Médicaments d’aide au sevrage tabagique

Médicaments d’aide au sevrage tabagique

Presse Med 2005; 34: 1331-6 M © 2005, Masson, Paris I S E A U P O I N T Cardiologie J. Mansourati, M.-L. Borel S. Munier, A.-L. Guevel-Jointret...

258KB Sizes 8 Downloads 339 Views

Presse Med 2005; 34: 1331-6

M

© 2005, Masson, Paris

I S E

A U

P O I N T

Cardiologie

J. Mansourati, M.-L. Borel S. Munier, A.-L. Guevel-Jointret

Département de cardiologie, CHU de Brest (29) Correspondance : Jacques Mansourati, département de cardiologie, CHU, 29609 Brest Cedex. Tél.: 02 98 34 73 91 Fax: 02 98 34 73 93 jacques.mansourati@ chu-brest.fr

Médicaments d’aide au sevrage tabagique

Key points

Points essentiels

Medications in smoking cessation

• Le sevrage tabagique repose sur le soutien psychologique, les conseils, les stratégies comportementales et les médicaments. Sa réussite est conditionnée par une prise en charge adaptée, avec le choix du bon moment pour débuter le traitement et la compréhension de l’évolution du syndrome de sevrage, des pulsions et des possibilités d’échec. • Le traitement pharmacologique standard de la dépendance à la nicotine recommandé actuellement, fait appel aux différentes formes de substitut nicotinique et au bupropion, en attendant d’autres molécules en cours d’investigation. La dose initiale de nicotine est habituellement déterminée par le score obtenu par le questionnaire “simplifié” de Fagerström. • Six formes de substituts nicotiniques existent. Elles assurent une libération soit prolongée de nicotine (formes transcutanées: timbres ou patchs) permettant d’éviter les signes de sevrage, soit rapide à travers les muqueuses buccales et nasales (gommes à mâcher, comprimés à sucer, inhaleur, spray nasal) afin d’anticiper les effets positifs représentés par la cigarette et les pulsions survenant lors du syndrome de sevrage. L’efficacité de ces substituts, largement étudiée, est estimée environ 2 fois supérieure à celle du placebo. En cas de besoin, leur utilisation n’est plus contre-indiquée chez le patient coronarien. • Quant au bupropion, sa place dans le traitement de la dépendance tabagique est, soit en première intention, soit en cas d’échec de la substitution nicotinique (150 mg/j la première semaine, 300 mg/j ensuite). L’association du bupropion et des substituts nicotiniques peut être envisagée d’emblée en cas de dépendance forte ou très forte, ou en cas de persistance de symptômes de sevrage ou de pulsions de fumer chez les sujets traités par l’une des 2 classes thérapeutiques seule. • Parmi les médicaments en cours d’évaluation, le rimonabant a fait l’objet d’une étude, rendue publique en 2004. C’est le premier représentant d’une nouvelle classe de médicaments, les antagonistes CB1 bloquant les récepteurs de type 1 du système naturel endocannabinoïde.

• Physicians can aid their patients’ smoking cessation by providing psychological support, advice, behavioral strategies, and drugs. Success depends on appropriate management, including selection of the right moment to begin treatment and an understanding of the development of the withdrawal syndrome, smoking urges, and the possibility of failure. • The standard pharmacological treatment for nicotine dependence uses different forms of nicotine substitutes and bupropion, while we await data about other drugs currently under study. The score on the “simplified” Fagerström questionnaire usually determines the initial nicotine dose. • Six forms of nicotine substitutes are available. They provide either prolonged nicotine release (transcutaneous patches) that prevents withdrawal symptoms, or rapid release through the buccal and nasal mucosa (chewing gum, suckers, inhalers and nasal sprays) to anticipate the positive effects represented by cigarettes and the urges occurring during withdrawal. The efficacy of these substitutes, widely studied, is approximately twice that of placebo. Their use is no longer contraindicated in patients with heart disease, when necessary. • Bupropion should be used in treating nicotine dependence either as a first-line treatment, or if nicotine substitutes (150 mg/d the first week, 300 mg/d thereafter) fail. The combination of bupropion and nicotine substitutes can be considered, either from the outset for heavy or very heavy smokers, or afterwards, if withdrawal symptoms or urges to smoke persist in subjects treated by only one of these two drug classes. • One of the new drugs under evaluation is rimonabant, the first representatives of a new class of drugs, selective CB1 endocannabinoid receptor antagonists. Promising results about its use in smoking cessation were released in 2004. J. Mansourati, M.-L. Borel, S. Munier, A.-L. Guevel-Jointret Presse Med 2005; 34: 1331-6 © 2005, Masson, Paris

22 octobre 2005 • tome 34 • n°18

La Presse Médicale - 1331

M

I S E

A U

P O I N T

Médicaments d’aide au sevrage tabagique

Cardiologie lors que la nocivité du tabac est maintenant une évidence que nul n’est censé ignorer, et que les campagnes d’information se sont multipliées pour lutter contre cette conduite addictive, il reste malheureusement nécessaire de recourir à des mesures coercitives pour voir baisser sensiblement la prévalence du tabagisme:loi Veil 76-616 du 9 juillet 1976 interdisant la publicité en faveur du tabac, loi Évin 91-32 du 10 janvier 1991 interdisant en particulier la consommation du tabac dans les lieux collectifs et l’augmentation importante du prix de vente du tabac. Si les efforts doivent se poursuivre dans la prévention du tabagisme dès le jeune âge (moyenne d’âge de consommation de la première cigarette entre 10 et 11 ans, en France) par des campagnes d’information et d’éducation du public, l’aide au sevrage tabagique doit concerner tous les soignants prenant en charge des sujets fumeurs. Le cardiologue, en particulier, est confronté à la poursuite ou à la récidive du tabagisme chez les sujets à risque, ayant une pathologie artérielle ou victimes d’un infarctus du myocarde (IDM). Cette réalité a été évaluée lors d’études épidé1 miologiques comme Euroaspire I et II . Dans ces 2 études réalisées à 4 ans d’intervalle, les investigateurs de 9 pays européens, dont la France, ont rapporté une prévalence du tabagisme à distance d’un IDM à 19,4 % lors de la première enquête réalisée en 1995-1996 et 20,8 % en 1999-2000. L’absence d’évolution favorable, à 5 ans d’intervalle, montre la nécessité d’une implication plus active de la part des cardiologues dans l’aide au sevrage tabagique de ces patients. Outre le soutien psychologique et les conseils qui doivent faire partie intégrante d’une consultation de sevrage tabagique, différents traitements peuvent être utilisés pour augmenter le taux de succès de cette prise en charge

A

Nom commercial

Dosage

Timbres

Nicotinell TTS Nicopatch® Niquitin® et NiquitinClear® Nicorette®

7-14-21 mg/24 h 7-14-21 mg/24 h 7-14-21 mg/24 h 5-10-15 mg/16 h

Gommes

Nicorette®, Nicorette® menthe, Nicorette® menthe fraîche, Nicorette® orange Nicotinell®, Nicotinell® fruit ou menthe, Nicogum® Nicorette®, Nicorette® menthe, Nicorette® menthe fraîche, Nicotinell® menthe

Inhaleur

1332 - La Presse Médicale

La nicotine des substituts nicotiniques est la même que celle inhalée avec la fumée de la cigarette et à l’origine 2 de la dépendance du fumeur . À la différence de la fumée de la cigarette,les substituts apportent la nicotine seule, sans les autres produits toxiques. Sa diffusion se

Encadré 1

❚ Interventions comportementales

Substituts nicotiniques

Comprimés sublinguaux et comprimés à sucer

Les substituts nicotiniques

Méthodes et moyens disponibles pour l’aide au sevrage tabagique

Tableau 1

Forme galénique

(encadré 1). Le traitement pharmacologique standard de la dépendance à la nicotine recommandé actuellement fait appel aux différentes formes de substituts nicotiniques (tableau 1) et au bupropion. D’autres molécules sont en cours de développement ou de commercialisation. Récemment encore, beaucoup de médecins considéraient l’existence d’une cardiopathie comme une contreindication à l’utilisation des substituts nicotiniques. Les données actuelles et les recommandations vont vers un élargissement de leur champ d’utilisation, y compris de façon précoce après un syndrome coronaire aigu, surtout lorsque les signes de sevrage deviennent menaçants et poussent le patient à reprendre son intoxication dès sa sortie des soins intensifs.Même chez les fumeurs invétérés, une réduction du tabagisme à l’aide des substituts nicotiniques peut désormais être envisagée avant d’obtenir un sevrage complet.En effet,en 2001,l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des substituts nicotiniques sous forme orale a été élargie à l’abstinence temporaire et en 2004,l’AMM des gommes et de l’inhaleur a été élargie à la réduction de la consommation de tabac.Toutefois, cette utilisation doit s’inscrire dans une stratégie conduisant vers l’arrêt total du tabagisme.

®

• Conseils du médecin • Consultations individualisées paramédicales • Consultations de groupe • Consultations téléphoniques

❚ Interventions pharmacologiques 2 mg 2 mg

• Substituts nicotiniques sous différentes formes galéniques • Hydrochloride de bupropion (Zyban®)

❚ Autres interventions 4 mg

Nicorette® microtab Niquitin® sans sucre comprimé à sucer

2 mg 2 et 4 mg

Nicorette inhaleur®

10 mg

• Acupuncture • Exercice • Anxiolytiques

22 octobre 2005 • tome 34 • n°18

J. Mansourati, M.-L. Borel, S. Munier, A.-L. Guevel-Jointret

fait avec des taux plus modérés, contrairement à la cigarette qui provoque des pics artériels plus élevés de taux 3 de nicotine . Il s’agit donc d’un traitement de la dépendance tabagique qui va permettre la réduction progressive du besoin en nicotine du fumeur jusqu’à la disparition des signes de sevrage.

DIFFÉRENTES FORMES GALÉNIQUES Six formes de substituts nicotiniques existent actuellement et représentent le traitement de premier choix 4 dans l’aide au sevrage tabagique . Elles permettent soit une libération prolongée de nicotine (formes transcutanées), soit une libération rapide à travers les muqueuses buccales et nasales.

❚ Les formes à libération prolongée Elles libèrent des doses faibles mais constantes de nicotine qui permettent d’éviter ainsi les signes de sevrage. Elles sont représentées par les timbres ou patchs qui délivrent environ 1 mg de nicotine par heure. La concentration plasmatique atteint un plateau entre 2 et 4 heures suivant l’application du timbre. Deux types de timbre sont actuellement disponibles: libération de la nicotine sur 24 heures ou sur 16 heures. Parmi les effets secondaires des timbres,une irritation cutanée modérée est rapportée dans 30 à 50 % des cas. Il est préférable de les appliquer sur peau saine, glabre (régions deltoïde, pectorale, abdominale,etc.) pour obtenir une meilleure efficacité,et d’en changer l’emplacement chaque jour pour éviter l’irritation. Les timbres délivrant la nicotine sur 16 et 24 heures semblent avoir une efficacité comparable mais l’intérêt des timbres applicables 16 heures est d’éviter l’insomnie.

❚ Les formes à libération rapide Ces formes permettent d’anticiper les effets positifs représentés par la cigarette et les pulsions survenant lors de syndromes de sevrage. • Les gommes à mâcher sont dosées à 2 mg ou 4 mg. Elles libèrent la nicotine lors de la mastication (1 mg de nicotine libérée pour les gommes à 2 mg et 2 mg de nicotine libérée pour les gommes à 4 mg) et l’absorption se fait au niveau de la muqueuse buccale. Il existe des gommes de différentes saveurs (menthol, orange, fruits, etc.). Les gommes à 4 mg sont généralement plus efficaces que celles à 2 mg. La plupart des patients débutent à 4 mg puis diminuent à 2 mg après 15 jours d’utilisation. Les gommes doivent être mâchées de façon intermittente puis placées entre la gencive et la muqueuse jugale entre les phases de mastication pour que l’absorption se fasse au niveau buccal. Elles sont à utiliser régulièrement dans la journée (en moyenne 1 à 2 gommes par heure, 10 à 15 gommes par jour). Cette forme peut être intéressante chez les patients qui ont peur de la prise de poids car elle peut leur éviter les grignotages. C’est lorsque la 22 octobre 2005 • tome 34 • n°18

gomme est mâchée trop souvent, que la nicotine est avalée avec la salive et que les effets secondaires digestifs (dyspepsie, nausée) apparaissent. D’autres effets secondaires à type de céphalées, irritation ou ulcération buccale ont été décrits. • Les comprimés sublinguaux sont dosés à 2 mg. La posologie est en moyenne de 1 à 2 comprimés par heure sans dépasser 30 comprimés par 24 heures. Leur tolérance buccale est meilleure que celle des gommes. • Les comprimés à sucer sont dosés à 4 mg.Leur pharmacocinétique est identique à celle des comprimés sublinguaux. Ces 2 formes peuvent être préférées aux gommes par les patients qui ne tolèrent pas la mastication. • L’inhaleur comporte un tube contenant une cartouche poreuse imprégnée de nicotine (10 mg par cartouche), sur lequel le fumeur tire comme sur une cigarette. Chaque cartouche permet approximativement 500 bouffées. Six à 12 cartouches sont généralement utilisables quotidiennement. La nicotine est entraînée par le flux aérien sous forme de gouttelettes absorbées par voie buccale (36 %), œsophagienne ou gastrique (36 %), plutôt que par voie respiratoire. Ce procédé permet d’associer la substitution nicotinique et la gestuelle (composante comportementale). Les effets secondaires sont l’irritation de la bouche et de la gorge. • Le spray nasal de nicotine induit, quant à lui, un pic plasmatique en 5 à 10 minutes, permettant de soulager plus rapidement les symptômes de manque. Il n’est pas commercialisé en France mais son efficacité semble supérieure aux autres formes de substituts à libération rapide. Les effets secondaires sont l’irritation de la muqueuse nasale et de la gorge, la rhinorrhée et des nausées.

EFFICACITÉ L’efficacité des substituts nicotiniques a été largement évaluée. Elle est estimée être 1,5 à 2,5 fois supérieure à celle du placebo. La méta-analyse de Fiore et al. réalisée à partir de 17 essais englobant 5098 patients, a évalué 5 l’efficacité des timbres . Le taux d’abstinence à 6 mois était à 22 % avec le timbre, contre 9 % avec un placebo et à 27 % contre 13 % à la fin du traitement (de 4 semaines environ). L’efficacité des timbres de 16 et 24 heures était équivalente. Une autre méta-analyse de Tang et al. a évalué l’efficacité des substituts nicotiniques à 6 % pour les gommes à 2 mg, 21 % pour les gommes à 4 mg et 12 % pour les 6 timbres .Le traitement paraissait plus efficace lorsque la dépendance nicotinique était forte et lorsque le sujet était volontaire. Lors de l’utilisation de timbres, en cas de persistance de pulsions à fumer ou de symptômes de sevrage,il est possible d’associer une substitution orale (gommes,compriLa Presse Médicale - 1333

M

I S E

A U

P O I N T

Médicaments d’aide au sevrage tabagique

Cardiologie

MODALITÉS PRATIQUES D’UTILISATION Encadré 2

Test de dépendance à la nicotine Questionnaire de Fagerström Le matin, combien de temps après le réveil fumez-vous votre première cigarette? < 5 min ..............................................................3 6-30 min ............................................................2 31-60 min ..........................................................1 > 60 min ............................................................0 Trouvez vous difficile de vous abstenir de fumer dans les endroits où c’est interdit ? Oui......................................................................1 Non ....................................................................0 À quelle cigarette renonceriez-vous le plus difficilement ? La première ......................................................1 Une autre ..........................................................0 Combien de cigarettes fumez-vous par jour en moyenne ? ≤ 10 ....................................................................0 11-20 ..................................................................1 21-30 ..................................................................2 ≥ 31 ....................................................................3 Fumez-vous à intervalles plus rapprochés durant les premières heures de la matinée que durant le reste de la journée ? Oui......................................................................1 Non ....................................................................0 Fumez-vous lorsque vous êtes malade au point de devoir rester au lit ? Oui......................................................................1 Non ....................................................................0

Le score est calculé par addition des points attribués à chaque question : - pas de dépendance: score ≤ 2 - faible dépendance: 3 < score ≤ 4 - dépendance moyenne: 5 < score < 6 - dépendance forte: score ≥ 7

més ou inhaleur). L’efficacité de l’association de substituts nicotiniques a fait l’objet de différentes évaluations. 7 Kornitzer et al. ont ainsi comparé l’efficacité du timbre seul, de l’association timbre et gomme contre placebo: l’association des 2 substituts nicotiniques était significativement supérieure au timbre seul (27,5 % contre 15,3 % d’abstinents) jusqu’à 24 semaines de suivi. 1334 - La Presse Médicale

Quelle que soit la dépendance du sujet, sa prise en charge repose sur le soutien psychologique et les stratégies comportementales. Le moment où la substitution nicotinique sera débutée dépend de la maturation de la 8 décision du sujet lui-même .

❚ Déterminer la dose de nicotine La dose initiale de nicotine est habituellement déterminée par le score obtenu par le questionnaire “simplifié” 9 de Fagerström (encadré 2).Le choix entre les différentes formes galéniques dépend des préférences du patient et de leur tolérance respective. Les symptômes de surdosage (bouche pâteuse, diarrhée, palpitations, insomnie) ou de sous-dosage (apparition d’un syndrome de sevrage marqué: troubles de l’humeur, insomnie, irritabilité, agitation, anxiété, majoration de l’appétit) sont à surveiller pour adapter la posologie de nicotine dès la première semaine du traitement. • En cas de dépendance faible (score ≤ 4),les gommes ou les comprimés sublinguaux peuvent être utilisés à la demande pour contrôler les envies de fumer.Les timbres faiblement dosés (7 ou 14 mg) peuvent également être utilisés pendant 6 à 8 semaines. • En cas de dépendance modérée (score = 5 ou 6), la posologie initiale des timbres est de 21 mg/j ou 15 mg/16 h chez les sujets dont la consommation est comprise entre 10 et 20 cigarettes par jour. Les gommes ou les comprimés peuvent être prescrits, à condition de recommander une prise régulière d’environ 1 gomme par heure, par exemple. • En cas de forte dépendance (score ≥ 7),pour obtenir un taux de substitution suffisant, il est nécessaire d’utiliser des posologies élevées même s’il faut recourir parfois à l’application simultanée de 2 timbres. Les gommes à 4 mg à raison d’1 gomme par heure peuvent aussi assurer une bonne substitution. Des associations timbres et formes à libération rapide peuvent aussi être proposées. Une AMM pour cette association a été obtenue en juillet 2004.

❚ Utiliser plus largement les substituts Le risque potentiel de spasme coronaire ou de phénomènes de thrombose chez le coronarien a été, au début de l’utilisation des substituts nicotiniques, un frein à sa prescription chez le sujet dit “cardiaque”. Les données actuelles plaident pour son utilisation large, y compris quelques jours après la phase aiguë d’un syndrome coronaire,car la nicotine délivrée par les timbres par exemple, ne semble pas,au moins à court terme,augmenter la réactivité plaquettaire ou le taux de fibrinogène. Par ailleurs, cette forme galénique semble stimuler de façon moins importante la sécrétion de catécholamines 10 que celle de la nicotine délivrée par la cigarette .Le taux de nicotine sérique est également plus faible chez le sujet 22 octobre 2005 • tome 34 • n°18

J. Mansourati, M.-L. Borel, S. Munier, A.-L. Guevel-Jointret

utilisant les timbres que celui poursuivant l’intoxication tabagique.Enfin,l’effet hypoxémiant du CO présent dans la fumée de cigarette est absent. C’est pour cette raison 11 qu’en 2003 l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a supprimé les contre-indications telles que l’infarctus du myocarde récent, l’angor instable, l’angor de Prinzmetal, le trouble du rythme cardiaque sévère ou l’accident vasculaire récent. Certaines mises en garde ont été supprimées comme la maladie cardiovasculaire et l’hypertension artérielle sévères.

L’hydrochloride de bupropion Le mécanisme de l’effet antidépresseur du bupropion est mal connu, mais semble s’exercer par l’inhibition (modérée) de la recapture synaptique de la dopamine et de la 12 noradrénaline et l’antagonisme des récepteurs nicoti13 niques à l’acétylcholine . Ce mécanisme d’action explique également ses effets dans l’aide à l’arrêt du tabac par l’augmentation de la concentration de dopamine dans les voies méso-limbiques et méso-corticales favorisant l’ac14 tivation du système de récompense cérébrale et réduisant l’intensité des symptômes de manque.

EFFICACITÉ L’efficacité et la tolérance du bupropion ont été compa15 rées au placebo par différents auteurs dont Hurt et al. et 16 Tonstad et al. Dans cette dernière étude, 629 sujets (consommation > 10 cigarettes par jour) ont été randomisés pour recevoir le bupropion (150 mg x 2 par jour) ou un placebo.Le taux d’abstinents était à 43 % avec le bupropion contre 19 % dans le groupe placebo à 7 semaines (fin du traitement) et,respectivement,27 et 11 % à 26 semaines et 22 et 9 % à 52 semaines (fin du suivi). Il n’y a pas eu de modification significative de la pression artérielle, ni de la fréquence cardiaque pendant le traitement. Les effets secondaires les plus fréquemment rapportés étaient une insomnie chez 24 % des patients traités par le bupropion (12 % avec le placebo) et une sécheresse de la bouche dans 18 % des cas (10 % sous placebo). L’association du bupropion aux timbres de nicotine a été 17 évaluée par Jorenby et al. dans une étude ayant comparé 4 groupes de sujets randomisés pour recevoir pendant 9 semaines le bupropion seul (n = 244), un timbre de nicotine seul avec des doses dégressives (n = 244), l’association des deux (n = 245) ou un placebo (n = 160). À 1 an,le taux d’abstinents était de 30,3 % dans le groupe bupropion seul, 16,4 % dans le groupe timbre seul, 35,5 % avec l’association des 2 et 15,6 % dans le groupe placebo. À 7 semaines, la prise de poids était respectivement de + 1,7 kg, + 1,6 kg, + 1,1 kg et + 2,1 kg. Parmi les effets secondaires du bupropion, il est important de connaître le risque de convulsion qui est estimé à 22 octobre 2005 • tome 34 • n°18

18 0,1 % . Ce risque semble lié à 2 facteurs: la prédisposition individuelle aux convulsions et le taux sérique de bupropion. Il est donc nécessaire de chercher des antécédents d’épilepsie, de tumeur ou de traumatisme cérébral, d’éthylisme chronique, de troubles psychiatriques. L’adaptation posologique du bupropion doit se faire progressivement et la dose maximale ne doit pas dépasser 300 mg/j. De même, il est conseillé d’éviter la prescription concomitante de médicaments interférant avec le cytochrome P450 et risquant d’induire un surdosage du bupropion ou ceux abaissant le seuil d’hyperexcitabilité cérébrale (théophylline,corticoïdes,neuroleptiques,antidépresseurs,etc.).En respectant ces contre-indications,le risque de convulsion est faible.Un autre effet secondaire est l’hypersensibilité au bupropion, dont la prévalence est estimée à 3 %. L’évolution est bénigne après arrêt du médicament.

MODALITÉS PRATIQUES D’UTILISATION La dose recommandée est de 150 mg/j,soit 1 comprimé par jour) pendant la première semaine,puis de 300 mg/j, en 2 prises espacées d’au moins 8 heures, à partir de la deuxième semaine de traitement. La date d’arrêt du tabac doit être programmée avec le sujet au cours de la deuxième semaine de traitement.La durée du traitement est de 7 à 9 semaines. Le bupropion est indiqué chez les fumeurs ayant une dépendance modérée ou forte et motivés par le sevrage. Sa place dans le traitement de la dépendance tabagique est, soit en première intention, soit en cas d’échec de la substitution nicotinique. L’association du bupropion et des substituts nicotiniques peut être envisagée d’emblée en cas de dépendance forte ou très forte, ou en cas de persistance de symptômes de sevrage ou de pulsions de fumer chez les sujets traités par l’une des 2 classes thérapeutiques seule. Dans le cas des sujets coronariens instables ou en cas de syndrome coronaire aigu, la tolérance cardiovasculaire du bupropion n’a pas été encore bien évaluée.

Les autres moyens pharmacologiques De nombreux autres moyens pharmacologiques ont été utilisés sans résultat probants dans les tentatives de sevrage tabagique:la clonidine,les antidépresseurs tricycliques,les inhibiteurs de la monoamine oxydase (Imao), les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (IRS), les anorexigènes, les bêta-bloquants, la cimétidine, la lobeline, les médicaments homéopathiques, le méprobamate, les benzodiazépines, etc. Ils ne sont pas recommandés par l’Afssaps actuellement. Parmi les médicaments en cours d’évaluation, le rimonabant a fait l’objet d’une étude, The Stratus-US study, La Presse Médicale - 1335

M

I S E

A U

P O I N T

Médicaments d’aide au sevrage tabagique

Cardiologie

Conflits d’intérêt : aucun

présentée en 2004 à l’American College of Cardiology19. Le rimonabant est le premier représentant d’une nouvelle classe de médicaments, les antagonistes CB1 bloquant les récepteurs de type 1 du système naturel endocannabinoïde. Cette molécule est également proposée 20 dans le traitement de l’obésité . Dans l’étude Stratus-US (STudies with Rimonabant And Tobacco Use), 787 patients fumeurs ont été recrutés. Ils consommaient en moyenne 23 cigarettes/jour et avaient échoué après 4 tentatives préalables de sevrage tabagique, en moyenne. Ils étaient randomisés en 3 groupes de traitement: rimonabant 5 mg/j, 20 mg/j ou placebo pendant 10 semaines.Le rimonabant à la dose de 20 mg a permis de doubler la probabilité d’arrêter de fumer comparativement au placebo (p = 0,002).36,2 % des patients traités par rimonabant à la dose de 20 mg/j et ayant terminé l’étude ont cessé de fumer, comparativement à 20,6 % des patients sous placebo et 20,2 % des patients traités par rimonabant à 5 mg/j. La perte de poids moyenne sous rimonabant 20 mg était de 0,3 kg, contre une prise de poids de 1,1 kg sous placebo (p < 0,001). Les patients en surpoids ou obèses ont perdu du poids sous rimonabant 20 mg alors qu’aucune perte de poids n’a été notée chez les patients dont le poids était normal. Les effets secondaires les plus fréquents étaient les nausées (9,2 %, 8,8 % et 15,7 % respectivement pour le placebo, rimonabant 5 et 20 mg) et les infections des voies

respiratoires supérieures (respectivement 5,7 %, 11,1 % et 10 %). Le rimonabant n’a été associé à aucun problème de tolérance cardiovasculaire. Le taux d’arrêts prématurés de traitement pour effets secondaires était de 3,8 %, 5,7 % et 6,9 %. Cette nouvelle classe thérapeutique semble prometteuse notamment pour les personnes concernées par la prise de poids lors du sevrage tabagique.

Conclusion Les moyens pharmaceutiques à notre disposition dans l’aide au sevrage tabagique ont été largement évalués et leur efficacité maintenant bien démontrée. Les substituts nicotiniques,sous leurs différentes formes,et le bupropion sont des traitements de premier choix.Leur utilisation est à adapter au cas par cas et des associations peuvent être proposées chez les sujets les plus dépendants.L’utilisation des substituts nicotiniques n’est plus contre-indiquée chez le patient coronarien en cas de besoin.Une nouvelle classe thérapeutique est en cours de développement.Dans tous les cas, une prise en charge comportementale adaptée améliorera le résultat avec le choix du bon moment pour débuter le traitement,la compréhension de l’évolution du syndrome de sevrage et des pulsions et des possibilités d’échec,d’où l’intérêt des consultations d’aide au sevrage et du soutien qu’elles peuvent apporter. ■

Références 1 Euroaspire I and II Group. Clinical reality of coronary prevention guidelines: a comparison of EUROASPIRE I and II in nine countries. Lancet 2001; 357: 995-1001. 2 Le Houezec J. Role of nicotine pharmacokinetics in nicotine addiction and nicotine replacement therapy: a review. Int J Tuberc Lung Dis 2003; 7: 811-19. 3 Henningfield JE. Nicotine medications for smoking cessation. N Engl J Med 1995; 333: 1196-203. 4 Hughes JR, Goldstein MG, Hurt RD, Shiffman S. Recent advances in the pharmacotherapy of smoking. JAMA 1999; 281: 72-6. 5 Fiore MC, Smith SS, Jorenby DE, Baker TB. The effectiveness of the nicotine patch for smoking cessation. A metaanalysis. JAMA 1994; 271: 1940-7. 6 Tang JL, Law M, Wald N. How effective is nicotine replacement therapy in helping people to stop smoking? BMJ 1994; 308: 21-6. 7 Kornitzer M, Boutsen M, Dramaix M, Thijs J, Gustavsson G. Combined use of nicotine patch and gum in smoking cessation: a placebo-controlled clinical trial. Presse Med 1995; 24: 41-7. 8 Lefoll B, Aubin HJ, Lagrue G. Les thérapies comportementales et cognitives dans l’aide à l’arrêt du tabac. Ann Med Int 2002; 153: 1S32-1S40. 9 Heatherton TF, Kozlowski LT, Frecker RC, Fagerstrom KO.The Fagerstrom Test for Nicotine Dependence: a revision of the Fagerstrom Tolerance Questionnaire. Br J Addict 1991; 86: 1119-27. 10 Benowitz NL, Porchet H, Scheiner L, Jacob P. Nicotine absorption and cardiovascular effects with smokeless tobacco use: comparison with cigarettes and nicotine gum. Clin Pharmacol Ther 1988; 44: 23-8. 11 Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Les stratégies thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses de l’aide à l’arrêt du tabac. Recommandations. Mai 2003. 12 Ascher JA, Cole JO, Colin JN, Feighner JP, Ferris RM, Fibiger HC et al. 1336 - La Presse Médicale

13 14 15

16

17

18

19

20

Bupropion: a review of its mechanism of antidepressant activity. J Clin Psychiatry 1995; 56: 395-401. Slemmer JE, Martin BR, Damaj MI. Bupropion is a nicotinic antagonist. J Pharmacol Exp Ther 2000; 295: 321-7. Lebargy F. La dépendance nicotinique. Rev Pneumol Clin 2000; 56: 177-83. Hurt RD, Sachs DP, Glover ED, Offord KP, Johnston JA, Dale LC et al. A comparison of sustained-release bupropion and placebo for smoking cessation. N Engl J Med 1997; 337: 1195-202. Tonstad S, Farsang C, Klaene G, Lewis K, Manolis A, Perruchoud AP et al. Bupropion SR for smoking cessation in smokers with cardiovascular disease: a multicentre, randomised study. Eur Heart J 2003; 24: 946-55. Jorenby DE, Leischow SJ, Nides MA, Rennard SI, Johnston JA, Hughes AR et al. A controlled trial of sustained-release bupropion, a nicotine patch, or both for smoking cessation. N Engl J Med 1999; 340: 685-91. Dunner DL, Zisook S, Billow AA, Batey SR, Johnston JA, Ascher JA. A prospective safety surveillance study for bupropion sustained-release in the treatment of depression. J Clin Psychiatry 1998; 59: 366-73. Anthenelli RM, Depres J-P. Effects of rimonabant in the reduction of major cardiovascular risk factors. Results from the STRATUS-US Trial (smoking cessation in smokers motivated to quit) and the RIO-LIPIDS Trial (weight reducing and metabolic effects in overweight/obese patients with dyslipidemia). American College of Cardiology, Annual Scientific Session, March 9, 2004. Van Gaal LF, Rissanen AM, Scheen AJ, Ziegler O, Rossner S; RIO-Europe Study Group. Effects of the cannabinoid-1 receptor blocker rimonabant on weight reduction and cardiovascular risk factors in overweight patients: 1-year experience from the RIO-Europe study. Lancet 2005; 365: 1389-97. 22 octobre 2005 • tome 34 • n°18