Lymphomes à manifestations initiales rénales : à propos de quatre observations

Lymphomes à manifestations initiales rénales : à propos de quatre observations

La Revue de médecine interne 27 (2006) 909–915 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/ Article original Lymphomes à manifestations initiales rénal...

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La Revue de médecine interne 27 (2006) 909–915 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/

Article original

Lymphomes à manifestations initiales rénales : à propos de quatre observations Lymphoma with initial renal involvement: about four cases F.-A. Dauchya,*, G. Etiennea, C. Deminièreb, C. Combec, P. Mervillec, M. Longy-Boursiera a

Médecine interne et maladies tropicales, hôpital Saint-André, CHU de Bordeaux, université Bordeaux-II, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux cedex, France b Laboratoire d’anatomopathologie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, France c Services de néphrologie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, France Reçu le 19 avril 2006 ; accepté le 24 juillet 2006 Disponible sur internet le 18 août 2006

Résumé Propos. – Description clinique de patients présentant un lymphome associé à des manifestations rénales. Méthodes. – Nous avons identifié les cas de lymphomes accompagnés de manifestations rénales, avec documentation histologique rénale, pris en charge sur le CHU de Bordeaux entre 1996 et 2004. Résultats. – Nous rapportons une série de quatre observations. Il s’agit de quatre patients ayant présenté un lymphome non hodgkinien B. L’atteinte rénale s’est manifestée initialement par un syndrome néphrotique chez deux patients et par une atteinte tumorale rénale dans deux cas. L’histologie rénale a permis le diagnostic de lymphome chez trois patients. Conclusion. – L’atteinte rénale au cours des lymphomes peut correspondre à une atteinte directe par la prolifération maligne ou aux conséquences immunologiques du processus lymphomateux. Certaines formes histologiques particulières telles que le lymphome intravasculaire et le lymphome primitif rénal sont à l’origine de difficultés diagnostiques. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Purpose. – To present a comprehensive description of the clinical features of patients with renal manifestations during lymphoma. Methods. – Retrospective review of medical records from all patients diagnosed with lymphoma associated with kidney involvement in our hospital between 1996 to 2004. Four cases were identified and analysed. Results. – Four patients presented a non-Hodgkin’s lymphoma. One patient showed intravascular large B-cell lymphoma, revealed by proteinuria. Another patient had a nephrotic syndrome, and two had a renal mass. Renal histology allowed diagnosis of lymphoma in 3 cases. Conclusion. – The diagnosis of lymphoma associated with renal involvement is rather difficult, and more specifically in case of intravascular large B-cell lymphoma, or even primary renal lymphoma. We present here a comprehensive review of the literature and we discuss pathogenesis of these conditions. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Lymphome ; Glomérulopathie paranéoplasique ; Lymphome intravasculaire Keywords: Lymphoma; Paraneoplastic glomerulopathie; Intravascular lymphoma

* Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F.-A. Dauchy).

0248-8663/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2006.07.015

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1. Introduction L’atteinte rénale au cours des lymphomes est rarement rapportée. Elle peut être secondaire à une atteinte tumorale par la prolifération maligne ou être indépendante de celle-ci relevant alors d’un mécanisme immunologique associé au lymphome. Les traitements spécifiques des lymphomes par chimiothérapie peuvent également être délétères pour la fonction rénale. Nous rapportons une série de quatre observations de lymphomes accompagnés de manifestations rénales. Une analyse de ces différents cas permettra de dégager les caractéristiques de cette situation. En particulier, les modes de révélation de ces lymphomes par des manifestations rénales initiales seront développés. L’analyse des différents cas décrits est discutée à la lumière d’une revue de la littérature.

associée à une hématurie et une leucocyturie modérées. Il existe un syndrome inflammatoire biologique (CRP = 45 mg/l, fibrinogène = 6 g/l). Les sérologies pour les hépatites B, C et le VIH sont négatives. Le bilan dysimmunitaire (anticorps antinoyaux, anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles, cryoglobuline) est non contributif. La

2. Patients et méthodes À partir d’une observation personnelle, nous avons identifié les cas de lymphomes de l’adulte accompagnés de manifestations rénales, avec documentation histologique rénale, pris en charge sur le CHU de Bordeaux entre 1996 et 2004. La recherche des cas a été réalisée à partir des données du PMSI des différents services de médecine interne, de néphrologie, ainsi que d’un service d’oncohématologie et par recoupement avec les archives du laboratoire d’anatomopathologie. La présence d’une histologie rénale contributive était exigée. Les patients porteurs d’atteintes tubulo-interstitielles toxiques ou métaboliques étaient exclus. Les quatre observations retenues sont résumées dans le Tableau 1. 3. Observations cliniques 3.1. Patient 1 M. H., âgé de 67 ans, aux antécédents d’hypertension artérielle essentielle traitée par antagonistes calciques, est hospitalisé devant un tableau clinique de constitution récente associant dyspnée d’effort et hypotension orthostatique dans un contexte fébrile. L’examen clinique objective des œdèmes des membres inférieurs bilatéraux et symétriques. Le bilan biologique montre une thrombopénie modérée isolée à la numération, une altération de la fonction rénale avec urée à 9,8 mmol/l (2,9–7,5) et créatininémie à 136 μmol/l (62–120). Il existe une hypoalbuminémie. La protéinurie est chiffrée à 1,32 g/24 heures

Fig. 1. Patient 1. A. Cellules atypiques dans la lumière des capillaires glomérulaires (PAS). B. Expression du CD20 par les cellules lymphomateuses (immunohistochimie).

Tableau 1 Synthèse des cas cliniques No 1

Âge 67

Sexe M

Manifestation rénale s. néphrotique

2

56

M

3

54

M

Insuffisance rénale, s. néphrotique impur Masses rénales

4

71

F

Masse rénale

Prélèvement rénal Ponction–biopsie rénale Ponction–biopsie rénale Ponction–biopsie rénale Néphrectomie

Histologie rénale Lymphome intravasculaire Glomérulonéphrite extramembraneuse Lymphome B grandes cellules Lymphome B grandes cellules

Type de lymphome Lymphome B intravasculaire Lymphome B de la zone marginale Lymphome B grandes cellules Lymphome B grandes cellules

Localisations Rénale

Stade IE

Médullaire et ganglionnaire Gingivale et rénale Rénale et ganglionnaire

IV

Évolution Récidive précoce et décès Rémission

IV

Rémission

II

Décès

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ponction–biopsie rénale permet de décrire la présence de cellules atypiques de grande taille dans la lumière de certains capillaires glomérulaires (Fig. 1). Leurs noyaux sont volumineux et irréguliers, à chromatine hétérogène, parfois nucléolés et en mitoses. Ces cellules expriment le CD45 et les marqueurs B (CD79a, CD20). Il n’a pas été vu de prolifération extracapillaire. Il n’y a pas de syndrome tumoral au scanner thoracoabdominopelvien. La biopsie ostéomédullaire est normale. En l’absence de lésion cutanée, il n’a pas été réalisé de biopsie cutanée, y compris en peau saine. Le diagnostic retenu est celui de lymphome intravasculaire B à grandes cellules. Après six cures de polychimiothérapie à l’origine d’une amélioration clinique rapide, on note une régression incomplète de la protéinurie. Le patient décède neuf mois plus tard des complications d’une atteinte neurologique centrale tumorale multiple compatible avec une atteinte lymphomateuse.

sence de dépôts pariétaux. Ces dépôts sont focaux et fixent les sérums anti-IgG, anti-C3, ainsi que les antichaînes légères lambda et kappa, sans aspect monotypique. L’examen au rouge congo est négatif. En microscopie électronique, on note des dépôts sur le versant externe épithélial de la membrane basale. Il n’existe pas de dépôts microtubulaires en faveur d’une GOMMID (glomerulonephritis with organised microtubular monoclonal immunoglobulin deposits). L’ensemble fait retenir la présence d’une glomérulonéphrite extramembraneuse de type 2, associée à une population lymphocytaire B. La prise en charge a comporté un traitement par diurétique de l’anse et inhibiteurs de l’enzyme de conversion, ainsi que la réalisation de six cures de chimiothérapie de type CHOP (cyclophosphamide, adriamycine, vincristine, prednisone). Il est ainsi obtenu à 18 mois une rémission partielle avec stabilisation de la fonction rénale mais persistance d’une protéinurie à 3 g/24 heures.

3.2. Patient 2

3.3. Patient 3

M. R., âgé de 56 ans, est hospitalisé pour altération de l’état général associé à des œdèmes des membres inférieurs d’apparition récente. Il présente dans ses antécédents une splénomégalie isolée connue depuis plusieurs années n’ayant donné lieu, compte tenu du refus du patient, à aucune exploration complémentaire. L’examen clinique met en évidence, outre les œdèmes des membres inférieurs, une volumineuse splénomégalie associée à la présence d’adénopathies axillaires. Sur le plan biologique, il existe une pancytopénie avec leucocytes à 2900/mm3, une anémie normochrome à 8,3 g/dl, une thrombopénie à 57 000/mm3. La fonction rénale est altérée avec une créatininémie à 228 μmol/l et une urée plasmatique à 17,1 mmol/l. La protéinurie est chiffrée à 13,9 g/24 heures. Les sérologies des hépatites B, C et pour le VIH sont négatives. Les explorations immunologiques (anticorps antinoyaux, anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles, anticorps antimembrane basale glomérulaire, anticorps antimembrane basale tubulaire, cryoglobuline) sont non contributives. L’immunophénotypage lymphocytaire sanguin ainsi que la biopsie ostéomédullaire concluent à la présence d’un lymphome B de la zone marginale de stade IV. La ponction–biopsie rénale est refusée par le patient qui est secondairement perdu de vue. Dix-huit mois plus tard, le patient est à nouveau hospitalisé pour altération de l’état général et majoration des œdèmes des membres inférieurs. Le bilan biologique montre une insuffisance rénale chronique, une aggravation de la pancytopénie sur un mode non immunologique motivant la réalisation d’une splénectomie. Celle-ci confirme la présence d’un lymphome B de la zone marginale, sans signes de transformation. Le scanner thoracoabdominopelvien met en évidence des adénopathies médiastinales et cœliomésentériques volumineuses. La ponction–biopsie rénale retrouve des glomérules partiellement ou totalement hyalinisés, avec présence d’une couronne fibroépithéliale. L’interstitium est modérément élargi, discrètement fibreux et focalement infiltré par des cellules lymphoïdes. Les parois des capillaires glomérulaires sont parfois épaissies (Fig. 2). En immunofluorescence, on remarque la pré-

M. R., âgé de 54 ans, est hospitalisé pour découverte d’images rénales nodulaires lors du bilan d’extension d’un lymphome de haut grade de localisation gingivale. Ses antécédents se résument à une hypertension artérielle essentielle traitée par diurétiques de l’anse. L’examen clinique initial relève l’absence d’adénopathies superficielles et de splénomégalie. Il n’y a pas d’œdèmes des membres inférieurs ni d’altération de l’état général. Sur le plan biologique, la numération et la fonction rénale sont normales. La protéinurie est nulle. Les sérologies pour les hépatites B, C et le VIH sont négatives. La bêta2-microglobuline est à 1,54 mg/l et les LDH normales. La biopsie ostéomédullaire est normale. Le scanner montre des images multimacronodulaires des deux reins, d’aspect tissulaire hypodense et hypovascularisé. La ponction–biopsie rénale sous contrôle scanographique confirme la présence d’un infiltrat lymphocytaire massif CD20+ CD79a+ correspondant au lymphome B diffus à grandes cellules connu. Il n’a pas été identifié d’atteinte glomérulaire surajoutée. Six cures de chimiothérapie de type CHOP-Rituximab sont réalisées et permettent l’obtention d’une rémission complète à 18 mois, avec disparition des images rénales. 3.4. Patient 4 Mme E., âgée de 71 ans, aux antécédents de cardiopathie hypertensive est hospitalisée pour altération de l’état général et découverte d’une masse de la fosse lombaire gauche. Sur le plan biologique, la numération–formule sanguine est normale, la fonction rénale est conservée avec créatininémie à 71 μmol/l. L’échographie puis le scanner confirment la présence d’une masse rénale hétérogène de 10 sur 10 cm, accompagnée d’une thrombose de la veine rénale et de nombreuses adénopathies cœliomésentériques. Il est procédé à une néphrectomie gauche élargie. L’histologie permet de décrire une tumeur maligne correspondant à un lymphome B diffus à grandes cellules envahissant la capsule ainsi que le parenchyme rénal de façon massive. Les ganglions locorégionaux

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Fig. 2. Patient 2. A. Épaississement de la paroi des capillaires glomérulaires (trichrome). B. Population lymphocytaire B interstitielle exprimant le CD79 (immunohistochimie). C. Dépôts glomérulaires d’Ig G (immunofluorescence).

sont envahis par le même infiltrat spécifique. Il n’a pas été identifié d’atteinte glomérulaire surajoutée. La biopsie ostéomédullaire est normale. Une chimiothérapie de type COP (cyclophosphamide, vincristine, prednisone) est débutée avec une évolution défavorable marquée par plusieurs épisodes infectieux majeurs. Une rémission partielle est obtenue suivie d’une récidive précoce et du décès de la patiente.

par le biais d’atteintes tubulo-interstitielles toxiques et métaboliques. Ce dernier cas de figure n’est pas envisagé par la suite. De même, l’apparition de lymphomes au cours des différentes situations d’immunodépression n’est pas illustrée dans notre série et ne sera pas développée.

4. Discussion

4.1.1. Infiltration du parenchyme rénal par un lymphome disséminé L’infiltration directe du parenchyme rénal est diversement appréciée par les auteurs : jusqu’à 50 % selon certaines séries autopsiques [1,2]. La plupart des études cliniques estiment cependant l’incidence de l’atteinte parenchymateuse rénale entre 2,4 et 14 % [3,4]. L’envahissement rénal par un lymphome disséminé semble d’avantage l’apanage des formes

L’atteinte rénale au cours des lymphomes est rarement rapportée. Elle peut être secondaire à une atteinte tumorale par la prolifération maligne ou être indépendante de celle-ci relevant alors d’un mécanisme immunologique associé au lymphome. Les traitements spécifiques des lymphomes de type chimiothérapie peuvent également être délétères pour la fonction rénale

4.1. Conséquences rénales directes du lymphome

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diagnostiquées tardivement. Cet envahissement rénal peut être unilatéral ou bilatéral (5 et 8 % respectivement). On distingue l’atteinte par contiguïté à partir d’adénopathies rétropéritonéales et l’atteinte par diffusion hématogène s’intégrant dans le cadre d’une atteinte multiviscérale. Les signes d’appel les plus fréquents sont la perception d’une masse lombaire, des douleurs lombaires ou abdominales en rapport avec la distension de la capsule rénale, comme observé pour le patient 4 de notre série. Une hypertension artérielle ou une hématurie macroscopique sont plus rares. Les principaux aspects scanographiques sont la présence de multiples nodules intraparenchymateux, d’un nodule unique ou d’une masse périrénale envahissant secondairement le parenchyme. Une infiltration rénale diffuse est plus rarement observée [5]. Ce dernier aspect peut être plus aisément apprécié lors du suivi sous traitement qui montre une diminution progressive du volume des reins, comme l’illustre le patient 3 de notre série. Une étude s’intéressant à 48 patients porteurs d’une telle atteinte rénale montre la prédominance des lymphomes B à grandes cellules [6]. Les modalités de suivi sous traitement dans ce cas particulier ne sont pas codifiées. La tomographie par émission de positron (PETscan) a montré un intérêt pour le suivi des lymphomes notamment dans l’évaluation précoce de la réponse sous traitement des lymphomes agressifs. Les données de la littérature concernant la place du PETscan pour la localisation rénale des lymphomes non hodgkinien sont minces [7]. 4.1.2. Cas particulier du lymphome primitif rénal Contrairement à l’infiltration par un lymphome disséminé, l’existence de lymphomes primitifs rénaux extranodaux a été très discutée. Il s’agit d’une entité rare qui représente seulement 0,7 % des lymphomes extranodaux [8]. Elle peut être également bilatérale [9,10]. Les critères cliniques pour le diagnostic de lymphome primitif rénal comportent : la présentation initiale sous la forme d’une insuffisance rénale aiguë, l’augmentation du volume rénal sans obstruction, l’absence d’atteinte lymphomateuse extrarénale, l’absence d’une autre cause à l’insuffisance rénale aiguë, l’obtention d’une documentation histologique rénale et la régression de la symptomatologie après traitement. Plusieurs hypothèses physiopathogéniques ont été avancées : la première suppose la formation de follicules lymphoïdes à partir d’un processus inflammatoire parenchymateux rénal, la deuxième hypothèse évoque un envahissement parenchymateux à partir des lymphatiques de la capsule rénale. Sur le plan radiologique, le lymphome apparaît typiquement sous la forme d’une masse solide de densité tissulaire, parfois spontanément hypodense sans nécrose ni calcification [11]. Le diagnostic différentiel majeur est celui d’adénocarcinome rénal et ce n’est souvent que la pièce de néphrectomie qui va permettre d’établir le diagnostic. La principale série de la littérature comporte 176 cas dont seuls cinq cas correspondent à l’ensemble des critères précédemment cités [12]. Dans cette série, l’âge moyen lors du diagnostic est de 60 ans. Parmi 700 patients d’une autre série rétrospective, seuls cinq sujets présentent une infiltration histologiquement prouvée et aucun ne rempli l’ensemble des critères [13]. Il s’agit majoritairement de lymphomes non hodgkiniens B

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de grade intermédiaire ou de haut grade. Le faible effectif des séries publiées ne permet pas de tirer de conclusions en termes de pronostic, ni de recommandations de prise en charge. 4.1.3. Cas particulier du lymphome intravasculaire rénal Le lymphome intravasculaire est un sous-type rare de lymphome malin B diffus à grandes cellules CD45, CD20, CD79a et plus rarement CD5 positives. Néanmoins, de rares cas de lymphomes intravasculaires de phénotype T ont été décrits [14]. Il s’agit d’un lymphome agressif touchant le plus souvent le système nerveux central et la peau. La perte d’expression par les cellules tumorales de certaines protéines d’adhésion (CD29, CD54) rendrait compte de la localisation intravasculaire exclusive à l’origine de manifestations ischémiques au sein des organes affectés. La symptomatologie clinique associe le plus souvent des signes généraux et cutanés. L’atteinte rénale est fréquente lors des études autopsiques mais souvent asymptomatique sur le plan clinique. La recherche d’une infiltration médullaire par biopsie ostéomédullaire avec étude immunohistochimique, éventuellement complétée par la mise en évidence d’un réarrangement clonal des chaînes lourdes d’immunoglobulines par PCR, peut faciliter le diagnostic [15–19]. Les lymphomes intravasculaires rénaux sont rares et révélés par une protéinurie, un syndrome néphrotique le plus souvent pur, voire une insuffisance rénale. Le diagnostic est fait devant la présence d’une prolifération de cellules lymphoïdes de grande taille atypiques à chromatine hétérogène dans la lumière des vaisseaux de petit calibre (artérioles, capillaires, veinules), de phénotype B (CD20 et CD79a+). Il n’y a pas de cellules lymphomateuses dans le mésenchyme. L’immunofluorescence ne met pas en évidence de dépôt significatif. L’étude en microscopie électronique met en évidence des lésions glomérulaires minimes. On relève six cas de lymphomes intravasculaires à manifestation initiale rénale dans la littérature dont quatre ont présenté une évolution favorable sous traitement [20,21]. Pour le patient 1 de notre série, une étude immunohistochimique a été réalisée sur la moelle et n’a pas mis en évidence de cellules tumorales. Chez ce patient, seule l’histologie rénale a été contributive pour le diagnostic. La fréquence de l’atteinte rénale, bien qu’étant rarement la seule expression clinique de la maladie, explique l’intérêt d’une biopsie rénale pour poser le diagnostic de lymphome intravasculaire [22]. Le pronostic global, toutes atteintes confondues, semble défavorable avec une durée moyenne de survie estimée à cinq mois [23]. 4.2. Glomérulonéphrite paranéoplasique Le tableau comporte une glomérulonéphrite pouvant précéder ou accompagner une néoplasie ou une hémopathie lymphoïde [24,25]. Le caractère paranéoplasique de ces glomérulopathies est attesté par l’évolution parallèle entre le lymphome et l’atteinte rénale ; la réapparition de cette dernière peut témoigner d’une rechute du lymphome. La leucémie lymphoïde chronique B peut en particulier être associée à une glomérulonéphrite membranoproliférative, avec ou sans présence d’une cryoblobulinémie [26]. La présence d’une protéinurie au

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cours des syndromes myéloprolifératifs a également déjà été rapportée [27]. Dans le cas de la maladie de Hodgkin, une glomérulopathie peut être retrouvée sur le plan histologique dans près de 0,4 % des séries autopsiques [28]. Néanmoins, les cas rapportés chez l’adulte restent rares : seulement une centaine dans la littérature. Le type histologique le plus fréquent est la lésion glomérulaire minime qui représente la moitié des publications [28–38]. Les associations du lymphome de Hodgkin avec des glomérulonéphrites membranoprolifératives ou associées à des anticorps antimembrane basale glomérulaire sont rares mais ne semblent pas fortuites [39]. La description d’associations entre glomérulonéphrite paranéoplasique et lymphomes non hodgkiniens est moins fréquente que pour les maladies de Hodgkin [40]. Les types histologiques sont principalement glomérulonéphrite extramembraneuse et membranoproliférative. Le diagnostic ne peut être retenu qu’après avoir éliminé une thrombose des veines rénales, une amylose, ou une pathologie associée notamment lupique ou diabétique. Le patient 2 de notre série présente un lymphome de la zone marginale compliqué d’une glomérulonéphrite extramembraneuse, ce qui constitue une association rare dans la littérature [40]. Quelques auteurs rapportent une association entre néphropathie à Ig A, glomérulonéphrite membranoproliférative et lymphome de bas grade de type MALT [41]. La physiopathologie de ces syndromes paranéoplasiques reste inconnue. Deux principales hypothèses physiopathologiques sont évoquées. La première correspond à un dysfonctionnement cellulaire T induit par le lymphome, avec diminution des lymphocytes T4 et inflation des lymphocytes T8 prédisposant au développement d’un syndrome néphrotique par production de lymphokines. La seconde comporte une production directe par les cellules tumorales et par le granulome réactionnel (monocytes, macrophages et lymphocytes T), de cytokines pro-inflammatoires entraînant une augmentation de la perméabilité capillaire et de la membrane basale glomérulaire avec fuite protéique. Sur le plan thérapeutique, les syndromes néphrotiques compliquant un lymphome sont peu corticosensibles mais répondent au traitement du lymphome ; la chimiothérapie étant d’efficacité remarquable sur la protéinurie. 4.3. Autres atteintes rénales liées aux lymphomes L’amylose correspond à des dépôts pathologiques de protéines fibrillaires insolubles, dans le milieu extracellulaire. L’hétérogénéité des formes d’amylose est connue depuis les années 1980 [42,43]. L’amylose primitive est majoritairement associée aux myélomes. L’amylose primitive AL est la principale forme décrite en association avec les lymphomes non hodgkiniens. Elle a été décrite sous une forme localisée pour les lymphomes de MALT et les lymphomes de la zone marginale [44] et sous une forme systémique dans le cas de lymphomes lymphocytiques [45]. L’atteinte rénale amyloïde AL se manifeste par une protéinurie d’ordre néphrotique associée fréquemment à une dégradation de la fonction rénale discrète. Une insuffisance rénale progressive est rare ainsi que la présence d’une hypertension artérielle. L’amylose rénale peut

être également associée à une atteinte cardiaque, hépatique, splénique, digestive ou surrénalienne. L’amylose secondaire AA survient généralement après un long délai d’évolution du lymphome. C’est classiquement la forme principale associée à la maladie de Hodgkin [36]. Elle est extrêmement rare chez les patients porteurs d’un lymphome non hodgkinien [46]. L’altération de la fonction rénale indirecte par le biais d’une compression urétérale doit être recherchée. Elle peut être liée à une compression par des masses ganglionnaires rétropéritonéales et/ou par une infiltration urétérale par le processus malin. Selon une étude nécropsique portant sur 272 sujets décédés de maladie de Hodgkin, il est décelé une compression urétérale dans 3,5 % des cas (bilatérale 2 %, unilatérale 1,5 %) et un envahissement dans 2,5 %des cas (bilatéral 2 %, unilatéral 0,5 %) [47]. La compression ou l’infiltration des veines rénales ou de la veine cave inférieure peuvent également être responsables de la survenue d’un syndrome néphrotique ou d’une anurie. La réversibilité sous traitement est inconstante en raison de la constitution d’une thrombose. La compression du tronc de l’artère rénale responsable d’une hypertension artérielle est beaucoup plus rare que l’atteinte des ramifications artérielles intrarénales avec infarctus corticaux. La survenue d’un syndrome hémolytique et urémique au cours de tumeurs solides malignes et après chimiothérapie anticancéreuse est classique. De très rares cas de syndrome hémolytique et urémique révélant un lymphome ont été rapportés et soulèvent l’hypothèse d’un mécanisme cytokinique à l’origine des lésions endothéliales initiales [48–50]. 5. Conclusion Les manifestations rénales des lymphomes peuvent correspondre à une atteinte directe par la prolifération maligne ou ses conséquences immunologiques. Les localisations des voies excrétrices ou à la veine rénale sont exceptionnelles. Certaines formes histologiques particulières se distinguent telles que les lymphomes intravasculaires et le lymphome primitif rénal. Elles sont à l’origine de difficultés diagnostiques. En dépit de l’importante incidence des atteintes rénales liées aux lymphomes dans les séries autopsiques, celles-ci sont souvent asymptomatiques et rarement objectivées. L’atteinte rénale par une infiltration spécifique est la forme la plus souvent retrouvée. Ainsi, dans ce travail, le prélèvement rénal a permis le diagnostic de lymphome dans trois cas sur quatre. Remerciements Remerciements à Mathilde Dubois et Carole Monterrat pour l’aide à la rédaction. Références [1]

Xiao JC, Walz-Mattmuller R, Ruck P, Horny HP, Kaiserling E. Renal involvement in myeloproliferative and lymphoproliferative disorders. A study of autopsy cases. Gen Diagn Pathol 1997;142:147–53.

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