Prévalence et facteurs prédictifs de la dépression au cours de la polyarthrite rhumatoïde

Prévalence et facteurs prédictifs de la dépression au cours de la polyarthrite rhumatoïde

Presse Med. 2012; 41: e220–e225 ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Article original en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/rev...

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Presse Med. 2012; 41: e220–e225 ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Prévalence et facteurs prédictifs de la dépression au cours de la polyarthrite rhumatoïde [TD$FIRSNAME]Rawdha[TD$FIRSNAME.] Tekaya, [TD$FIRSNAME]Faten[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Saadi[TD$SURNAME.], [TD$FIRSNAME]Ines[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Mahmoud[TD$SURNAME.], [TD$FIRSNAME]Olfa[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Saidane[TD$SURNAME.], [TD$FIRSNAME]Leila[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Abdelmoula[TD$SURNAME.], [TD$FIRSNAME] Lilia[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Chaabouni[TD$SURNAME.], [TD$FIRSNAME]Rafik[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Zouari[TD$SURNAME.]

Hôpital Charles-Nicolle, service de rhumatologie, Tunis, Tunisie Reçu le 12 juillet 2011 Accepté le 10 octobre 2011

Correspondance :

Disponible sur internet le : 26 janvier 2012

Rawdha Tekaya, Hôpital Charles-Nicolle, service de rhumatologie, boulevard 9-avril, Tunis, Tunisie. [email protected]

Summary Assessment of depression in rheumatoid arthritis: A cross sectional study on 60 patients

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Objective > To assess the prevalence of depression in a series of Tunisian patients with rheumatoid arthritis (RA) and to identify factors associated with its occurrence. Methods > We performed a cross sectional study on 60 patients with RA. The evaluation of depression was performed using the Montgomery and Asberg depression rating scale. Results > Our study revealed a high prevalence of depression in RA patients (45%). The main predictor factors of its occurrence were female gender, absence of professional activity, absence of social support, high activity of RA, impaired quality of life and existence of structural damage. Perspectives > Our results highlight the importance of a good management of RA in order to prevent the occurrence of depression. They also underline the interest of screening for depression in RA patients to avoid its adverse effects on the course of RA.

Résumé Objectif > Évaluer la prévalence de la dépression dans une série tunisienne de patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde (PR), et déterminer les facteurs associés à sa survenue. Méthodes > Étude transversale sur 60 patients atteints de PR. L’évaluation de la dépression a été réalisée à l’aide de l’échelle Montgomery and Asberg depression rating scale. Résultats > Notre étude a mis en évidence une prévalence importante de la dépression au cours de la PR (45 %). Les principaux facteurs prédictifs de sa survenue étaient le sexe féminin, l’absence d’activité professionnelle, l’absence de couverture sociale, la forte activité de la PR, l’altération de la qualité de vie et l’existence d’une atteinte structurale. Perspectives > Une bonne prise en charge de la PR pourrait prévenir la survenue d’une dépression. Il faut dépister la dépression chez les patients atteints de PR, cela pour sa propre prise en charge d’autant plus que le traitement est le plus souvent efficace, mais aussi pour éviter ses conséquences néfastes sur l’évolution de la PR.

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a polyarthrite rhumatoïde (PR) et la dépression sont deux maladies qui ont une relation intriquée avec des influences réciproques et même certains points communs [1–5]. L’objectif de cette étude était d’estimer la prévalence de la dépression au cours de la PR dans une série tunisienne et de déterminer les facteurs associés à sa survenue.

Méthodes Nous avons mené une étude transversale sur une période de huit mois (d’avril à novembre 2010), incluant consécutivement 60 patients atteints de PR (critères de l’American College of Rheumatology 1987), à la consultation de rhumatologie de l’hôpital Charles-Nicolle de Tunis. Nous avons exclu les patients ayant des antécédents psychiatriques ou des facteurs susceptibles d’engendrer des troubles dépressifs et ceux ayant des troubles auditifs ou de compréhension ne leur permettant pas de répondre aux questions. Les patients sélectionnés ont été informés du déroulement de l’étude, et ont donné leur consentement éclairé. Ce travail a nécessité le recueil des données épidémiologiques, cliniques et para-cliniques (biologiques, immunologiques et radiologiques), à l’aide d’une fiche d’enquête. Tous les patients ont eu un prélèvement systématique incluant un bilan inflammatoire (vitesse de sédimentation [VS] et C-reactive protein [CRP]) et un bilan immunologique (anticorps antinucléaires [AAN], facteurs rhumatoïdes [FR] et anticorps anti-peptides citrullinés [anti-CCP]). L’activité de la PR a été appréciée par

Ce qui était connu 

La polyarthrite rhumatoïde est une maladie auto-immune responsable de douleurs chroniques, déformations articulaires et d’handicap fonctionnel engendrant une altération de la qualité de vie des patients.



La dépression est une maladie psychiatrique fréquente au cours des maladies chroniques, surtout quand elles sont douloureuses.



Le traitement de la dépression souvent efficace.

Ce qu’apporte l’article 

La dépression est fréquente au cours de la polyarthrite rhumatoïde (PR).



La forte activité de la PR ainsi que l’altération de la qualité de vie constituent des facteurs de risque de survenue d’une dépression.



Il faut savoir dépister et prendre en charge la dépression pour éviter son retentissement négatif sur le cours de la PR.



Une bonne prise en charge de la PR permet d’éviter la survenue d’une dépression.

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le disease activity score (DAS) 28-VS et le DAS 28-CRP et la qualité de vie des patients par la version tunisienne validée du health assessment questionnaire (HAQ) [6]. Des radiographies standard (mains et poignets de face, avant-pieds de face et bassin de face) ont été effectuées afin d’apprécier l’atteinte structurale. La dépression a été évaluée par l’échelle Montgomery and Asberg depression rating scale (MADRS). Cette dernière est une échelle d’hétéro-évaluation réalisé face à face avec le patient, comportant dix items psychiques et somatiques cotés de 0 à 6 dont les scores s’additionnent. La note seuil de dépression est fixée à 15 [7]. Une description globale de l’ensemble de l’échantillon a été réalisée en précisant les fréquences simples et les fréquences relatives (pourcentage) pour les variables qualitatives. Les moyennes, les médianes et les écarts-type avec détermination de l’étendue (valeurs extrêmes) ont été rapportés pour les variables quantitatives. Les comparaisons des moyennes sur séries indépendantes ont été effectuées au moyen du test t de Student pour séries indépendantes. Les comparaisons de pourcentages sur séries indépendantes ont été effectuées par le test du Chi2 de Pearson. L’étude de corrélation a été effectuée entre les différents paramètres recueillis et l’échelle d’évaluation psychiatrique par le coefficient de corrélation de Pearson (r). Dans tous les tests statistiques, le seuil de signification a été fixé à 0,05.

Résultats Soixante patients ont été inclus. Une prédominance féminine était notée avec une sex-ratio F/H = 4. L’âge moyen des patients était de 50,7 ans [22–79 ans]. Les principales caractéristiques de la population d’étude sont résumées dans le tableau I. Le score MADRS moyen était de 13,2 % [0–37] avec une prévalence de la dépression de 45 %. Les facteurs associés à la survenue d’une PR étaient le sexe féminin (p = 0,04), l’existence d’un diabète associé (p = 0,039), l’absence d’activité professionnelle (p = 0,001) et le fait de ne pas être affilié à la Caisse nationale d’assurance maladie (p = 0,005). L’âge des patients (p = 0,63), leur statut familial (p = 0,7), leur niveau d’étude (p = 0,12) et leur milieu de vie (p = 0,8) ne constituaient pas des facteurs de risque de survenue d’une dépression. Concernant les facteurs liés à la PR elle-même, la dépression était corrélée avec les paramètres cliniques d’activité de la PR : nombre d’articulations douloureuses (p = 0,03) et gonflées (p = 0,023), durée de la raideur matinale (p = 0,007), évaluation générale par le médecin (p = 0,003) et intensité de la douleur évaluée par l’échelle visuelle analogique (p = 0,013). Elle était également corrélée avec les scores DAS28-VS et DAS28-CRP (respectivement p = 0,04 et p = 0,002) ainsi qu’avec l’altération de la qualité de vie des patients (p = 0,001). Sur le plan radiographique, les patients déprimés avaient plus de destructions articulaires (p = 0,028) et avaient plus de coxite (p = 0,039) que les patients non déprimés. Les autres paramètres liées à la PR

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R Tekaya, F Saadi, I Mahmoud, O Saidane, L Abdelmoula, L Chaabouni, R Zouari

Tableau I Principales caractéristiques de la population étudiée Caractéristiques Antécédents Hypertension artérielle

23,3 %

Diabète

11,7 %

Dyslipémie

6,7 %

Autres

8,3 %

Aucun

50,0 %

Discussion

Caractéristiques socio-économiques Mariés

70 %

Célibataires

16,7 %

Divorcés

1,7 %

Veuf(ve) s

11,7 %

Enfants

80 %

Scolarisés

53,3 %

Analphabètes

46,7 %

Activité professionnelle

16,7 %

Travail manuel Couverture sociale

80 % 98,3 %

Milieu de vie urbain

80 %

Milieu de vie rural

20 %

Caractéristiques de la PR Durée d’évolution (en années)

9,91 ans W 8,85 ans

Traitement : antalgiques

91,7 %

Traitement : AINS

48,3 %

Traitement : corticothérapie à faibles doses

86,7 %

Traitement de fond

83,3 %

DAS28-VS moyen

4,92 [1,61–8,37]

DAS28-CRP moyen

4,3 [1,61–7,82]

HAQ moyen Déformations articulaires

1,29 [0–3] 53,3 %

Manifestations extra-articulaires

53 %

Anticorps antinucléaires positifs

1,7 %

Facteurs rhumatoïdes positifs

76,4 %

Anticorps anti-CCP positifs

70 %

Destructions articulaires radiologiques

90 %

AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; PR : polyarthrite rhumatoïde.

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n’étaient pas associés à la dépression, notamment la durée d’évolution de la maladie (p = 0,29), l’existence de déformations articulaires (p = 0,06) et la présence de manifestations extraarticulaires. Sur le plan biologique, les valeurs de la VS et de la CRP chez les patients déprimés étaient comparables à celles des patients non déprimés (respectivement p = 0,458 et p = 0,07). La positivité des FR et la présence des anticorps anti-CCP étaient sensiblement comparable chez les patients déprimés et non déprimés (respectivement p = 0,6 et p = 0,39). Les différents traitements administrés n’influençaient pas non plus la survenue d’une dépression (p = 0,063).

La dépression est fréquemment associée à la PR, les facteurs associés à sa survenue étant le sexe féminin, un diabète associé, l’absence de couverture sociale, l’inactivité professionnelle, la forte activité de la PR, l’altération de la qualité de vie ainsi que l’existence de lésions structurales. La prévalence de la dépression au cours de la PR a été estimée à 45 % ; dans la littérature, la prévalence est de 15 à 66,2 % [1,8– 12]. La disparité de ces résultats pourrait être expliquée, d’une part, par la différence entre les populations d’étude, et d’autre part, par l’utilisation d’outils diagnostiques différents. La prévalence de la dépression varie selon les populations. Margaretten et al. ont observé que les patients d’origine asiatique atteints de PR avaient une plus faible prévalence de dépression comparés aux patients caucasiens, aux patients africains, aux patients américains et aux patients hispaniques [13]. Nous avons choisi l’échelle MADRS pour sa fiabilité, sa sensibilité et sa spécificité [14] et parce qu’elle contient peu d’items somatiques. En effet, ces derniers risquent de surestimer la prévalence de la dépression puisque certains sont observés dans la PR, comme la fatigue et la douleur. À titre de comparaison, la prévalence de la dépression au cours de la sclérodermie systémique varie entre 17 et 65 % selon les études, et est plus élevée que dans la population générale. Les principaux facteurs de risque incriminés sont la douleur, le handicap fonctionnel, le préjudice esthétique et l’insatisfaction de l’image corporelle qui en découle, la perte de la vie sociale, l’incapacité à travailler, le faible niveau d’étude, les atteintes cardio-pulmonaire, oesophagienne ou digestive et articulaire, ainsi que l’altération de la qualité de vie (atteinte neuropsychiatrique au cours de la sclérodermie) [15]. Dans la littérature, les facteurs prédictifs de survenue d’une dépression au cours de la PR peuvent être spécifiques ou non de la PR.

Facteurs épidémiologiques et sociaux Dans la plupart des études, les moyennes d’âge n’étaient pas significativement différentes entre les groupes déprimés et non déprimés [1,9,11]. Nous n’avons pas observé de corrélation entre l’âge et la dépression dans notre étude (p = 0,63). tome 41 > n85 > mai 2012

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Facteurs spécifiques de la polyarthrite rhumatoïde L’ancienneté de la PR ne semble pas influencer de façon nette la survenue d’une dépression [9,11,12,24], cette constatation a été retrouvée dans notre étude. Cela n’a pas toujours été confirmé puisque dans certaines études, le score d’évaluation de la dépression augmentait de façon significative au fil du temps [25,26]. Les résultats sont donc partagés quant à l’aggravation ou l’amélioration des troubles dépressifs au cours de l’évolution de la PR, laissant supposer que l’évolution de la dépression pourrait dépendre de l’évolution de la PR. Une PR en rémission entraînerait une amélioration des troubles dépressifs alors qu’une PR plus active, plus érosive, engendrant plus de déformations articulaires et de handicap fonctionnel induirait leur persistance, voire leur aggravation. L’influence des paramètres immunologiques sur la survenue d’une dépression au cours de la PR est controversée, certaines études rapportant une corrélation positive des FR avec la dépression [12,24] et d’autres l’infirmant [8]. Certains traitements antidépresseurs, précisément l’imipramine, induiraient même une baisse significative des taux de FR et ce dès la deuxième semaine de traitement [27]. Il s’agit de constatations, sans véritable hypothèse capable d’expliquer les bases de cette association. Dans notre étude, le profil immunologique des patients ne représentait pas un facteur prédictif de survenue de dépression. La relation entre les destructions articulaires radiologiques liées à la PR et la dépression n’est pas très bien établie. Dans une étude de cohorte norvégienne sur dix ans portant sur des patients ayant une PR récente, le niveau de dépression était stable malgré la progression structurale [24]. Ces résultats semblent intrigants sachant que les destructions articulaires peuvent être source de déformations qui, elles, sont pourvoyeuses d’un important préjudice esthétique, laissant ainsi supposer une plus grande prévalence de la dépression chez ces sujets. Dans notre étude, les destructions articulaires radiologiques constituaient un facteur prédictif de survenue de dépression (p = 0,022). Concernant la relation entre la dépression et les médicaments utilisés en cas de PR, une étude canadienne a rapporté une plus grande prévalence de la dépression chez les patients atteints de PR ayant des troubles gastro-intestinaux dus aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Cependant, la nature rétrospective de cette étude ne permet pas de savoir si c’était les troubles dyspeptiques causés par les AINS qui étaient responsable de la survenue de dépression, ou bien si la dépression constituait un facteur de risque de survenue de troubles gastro-intestinaux induits par les anti-inflammatoires non stéroïdiens [28]. Ho et al. ont rapporté une augmentation du risque de dépression et d’anxiété parallèlement à l’augmentation du nombre de traitements reçus, et ce indépendamment de leur type [12]. Ertenli et al. avaient rapporté une baisse des valeurs des scores de dépression chez des patients atteints de spondylarthrite ankylosante, après leur traitement par infliximab [29]. Nous pourrions, par extrapolation, nous attendre à un effet similaire au

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Ho et al. ont observé une corrélation significative positive entre l’âge et la dépression au cours de la PR avec une plus forte prévalence de la dépression chez les sujets âgés [12]. La dépression atteint deux fois plus la femme que l’homme [16]. Des différences génétiques, neuro-hormonales, psychobiologiques et sociales expliquent cette différence [17,18]. Au cours de la PR, la prédominance féminine des patients déprimés pourrait être expliquée par la plus grande vulnérabilité psychologique des femmes à la douleur ainsi qu’au retentissement esthétique, fonctionnel et social de la PR. Comparés au sujets ayant uniquement une dépression, ceux ayant une dépression associée à des douleurs chroniques étaient plus susceptibles d’être des femmes [19], et la dépression était plus étroitement liée à la douleur chez les femmes que chez les hommes [20,21]. Les femmes, plus dépendantes du soutien émotionnel, étaient plus sensibles aux évènements du réseau social [18]. La douleur, les déformations articulaires, le handicap fonctionnel ainsi que le retentissement sur la vie familiale, professionnelle et sociale, constitueraient des facteurs de risque de survenue d’une dépression plus importants chez les femmes que chez les hommes. Ces constatations ne sont pas toujours observées : dans une étude égyptienne, il a été observé une plus forte prévalence de la dépression chez les hommes (88,8 %) par rapport aux femmes (70 %) [10]. Dans notre étude, la dépression était plus fréquente chez les femmes (p = 0,004), mais ce résultat est discutable car la PR étant une maladie préférentiellement féminine, notre population était surtout constituée de femmes (80 %). Les comorbidités associées à la PR ne constituent pas toujours un facteur de risque certain de dépression [12]. Dans notre étude, seul l’antécédent de diabète était un facteur prédictif de la survenue de dépression. Cela est expliqué par la fréquence de l’association du diabète et de la dépression, cette dernière étant trois fois plus fréquente chez les sujets diabétiques comparés à la population générale [22]. L’influence du statut familial sur le retentissement psychologique au cours de la PR est variable : pour certains auteurs le célibat doublerait les risques de développer une dépression au cours de la PR [8], alors que pour d’autres, c’est le statut matrimonial qui favoriserait la dépression [10]. Nous n’avons pas observé de relation entre ces deux paramètres dans notre étude. Le travail serait un facteur de risque de survenue de troubles anxio-dépressifs dans la population générale [23], mais cela n’a pas été confirmé au cours de la PR [1], et d’ailleurs dans notre étude, la pratique d’une activité professionnelle constituait au contraire un facteur protecteur contre la survenue de dépression. Cela pourrait être expliqué par le fait que le travail offre aux patients atteints de PR d’autres préoccupations, leur évitant ainsi de trop se focaliser sur leur maladie alors que ceux qui n’exercent pas d’activité professionnelle seraient plus sujets aux sentiments d’autodépréciation et d’inutilité.

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R Tekaya, F Saadi, I Mahmoud, O Saidane, L Abdelmoula, L Chaabouni, R Zouari

cours de la PR. Cet effet bénéfique des anti-TNFa sur la dépression au cours de la PR pourrait être expliqué par un effet direct, le TNFa ayant un rôle clé dans la physiopathologie de la dépression, ou par un effet indirect, médié par l’induction de la rémission de la PR. Plus les patients étaient satisfaits par leurs traitements plus le risque de survenue de dépression était faible [9,12,30]. La dépression est un facteur de risque de non adhérence au traitement, les patients déprimés ayant trois fois plus de risque d’être non compliants aux traitements comparativement aux patients non déprimés [5]. Mis à part les corticoïdes dont les complications psychiatriques sont bien connues [31,32], il n’a pas été établi de lien direct entre les traitements de la PR et la dépression. Le rôle bénéfique éventuel de l’infliximab reste à prouver par des études à plus large effectif sur des populations de patients ayant une PR. Nous n’avons pas observé dans notre étude d’association entre la dépression et la prise de corticoïdes (p = 0,063), ou encore avec les divers traitements de fond (p = 0,73). L’activité de la PR constitue l’un des principaux axes autour duquel s’articule la relation PR-dépression. Contrairement à nos résultats, Murphy et al. n’avaient pas trouvé de corrélation entre le nombre d’articulations douloureuses et/ou le nombre d’articulations tuméfiées et la survenue d’une dépression au cours de la PR [9]. El Miedany et al. ont rapporté une corrélation significative entre la raideur matinale et la dépression (p < 0,009) [10]. Mais le paramètre clinique d’activité de la PR le plus étudié est vraisemblablement la douleur et cette dernière serait fortement pourvoyeuse de dépression [11,30,31] qui elle-même est liée à l’augmentation de l’intensité et à la chronicité des phénomènes douloureux, puisqu’elle affecte la perception et le traitement des données nociceptives [3,32]. Cette relation entre douleur et dépression serait soutenue par des bases biologiques communes médiées par quatre neurotransmetteurs impliqués aussi bien dans la douleur que dans la dépression : la sérotonine, la norépinephrine, la substance P et le corticotrophin-releasing factor [32].

L’élévation de la VS et de la CRP témoigne des phénomènes inflammatoires qui surviennent au cours des PR actives, ces phénomènes sont médiés par les différentes cytokines proinflammatoires. Ces dernières joueraient un rôle clé dans la physiopathologie de la dépression [1]. Cela laisserait penser à une prévalence plus importante de la dépression chez les patients ayant des taux élevés de VS et de CRP [11,12]. Nous n’avons pas observé de corrélation entre ces paramètres biologiques et la dépression. Les scores d’activité de la PR (DAS 28) sont corrélés avec la dépression [1,11,12], et nos résultats sont superposables à ceux de la littérature (respectivement p = 0,004 avec le DAS28VS et p = 0,002 avec le DAS28-CRP). Cette relation pourrait être expliquée par l’existence d’un mécanisme neuro-immunobiologique commun médié par les cytokines pro-inflammatoires [33,34]. L’élévation du taux sérique des cytokines est positivement corrélée à des symptômes observés au cours de la dépression (anorexie, baisse de la libido, perte de poids, fatigue, troubles du sommeil, troubles cognitifs. . .) [1]. Ces cytokines sont associées à des mécanismes neurochimiques et neuroendocriniens impliqués dans la physiopathologie de la dépression [1] en agissant comme neuromodulateurs. Elles seraient un élément clé dans la médiation des caractéristiques comportementales, neuroendocrines et neurochimiques des troubles dépressifs [35]. Une méta-analyse sur le rôle des cytokines dans la dépression a conclu que parmi les différentes cytokines impliquées, seuls le TNFa et l’IL6 étaient significativement corrélés à la dépression [2]. Ces résultats sont d’autant plus intéressants qu’il est maintenant reconnu que le TNFa et l’IL6 sont des cytokines clés dans la physiopathologie de la PR. L’existence de thérapies spécifiques dirigées contre ces cytokines (anti-TNFa et anti-IL6) laisse penser à une éventuelle action sur la dépression lors de l’utilisation de ces traitements [29]. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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Article original

Prévalence et facteurs prédictifs de la dépression au cours de la polyarthrite rhumatoïde