L’enfant face aux aliments : d’avant-goûts en préférences en programmations

L’enfant face aux aliments : d’avant-goûts en préférences en programmations

Table ronde Développement sensoriel et comportement alimentaire Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Mots clés : Transmission mère-enfant, ...

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Table ronde Développement sensoriel et comportement alimentaire

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com Mots clés : Transmission mère-enfant, Alimentation, Développement

L’enfant face aux aliments : d’avant-goûts en préférences en programmations Infants and children facing food: foretastes into preferences into programmations B. Schaal Centre des Sciences du Goût, CNRS (UMR 5170), Université de Bourgogne, Dijon, France

1. D’avant-goûts en préférences Dès les premiers instants de la vie, l’acquisition de l’énergie mobilise toutes les ressources adaptatives du jeune organisme. Le nouveau-né est ainsi pourvu d’aptitudes sensorielles, motrices, cognitives et physiologiques orchestrées en des systèmes de régulation qui assurent la vie immédiate et anticipent la vie à venir. D’emblée, ces systèmes de régulation sont à la fois multiples, interactifs et dynamiques, biologiquement contraints et plastiques, et enfin robustes et fragiles. Au début de leur exercice, ils mettent face à face deux organismes asymétriques, un jeune enfant immature dépendant d’adultes, particulièrement la mère. Bien qu’immature, l’enfant est pleinement adapté aux contraintes qu’il rencontre ; il y est même partiellement pré-adapté en ce sens qu’il apporte à la situation initiale d’ingestion quelques solutions pré-fonctionnelles [1]. Ses capacités reposent sur des boucles sensori-motrices automatiques tout autant que sur différentes formes d’apprentissage. L’aptitude à apprendre opère déjà avant les premières prises de lait puisque l’enfant fœtal élabore des avant-goûts de ce à quoi il sera exposé. Ces avant-goûts, créés par ce que la mère apporte de saveurs et d’arômes, sont extraits des fluides biologiques qui baignent ou nourrissent l’enfant périnatal – liquide amniotique, colostrum, lait. En même temps qu’ils dessinent des passerelles entre le milieu amniotique et le sein maternel, ces avant-goûts affinent les systèmes chimiosensoriels et commencent à organiser la mémoire de l’enfant à naître [2]. Après la naissance, ils facilitent les apprentissages et motivent les premières orientations vers la mère et le sein, et l’acceptation du colostrum et du lait. Les conséquences positives de l’ingestion qui s’en suit muent rapidement ces associations en préférences qui, par la suite mobiliseront l’attention et l’approche vers la source nourricière, et détermineront l’avidité des actions orales. L’ingestion de l’aliment est alors confondue avec le traitement d’informations sur la régularité de ses qualités et son identité. De plus, l’aliment et la satisfaction qu’il procure sont indissociables de la personne qui les dispense, la mère le plus souvent, de sorte qu’alimentation, cognition sociale et attachement sont étroitement liés.

* Auteur correspondant.

2. Diversification et acquisition d’expertise des aliments Au cours de la première année, les besoins métaboliques s’accroissent et les ressources alimentaires doivent être corrélativement densifiées en énergie et diversifiées en qualité. Du lait comme unique aliment, l’enfant est introduit au régime omnivore des adultes de sa culture. L’agenda et la progressivité de ce changement varie d’une culture à l’autre [3], mais il est encadré par des transformations biologiques propres à l’espèce [morphologiques (dentition), motrices (transition succion-mastication, habiletés manipulatoires) ou microbiologiques (flore intestinale)]. Cette période du sevrage, encore trop peu étudiée, est aussi une transition majeure sur le plan cognitif puisque l’enfant est mis face à des aliments d’apparence variée qui, bien qu’éprouvés par l’entourage, sont à valider individuellement dans leurs aspects sensoriels et leurs conséquences physiologiques. Ce n’est qu’après cette validation qu’ils seront incorporés au répertoire propre des matières mangeables ou à celui, opposé, du repoussant et du nonmangeable. Les stratégies parentales sont ici essentielles, en particulier dans leur possibilité de varier les qualités alimentaires proposées à l’enfant. Celles-ci déterminent l’expérience infantile du changement sensoriel et conditionnent l’immédiate acceptation d’aliments nouveaux [4]. L’exposition précoce à la variété sensorielle facilite en effet l’acceptation de la nouveauté, et cette influence peut perdurer longtemps après un épisode d’exposition à la variété (au moins dans un contexte expérimental). Plus largement, cette confrontation réitérée à la nouveauté alimentaire peut mobiliser l’activation de stress mineurs et influer sur le tempérament de l’enfant. Les conséquences à long terme de ce « stress de nouveauté » au cours d’une période clé de la maturation cérébrale sont inconnues chez l’enfant humain, mais des données chez d’autres animaux indiquent des effets massifs et durables sur la réactivité à l’environnement. Obligatoirement au début de la vie, puis de façon de plus en plus subsidiaire vers l’adolescence, le face-à-face avec l’aliment au cours du développement est éminemment social. Si un certain nombre de prédispositions permettent le tri grossier du mangeable et de l’apprécié parmi les ressources alimentaires accessibles, la transmission au sein des familles affine et singularise ces catégories en fonction des besoins et des occasions. C’est dans ces contextes

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que, au cours des premières années, les enfants acquièrent une expertise dans les connaissances alimentaires [5] : ils identifient ce que leurs parents consomment, savent ce qu’eux-mêmes ou leurs proches apprécient ou rejettent, catégorisent les objets alimentaires en fonction de leurs propriétés sensorielles, du contexte de leur consommation, de leur valeur sociale ou symbolique. Face aux aliments comme au reste de leur monde perçu, ils deviennent de plus en plus analytiques tant sur le plan sensoriel que conceptuel. Dès 4 ans, ils sont en mesure de raisonner sur le pourquoi de l’acceptabilité-inacceptabilité des aliments, en alléguant des notions de propreté-contamination, de dangerosité, de bénéfice en termes de santé et de valeur énergétique ou psychologique, de congruence avec les habitudes, de connaissance des jugements des adultes [5, 6]. Le goût des aliments est le premier pilier du plaisir de manger : il incite à commencer à manger et règle la quantité et la périodicité de l’apport nutritionnel [7]. L’autre pilier du plaisir de l’aliment est la socialité de l’acte de manger. Le creuset familial est le lieu de l’enfance où le plaisir à manger est mis en œuvre dans un équilibre normé entre expression de la satisfaction individuelle et jouissance partagée. De cet apprentissage familial, le plaisir à manger de l’enfant se généralise progressivement vers d’autres lieux de socialité alimentaire (autre famille, école, cantines, fastfood, lieux de vacances) où d’autres influences impriment leur marque sur les préférences en construction.

3. L’enfant mangeur captif de ses sens Le plaisir du goût prédomine tout au long de la vie dans l’expérience alimentaire humaine. Chez l’enfant, il est orchestré par des prédispositions héritées d’une l’histoire évolutive dont le fil s’est déroulé sur fond de ressources alimentaires rares et incertaines. Ces prédispositions déterminent, d’une part, l’attirance pour le sucré et le gras et, d’autre part, l’aversion pour l’amer, l’irritant, l’astringent et, dans une moindre mesure, l’acide. Salutaires au long d’une histoire naturelle où sucré et gras signalaient d’imprévisibles ressources énergétiques, la situation a changé dans nombre de sociétés actuelles où l’abondance alimentaire s’est pérennisée. Ces prédispositions sensorielles risquent alors de capter le choix préférentiel des aliments les plus énergétiques (glucides, lipides) au détriment de ceux, moins agréables et moins caloriques, qui apportent d’autres nutriments essentiels à la santé (glucides lents, fibres, antioxydants, vitamines, minéraux, etc.). On s’interroge actuellement sur l’impact de ces prédispositions dans l’établissement de biais alimentaires durables au cours des années formatives des préférences individuelles. Ces biais alimentaires contribueraient à la prévalence accrue du surpoids et de l’obésité infantiles, et à d’autres syndromes métaboliques dans toutes les sociétés urbaines commercialement

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organisées. Si les enfants en surpoids sont plus à risque de surpoids à l’âge adulte, si les adultes en surpoids/obèses ingèrent plus d’aliments denses en énergie, et si les préférences précoces sont conservées à l’âge adulte, on peut logiquement en déduire que l’obésité s’enracine dans les préférences infantiles pour les aliments énergétiques, sucré, gras, sucré-gras ou salé-gras [8]. Cela conforte l’hypothèse d’une programmation des préférences alimentaires par des apprentissages initiaux qui vont dans le sens des prédispositions innées. Le fait de « sur-manger » (overeating) précocement des aliments sucré-gras, donc à fort potentiel calorique, relèverait ainsi de mécanismes comparables à l’addiction [9]. Ce phénomène addictif serait engagé à long terme par la surexposition précoce à des aliments sucré-gras qui enfermerait l’enfant dans son système de préférences innées. L’accessibilité ubiquitaire et peu onéreuse à des aliments sucré-salé/gras et à des boissons sirupeuses peut ensuite faire son œuvre métabolique, en synergie avec l’accroissement de l’inactivité corporelle, la possibilité d’une consommation constante, et des besoins alimentaires suscités par une communication commerciale redoutablement efficace [10].

Références 1. Schaal B, Hummel T, Soussignan R. Olfaction in the fetal and premature infant: functional status and clinical implications. Clin Perinatol 2004;31:261-85. 2. Schaal B. From amnion to colostrum to milk: Odour bridging in early developmental transitions. In B Hopkins, S Johnson éds. Prenatal Development of Postnatal Functions. Westport, CT: Praeger 2005 p. 52-102. 3. Bril B, Hombessa-Nkounkou E, Bouville JF, et al. From milk to adult diet: a comparative study on the socialization of food. Food Foodways 2001;9:155-86. 4. Maier A, Blossfeld I, Leathwoo P. L’expérience précoce de la variété sensorielle et ses consequences sur l’alimentation future. In B Schaal, R Soussignan éds. L’enfant face aux aliments. Enfance 2008;3:231-40. 5. Guérin H, Thibaut JP. Le développement des représentations sur les aliments chez l’enfant de 4 à 12 ans. In: B Schaal, R Soussignan eds. L’enfant face aux aliments. Enfance 2008;3:251-60. 6. Rozin P, Hammer L, Oster H, et al. The child’s conception of food: differentiation of categories of rejected substances in the 1.4 to 5 year age range. Appetite 1986;7:141-51. 7. Holley A. Le cerveau gourmand. Paris : Odile Jacob, 2007. 8. de Graaf C. The development of sensory preferences in children in relation to food intake and obesity. In B Schaal, R Soussignan éds. L’enfant face aux aliments. Enfance 2008;3:281-8. 9. Blass EM (Ed.). Obesity: causes, mechanisms, prevention and treatment. Sunderland, MA: Sinauer Associates, 2008. 10. De la Ville I, Tartas V. Transformer la participation de l’enfant aux activités de consommation alimentaire. In B Schaal, R Soussignan éds. L’enfant face aux aliments. Enfance 2008;3:299-307.