Les formes cliniques trompeuses de la maladie cœliaque

Les formes cliniques trompeuses de la maladie cœliaque

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Archives de pédiatrie 13 (2006) 572–578 http://france.elsevier.com/direct/ARCPED/

Session : Maladie cœliaque Les formes cliniques trompeuses de la maladie cœliaque Misleading presentations of celiac disease Mots clés : Maladie cœliaque ; Formes atypiques Keywords: Celiac disease; Gluten enteropathy; Atypical forms

La maladie cœliaque (ou intolérance au gluten) est une affection secondaire à une réponse immunitaire anormale du tube digestif en présence de gluten. La réponse cellulaire se traduit par l’apparition de lymphocytes T CD4+ et de lymphocytes intraépithéliaux (CD3+, CD8+) pathogènes en particulier du fait de la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires (IL2 et interféron γ). La disparition des villosités va réduire les capacités d’absorption de l’intestin et provoque un syndrome de malabsorption. La réponse humorale est à l’origine de l’apparition d’autoanticorps dirigés contre la transglutaminase tissulaire [1]. La maladie cœliaque a été initialement décrite comme étant responsable d’une entéropathie avec syndrome de malabsorption dépendante du gluten mais peut se présenter sous des formes cliniques variées. 1. Les manifestations digestives 1.1. La forme habituelle, entéropathie avec syndrome de malabsorption La maladie cœliaque est l’étiologie principale des diarrhées chroniques avec syndrome de malabsorption du jeune nourrisson. La maladie débute dans les semaines suivant l’introduction du gluten. Compte tenu de nos habitudes alimentaires et de l’éviction systématique du gluten durant les premiers mois de vie, la maladie débute le plus souvent entre l’âge de 6 et 9 mois. Le tableau clinique est évocateur avec des anomalies des selles qui sont trop nombreuses, trop volumineuses, molles, typiquement en « bouse ». Celles-ci sont graisseuses du fait de la malabsorption lipidique et putride du fait de la malabsorption protéique. Il existe une cassure des courbes de croissance pondérales puis staturales. Enfin, l’aspect clinique est souvent évocateur avec un nourrisson qui apparaît triste, grognon avec un gros ventre et des membres grêles du fait de la fonte des masses musculaires, alors que la fonte du panicule adipeux est bien visible au niveau des fesses molles, « flasques ». On peut parfois noter une peau sèche et des cheveux cassants et, dans les formes sévères, des œdèmes par hypoprotidémie, ou un rachitisme par carence en vitamine D et calcium. Biologiquement, on note une carence en fer avec anémie hypochrome presque constante et des carences en vitamines liposolubles le plus souvent asymptomatiques.

Le diagnostic repose sur la mise en évidence des anticorps anti-endomysium ou antitransglutaminase du sérum de type IgA et des signes histologiques évocateurs de la maladie cœliaque. Ceux-ci sont recherchés par des biopsies duodénales réalisées par voie endoscopique qui montreront une atrophie villositaire totale (AVT) associée à un infiltrat inflammatoire du chorion et une hyperplasie des cryptes. Le diagnostic différentiel fait discuter les autres étiologies des diarrhées chroniques et en particulier la mucoviscidose Les tests sérologiques sont maintenant un moyen de dépistage très performant. Ces tests peuvent être utilisés dans les formes typiques ou lorsque les symptômes sont atténués (anomalies des selles, stagnation pondérale). Ils sont aussi un moyen de suivi de la maladie cœliaque. Les études sérologiques [2] montrent que la sensibilité et la spécificité des anticorps anti-endomysium de classe IgA sont, chez l’enfant, proches de 100 %. Il en est de même pour les anticorps antitransglutaminase [3]. Chez l’adulte, la sensibilité serait moins bonne que chez l’enfant. 1.2. Les formes paucisymptomatiques À côté de l’expression classique de la maladie cœliaque, il existe de nombreuses formes cliniques, plus volontiers observées chez le grand enfant, et qui correspondent aux situations dans lesquelles la diarrhée chronique et le syndrome de malabsorption sont au second plan [4]. Ainsi, on décrit des maladies cœliaques se traduisant par : une anémie ferriprive résistante aux traitements substitutifs, un retard de croissance ou pubertaire isolé. Parfois, la maladie peut prendre un masque plus trompeur se révélant par des douleurs abdominales, des troubles chroniques du transit sous forme de vomissements ou même de constipation (trouble de la motricité intestinale). Une hypertrophie des ganglions mésentériques (forme pseudotumorale) ou des cavitations ganglionnaires et même un hyposplénisme ont été décrits. Chez l’adulte, les formes peu symptomatiques se révélant par une ostéopénie et une anémie isolée semblent assez fréquentes. 1.3. Les formes silencieuses ou asymptomatiques Elles correspondent aux situations dans lesquelles on observe des lésions histologiques de maladie cœliaque et des anticorps anti-endomysium ou transglutaminase alors que le sujet est asymptomatique. Des études de prévalence ont été réalisées utilisant la recherche d’anticorps puis, lorsqu’elle était positive, une biopsie jéjunale. Le diagnostic de maladie cœliaque a été porté chez 4,59 ‰ des 6315 patients, âgés de 11 à 16 ans étudiés par Catassi et al. [5]. Ces malades présentent une atrophie villositaire totale et sont soit totalement

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asymptomatique, soit présentent des troubles digestifs variés ou une anémie avec une carence en fer. 1.4. Les études familiales Les membres de la famille d’un patient présentant une maladie cœliaque et particulièrement les apparentés au premier degré, constituent un groupe à risque. De nombreuses études ont validé l’existence de maladies cœliaques asymptomatiques ou peu symptomatiques dans l’entourage de patients connus pour présenter une maladie cœliaque. 2. Associations morbides et manifestations extradigestives Les facteurs génétiques jouent un rôle prépondérant dans la physiopathologie de la maladie cœliaque comme l’ont montré les études concernant le complexe majeur d’histocompatibilité [6]. Ces éléments sont confirmés par les études familiales réalisées chez les apparentés au premier degré et celles réalisées chez les jumeaux monozygotes. Ces facteurs génétiques expliquent les associations pathologiques électives parfois observées ; dans ce cas, la maladie cœliaque est en règle peu ou pas symptomatique. 2.1. Le diabète insulinoprive La prévalence de l’atrophie villositaire dans le diabète insulinoprive de l’enfant est de 1 à 11 % selon les études [3]. 2.2. La dermatite herpétiforme Plus de 60 % des patients porteurs d’une dermatite herpétiforme ont une atrophie villositaire totale ou subtotale et 30 % de ces patients ont une atrophie villositaire partielle. Il est remarquable de noter que le régime sans gluten (RSG) permet en règle de guérir la maladie cutanée [6]. 2.3. Le déficit en IgA La prévalence de la maladie cœliaque est 10 fois plus élevée chez les sujets présentant un déficit en IgA que dans la population générale [6]. De nombreuses maladies sont associées à la maladie cœliaque : affections auto-immunes (thyroïdite, maladie d’Addison, anémie hémolytique), atteinte hépatique sous forme d’une hypertransaminasémie (avec lésions hépatiques non spécifiques régressives sous RSG), hépatite auto-immune, plus rarement manifestations neurologiques (épilepsie avec ou sans calcifications cérébrales temporo-occipitales, du système nerveux central, du cervelet ou du système nerveux périphérique). 3. Les formes latentes ou potentielles Cette notion est liée au fait que le statut génétique de certains sujets constitue une prédisposition à développer, dans certaines conditions, une maladie cœliaque. La maladie cœliaque apparaît, en effet, associée dans plus de 90 % des cas aux groupes HLA-DQ2 ou DQ8 [6].

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4. Les formes évolutives En l’absence de traitement, le patient s’expose aux complications des malabsorptions : retard de croissance, ostéoporose, fractures pathologiques, anomalies de l’émail dentaire. Il a été aussi rapporté une augmentation de l’incidence des cancers digestifs, en particulier des lymphomes. Le traitement de la maladie cœliaque est le RSG. Ce traitement consiste à éliminer de l’alimentation, les farines de blé, d’orge et de seigle qui sont remplacées par des farines de riz et de maïs. Tous les autres aliments sont autorisés (viandes, poissons, fruits, légumes, laitages...). L’avoine est autorisée en quantité modérée. Sous traitement, les troubles digestifs disparaissent en quelques jours et une reprise pondérale s’opère en quelques semaines. Les anticorps disparaissent en quelques mois et serviront à contrôler l’observance du régime. La rechute à l’arrêt du traitement va dépendre de nombreux facteurs y compris de la durée du RSG et de la quantité de gluten ingéré. Cette rechute peut prendre des formes variées, avec du syndrome de malabsorption, ou rester asymptomatique. De nombreuses études ont suivi des cohortes de patients présentant une maladie cœliaque chez lesquels un régime normal était réintroduit à plus ou moins long terme. Schmitz [7] a étudié le devenir d’adolescents asymptomatiques, avec un régime normal à la puberté et une rechute histologique (AVT) ; 35 gardent une AVT peu ou asymptomatique ; chez 15, les lésions histologiques se sont améliorées. Des constatations identiques avaient été faites par Troncone [8] qui notait que 11 % des patients présentant une maladie cœliaque ayant eu une introduction du gluten après la puberté ne font pas de rechute si le RSG a été maintenu au moins 2 ans. Le rôle de la quantité de gluten Montgomery et al. [9] ont étudié l’évolution de patients présentant une maladie cœliaque sous RSG, sous régime pauvre en gluten (2,5 à 5 g par jour) et chez une cohorte de patients non traités. Chez les patients traités par un RSG strict et ceux ayant une faible dose de gluten, il n’existe pas de différence significative entre les hauteurs de cryptes et les titres d’anticorps antigliadine de types IgA et IgG. La seule différence est l’existence d’une augmentation du nombre de lymphocytes intraépithéliaux chez les patients recevant du gluten en petite quantité par rapport aux sujets témoins. La quantité de gluten pouvant être tolérée sans déclencher de réponse immunitaire n’est pas déterminée avec précision et varie probablement d’un malade à l’autre. Les observations de cancer associé à la maladie cœliaque chez l’enfant sont exceptionnelles [10]. Chez l’adulte, la fréquence des cancers est accrue chez le sujet présentant une maladie cœliaque. La dégénérescence maligne ne se résume pas aux lymphomes, puisque la fréquence des carcinomes, en particulier ceux de l’intestin grêle, mais aussi de la bouche, du pharynx et de l’œsophage est augmentée [11] Références [1] Dietrerich W, Ehnis T, Bauer M, et al. Identification of tissue transglutaminase as the autoantigen of celiac disease. Nat Med 1997;3:725–6.

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[2]

Del Rosario MA, Fitzgerald JF, Chong SK, et al. Further studies of antiendomysium and antigliadin antibodies in patients with suspected celiac disease. J Pediatr Gastroenterol Nutr 1998;27:191–5. [3] Peretti N, Bienvenu F, Bouvet C, et al. The temporal relationship between the onset of type 1 diabetes and celiac disease. A study based on immunoglobulin a antitransglutaminase screening. Pediatrics 2004;113: 418–22. [4] Kokkonen J, Haapalahti M, Tikkanen S, et al. Gastrointestinal complaints and diagnosis in children: a population-based study. Acta Paediatr 2004;93:880–6. [5] Catassi C, Ratsch IM, Fabiani E, et al. Celiac disease in the year 2000: exploring the iceberg. Lancet 1994;343:200–3. [6] Mowat AM. Celiac disease-a meeting point for genetics, immunology, and protein chemistry. Lancet 2003;361:1290–2. [7] Schmitz J. Particularités de la maladie cœliaque chez l’enfant. Gastroenterol Clin Biol 1996;20:42–9. [8] Troncone R. Latent celiac disease in Italy. The SIGEP Working group on Latent Celiac Disease. Italian society for pediatric gastroenterology and hepatology. Acta Pediatr 1995;84:1252–7. [9] Montgomery AM, Goka AK, Kumar PJ, et al. Low gluten diet in the treatment of adult celiac disease: effect on jejunal morphology and serum antigluten antibodies. Gut 1988;29:1564–8. [10] Schweizer JJ, Oren A, Mearin ML, The Working Group For Celiac Disease and Malignancy of the European Society for Paediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition. Cancer in children with celiac disease: a survey of the European Society of Paediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2001;33:97–100. [11] West J, Logan RF, Smith CJ, et al. Malignancy and mortality in people with celiac disease: population based cohort study. BMJ 2004;329:716– 9.

A. Lachaux Unité d’hépatologie, gastroentérologie et nutrition pédiatrique, département de pédiatrie, hôpital Édouard-Herriot, Lyon, France Adresse e-mail : [email protected] (A. Lachaux). Disponible sur internet le 11 mai 2006 0929-693X/$ - see front matter © Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.arcped.2006.03.083

La sérologie pourra-t-elle suffire à poser le diagnostic de maladie cœliaque chez l’enfant ? Will serologic tests allow to diagnose coeliac disease in children? Mots clés : Maladie cœliaque ; Anticorps antigliadine ; Anticorps antitransglutaminase ; Anticorps anti-endomysium Keywords: Celiac disease; Antigliadin autoantibodies; Endomysium autoantibodies

antibodies;

Transglutaminase

La maladie cœliaque (MC) est une entéropathie autoimmune, induite par un antigène alimentaire, la gliadine, chez un sujet génétiquement prédisposé. Le diagnostic définitif de MC, quelle que soit son expression clinique, repose sur la mise en évidence des anomalies histologiques caractéristiques sur les biopsies duodénojéjunales (atrophie villositaire avec inflammation, présence de lymphocytes intraépithéliaux et hypertrophie cryptique) et sur la rémission clinique sous régime sans gluten [1]. Mais, étant donné, d’une part le caractère invasif de la biopsie du grêle et, d’autre part, l’importance du dépistage de la

MC, puisque le régime sans gluten pourrait prévenir la survenue des complications (ostéoporose, augmentation de la prévalence d’autres maladies auto-immunes [2], complications malignes tardives [3]), les différents anticorps sériques associés à la MC prennent tout leur intérêt en pédiatrie, en constituant un outil non invasif. Dans quelle mesure ces anticorps peuventils suffire à poser le diagnostic de maladie cœliaque ? 1. Les différents anticorps sériques associés à la maladie cœliaque Trois types d’anticorps sont recherchés dans la maladie cœliaque : les anticorps antigliadine (de types IgA et IgG), les autoanticorps anti-endomysium (IgA–IgG) et, plus récemment, les autoanticorps antitransglutaminase (IgA–IgG). 1.1. Les anticorps antigliadine Décrits en 1958, ils ont été largement utilisés pour le dépistage de la maladie cœliaque. Cependant, leur sensibilité et leur spécificité sont limitées. Elles dépendent, en particulier, des techniques utilisées (en général techniques Elisa) et de l’âge des patients. Ainsi, pour les IgA antigliadine, la sensibilité est de 100 % chez les enfants de moins de 2 ans et seulement de 55 % dans une population adulte. Les IgA antigliadine sont plus spécifiques que les IgG antigliadine pour lesquelles on rapporte un pourcentage non négligeable de faux positifs, en particulier lors de syndromes gastro-intestinaux (modification de la perméabilité intestinale) ou lors de maladies autoimmunes (diabète de type I). Les IgG antigliadine seront le seul marqueur positif en cas de déficit en IgA, déficit pour lequel on note une augmentation de la prévalence de la MC, mais leur spécificité est discutée [4]. 1.2. Les autoanticorps anti-endomysium (EMA) Ils ont été mis en évidence en 1983. La technique de détection la plus utilisée est l’immunofluorescence indirecte (IFI) sur coupe d’œsophage de singe qui montre une fluorescence du muscle lisse donnant un aspect en « nid d’abeille ». La sensibilité de ces anticorps est très bonne : 88 à 100 % chez l’adulte, plus faible chez l’enfant dans certaines études [5]. La spécificité est très élevée (95 à 100 %) et la valeur prédictive positive pratiquement de 100 %. Ce test a longtemps été considéré comme le gold standard de la sérologie. Mais sa réalisation est délicate (lecture subjective devant être réalisée par un personnel expérimenté), onéreuse et non adaptée à de grandes séries. C’est pourquoi, il est maintenant admis de doser les IgA antitransglutaminase (IgA–anti-tTG) en test de dépistage de la MC. 1.3. Les autoanticorps antitransglutaminase tissulaire (anti-tTG) En 1997, l’équipe de Dieterich [6] a montré que des anticorps antitransglutaminase tissulaire (anti-tTG) sont présents dans la maladie cœliaque et que la transglutaminase (tTG) est l’autoantigène principal reconnu par les EMA. Les techniques utilisées pour la recherche de ces autoanticorps anti-tTG sont essentiellement l’Elisa. La sensibilité et la spécificité sont très