Perforation de la cloison nasale et bevacizumab

Perforation de la cloison nasale et bevacizumab

La Revue de médecine interne 32 (2011) e43–e45 Cas clinique Perforation de la cloison nasale et bevacizumab Nasal septum perforation and bevacizumab...

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La Revue de médecine interne 32 (2011) e43–e45

Cas clinique

Perforation de la cloison nasale et bevacizumab Nasal septum perforation and bevacizumab L. Bengrine-Lefevre ∗ , P. Afchain , B. Chibaudel , H. Gervais , C. Tournigand , A. De Gramont , C. Louvet Service d’oncologie médicale, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12, France

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le 17 juin 2010 Mots clés : Perforation Cloison nasale Bevacizumab Anti-angiogénique Cancer

r é s u m é Une patiente de 52 ans, suivie pour un cancer du sein, présentait une perforation de la cloison nasale sous traitement par paclitaxel et bevacizumab. Il s’agit du cinquième cas décrit dans la littérature, probablement en rapport avec le traitement anti-angiogénique. À propos de cette observation, une revue de la littérature est effectuée et les causes de perforation de la cloison nasale sont discutées. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Nasal septum Perforation Bevacizumab Angiogenesis inhibitors Cancer

A 52-year-old woman, with a metastatic breast cancer, presented with a nasal septum perforation while receiving a treatment combining paclitaxel and bevacizumab. This is the fifth reported case of nasal septum perforation probably related to an anti-angiogenic therapy. A literature review and a discussion concerning the different causes of nasal septum perforation were performed. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction Les traitements anti-angiogéniques, qu’il s’agisse d’anticorps monoclonaux ou d’inhibiteurs de tyrosine-kinase, font désormais partie de l’arsenal thérapeutique classique antitumoral. De part leur mécanisme d’action original, des effets secondaires spécifiques apparaissent, nécessitant une sensibilisation des médecins et une prise en charge optimale. Les perforations de la cloison nasale sont des évènements rares dont les premiers cas sous bevacizumab (Avastin® ), anticorps monoclonal de type IgG1 dirigé contre le vascular endothelial growth factor (VEGF), ont été décrits. L’observation rapportée ici illustre ce type de complication. 2. Observation Une femme de 52 ans était suivie depuis 1996, pour un carcinome canalaire infiltrant du sein droit, initialement classé T2N1M0 SBRII. La tumeur exprimait les récepteurs aux estro-

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Bengrine-Lefevre).

gènes et ne surexprimait pas Her2. La patiente n’avait pas d’antécédents médicochirurgicaux particuliers. Elle recevait une chimiothérapie adjuvante par FEC 75 (5FU, cyclophosphamide, épirubicine). Des localisations secondaires apparaissaient à partir de septembre 2002, initialement osseuses. Après plusieurs lignes d’hormonothérapie différentes, une chimiothérapie associant paclitaxel (90 mg/m2 ) à j1, j8 et j15 et bevacizumab (10 mg/kg) à j1 et j15 était administrée à partir d’octobre 2007, avec une tolérance clinique et hématologique correcte. Dès la première séance de chimiothérapie, la patiente se plaignait d’une douleur à la partie antérieure des fosses nasales, avec sécheresse et sensation de croûtes nasales. L’irritation engendrée conduisait la patiente à pratiquer des manœuvres externes de désobstruction nasale, ce qui avait pour conséquence l’apparition d’épistaxis de faible abondance. Aucun traitement antalgique n’était entrepris. Aucun corticoïde local n’était administré. Parallèlement, une raucité de la voix apparaissait en cours de traitement. Au moment de la sixième cure, la patiente constatait par auto-examen l’apparition d’une perforation de la cloison nasale, confirmée par un examen au nasofibroscope. L’examen des cordes vocales montrait des signes de forc¸age avec varicosités et ébauche de nodules à droite. Le scanner (Fig. 1) confirmait une perforation

0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2010.04.015

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• tumeur colorectale en association avec les protocoles de type FOLFOX (5-fluorouracile, oxaliplatine, acide folinique) [1] ou FOLFIRI (5-fluorouracile, irinotécan, acide folinique) [2] ; • tumeur mammaire métastatique en association avec les taxanes [3] ; • tumeur rénale en association avec l’interféron-␣ ; • tumeurs bronchiques métastatiques en association avec un sel de platine [4].

Fig. 1. Scanner montrant une perforation simple de la paroi nasale.

simple, sans argument pour une granulomatose ou une tumeur localisée. Il n’existait pas de signes infectieux. L’interrogatoire minutieux ne retrouvait pas d’autres causes possibles de perforation de la cloison nasale. Il n’existait pas de localisations secondaires. La recherche d’ANCA (anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles) ou d’anticorps antinucléaires n’avait pas été réalisée, aucun autre signe évocateur de maladie systémique n’ayant été objectivé. Un simple traitement par application locale d’hydrocotyle pendant un mois était institué, avec une amélioration des symptômes. De fac¸on concomitante, une progression tumorale était objectivée et le traitement systémique était modifié. Il persistait une sensation de sifflement à l’inspiration profonde, sans douleur ni gêne respiratoire associée. La patiente décédait en avril 2009 en progression tumorale hépatique, après différentes lignes de chimiothérapie, sans évolution de sa perforation de la cloison nasale.

3. Discussion Le bevacizumab est un anticorps monoclonal de type IgG se liant spécifiquement au VEGF, empêchant ainsi sa liaison à ses récepteurs 1 et 2 et donc leur activation. Ce médicament a obtenu une autorisation de mise sur le marché en France dans plusieurs indications :

Des essais de phase II publiés montrent également un bénéfice à l’utilisation du bevacizumab dans les tumeurs de l’ovaire. Le bevacizumab est, par ailleurs, utilisé sous forme d’injection intravitréene pour les dégénérescences maculaires [5]. Les effets secondaires les plus fréquemment décrits sont l’hypertension artérielle et une protéinurie. La survenue d’évènements thromboemboliques et hémorragiques est également rapportée. Les épistaxis modérées sont fréquemment décrites. Une faible augmentation de l’incidence des perforations intestinales a été rapportée chez les patients traités pour un cancer colorectal par bevacizumab. Les perforations peuvent se produire, soit au niveau de la tumeur primitive, soit à distance et semblent favorisées par l’existence d’une carcinose péritonéale. Les mécanismes de ces perforations ne sont pas complètement élucidés ; le bevacizumab pourrait provoquer ces complications par l’intermédiaire de microthromboses artérielles intestinales, entraînant une nécrose tissulaire. Ce phénomène vasculaire est peut-être à l’origine d’une complication beaucoup plus rare : seuls quatre cas de perforations de la cloison nasale ont été décrits [6–9], sans argument pour une atteinte métastatique locale. Le Tableau 1 résume les principales caractéristiques cliniques disponibles de ces observations, ainsi que celles que nous rapportons ici. Cette complication a été observée chez des patients des deux sexes, présentant des tumeurs différentes et traitées à différentes doses de bevacizumab et par différentes chimiothérapies associées. Dans trois cas sur quatre, l’existence de métastases de la cloison nasale a été éliminée par un scanner et dans deux cas, par une biopsie [8,9]. Les symptômes nasaux ont débuté très précocement, dès les premières séances pour l’ensemble des patients mais la perforation n’a été diagnostiquée qu’après, au minimum, trois mois de traitement (cinq pour une patiente). Aucun patient n’a présenté d’autre cause reconnue de ce type de complication : traumatismes répétés, chirurgie nasale récente [10], inhalation de substances toxiques [11]), maladie inflammatoire chronique, tuberculose ou abcès. Le bevacizumab étant administré de fac¸on concomitante à une chimiothérapie systémique, des irritations nasales avec des traumatismes peuvent apparaître, favorisant ainsi les saignements. Le processus de cicatrisation nécessite la stimulation de l’angiogenèse. L’inhibition de celle-ci par le bevacizumab entraînerait donc un retard de cicatrisation, avec poursuite cependant des processus

Tableau 1 Principales caractéristiques des cinq observations de perforation de la cloison nasale rapportées en association au bevacizumab. Observation [ref]

Âge au diagnostic

Pathologie

Dose de bevacizumab

Métastases locales

Protocole d’association

Facteur favorisant

Durée d’exposition, délai d’apparition des symptômes

H [8]

53

C. du colon métastatique

5 mg/kg/15 jours

Non (scanner + biopsie)

LV5FU2

Corticoïdes inhalés

F [9]

52

C. ovarien

Non décrite

Non (scanner + biopsie

Non décrit

H [7]

53

C. du colon métastatique

Non décrite

Non (clinique)

FOLFOX

F [6]

54

C. du sein métastatique

10 mg/kg/15 jours

Non (scanner)

Paclitaxel

HTA, ganulomatose à c-NCA HTA, aspirine, clopidogrel Aucun

3 mois (6 cycles ?) épistaxis à C1 5 mois épistaxis à C1

Observation rapportée : F

52

C. du sein métastatique

10 mg/kg/15 jours

Non (scanner)

Paclitaxel

Traumatismes locaux

H : homme ; F : femme ; C. : cancer ; C1 (C2, C3) : premier (deuxième, troisième) cycle de chimiothérapie ; HTA : hypertension artérielle.

6 cycles épistaxis à C3 6 cycles « irritation » à C2 6 cycles épistaxis à C1

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irritatifs, favorisé par l’administration concomitante d’une chimiothérapie systémique. Une érosion apparaît et conduit à la survenue d’une perforation. Quelques facteurs potentiellement favorisants ont été listés dans le Tableau 1. La prise en charge de la perforation nasale ne nécessite que des soins locaux (spray de sérum salé, humification) et des conseils de non-manipulation des lésions. Avec l’arrêt du traitement, la cicatrisation peut se faire mais il peut apparaître des complications chroniques, telles que des sifflements à l’inspiration ou une sensation de congestion nasale. Une patiente a bénéficié d’une prise en charge chirurgicale par mise en place d’un patch, avec une amélioration des symptômes [9]. Une observation d’association à une infection fongique à Fusarium solani [8] a été décrite, chez un patient porteur d’une tumeur colique avancée. Cette infection a nécessité une prise en charge par antifongiques par voie systémique. Cette infection a probablement été favorisée par l’utilisation de corticoïdes par voie inhalée et par voie systémique. Aucun cas de perforation de la cloison nasale n’a été décrit après injection intravitréenne. 4. Conclusion Le bevacizumab a une utilisation très large en oncologie, chez des patients porteurs de tumeurs avancées. Les épistaxis modérées sont, un effet, secondaire classique mais la survenue possible d’une perforation de la cloison nasale, même si elle est rare, doit être connue. Il s’agit de la cinquième observation décrite, avec une évolution locale favorable. Tout point d’appel inhabituel, à type de saignement important ou persistant, de douleur ou de sensation de congestion nasale, doit faire pratiquer un examen spécialisé afin de ne pas méconnaître cette complication.

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Conflit d’intérêt Aucun. Références [1] Saltz L, Clarke S, Diaz-Rubio E, Scheithauer W, Figer A, Wong R, et al. Bevacizumab in combination with XELOX ou FOLFOX4: updated efficacy results from XELOX-1/NO16966, a randomised phase III trial in first-line metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2007;25:4028. [2] Hurwitz H, Fehrenbacher L, Novotny W, Cartwright T, Hainsworth J, et al. Bevacizumab plus irinotecan, fluorouracil, and leucovorin for metastatic colorectal cancer. N Engl J Med 2004;350:2335–42. [3] Miller K, Wang M, Gralow J, Dickler M, Cobleigh M, Perez EA, et al. Paclitaxel plus bevacizumab versus paclitaxel alone for metastatic breast cancer. N Eng J Med 2007;357:2666–76. [4] Sandler A, Gray R, Perry MC, Brahmer J, Schiller JH, Dowlati A, et al. Paclitaxel–carboplatin alone or with bevacizumab for non-small-cell lung cancer. N Eng J Med 2006;355:2542–50. [5] Paccola L, Costa RA, Folgosa MS, Barbosa JC, Scott IU, Jorge R. Intravitreal triamcinolone versus bevacizumab for treatment of refractory diabetic macular oedema (IBEME study). Br J Ophthalmol 2008;92:76–80. [6] Traina TA, Norton L, Drucker K, Singh B. Nasal septum perforation in a bevacizumab-treated patient with metastatic breast cancer. Oncologist 2006;11:1070–1. [7] Fakih MG, Lombardo JC. Bevacizumab-induced nasal septum perforation. Oncologist 2006;11:85–6. [8] Ruiz N, Fernandez-Martos C, Romero I, Pla A, Maiquez J, Calatrava A, et al. Invasive fungal infection and nasal septum perforation with bevacizumab-based therapy in advanced colon cancer. JCO 2007;25:3376–7. [9] Burkart CM, Grisel JJ, Hom DB. Spontaneous nasal septal perforation with antiangiogenic bevacizumab therapy. Laryngoscope 2008;118: 1539–41. [10] Pedroza F, Patrocinio LG, Arevalo O. A review of 25-year experience of nasal septal perforation repair. Arch Facial Plast Surg 2007;9:12–8. [11] Di Cosola M, Turco M, Acero J, Navarro-Vila C, Cortelazzi R. Cocaine-related syndrome and palatal reconstruction: report of a series of cases. Int J Oral Maxillofac Surg 2007;36:721–7.