Maladie de Vaquez révélée par un syndrome de Wells

Maladie de Vaquez révélée par un syndrome de Wells

Articles scientifiques Cas clinique Ann Dermatol Venereol 2005;132:147-50 Maladie de Vaquez révélée par un syndrome de Wells M. CHAMAILLARD (1), M. ...

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Articles scientifiques Cas clinique

Ann Dermatol Venereol 2005;132:147-50

Maladie de Vaquez révélée par un syndrome de Wells M. CHAMAILLARD (1), M. BEYLOT-BARRY (1), O. COGREL (1), K. BOUABDALLAH (2), F. DEBARRUEL (1), M.-S. DOUTRE (1), C. BEYLOT (1)

Résumé

Summary

Introduction. Le syndrome de Wells est une dermatose réactionnelle à éosinophiles, surtout décrite en association avec des infections ou après piqûres d’insectes mais rarement au cours d’une hémopathie.

Background. Wells syndrome is an eosinophilic dermatosis that is mainly reported in association with infections or insect bites, and more rarely during haematological disorders.

Observation. Une femme de 32 ans avait des placards papulo-nodulaires inflammatoires des flancs, d’apparition brutale évoluant par poussées spontanément résolutives. L’histologie montrait un infiltrat dermique riche en polynucléaires éosinophiles compatible avec un syndrome de Wells. L’examen révélait une franche hépatosplénomégalie associée à une polyglobulie vraie et à un syndrome myéloprolifératif. Le diagnostic de maladie de Vaquez était retenu.

Case report. A 32 year-old woman presented several recurrent episodes of massive swelling and erythema papulo-nodular inflammatory plaques on the butoocks that spontaneously resolved. The biopsy revealed marked infiltration of the dermis with eosinophils suggesting Wells syndrome. Examination found an isolated hepatosplenomegaly with true polycythemia and a myeloproliferative disorder. The diagnosis of Vaquez disease was made.

Discussion. Le syndrome de Wells est une entité anatomoclinique aux présentations polymorphes, non spécifiques et variables selon l’âge des lésions. Dermatose réactionnelle à divers stimulus, elle peut révéler, entre autres, des hémopathies sous jacentes. Les manifestations cutanées précèdent souvent le diagnostic hématologique mais peuvent être méconnues. Dans la littérature, seuls deux cas d’association à une maladie de Vaquez ont été rapportés. Notre observation, originale par le jeune âge de la malade, illustre cette manifestation cutanée révélatrice inhabituelle de la maladie de Vaquez.

Discussion. Wells syndrome is a distinctive disease entity with a wide polymorphism of clinical and histological features, unspecific, and varying depending on the age of the lesions. Various triggering factors are involved, but this syndrome may also reveal hematological disorders. Cutaneous manifestations often occur before the hematological diagnosis, but are frequently misdiagnosed. Only two other cases of Wells syndrome associated with Vaquez disease have been reported. Our case report underlined the importance of systematic research for an hemopathy in Wells syndrome, especially in young patients.

Polycythemia vera revealed by Wells syndrome. M. CHAMAILLARD, M. BEYLOT-BARRY, O. COGREL, K. BOUABDALLAH, F. DEBARRUEL, M.-S. DOUTRE, C. BEYLOT Ann Dermatol Venereol 2005;132:147-50

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e syndrome de Wells est une dermatose éosinophilique réactionnelle de pathogénie inconnue. Depuis 1971, date de sa description par Wells [1], une centaine de cas a été publiée. Cette entité anatomoclinique peut être méconnue tant les aspects anatomocliniques peuvent être polymorphes. Il est cependant important de la reconnaître car elle peut s’associer à diverses pathologies infectieuses mais aussi à des hémopathies, comme dans notre observation où le syndrome de Wells a été le signe révélateur d’une maladie de Vaquez.

(1) Service de Dermatologie, (2) Service d’Hématologie, Hôpital Haut Lévèque, CHU de Bordeaux, Pessac. Tirés à part : M. BEYLOT-BARRY, Service de Dermatologie, Hôpital Haut-Lévèque, avenue de Magellan, 33600 Pessac. E-mail : [email protected]

Observation Une femme de 32 ans, sans antécédent notable, avait des placards papulo-nodulaires inflammatoires des flancs (fig. 1). Ces lésions apparues brutalement, évoquaient initialement des piqûres d’insecte mais évoluaient par poussées spontanément résolutives depuis deux mois. La malade décrivait une sensation de brûlure précédant l’apparition des lésions. Il s’agissait de papulonodules confluents formant des placards pseudo-cellulitiques recouverts par endroits de petites pustules non folliculaires (fig. 1). Les lésions évoluaient avec une guérison centrale, puis un aspect induré scléreux et une régression complète. La malade n’avait pas d’altération de l’état général, ni de plainte associée. Cependant l’examen clinique révélait une franche splénomégalie associée à une hépatomégalie, sans adénopathie périphérique. Deux séries de biop147

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Fig. 1. Placard papulonodulaire érythémateux infiltré inflammatoire du flanc.

Fig. 3a. De nombreux polynucléaires éosinophiles composent l’infiltrat dans le derme et l’hypoderme avec dégranulation sans image en flammèche.

sies cutanées étaient réalisées sur des lésions d’âge différent. Les premières, faites lors de la consultation initiale, correspondaient à des placards très inflammatoires recouverts par endroits de pustules. À cette phase aiguë, il existait un infiltrat dermique riche en polynucléaires éosinophiles avec des images de dégranulation (fig. 2, 3a, 3b). Les pustules corres-

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Fig. 2. Biopsie d’une lésion précoce : infiltrat dermique riche en polynucléaires éosinophiles.

Fig. 3b. Décollement intra-épidermique avec exocytose d’éosinophiles.

pondaient à un décollement intra-épidermique avec une exocytose d’éosinophiles (fig. 3a). Il n’y avait pas d’images en flammèche. Sur les lésions plus anciennes, moins inflammatoires, la biopsie s’était modifiée : les éosinophiles avaient disparu laissant un infiltrat polymorphe témoignant d’une inflammation chronique (fig. 4).

Maladie de Vaquez révélée par un syndrome de Wells

Fig. 4. Biopsie cutanée d’une lésion vue tardivement : infiltrat dermique polymorphe, sans prédominance de polynucléaires éosinophiles.

Les examens biologiques révélaient des anomalies majeures de l’hémogramme avec une hypercytose des trois lignées. Il existait 25 000 leucocytes dont 680/mm3 éosinophiles, 16,5 g d’hémoglobine avec une élévation de la masse globulaire sanguine (43,5 ml/kg pour une normale à 23) et de l’hématocrite (54 p. 100) et des plaquettes à 757 000/mm3. La biopsie ostéomédullaire montrait un syndrome myéloprolifératif avec une myélofibrose notable pouvant évoquer une splénomégalie myéloïde. Une leucémie myéloïde chronique était écartée par l’absence de transcrit BCR-ABL. Le diagnostic de maladie de Vaquez était finalement retenu sur les critères suivants : splénomégalie, polyglobulie vraie et massive, taux d’érythropoïétine effondrée et pousse spontanée à la culture des progéniteurs sanguins. Un traitement symptomatique par hypo-uricémiant et antiagrégant était proposé devant cette hémopathie non compliquée, avec une surveillance clinique et biologique régulière. Sous corticothérapie générale, les lésions cutanées régressaient complètement en une semaine. La malade n’avait pas de nouvelle poussée après dix mois d’évolution et son hémopathie était stable.

Discussion Dans cette observation, il s’agissait d’une révélation cutanée inhabituelle d’une maladie de Vaquez, sous forme d’un syndrome de Wells. Ces manifestations cutanées ont ici permis de diagnostiquer cette polyglobulie primitive, asymptomatique chez une jeune femme en excellent état général, et de ce fait d’optimiser sa prise en charge par une surveillance régulière et la prévention des complications thrombotiques.

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Le syndrome de Wells est une dermatose éosinophilique dont l’incidence est probablement sous-estimée tant le diagnostic peut être difficile et trompeur. L’autonomie de cette entité est d’ailleurs discutée [1]. Tantôt décrit comme une manifestation cutanée précoce de syndrome hyperéosinophilique, tantôt comme une dermatose réactionnelle, ce syndrome a d’abord été présenté sous le nom de « cellulite à éosinophile » puis de « dermatose récurrente granulomateuse avec éosinophiles » [2] pour désormais porter le nom de l’auteur éponyme [3]. Les aspects cliniques et histologiques du Wells sont polymorphes, non spécifiques et variables selon l’âge des lésions [4]. Il s’agit classiquement de placards pseudo-cellulitiques indurés, mimant parfois un syndrome de Sweet. Les lésions prennent avec le temps un aspect moins inflammatoire puis régressent avec une guérison centrale. Il existe un net parallélisme entre l’aspect clinique des lésions et le niveau de l’infiltrat éosinophile [5]. En effet, l’infiltrat dermique superficiel d’éosinophiles donne un aspect vésiculobulleux [6], voire pustuleux. Dans notre cas, il existait des pustules témoignant de l’exocytose intra-épidermique de polynucléaires éosinophiles. Si l’infiltrat est plus enchâssé dans le derme moyen ou dermohypodermique, les lésions sont indurées formant des placards urticariens, annulaires ou un aspect de panniculite [5]. C’est la confrontation anatomoclinique qui permet de retenir le diagnostic de syndrome de Wells [4], l’aspect histologique ne permettant pas de conclure à lui seul avec des images très peu spécifiques. Les classiques « flame figure » ou images en flammèche, qui correspondent à des fibres de collagène entourées d’histiocytes et de débris d’éosinophiles après dégranulation, sont un argument diagnostique mais sont non seulement inconstantes, comme dans notre cas, mais aussi non spécifiques [4]. Elles peuvent en effet se voir dans de nombreuses maladies médiées par les éosinophiles tels que la pemphigoïde [7] le prurigo ou les piqûres d’insecte [8]. De plus, si les biopsies sont réalisées tardivement, ces images peuvent être absentes, n’éliminant pas pour autant le diagnostic [9]. Le syndrome de Wells est une dermatose réactionnelle, décrite en association avec des piqûres d’insecte et des infections variées, mais aussi plus rarement au cours d’hémopathies. Il paraît correspondre à un mode de réaction cutanée via une activation lymphocytaire T de type TH2 [10]. Après recrutement des éosinophiles, la sécrétion d’interleukine 5 provoquerait la dégranulation et la libération de « human basic major proteine ». Cette protéine entraîne une altération des fibres de collagène et participe à la formation des images en flammèches [11, 12]. Il a été démontré la corrélation entre l’activité clinique, l’hyperéosinophilie sanguine, le taux d’interleukine 5 et la basique protéine [13]. On comprend alors pourquoi le syndrome de Wells est parfois considéré comme une manifestation cutanée du syndrome hyperéosinophilique [1, 10]. Toutefois, l’évolution du syndrome de Wells se fait vers la guérison spontanée, malgré un risque de récidive exclusivement cutanée à plus ou moins long terme. 149

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Un des intérêts du syndrome de Wells est de pouvoir révéler une pathologie sous-jacente et en particulier, comme chez la malade présentée, une hémopathie. Les pathologies hématologiques décrites en association avec le syndrome de Wells sont rares. Il s’agit essentiellement de syndromes myéloprolifératifs, avec deux cas publiés de maladie de Vaquez [3, 14], une leucémie myéloïde chronique, une splénomégalie myéloïde [15]. Dans ces cas rapportés, les manifestations cutanées précédaient l’hémopathie mais restaient de longs mois non diagnostiquées.

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