Les familles de personnes en situation de handicap mental et le besoin de soins palliatifs

Les familles de personnes en situation de handicap mental et le besoin de soins palliatifs

Modele + ARTICLE IN PRESS MEDPAL-647; No. of Pages 5 Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2017) xxx, xxx—xxx Disponi...

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MEDPAL-647; No. of Pages 5

Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2017) xxx, xxx—xxx

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EXPÉRIENCES PARTAGÉES

Les familles de personnes en situation de handicap mental et le besoin de soins palliatifs The families of people with intellectual disabilities and palliative care needs Doreen Dugelay Secrétaire à l’APEI de Chambéry, 378, chemin des Moulins, 73000 Chambéry, France Rec ¸u le 19 septembre 2017 ; accepté le 25 septembre 2017

MOTS CLÉS Soins palliatifs ; Enfant en situation de handicap mental ; APEI

KEYWORDS Palliative care; Child with intellectual disabilities; Special needs families associations

Résumé La vie d’un parent est bouleversée par l’annonce d’un handicap, et les associations de parents œuvrent depuis des années pour venir en aide aux familles confrontées aux défis de l’accompagnement d’un enfant en situation de déficience intellectuelle. La fin de vie reste néanmoins une question difficile à aborder, malgré les avancées des dernières années fondées, pour beaucoup, sur la prise de conscience des aidants professionnels, et un rapprochement avec le milieu des soins palliatifs serait d’un grand secours pour répondre à problématique douloureuse et complexe. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Summary A parent’s life is upended when a disability is announced. Associations of special needs families have been active for years to support parents facing the challenges of raising a child with an intellectual disability. Despite the progress made in the past few years, largely due to growing awareness among professional carers, those families continue to struggle to deal with end-of-life issues and would certainly benefit from a closer collaboration with palliative care providers when seeking answers to these painful, complex questions. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2017.09.008 1636-6522/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Pour citer cet article : Dugelay D. Les familles de personnes en situation de handicap mental et le besoin de soins palliatifs. Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2017.09.008

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D. Dugelay

La naissance d’un enfant porteur de handicap, comme le diagnostic d’une déficience intellectuelle à un stade ultérieur, est pour le parent une confrontation brutale à la finitude. La question « Que va devenir mon enfant quand je ne serai plus là ? » est désormais de l’ordre du cliché. Plus insidieuse, la crainte de devoir assister à la mort de cet enfant plus fragile que les autres et de lui survivre s’installe sans même que le parent n’y pense consciemment. « La question de la fin de vie ne saurait se réduire au seul temps de la « toute fin de vie » : elle fait irruption dès l’annonce d’une maladie et/ou d’un handicap grave(s), elle s’invite progressivement tout au long de cette maladie ou du vieillissement avec ce handicap, elle s’éprouve lors des derniers instants et se prolonge après le décès dans le rituel des funérailles et dans l’épreuve du deuil. » Pascal Jacob [1] Mais la vie du parent d’un enfant handicapé est une lutte de tous les instants : le temps manque pour réfléchir à un avenir qu’on espère lointain quand l’enfant doit être soutenu dans chaque apprentissage, chaque progrès, et même dans les actes les plus banals de la vie. Ainsi le parent-a-t-il des capacités de se projeter très limitées, et certainement pas vers la mort ; son enfant doit pouvoir accéder à une vie à lui, et ce n’est déjà pas une mince affaire. À cette relative incapacité de se projeter s’ajoute la complexité des solutions proposées pour l’accompagnement de l’enfant en situation de handicap. Dans son article Comment meurent les personnes handicapées ? publié dans ce numéro de la revue Médecine Palliative, Anne Dusart mentionne dans une note de bas de page que « les hospitaliers et les praticiens libéraux ont du mal à se repérer dans la ‘‘nébuleuse’’ du médicosocial » ; que ces professionnels se rassurent, les parents aussi éprouvent de la difficulté à y voir clair. Si certains deviennent des spécialistes du handicap de leur enfant (et d’autres, plus rares, des connaisseurs du milieu du handicap en général), la vaste majorité recherche simplement une trajectoire adaptée pour leur cas précis. Si l’on doit s’ouvrir au questionnement sur le vieillissement et, au-delà, sur la fin de vie, il est essentiel que les milieux institutionnels, notamment sanitaires, nous apportent des réponses claires, faute de quoi on nous laisse dans une situation angoissante d’incertitude.

Il est d’abord essentiel de bien comprendre l’aspiration des associations familiales à créer des structures qui refusent l’enfermement et la médicalisation du handicap.

Depuis sa création en 1960 l’UNAPEI fédère des Associations franc ¸aises prenant en charge les personnes en situation de déficience intellectuelle et leurs familles, avec 550 associations dont 300 sont gestionnaires d’établissements et de services : plus de 3000 établissements et services médicosociaux (ESMS) gérés et 200 000 personnes en situation de handicap accueillies. Le sigle APEI reste néanmoins relativement inconnu du grand public : à l’origine elle signifiait Association de parents d’enfants inadaptés.

Les termes employés pour désigner la personne en situation de handicap mental ont évolué au cours du temps : on est passé de « débile » et « idiot » à « mongolien », puis à « arriéré » et « retardé mental », et finalement à « handicapé mental » et à « déficient intellectuel », tous ces termes étant dès l’origine ou devenant au fil des années péjoratifs. On peut trouver à redire au terme « inadapté » également, même s’il fut une tentative de s’accorder sur un vocable neutre. Peut-être que la locution plus jolie « enfant à besoins spéciaux » prisée des anglo-saxons (plus souvent « enfant à besoins spécifiques » en franc ¸ais) arrivera-t-elle à s’imposer, à moins que la cour de récré n’arrive à déprécier également le mot « spécial ». La notion de l’enfant « inadapté » a pourtant le mérite de recentrer l’attention non pas sur les capacités de la personne en situation de handicap —– qui sont individuelles et spécifiques, et doivent être appréciées comme telles —– mais sur son intégration dans son environnement. Si nous ne pouvons guérir la source de l’inadaptation, nous pouvons au moins agir sur l’intégration. C’est le sens de l’action de l’APEI. Pourtant, on entend rarement parler de l’« adulte inadapté ». En effet, nos associations sont nées du constat que nos enfants, parfois dès leur naissance, étaient rejetés aux marges de la société, exclus de l’école, et souvent enfermés loin des yeux et loin des cœurs. Les APEI sont donc, parmi d’autres, des combattants dans une lutte de plus d’un demi-siècle en faveur de l’enfant en situation de handicap, animés par cette volonté de lui ouvrir la perspective d’une vie aussi normale que possible. Le refus de l’enferment à l’hôpital psychiatrique ou au domicile de parents devenus parias. L’espoir qu’une scolarité adaptée, un accompagnement attentif, et une évolution des mentalités feraient accepter la différence et ouvriraient la porte à une véritable enfance pour tous. Les premiers établissements créés par ces associations étaient naturellement des instituts médico-éducatifs. Lieux de vie et d’éducation, les IME ont généralement peu de présence médicale ; les enfants accueillis, même polyhandicapés, sont réputés en relative bonne santé : s’ils restent plus fragiles que les autres ils ne sont aucunement en danger mortel de par leur(s) déficience(s). L’ambition de stimuler et faire progresser l’enfant se poursuit dans son adolescence par la mise en place d’IMPro, qui visent une véritable formation professionnelle permettant de sortir le jeune déficient intellectuel des activités occupationnelles de nos aînés pour l’amener à une réelle vie et une valorisation dans le monde du travail. Ce travail s’effectue ensuite le plus souvent au sein d’un atelier protégé, autrefois appelé CAT et maintenant ESAT, établissement de service et d’aide par le travail. Suivi comme un salarié en milieu ordinaire par la médecine du travail, les travailleurs en ESAT se veulent des citoyens intégrés dans la communauté ; pour ceux qui ne possèdent pas l’autonomie de vivre seuls, et qui ne restent pas au domicile familial, les associations créent des foyers d’hébergement, les FH. Pour nombre de nos enfants il n’est néanmoins pas possible d’envisager une activité professionnelle. Les foyers de vie (FV), tout en restant des établissements non médicalisés, les accueillent et continuent à stimuler et à développer leurs capacités par un encadrement et des activités adaptées.

Pour citer cet article : Dugelay D. Les familles de personnes en situation de handicap mental et le besoin de soins palliatifs. Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2017.09.008

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Les soins palliatifs vus par familles de personnes en situation de handicap Naturellement les APEI sont également confrontées à des situations de handicap plus lourd qui nécessitent une prise en charge médicalisée. D’où la création d’autres types d’établissements : l’Observatoire national de fin de vie dans son rapport Une fin de vie invisible — La fin de vie dans les établissements pour personnes adultes handicapées définit les foyers d’accueil médicalisé (FAM) comme étant « destinés à recevoir des personnes handicapées inaptes à toute activité professionnelle et ayant besoin d’une assistance pour la plupart des actes essentiels de la vie courante ainsi que d’une médicalisation » tandis que les maisons d’accueil spécialisé (MAS) « rec ¸oivent des adultes handicapés dont l’autonomie est extrêmement limitée et dont l’état nécessite une surveillance médicale et des soins constants ». Il est regrettable d’ailleurs que la question de la fin de vie des personnes adultes handicapées soit réduite dans ce rapport aux seuls résidents de ces deux types d’établissements. La fin de vie des personnes en situation de handicap en FV, FH, EHPAD, ainsi qu’au domicile familial ou personnel, soulève tout autant de questions, et on ne peut que saluer la parution du Livre Blanc de l’EAPC présentant des normes de consensus européennes relatives aux soins palliatifs pour les personnes atteintes de déficiences intellectuelles et abordant le sujet de manière bien plus large. Les personnes accueillies en établissement ne sont que la partie la plus facilement identifiable de la population. Nous notons qu’il s’agit de la première difficulté pour établir une politique raisonnée en la matière et pour garantir un accès systématique des personnes en situation de handicap mental aux soins, palliatifs parmi les autres : « Le problème est exacerbé par un manque de données démographiques concernant les personnes atteintes de déficiences intellectuelles, signifiant qu’il s’agit d’une population largement invisible avec des besoins non exprimés. Leurs besoins risquent par conséquent de ne pas être considérés comme une priorité, ni même comme un problème. » EAPC [2] Cette « population invisible » des FAM et MAS s’accompagne de jeunes, et même de très jeunes, des enfants lourdement polyhandicapés accueillis par exemple au sein d’un centre médico-éducatif (CME), ou par le biais d’un SESSAD, un service d’éducation spécialisée et de soins à domicile. Ce sont des situations extrêmement complexes et douloureuses, et la mortalité est toujours prégnante. Dans ces cas les parents portent encore trop souvent leur souffrance et leur deuil dans leur milieu privé, familial, voire dans l’isolation, dans une société encore disposée à considérer ces décès comme un soulagement plutôt qu’une tragédie. Parfois un soupc ¸on plane que même les associations familiales gestionnaires, ayant réussi à créer des structures qui offrent à leurs enfants une ouverture vers une vie plus épanouie dans un monde où les personnes en situation de handicap peuvent vivre vieux, préfèrent en fait ignorer le dénouement inévitable de toute existence. Il ne peut en être de même pour les professionnels des structures accueillant ou accompagnant ces enfants, y compris lorsqu’ils sont devenus adultes. S’il y a peu de temps encore les associations familiales gestionnaires pouvaient tout simplement interdire tout décès en leurs murs, refusant d’inscrire l’accompagnement du vieillissement et de la

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fin de vie dans leurs projets associatifs et renvoyant les individus vieillissants ou en fin de vie vers le milieu hospitalier ou des dispositifs de droit commun peu adaptés, les aidants professionnels, au cours d’années passées auprès de nombreuses personnes en situation de handicap mental, nouent des relations, s’investissent émotionnellement, et souffrent devant les inévitables situations de dégradation de la santé et de mort.

Le rôle moteur des aidants professionnels confrontés de plus en plus souvent aux situations de vieillissement/décès est incontestable. Les directions des établissements ne peuvent non plus fermer les yeux sur les recherches entreprises par rapport à des situations qu’ils rencontrent de plus en plus souvent. Leur frustration s’exprime parfois : « C’est un réel paradoxe de traiter du vieillissement et ne pas envisager la mort des personnes. La mort oubliée ! » [3] On peut la comprendre. En effet, la réflexion sur ce thème n’est pas précisément nouvelle : déjà en 1998 le Conseil économique et social approuvait à l’unanimité l’avis de leur section des affaires sociales sur le problème de la prise en charge des personnes handicapées mentales vieillissantes, le rapport Cayet1 . Les années 2000 ont ensuite vu une relative prolifération d’études sur le vieillissement des personnes déficientes mentales, et le sujet de la fin de vie a enfin trouvé expression publique. Le milieu médicosocial en sait donc quelque chose de la fin de vie, du décès, et du deuil chez la personne handicapée mentale2 . La prise en charge de cette étape dans la vie est d’ailleurs une obligation légale dans les établissements, et ce depuis plus d’un quart de siècle — ce dont les professionnels, mais peut-être pas les parents, sont forcément conscients. La loi no 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière a fait des soins palliatifs une nouvelle mission du service public hospitalier aux côtés des soins préventifs et curatifs. Elle a consacré officiellement les soins palliatifs. Mais, outre le secteur hospitalier, elle mentionne explicitement les établissements médicosociaux comme partie

1 À l’époque il s’agissait d’une population très réduite, estimée à 60 000 personnes handicapées mentales de plus de 40 ans en France, ¸ais avaient plus de 90 ans. alors qu’en 1990 plus de 240 000 franc On parle de mortalité dans le rapport Cayet, mais guère de mort, à l’exception du décès des parents qui laisse l’enfant en situation de handicap sans soutien. La nouvelle longévité de ces personnes n’est envisagée qu’en termes d’accueil et d’accompagnement du processus et du temps du vieillissement, et non pas de son aboutissement. Pourtant, Mme Cayet pose une définition de ce processus en affirmant que « vieillir ce n’est jamais que voir l’horizon de la vie se déplacer ». Si on ne sait pas exactement où se situe cet horizon pour un individu donné (et il se déplace de décennie en décennie), il reste une échéance à laquelle toute vie finit par arriver. 2 Mme Dusart avait commencé son travail sur les personnes en situation de handicap et la mort avant le rapport Cayet mais dans les mêmes termes : étudier le rapport des personnes déficientes mentales aux décès de leur proches (Dusart A., Les personnes déficientes intellectuelles confrontées à la mort, rapport de recherche, CREAI Bourgogne, Fondation de France, 1997).

Pour citer cet article : Dugelay D. Les familles de personnes en situation de handicap mental et le besoin de soins palliatifs. Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2017.09.008

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prenante de la démarche de développement des soins palliatifs, au même titre que les établissements sanitaires : « les établissements de santé, publics ou privés, et les établissements médicosociaux mettent en œuvre les moyens propres à prendre en charge la douleur des patients qu’ils accueillent et à assurer les soins palliatifs que leur état requiert, quelles que soient l’unité et la structure de soins dans laquelle ils sont accueillis. » CREDOC [4] Cependant, la réticence des familles à aborder les questions de dégradation de la santé et de fin de vie fait qu’elles restent principalement l’affaire des aidants professionnels, confrontés de plus en plus souvent aux décès des personnes accompagnées et au refus de leurs proches de s’y préparer. Et s’il est difficile de faire s’exprimer les proches sur les besoins en matière de soins palliatifs, que dira-t-on de la voix des personnes en situation de handicap elles-mêmes ? Le CREDOC a avoué cette difficulté dans son étude de 2008 : « La prise en compte du point de vue des proches des résidents et des résidents eux-mêmes permet de confronter la construction actuelle des pratiques professionnelles à l’état de la demande sociale sur la prise en charge de la fin de vie telle qu’elle s’exprime au niveau de l’usager. Toutefois, sur cet aspect, l’enquête n’a donné que peu de résultats. Les proches des résidents ne formulent pas de demande précise en matière d’accompagnement de la fin de vie, en dehors de la qualité des soins de confort. » Cette même étude CREDOC met en lumière un certain nombre de défaillances dans la pratique des soins palliatifs dans les ESMS (relâchement de soins considérés comme désormais inutiles ou temps de présence auprès de la personne accrue sans pour autant évoluer vers un mode d’accompagnement spécifique à des personnes en fin de vie), voire une réticence des aidants professionnels à intérioriser la nécessité de prodiguer des soins palliatifs. Mais ce que nous relevons est surtout la difficulté à communiquer sur ces besoins avec les personnes handicapées et leurs proches. Que signifie « soins palliatifs » pour les familles sinon l’accompagnement vers une mort qu’elles refusent ? La situation est rendue encore plus complexe par le fait que les personnes en situation de handicap mental nécessitent de toute manière un accompagnement pour vivre dignement, et parfois un accompagnement de type soins palliatifs dès leur plus jeune âge ou pendant de longues années. « Comment identifier (« repérer ») les situations de fin de vie, alors même que ces personnes parviennent parfois à survivre très longtemps avec un handicap et des maladies très graves ? » Pascal Jacob Le recours aux soins palliatifs dans le milieu des personnes en situation de handicap mental n’est donc pas confiné à des situations de grand âge. Chez ces adultes les situations de vieillissement sont souvent précoces, inattendus, ne laissant pas le temps aux aidants d’entamer leur deuil. L’âge de 40 ans cité dans le rapport Cayet peut étonner, comparé à l’âge de 60 ans habituellement pris comme

le début du vieillissement, mais dans le cas des personnes déficientes intellectuelles, on constate depuis longtemps un phénomène qui s’apparente à du vieillissement précoce : lorsqu’un quadragénaire bascule soudainement vers un âge mental de 90 ans, l’entourage se retrouve désemparé. Et d’une manière générale, les signes précurseurs du vieillissement (fatigabilité, ralentissement, perte de repères ou de mémoire, . . .) peuvent se greffer sur les déficiences existantes, rendant leur détection plus problématique. Quel que soit l’âge de la personne, la détérioration de l’état de santé peut donc être plus ou moins rapide ou radicale, mais ne pas être pour autant facile à déceler et à interpréter, largement en raison de nos difficultés à comprendre ces personnes (difficultés aggravées lorsqu’on n’essaie même pas de les écouter). Mais si l’on cherche légitimement les moyens d’améliorer le repérage des situations de fin de vie afin d’apporter soutien et secours, il ne faut pas pour autant se précipiter vers un accompagnement de fin de vie là où la vie n’est pas près de s’éteindre. C’est effectivement tout le problème, un problème que génèrent des suspicions chez les familles confrontées au milieu sanitaire. Alors que, pour la population générale, l’acharnement thérapeutique est aujourd’hui un thème de société majeur, l’hospitalisation d’une personne en situation de handicap s’accompagne parfois d’une réticence voire d’un refus de prodiguer examens et de traitements, selon la logique « Elle a 60 ans, elle est trisomique, elle a déjà bien vécu » ou « La fin ne saurait tarder, ce n’est plus la peine ». La discussion sur l’accès aux soins palliatifs pour les personnes déficientes intellectuelles doit éviter deux écueils : d’un côté ignorer, en raison de difficultés de compréhension ou simplement de faux espoir, le besoin de soins palliatifs et laisser un être humain mourir dans la souffrance, et de l’autre accélérer, par manque d’empathie ou par réelle hostilité, un décès évitable. Il est important que les associations de parents commencent à se saisir de ces questions qui se présenteront tôt ou tard à chacune de nos familles, et où le milieu médical peut nous apporter un réconfort. Une convergence entre les milieux du handicap et des soins palliatifs paraît non seulement souhaitable mais atteignable.

Sur le sujet précis de la souffrance, le travail immense effectué sur la gestion de la douleur depuis ces dernières décennies par les professionnels des soins palliatifs est largement reconnu. Les milieux médicaux en général semblent heureusement sortir petit à petit des vieux clichés du genre « les personnes déficientes intellectuelles sont insensibles à la douleur » pour affirmer, comme l’EAPC, que « La douleur chez la personne atteinte de déficience intellectuelle à la fin de sa vie est tout aussi subjective, multidimensionnelle et complexe que chez d’autres personnes et elle peut emprunter de nombreux aspects différents. » Le souci d’atténuer, voire de supprimer, la douleur, et les techniques et méthodes pour l’évaluer, peut donc fournir un premier sujet de convergence entre les milieux du handicap et des soins palliatifs. C’est une question qui intéresse vivement

Pour citer cet article : Dugelay D. Les familles de personnes en situation de handicap mental et le besoin de soins palliatifs. Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2017.09.008

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Les soins palliatifs vus par familles de personnes en situation de handicap les familles. Si nous avons du mal à aborder les questions de fin de vie, personne en revanche ne souhaite que leur enfant ne souffre. D’autres préoccupations sont d’ailleurs communes à nos deux milieux. Le médicosocial se consacre, comme les professionnels des soins palliatifs, à assurer une qualité et une dignité de vie à des individus dans des limites de durée et d’autonomie qui sont en dec ¸à des attentes du commun des mortels. Jusqu’au terme de leur existence, les personnes en situation de handicap méritent, elles aussi, de vivre et de jouir de la reconnaissance de la valeur de leur vie. Elles présentent un besoin d’accompagnement, mais cet accompagnement doit également prévoir une large place et une écoute attentive pour leur entourage, y compris les aidants professionnels qui les suivent au quotidien. Il est aussi important dans cet accompagnement de prendre en compte les aspects non seulement physiques et psychologiques, mais également sociaux et spirituels. Nos deux milieux partagent aussi une caractéristique d’ordre pratique bien spécifique. Selon l’EAPC, parlant des soins palliatifs, « Partout en Europe, il semble que les bonnes pratiques dépendent souvent de l’engagement d’individus dévoués plutôt que de bonnes politiques, directives ou de bons systèmes. L’excellence semble parfois être atteinte en dépit du système plutôt que grâce à lui. » Les associations dans le domaine du médicosocial s’y reconnaîtront dans cette situation. Que les bonnes volontés se rencontrent alors pour faire avancer la situation ! Les nouvelles normes de l’EAPC résument d’ailleurs les difficultés d’accès des personnes handicapées aux soins de toute nature, et non pas seulement les soins palliatifs. En même temps, elles laissent entrevoir le bénéfice pour tous de la prise en considération des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap.

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« L’adoption de l’approche adéquate pour les personnes atteintes de déficiences intellectuelles comporte des avantages énormes pour les services de soins palliatifs (ou tout autre service traditionnel). Les personnes en mesure de dispenser des soins de qualité aux patients présentant ce niveau de complexité et de difficultés sont susceptibles de prodiguer des soins de qualité à tous leurs patients, notamment ceux présentant d’autres difficultés comme les patients souffrant de démence ou d’autres problèmes de santé mentale. Les compétences nécessaires pour satisfaire aux normes de ce Livre Blanc sont transférables. La manière dont sont dispensés les soins palliatifs aux personnes déficientes intellectuelles pourrait ainsi tenir lieu de référence pour l’ensemble des prestations de service. » C’est, pour les familles de personnes en situation de handicap mental, un message d’encouragement et de solidarité.

Références [1] Un droit citoyen pour la personne handicapée, un parcours de soins et de santé sans rupture d’accompagnement 2013. [Rapport Pascal Jacob ; consultable sur : http://solidarites-sante. gouv.fr/IMG/pdf/rapport-pjacob-0306-macarlotti.pdf]. [2] EAPC, Normes de consensus relatives aux soins palliatives des personnes atteintes de déficiences intellectuelles en Europe 2015. [Consultable sur : http://www.eapcnet. eu/LinkClick.aspx?fileticket=2QchuM-Ej4M%3D]. [3] Laurent Decrop. Accompagner la fin de vie des personnes handicapées mentales dans une association; 2010 [Mémoire de l’École des hautes études en santé publique ; consultable sur : http://www.firah.org/centre-ressources/upload/notices3/ accompagner-la-fin-de-vie-de-personnes-handicapees.pdf]. [4] CREDOC. Étude sur les perceptions et les attentes des professionnels de santé des bénévoles et des familles des malades dans le cadre de la prise en charge des soins palliatifs : les établissements médicosociaux; 2008 [Rapport CREDOC].

Pour citer cet article : Dugelay D. Les familles de personnes en situation de handicap mental et le besoin de soins palliatifs. Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2017.09.008