas clinique. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/j.amp.2019.02.007

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quelques jours avant l’homicide. M. X ache`te alors une corde et se rend chez ses grands-parents avec l’ide´e de les tuer. Apre`s une pe´riode d’he´sitation de trois jours, le facteur pre´cipitant l’acte est une remarque en apparence anodine de sa grand-me`re sur son hygie`ne, perc¸ue comme une provocation. Le passage a` l’acte est marque´ par son caracte`re soudain, brutal, avec, comme le formule Zagury, une « bascule du tout a` coup » [31]. Le rapport d’autopsie indique que le de´ce`s des grands-parents survient suite a` de nombreux coups porte´s au visage et a` la teˆte, et pre´cise que les violences se sont poursuivies post-mortem. Outre cet acharnement, nous notons aussi le caracte`re disproportionne´ entre l’acte et son facteur de´clenchant. Cela nous e´voque la violence fondamentale de´crite par Bergeret [6]. Le but est, plus que la mort, l’ane´antissement, dans une ne´gation d’autrui par effacement, e´galement de´crite par Ochonisky [24] puis Zagury [31] dans le passage a` l’acte psychotique. Le de´chaıˆnement de violence paroxystique semble constituer une re´action de de´fense pathologique contre une perse´cution de´lirante, avec ve´cu de menace pour la survie psychique, illustre´ par le discours de M. X apre`s-coup : « Je n’avais pas le choix pour continuer a` vivre. » Les suites imme´diates du passage a` l’acte sont marque´es par une reprise rapide d’une activite´ banale : M. X se pre´pare a` manger puis rentre chez lui. Nous pouvons faire l’hypothe`se d’un soulagement de la surtension, suite a` la re´solution du conflit intrapsychique par effet « e´conomique » [31]. Au total, l’analyse des diffe´rentes caracte´ristiques de l’acte fait apparaıˆtre un mode ope´ratoire de´sorganise´, au sens des classifications criminologiques classiques [14] : un acte impulsif, avec une violence excessive et une se´quence de´sadapte´e, des indices laisse´s sur place et des corps non de´place´s. Ce faible degre´ d’organisation est concordant avec un passage a` l’acte psychotique [5,20]. Bien que les questions d’argent fassent partie des the´matiques de´lirantes, il n’y a pas de mobile crapuleux a` ce double crime. En effet, le patient n’a de´robe´ ni argent ni objet de valeur a` ses grands-parents. 2.4. Hospitalisation a` l’UMD Apre`s enqueˆte policie`re, M. X est arreˆte´ a` son domicile. Il est conduit au Service d’accueil des urgences (SAU) puis sur son secteur, qui fait une demande d’admission en UMD du fait de troubles du comportement et de la dangerosite´ persistante. A` l’arrive´ e en UMD, la pre´sentation du patient est marque´e par une tension interne et une froideur affective. M. X pre´sente un syndrome de´lirant de the´matiques perse´cutive et de filiation, de me´canismes intuitivo-interpre´tatif et hallucinatoire. L’adhe´sion aux e´le´ments de´lirants est totale. Un syndrome dissociatif est e´galement pre´sent : flou ide´ique, ambivalence, rationalisme, de´sorganisation du discours. Nous notons e´galement des symptoˆmes ne´gatifs, qui se manifestent par une incurie et un e´moussement affectif. Nous pouvons retracer une alte´ration du fonctionnement depuis plus de six mois, sur un plan social, professionnel (de´socialisation progressive, interruption des e´tudes) et personnel (incurie, repli au domicile). La pre´valence des e´le´ments de´lirants, avec une part de de´sorganisation plus restreinte, fait pencher pour une schizophre´nie de type paranoı¨de, bien que le DSM-5 ne fasse plus cette distinction [2]. Le patient nie initialement tout passage a` l’acte puis finit par le reconnaıˆtre. Il n’exprime alors spontane´ment aucun regret, et aucune participation affective n’est perceptible. L’acte est au de´part plutoˆt e´lude´ de son raisonnement, qui se centre sur des pre´occupations utilitaires imme´diates (comme le devenir de son appartement). Le discours est marque´ par la froideur, des rationalisations pathologiques et une ambivalence affective majeure, avec une confusion amour/haine.

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Un traitement par risperidone et cyame´mazine est mis en place. Apre`s plusieurs semaines, le de´lire re´gresse de manie`re partielle, entraıˆnant une prise de conscience de l’acte. Un sentiment de culpabilite´ apparaıˆt alors, avec un questionnement existentiel et des e´le´ments thymiques re´actionnels, faisant craindre l’e´mergence d’ide´es suicidaires. Le maintien d’e´le´ments de´lirants semble alors avoir une valeur de´fensive. La mise en place d’un traitement antide´presseur par paroxe´tine permet d’apaiser les ruminations. M. X accepte l’e´tayage du cadre institutionnel, pouvant commencer une e´laboration autour des troubles. Sur le plan judiciaire, le juge d’instruction retient la pre´me´ditation (au sens de « dessein forme´ » de l’article 132-72 du code pe´nal [10]) en qualifiant l’acte d’assassinat. Mais si l’intentionnalite´ homicidaire e´tait pre´sente depuis trois jours, nous ne retrouvons pas de re´el sce´nario ni mode ope´ratoire e´labore´, du fait de la coexistence d’une ambivalence majeure. Une certaine forme de pre´me´ditation n’est par ailleurs pas incohe´rente avec la litte´rature : les e´tudes d’Addad et al. et de Le Bihan et al. e´voquent chacune une pre´me´ditation chez plus d’un tiers des patients atteints de schizophre´nie ayant commis un crime [1,20]. Les experts psychiatres nomme´s au cours de l’instruction concluent que l’e´tat de´lirant de M. X a « aboli son discernement et le controˆle de ses actes au sens de l’article 122-1 ». Au terme de la proce´dure, M. X est irresponsabilise´ et retourne sur son service de secteur quelques mois plus tard.

3. Discussion 3.1. A` partir de la litte´rature sur l’aviolicide Nous notons le faible nombre d’articles ayant pour sujet propre l’aviolicide, chacun d’entre eux ne rapportant que quelques cas (de un a` quatre cas) [7,8,22,27]. Les autres articles faisant mention de cas d’aviolicides ont ge´ne´ralement pour sujet les homicides psychotiques, et retrouvent rarement plus d’un ou deux cas dans leurs cohortes : trois aviolicides dont un double sur 42 parricides pathologiques e´tudie´s par Le Bihan et al. [20], un aviolicide sur 42 observations de Raymond et al. [25], un aviolicide sur 80 familicides rapporte´s par Khemiri et al. [19]. Nous retrouvons aussi un cas d’aviolicide dans un ouvrage sur les violences intrafamiliales : un homme de 30 ans, e´leve´ par ses grandsparents depuis l’aˆge de trois ans, tue sa grand-me`re dans un contexte de conflit financier [30]. Sans eˆtre exhaustifs, ces chiffres sont le reflet de la faible proportion d’aviolicides parmi les homicides psychotiques. En comparant le profil du patient et la dynamique de son passage a` l’acte avec les rares articles de la litte´rature mentionnant des aviolicides, nous constatons la similitude entre les cas cliniques retrouve´s et le cas de M. X L’article de Bornstein et al. de 1984 expose quatre cas d’homicide de la grand-me`re [7]. Plusieurs e´le´ments de ces cas se retrouvent dans notre observation : e´thylisme des parents, preˆt d’argent et dispute a` ce sujet (cas 1), schizophre´nie (les quatre cas), ce´libat (cas 1 et 2), consommation d’alcool et de cannabis (cas 2 et 4), immigration dans l’enfance (cas 4), violence disproportionne´e, impulsivite´, acharnement (cas 1 et 2). L’article de 1985 [8] relate un nouveau cas, de´crit 92 % d’hommes parmi les auteurs d’aviolicides, et compte trois aviolicides sur quatre dirige´s contre la grand-me`re. Cette proportion est retrouve´e dans l’article de Triki et al. [27], qui pre´sente les quatre cas d’aviolicides expertise´s en Tunisie entre 1995 et 2012. Diffe´rentes hypothe`ses semblent expliquer cette proportion : plus longue espe´rance de vie des femmes (qui sont souvent veuves au moment des faits) [7], cible privile´gie´e en raison d’une plus grande fragilite´, ou valeur symbolique de substitut maternel [27].

Pour citer cet article : Larhant C, et al. L’aviolicide, un parricide de substitution ? A` propos d’un cas clinique. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/j.amp.2019.02.007

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L’article de Triki et al. retrouve lui aussi des caracte´ristiques communes au cas de M. X : des faits se de´roulant au domicile des victimes, par un homme jeune, dont les parents sont en retrait ou de´ce´de´s, avec souvent un contexte de dispute autour de l’argent. Nous pouvons noter l’intrication entre une pathologie schizophre´nique et une personnalite´ psychopathique pour deux des quatre cas, le troisie`me pre´sentant une schizophre´nie isole´e et le dernier une personnalite´ psychopathique sans trouble de l’axe I. Les articles sont concordants concernant la dynamique de l’acte, perc¸u soit comme le re´sultat d’un de´placement de la haine qui e´tait initialement dirige´e vers les parents [7,25,27], soit comme dirige´ vers des grands-parents faisant office de figure parentale, du fait de l’absence re´elle (de´ce`s en ge´ne´ral) ou symbolique des parents, a` l’image de M. X [22,27]. L’auteur d’aviolicide est-il finalement un auteur de parricide ? 3.2. A` partir de la litte´rature sur le parricide Un profil type de parricide est de´crit a` partir de plusieurs cohortes [4,9,12,15,20,22,25,29] : un patient de sexe masculin, ce´libataire sans enfant, aˆge´ d’une trentaine d’anne´es, sans insertion professionnelle, pre´sentant une schizophre´nie de type paranoı¨de (injonctions hallucinatoires), avec des traits psychopathiques, une maladie de´clare´e depuis plusieurs anne´es, plusieurs hospitalisations, en rupture de traitement et de suivi au moment des faits, souvent consommateur de toxiques. Il est retrouve´ fre´quemment une situation de de´pendance financie`re hostile, sans mesure de curatelle, et des ante´ce´dents de menaces de mort a` l’e´gard des futures victimes. Une migration dans l’enfance est note´e comme e´ve´nement de vie significatif dans certaines e´tudes (par exemple, chez 21,4 % des patients de la cohorte de Le Bihan et al. [20]). Les passages a` l’acte parricides survenant dans un contexte de de´compensation psychotique pre´sentent aussi des caracte´ristiques communes dans leur de´roulement : ils ont ge´ne´ralement lieu au domicile des victimes, suite a` une dispute triviale (souvent en lien avec l’argent), mais sans mobile mate´riel apparent, dans un acce`s de violence paroxystique. Au cours du matricide de Roberto Succo relate´ par Froment [16], c’est un simple reproche de la me`re qui de´clenche le passage a` l’acte, comme pour M. X. Par ailleurs, ces parricides sont ge´ne´ralement caracte´rise´s par leur rapidite´ d’exe´cution, leur mode ope´ratoire de´sorganise´, et un retour rapide a` une vie normale sans tentative de re´paration ni de maquillage du crime [3,18,20,25]. La similitude de ce cas d’aviolicide avec le profil parricide nous semble explique´e par le fait que les grands-parents paternels de M. X ont exerce´ le roˆle de parents, autant d’un point de vue symbolique que juridique. Nous pouvons remarquer que le profil type parricide de´crit par la litte´rature et auquel correspond ce patient est finalement assez peu spe´cifique. Il s’agit de traits ge´ne´raux retrouve´s dans les crite`res de dangerosite´ psychiatrique du patient atteint de schizophre´nie. Selon la Haute Autorite´ de Sante´ (HAS) [17], et comme de´crit dans la litte´rature [1,23,28] le profil sociode´mographique lie´ a` la dangerosite´ psychiatrique est celui d’un homme de moins de 40 ans, ce´libataire et sans emploi. Les facteurs de risque cliniques de violence chez les patients atteints de schizophre´nie sont : les comorbidite´s addictologiques, la pre´sence de traits psychopathiques, l’existence d’un de´lire de perse´cution et d’injonctions hallucinatoires, le de´ni des troubles et l’arreˆt du traitement et du suivi. Par ailleurs, concernant l’e´volution des patients parricides apre`s l’acte, les e´tudes soulignent le risque suicidaire particulier, parfois tre`s a` distance [13,21,25]. Au vu de la dynamique de prise de conscience et du questionnement existentiel douloureux e´voque´s pre´ce´demment chez M. X, il nous semble s’agir d’un risque e´volutif bien re´el, et qui sera a` prendre en compte dans la suite de la prise en charge.

4. Conclusion Nous avons pre´sente´ le cas de M. X, un patient atteint de schizophre´nie et ayant commis un double aviolicide. Cette vignette clinique apparaıˆt concordante avec les tre`s rares donne´es de la litte´rature concernant l’aviolicide, mais aussi avec les descriptions de parricides (au sens du meurtre des parents). Nous avons ainsi pu confirmer la psychopathologie de l’aviolicide : l’acte correspond ge´ne´ralement soit a` un de´placement de la haine initialement dirige´e vers les parents, soit a` une attaque de grands-parents faisant office de figure parentale, du fait de l’absence re´elle ou symbolique des parents. Selon notre point de vue, l’aviolicide s’inte`gre donc dans une dynamique parricide. Les enjeux de pre´vention nous semblent alors identiques a` ceux du parricide [11]. Ils reposent sur l’identification de crite`res cliniques retrouve´s dans la litte´rature mais aussi sur une ne´cessaire vigilance face a` des signes avant-coureurs tels qu’une escalade des menaces et violences et un de´lire de perse´cution cible´ sur les grands-parents, particulie`rement dans un contexte de de´pendance financie`re hostile conduisant a` un ve´cu d’impasse situationnelle, qui doit faire envisager la mise en place d’une mesure de protection des biens. ˆ ts De´claration de liens d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts. Re´fe´rences [1] Addad M, Be´ne´zech M, Bourgeois M, et al. Criminal acts among schizophrenics in French mental hospitals. J Nerv Ment Dis 1981;169:289–93. [2] American Psychiatric Association. DSM-5. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Elsevier Masson; 2015. [3] Ahn BH, Kim JH, Oh S, et al. Clinical features of parricide in patients with schizophrenia. Aust N Z J Psychiatry 2012;46:621–9. [4] Be´ne´zech M. De quoi souffrent les parricides ? Perspect Psychiatr 1992;34:207–12. [5] Be´ne´zech M. Le psychiatre et la sce`ne du crime : au sujet du profilage psychologique de l’agresseur homicide. Ann Med Psychol 1999;157:41–7. [6] Bergeret J. La violence fondamentale. Paris: Dunod; 2010. [7] Bornstein S, Motte-Moitroux JF, Balette M. A` propos d’une forme rare de parricide : le meurtre de la grand-me`re ou avitolicide. Rev Geriatr 1984;9:483–6. [8] Bornstein S, Motte-Moitroux JF, Lormeau Y, et al. A` propos d’un nouveau cas d’avitolicide. Ann Med Psychol 1985;141:391–4. [9] Bourget D, Gagne P, Labelle ME. Parricide: A comparative study of matricide versus patricide. J Am Acad Psychiatry Law 2007;35:306–12. [10] Code pe´nal : Article 132-72 modifie´ par Loi n8 2004-204 du 9 mars 2004 - art. 12 JORF. 10 mars 2004 [11] Cornic F, Olie´ JP. Le parricide psychotique. La pre´vention en question (revue de la litte´rature). Encephale 2006;32:452–8. [12] Dantas S, Santos A, Dias I, et al. Parricide: a forensic approach. J Forensic Leg Med 2014;22:1–6. [13] Devaux C, Petit G, Perol Y, et al. Enqueˆte sur le parricide en France. Ann Med Psychol 1974;1:161–8. [14] Douglas J, Burgess AW, Burgess AG. Crime classification manual: A standard system for investigating classifying violent crime. USA: John Wiley & Sons; 2013. [15] Fegadel AR, Heide KM. Offspring-Perpetrated Familicide: Examining family homicides involving parents as victims. Int J Offender Ther Comp Criminol 2017;61:6–24. [16] Froment P. Je te tue, histoire vraie de Roberto Succo, assassin sans raison. Paris: Gallimard; 1991. [17] HAS. Dangerosite´ psychiatrique : e´tude et e´valuation des facteurs de risque de violence he´te´ro-agressive chez les personnes ayant des troubles schizophre´niques ou des troubles de l’humeur; 2011, Consultable sur www.has-sante.fr [Audition publique]. [18] Hillbrand M. Parricides: characteristics of offenders and victims, legal factors, and treatment issues. Aggression and violent behavior, 4. 1994;p.

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Pour citer cet article : Larhant C, et al. L’aviolicide, un parricide de substitution ? A` propos d’un cas clinique. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/j.amp.2019.02.007

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Pour citer cet article : Larhant C, et al. L’aviolicide, un parricide de substitution ? A` propos d’un cas clinique. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/j.amp.2019.02.007