Prise en charge de la douleur neuropathique induite par la chirurgie : revue de la littérature par un groupe d’experts spécialisés en gestion de la douleur, anesthésie et chirurgie

Prise en charge de la douleur neuropathique induite par la chirurgie : revue de la littérature par un groupe d’experts spécialisés en gestion de la douleur, anesthésie et chirurgie

Journal de Chirurgie Viscérale (2020) 157, 40—51 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com MISE AU POINT Prise en charge de la d...

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Journal de Chirurgie Viscérale (2020) 157, 40—51

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

MISE AU POINT

Prise en charge de la douleur neuropathique induite par la chirurgie : revue de la littérature par un groupe d’experts spécialisés en gestion de la douleur, anesthésie et chirurgie夽 Management of neuropathic pain induced by surgery: Review of the literature by a group of experts specialized in pain management, anesthesia and surgery M. Prudhomme a,∗, A. Legras b, C. Delorme c, T. Lansaman d, M. Lanteri-Minet e, J. Medioni f, M. Navez g, S. Perrot h, G. Pickering i, A. Serrie j, E. Viel k a

Chirurgie digestive et cancérologie digestive, CHU de Carémeau, université de Montpellier, place du Professeur Robert-Debré, 30029 Nîmes cedex 9, France b Service de chirurgie thoracique et vasculaire, CHRU de Tours, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris, avenue de la République, 37170 Chambray-lès-tours, France c Centre hospitalier de Bayeux, 13 rue de Nesmond, 14400 Bayeux, France d Pr BENSMAIL-UF blessés médullaires, service de médecine physique et de réadaptation, service MPR pôle handicap - rééducation, université de Versailles Saint-Quentin, hôpital R. Poincaré, AP—HP, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France e Inserm/UdA, U1107, Neuro-Dol, Fédération hospitalo-universitaire InovPain, département évaluation et traitement de la douleur, CHU de Nice, université Côte-d’Azur, université d’Auvergne, 4, avenue Reine-Victoria, 06000 Nice, France f Service de cancérologie médicale, faculté de médecine Paris Descartes, centre d’essais précoces en cancérologie (CEPEC), hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France g Structure d’évaluation et traitement de la douleur, centre de la douleur, CHU de Saint-Étienne, hôpital Nord, bâtiment A, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France Disponible sur Internet le 11 octobre 2019 DOI de l’article original : https://doi.org/10.1016/j.jviscsurg.2019.09.004. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Journal of Visceral Surgery, en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (M. Prudhomme), [email protected] (A. Legras), [email protected] (C. Delorme), [email protected] (T. Lansaman), [email protected] (M. Lanteri-Minet), [email protected] (J. Medioni), [email protected] (M. Navez), [email protected] (S. Perrot), [email protected] (G. Pickering), [email protected] (A. Serrie), [email protected] (E. Viel). 夽

https://doi.org/10.1016/j.jchirv.2019.07.008 1878-786X/© 2019 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

Douleur neuropathique après chirurgie

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h

Centre de la douleur, hôpital Cochin, université Paris Descartes, Paris, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France i CIC Inserm 1405, centre de pharmacologie clinique (CPC) CHU de Clermont-Ferrand, 58, rue Montalembert, 63000 Clermont-Ferrand, France j Inserm UMR-S 1144, service de médecine de la douleur et de médecine palliative, universités Paris Descartes - Paris Diderot, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris cedex 10, France k Centre d’évaluation et traitement de la douleur, pôle A.R.D.U, faculté de médecine Montpellier-Nîmes, CHU de Carémeau Nîmes, université de Montpellier, 30029 Nîmes cedex 9, France

MOTS CLÉS Douleur neuropathique ; Douleur chronique post-chirurgicale ; Épidémiologie ; Facteurs de risque ; Lidocaïne ; Capsaïcine

KEYWORDS Neuropathic pain; Postoperative chronic neuropathic pain; Epidemiology; Risk factors; Lidocaine; Capsaicine

Résumé Les douleurs neuropathiques chroniques post-chirurgicales (DNCPC) sont fréquentes. Leur prévalence varie de fac ¸on importante selon le type d’intervention et les modalités d’évaluation, mais elle peut atteindre 37 % après chirurgie mammaire. L’identification de leurs facteurs de risque, liés à l’acte ou au patient, associé au développement de nouvelles techniques chirurgicales, moins invasives, favorise aujourd’hui l’épargne nerveuse et réduit le risque de lésion. Leur diagnostic est facilité par des outils simples et rapides d’utilisation, principalement le questionnaire Douleur Neuropathique en 4 questions (DN4), permettant une utilisation en pratique quotidienne. Leur prise en charge enfin repose sur des approches pharmacologiques (antalgiques, antiépileptiques, antidépresseurs, anesthésiques locaux) et non pharmacologiques (kinésithérapie, neurostimulation, psychothérapie). À la lumière de cette revue de la littérature, les auteurs, groupe d’experts spécialisés en gestion de la douleur, en anesthésie et en chirurgie, se prononcent en faveur des traitements topiques (lidocaïne, capsaïcine) pour la prise en charge des douleurs neuropathiques localisées post-chirurgicales de l’adulte. © 2019 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

Summary Postoperative chronic neuropathic pain (PONP) is common. The prevalence of PONP varies considerably according to the type of surgery and the evaluation modalities, nonetheless it can reach 37 % following breast surgery. Identification of risk factors related to the patient or the surgery, associated with the development of new less invasive surgical techniques, now favours nervous preservation and reduces the risk of injury. The diagnosis is facilitated by simple and fast tools, mainly the Neuropathic Pain 4 Questions (DN4), which can be used in daily practice. Finally, PONP management is based on pharmacological (analgesics, antiepileptics, antidepressants, local anesthetics) and non-pharmacological (physiotherapy, neurostimulation, psychotherapy) approaches. In this review of the literature, the authors, a group of experts specialized in pain management, anesthesia and surgery, are in favor of topical treatments (lidocaine, capsaicin) for the management of post-surgical localized neuropathic pain in adults. © 2019 Published by Elsevier Masson SAS.

Introduction La douleur chronique, dont la douleur neuropathique postopératoire, représente un problème majeur de santé publique, car elle constitue l’un des principaux motifs de consultation dans les structures de lutte contre la douleur [1]. Même si la France s’est longtemps montrée pionnière en termes de culture de la douleur (plans gouvernementaux, place de la douleur dans la loi de modernisation du système de santé), de formation et de prise en charge, il lui reste quelques défis à surmonter [1]. Le parcours de soins du patient douloureux chronique n’est pas encore formalisé. Les médecins généralistes, premiers acteurs dans le parcours de soins, doivent disposer de moyens pour être formés et pour rediriger rapidement leurs patients vers les structures spécialisées le cas échéant. Les patients doivent être informés des risques de douleurs avant leur opération et être suivis régulièrement. Il reste, enfin, à développer des moyens pour mieux prévenir le risque de douleur chronique.

Dans cet article, nous proposons une revue de la littérature sur la douleur neuropathique liée à la chirurgie et de ses modalités de prise en charge des patients.

Définitions Selon l’association internationale pour l’étude de la douleur (International Association for the Study of Pain, IASP), la douleur neuropathique (DN) est une douleur liée à une lésion ou une maladie affectant le système somato-sensoriel [2]. Son diagnostic repose sur son individualisation des autres composantes douloureuses : dysfonctionnelle ou nociplastique. Elle est considérée comme chronique (DC) lorsqu’elle perdure depuis plus de 3 mois et localisée lorsqu’elle est limitée à une zone circonscrite, cas le plus fréquent après intervention chirurgicale. Le présent travail se focalise sur les douleurs neuropathiques chroniques post-chirurgicales (DNCPC) localisées périphériques chez l’adulte.

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Physiopathologie La DNCPC est la conséquence d’une lésion primitive du système nerveux périphérique. Il peut s’agir par exemple d’une lésion d’un nerf intercostal lors d’une thoracotomie, d’une branche du plexus brachial lors d’une chirurgie du sein, d’une section nerveuse lors de l’amputation d’un membre ou des nerfs ilio-inguinal, ilio-hypogastrique et génito-fémoral lors d’une chirurgie herniaire [3]. La lésion du système nerveux périphérique entraîne des changements phénotypiques des neurones, résultant de la « plasticité neuronale ». Elle est essentiellement représentée par des changements de distribution des canaux sodiques et calciques ainsi qu’une augmentation de leur expression [4]. Ces modifications conduisent à l’apparition de couplages physiques ou électriques entre fibres nerveuses de gros et petits calibres, appelés éphapses [5]. L’inflammation périnerveuse (recrutement de cellules inflammatoires autour du nerf lésé, libération de cytokines et neutrophiles) joue également un rôle clé [5]. Ces modifications fonctionnelles ou structurelles du système nerveux deviennent progressivement irréversibles.

Épidémiologie de la douleur neuropathique La douleur chronique post-chirurgicale (DCPC) est l’un des principaux motifs de consultations dans les centres spécialisés de la douleur [1]. Chaque année, dans le monde, plus de 230 millions de personnes subissent une intervention chirurgicale [6] et sont donc exposées au risque de DNCPC. La chirurgie représente en effet la deuxième cause de douleur neuropathique (DN) [1]. La prévalence des douleurs neuropathiques varie de fac ¸on importante selon le type d’intervention et les modalités d’évaluation (Tableau 1). Une étude épidémiologique prospective franc ¸aise, menée par le groupe EDONIS [7] en 2013, a permis l’analyse de données péri-opératoires de 3112 patients ayant subi différents actes chirurgicaux. Les patients ont été interrogés sur leurs douleurs avant et après intervention, à 3 et 6 mois, au moyen du questionnaire DN4. La chirurgie mammaire apparaissait comme la première pourvoyeuse de DN, avec une incidence moyenne supérieure à 30 %. On observe des DCPC après chirurgie lourde (amputation, thoracotomie, sternotomie), mais également après des actes de chirurgie ambulatoire (arthroscopie, saphénectomie) (Fig. 1) [7,14—16].

Apparition et évolution de la DCPC et de la composante neuropathique La douleur et ses caractéristiques peuvent évoluer dans la période qui suit l’intervention. Elle peut apparaître en postopératoire précoce ou lors de la phase subaiguë (4 à 8 semaines post-chirurgie) [16]. Selon le type de chirurgie réalisée, elle peut s’estomper et disparaître, passant par exemple après thoracotomie de 57 % à 1 an à 21 % à 7 ans [14]. À l’inverse, la composante neuropathique semble se majorer avec le temps, notamment chez les patients souffrant de DCPC sévère. Une étude observationnelle prospective menée auprès de plus de 1000 patients a montré que la part de patients souffrant de DCPC d’intensité modérée avec signes neuropathiques passait de 31,3 % à 6 mois

M. Prudhomme et al. à 35,4 % à 12 mois. Ils étaient 30,4 % à souffrir de DCPC d’intensité sévère avec signes neuropathiques à 6 mois contre 57,1 % à 12 mois [17].

Facteurs de risque De nombreux facteurs peuvent être responsables du développement d’une DN post-chirurgicale [3,22]. On distingue ceux liés au patient (facteurs démographiques, psychologiques, physiologiques, génétiques et histoire douloureuse) de ceux liés à l’acte. Les chirurgies les plus pourvoyeuses de DCPC sont la chirurgie mammaire, la thoracotomie, la sternotomie et enfin, le prélèvement de crête iliaque [20]. Le développement de nouvelles techniques chirurgicales, moins invasives, de durée plus courte, favorisant l’identification et l’épargne nerveuse permettrait de réduire le risque de lésion nerveuse [18]. De même, sur le plan anesthésique, certaines études montrent que l’utilisation du protoxyde d’azote, d’une analgésie locorégionale prolongée, de kétamine ou de gabapentinoïdes diminue le risque de DCPC [14]. L’amélioration de la connaissance des facteurs de risque de DCPC a permis l’élaboration d’un index prédictif de risque [19], qui tient compte de cinq paramètres : • douleur préopératoire présente au site chirurgical ; • douleur préopératoire présente à un autre endroit du corps ; • comorbidités (e.g., dépression, trouble du sommeil. . .) ; • surmenage (« état de burn-out ») ; • douleur postopératoire aiguë sévère et mal contrôlée. La présence ou non de l’un des paramètres, noté 1 ou 0, donne un score mis en regard d’un pourcentage de risque de DCPC : 0 = 12 % ; 1 = 30 % ; 2 = 37 % ; 3 = 68 % ; 4 = > 70 %.

Diagnostic Il existe une grande variabilité de l’incidence de la DNCPC liée à la subjectivité de l’interprétation de la douleur par le patient, mais également aux outils diagnostiques utilisés pour évaluer la douleur. Néanmoins, étant donnée l’importance du retentissement individuel et sociétal provoqué par la DN [14], il est essentiel d’informer systématiquement les opérés (en consultation de chirurgie et/ou d’anesthésie) du risque de DNCPC puis de la dépister en postopératoire pour une prise en charge précoce. Le diagnostic de DN repose sur l’interrogatoire et l’examen clinique et permet d’évaluer sa sévérité et son retentissement. De nombreux outils d’aide au diagnostic ont été validés afin d’évaluer les DN et les isoler des autres composantes douloureuses. L’outil le plus couramment utilisé en France, et recommandé en pratique clinique, est le questionnaire Douleur Neuropathique en 4 questions (DN4) (Fig. 2). Il repose sur quatre questions simples renseignant dix caractéristiques neuropathiques de la douleur. Le test est positif si le patient répond positivement à l’existence de quatre caractéristiques ou plus. Le Tableau 2 présente les autoquestionnaires pouvant être utilisés pour diagnostiquer une DN, validés et adaptés en franc ¸ais [4,20]. Selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé de 2007, pour le diagnostic des lésions nerveuses périphériques [22], il est également nécessaire d’établir un diagnostic lésionnel et étiologique, adapté aux antécédents

Douleur neuropathique après chirurgie Tableau 1

43

Prévalence des douleurs chroniques et neuropathiques.

Étude

Publication

Pays

Nombre de patients

Questionnaire de diagnostic de la douleur

Résultats

EDONIS

Dualé C, et al., Eur J Pain, 2014 [7]

France

3112

DN4

DN4

Fréquence de DNCPC selon les situations chirurgicales : 3,2 à 37,1 % Prévalence des DN sur 8 études : 6,9—10 % Incidence de DCPC : 14,8 % Fréquence des douleurs chroniques causées par la chirurgie : 40 % Avec douleurs modérées à sévères : 18,3 % Localisées aux membres : 12 % Avec caractéristiques neuropathiques : 6,20 % Incidence DCPC : 5 à 85 % Prévalences

S-LANSS

Douleurs chroniques : 31,7 % DN chroniques : 6,9 % Prévalence

Population générale Van Hecke O, et al., Pain, 2014 [8] Européenne Simanski CJ, et al., Pain, 2014 [9] TROMSO Johansen A, et al., Pain, 2012 [10]

Surtout Europe

Patients opérés STOPNEP (Study of the Prevalence of Neuropathic Pain) population générale

Macrae WA, Br J Anaesth, 2008 [11] Bouhassira D, et al., Pain, 2008 [12]

Population générale Torrance N, et al., J anglo-saxonne Pain, 2006 [13]

Europe

911

Norvège

12 982

Royaume-Uni —– États-Unis France

23 712

Royaume-Uni

3000

DN4, LANSS et S-LANSS Questionnaire modifié

Douleurs chroniques : 48 % DN chroniques 8 % DN : douleur neuropathique ; DN4 : questionnaire Douleur Neuropathique en 4 questions ; DCPC : douleur chronique post-chirurgicale ; DNCPC : douleur neuropathique chronique post-chirurgicale ; LANSS : Leeds Assessment of Neuropathic Symptoms and Signs ; S-LANSS : Self complete Leeds Assessment of Neuropathic Symptoms and Signs.

Figure 1. Incidence de la douleur neuropathique en fonction du type de chirurgie d’après Dualé, et al., [7] ; ingu : inguinale ; laparo : laparoscopie.

44

Figure 2.

M. Prudhomme et al.

Questionnaire douleur neuropathique en 4 questions (DN4).

du patient. Il n’existe pas d’outil spécifique pour détecter la DN chez l’enfant ou le patient non communicant [23]. Des échelles comportementales ou des algorithmes [24] adaptés à ces patients peuvent contribuer à identifier une composante neuropathique. L’évaluation peut être complétée par des outils permettant d’évaluer de fac ¸on quantifiée les différents symptômes douloureux (brûlure, douleur profonde, douleur paroxystique, douleurs provoquée, paresthésies/dysesthésies) comme le Neuropathic Pain Symptom Inventory (NPSI), d’évaluer la qualité de vie du patient (échelle SF-36, échelle HAD [Hospital Anxiety and Depression]), questionnaire EruoQol, NeuPiQol (en anglais), échelles qui peuvent aussi, à l’inverse, permettre de détecter une DNCPC, en association avec l’index de risque.

Traitements disponibles aujourd’hui La prise en charge des DN devrait être aujourd’hui multimodale. Elle se définit comme étant l’association des médicaments analgésiques et des techniques ayant des sites d’action différents et complémentaires, à l’origine d’interactions additives, voire synergiques [25,26].

Pharmacologiques Considérant l’absence de réponse des DN aux antalgiques périphériques et aux anti-inflammatoires non stéroïdiens [23], le choix du traitement repose sur des classes médicamenteuses différentes, adapté aux comorbidités (Tableau 3). Les antidépresseurs et les antiépileptiques ont été largement étudiés dans le traitement des DN. Un groupe d’experts spécialisés dans la douleur neuropathique (Neuropathic Pain Special Interest Group, NeuPSIG) de l’association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) recommande en première intention les antidépresseurs tricycliques (ATC), les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et noradrénaline (IRSNs), la gabapentine et la gabapentine énacarbil à libération prolongée dans le traitement de la DN. Ces mêmes recommandations proposent en deuxième intention les patchs de lidocaïne, les patchs de capsaïcine et le tramadol, et enfin, en troisième intention les opioïdes forts (en particulier l’oxycodone et la morphine) et la toxine botulinique [27]. Toutefois, lorsque ces traitements se révèlent insuffisamment efficaces contre la douleur en monothérapie [4], l’association de plusieurs classes de médicaments peut être envisagée. En effet, cette association permet de diminuer les posologies, avec des résultats similaires pour la

Douleur neuropathique après chirurgie Tableau 2

45

Questionnaires de diagnostic de la DN.

Questionnaire

Origine

Description

Avantages

DN4 (Douleur Neuropathique 4 questions) [12]

France

Valeur prédictive de la DN à 86 %, sensibilité de 82,9 %, et spécificité de 89,9 %

Leeds Assessment of Neuropathic Symptoms and Signs (LANSS) [21]

Royaume-Uni

4 questions/10 réponses ; interrogatoire sur les symptômes + examen clinique Un score > 4 nous donne une valeur prédictive de la DN à 86 % 7 questions (dont 5 sur la sensibilité et 2 sur l’examen clinique)/24 points (si > 12 points, validation d’une DN)

Self complete Leeds Assessment of Neuropathic Symptoms and Signs (S-LANSS) Neuropathic Pain Questionnaire (NPQ)

PainDETECT Questionnaire (PDQ)

Sensibilité de 82 à 91 %

Spécificité de 80 à 94 %

États-Unis

Allemagne

12 questions (7 sur la sensibilité, 66,6 % de sensibilité, 74,4 % 3 sur les facteurs favorisants, et de spécificité, et 71,4 % de 2 sur l’état psychologique) précision pour différencier la DN de la douleur non neuropathique 9 questions (7 sur les symptômes Sensibilité de 85 % et 2 sur les caractéristiques spatiales et temporelles) Spécificité de 80 %

DN : douleur neuropathique

prégabaline ou la gabapentine couplée à un antidépresseur ou un opioïde à faibles doses à ceux d’une monothérapie à forte posologie [4]. Cette combinaison est intéressante en cas de contre-indication (pathologie cardiaque, glaucome à angle fermé, adénome prostatique) ou d’intolérance à fortes doses [4,23]. Le tramadol, un agoniste des récepteurs opioïdes et un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, parait surtout efficace dans les DN périphériques. Les recommandations franc ¸aises le positionnent en première intention dans les douleurs neuropathiques associées à une forte composante nociceptive et en cas d’accès douloureux [23]. Les opiacés forts (morphine, oxycodone) ne sont recommandés qu’après échec des traitements de première intention en monothérapie et, le cas échéant, en association [3,16]. La toxine botulique ne dispose pas d’AMM dans la douleur et reste réservée aux spécialistes de la douleur [3]. Les anesthésiques locaux topiques peuvent être utilisés en première et en seconde ligne [4,23,28] : • la lidocaïne agit sur les décharges ectopiques neuronales en bloquant les ions sodiques ; • la capsaïcine, seule, dispose d’une indication, en France, dans la DN. Elle désensibilise et inhibe les récepteurs TRPV1 (transient receptor potential cation channel subfamily V member 1) sur les fibres nociceptives. L’effet sur les fibres nerveuses épidermiques dans le cadre d’une utilisation au long cours reste mal connu. L’analgésie locale ou loco-régionale (ALR) est une stratégie analgésique efficace et adaptée à l’ambulatoire. Elle couvre aussi bien les douleurs au repos que les douleurs liées à la mobilisation, et permet d’éviter le recours aux opiacés dont les effets secondaires sont parfois difficiles à prendre en charge au domicile du patient. L’ALR regroupe

les techniques d’infiltrations cicatricielles et les blocs périphériques. La problématique principale réside dans la durée d’action de ces techniques. La mise en place de cathéters de perfusion permet la prolongation de la durée d’action [3]. Lidocaïne, capsaïcine, kétamine en traitements topiques : la lidocaïne en patch ou en gel est de plus en plus utilisée dans la prise en charge des DN. Ses effets indésirables sont principalement locaux et limités à une discrète réaction cutanée (pâleur ou rougeur, œdème local) et ses effets systémiques rares. Son efficacité versus placebo permettrait d’obtenir un gain de 6 points sur l’échelle analogique de la douleur. La forme patch à 5 % a été récemment intégrée dans les recommandations américaines de la prise en charge de la DN, aux doses maximales de trois patchs par douze heures ou quatre patchs par dix-huit heures [26]. La capsaïcine est utilisée en crème à des concentrations allant de 0,025 % à 0,075 % trois à quatre fois par jour. Son application permettrait un gain de 40 à 50 % sur les douleurs neuropathiques versus placebo [26]. Enfin, la kétamine topique à 0,5 %, essentiellement étudiée dans l’allodynie, a montré son efficacité dans les douleurs neuropathiques. La durée initiale du traitement est le plus souvent de 2 jours, pouvant être prolongée si besoin [26]. L’action de ces trois substances se base sur leur capacité à cibler des récepteurs-clés de la douleur neuropathique [26].

Non pharmacologiques Kinésithérapie La douleur représente le principal motif de consultation en kinésithérapie. Les techniques à visée antalgique associent activités physiques, exercices thérapeutiques, thérapies manuelles et éducation thérapeutique. L’éducation thérapeutique spécifique pour la DN par les kinésithérapeutes

46 Tableau 3 France.

M. Prudhomme et al. Synthèse des traitements pharmacologiques utilisés pour le traitement des douleurs neuropathiques en

Antidépresseurs tricycliques (douleur type brûlure)

Antidépresseurs IRSN

Antiépileptiques (composante « décharge électrique »)

Opiacés faibles et anesthésiques locaux topiques

Traitements

Ligne de traitement

Indication AMM

Amitriptyline

1

Imipramine

1

Clomipramine

1

Douleurs neuropathiques périphériques de l’adulte Douleurs neuropathiques de l’adulte Douleurs neuropathiques de l’adulte

Maprotiline Duloxétine

2 1

Venlafaxine Gabapentine

2 1

Prégabaline

1

Carbamazépine

3

Tramadol

2 (1 si crises douloureuses) 2 (1 dans la DPZ chez le sujet âgé) 2

Patch de lidocaïne Patch ou application de capsaïne Opiacés forts et toxine botulique

Morphine

3

Oxycodone

3

Toxine botulique

3

Douleurs neuropathiques diabétiques périphériques de l’adulte Pas AMM en France Douleurs neuropathiques périphériques de l’adulte Douleurs neuropathiques périphériques et centrales de l’adulte Douleurs neuropathiques de l’adulte et des névralgies essentielles du trijumeau et du glossopharyngien Douleurs modérées à intenses DPZ Douleurs neuropathiques périphériques chez les adultes non diabétiques Douleurs persistantes intenses ou rebelles aux autres antalgiques Douleurs chroniques d’origine cancéreuses intenses Pas d’AMM

AMM : autorisation de mise sur le marché ; IRSN : inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline ; DPZ : douleurs neuropathiques post-zostériennes. Figure réalisée à partir de l’article de Martinez V, Douleurs : Évaluation Diagnostic Traitement, 2010 [23].

dans les DC est un moyen puissant d’amélioration de la qualité de vie des patients et de diminution des frais de santé pour la société [1].

électrique provoque une paresthésie dans la région douloureuse et inhibe le message douloureux [29].

Psychothérapies Neurostimulations La neurostimulation transcutanée (ou électrothérapie) est une technique non invasive, largement utilisée, dont la prescription est réservée aux médecins spécialisés dans la douleur. Elle n’est utilisable que pour des indications périphériques (neuropathies diabétiques et lésions nerveuses post-traumatiques). Elle n’est pas indiquée en cas d’allodynie et est contre-indiquée chez les patients porteurs d’un stimulateur cardiaque et les femmes enceintes. À très basse fréquence (de 1 à 10 Hz), elle permet d’augmenter la sécrétion naturelle d’endorphines. À basse fréquence (entre 30 et 100 Hz), elle permet de diminuer la transmission du message nerveux douloureux vers les centres supérieurs [23]. La stimulation médullaire dans le traitement des DN rebelles consiste à implanter des électrodes épidurales reliées à un stimulateur sous-cutané. La stimulation

Les techniques psychothérapeutiques (hypnose, relaxation, thérapies cognitives et comportementales) ont pour but d’apprendre au patient à diminuer les tensions musculaires et psychiques. L’efficacité de la thérapie cognitive comportementale et de la thérapie comportementale, bien que faible à modérée, est établie dans la prise en charge de la douleur, sans étude spécifique actuellement sur les DN [4]. Elle peut se justifier en cas de comorbidité anxieuse ou de difficulté d’ajustement de la douleur [23].

Particularités des douleurs neuropathiques selon les grands types de chirurgie Chirurgie viscérale La chirurgie viscérale, notamment élargie, peut induire des lésions nerveuses importantes. Ces lésions sont à l’origine de DN débutant parfois très précocement, selon l’étendue

Douleur neuropathique après chirurgie

47 • neurectomie avec enfouissement de l’extrémité proximale du nerf dans le plan musculaire pour la prévention du futur névrome. Exérèse « monobloc » de la prothèse si elle est superficielle (Lichtenstein), des tissus fibreux, et des nerfs si neurolyse impossible ; • reconstruction pariétale : la mise en place d’une nouvelle prothèse doit être discutée en fonction de l’état pariétal (risque de récidive limitée) et du risque d’apparition d’une nouvelle douleur neuropathique.

Chirurgie orthopédique

Figure 3. Les nerfs de la région inguinale. En gris : zone des lésions nerveuses superposable au positionnement d’une prothèse lors d’une intervention de Lichtenstein. En ocre : le cordon spermatique. IH : nerf ilio-hypogastrique ; II : nerf ilio-inguinal ; GF : branche génitale du nerf génito-fémoral.

de l’exérèse, notamment sur les branches du plexus sacré. D’autres douleurs de type « membre fantôme » en cas d’amputation rectale ou génitale peuvent aussi apparaître, mais plus tardivement [30]. Concernant la cure de hernie inguinale, qui est l’intervention la plus pratiquée en France, la prévalence d’une douleur chronique est comprise entre 10 et 20 %. La composante neuropathique est la plus fréquente et résulte soit d’une lésion nerveuse (nerf ilio-inguinal essentiellement), soit d’un engainement des fibres nerveuses dans le matériel prothétique ou dans la fibrose cicatricielle. En cas d’échec à toute thérapeutique, la reprise chirurgicale avec neurectomie peut donner de très bons résultats chez des patients bien sélectionnés [31]. Les indications de réintervention pour DN sont rares et encore mal définies [32]. Elles doivent être proposées qu’en cas d’échec du traitement médical et après concertation avec un centre d’évaluation et de traitement de la douleur. Ces interventions sont parfois délabrantes, et peuvent être responsables elles-mêmes de DNrésiduelle.

Technique de réintervention chirurgicale pour DN après chirurgie herniaire Une neurolyse ou une neurectomie pour DN après chirurgie herniaire utilise le plus souvent une voie d’abord inguinale. Les différents temps opératoires sont : • exploration de la région inguinale et dissection du cordon spermatique qui peut être comprimé au niveau de l’orifice profond du canal inguinal ainsi que les branches génitales du nerf ilio-inguinal et du nerf génito-fémoral. La plupart des lésions nerveuses siège dans la zone en gris (Fig. 3) ; • vérification de l’absence de récidive herniaire ; • repérage des nerfs ilio-inguinal, ilio-hypogastrique et génito-fémoral. Ce repérage est rendu difficile par la fibrose, les nerfs étant englobés par ces remaniements péri-prothétiques. Il est classique de débuter en amont de cette zone dans une région non préalablement disséquée (Fig. 3). La neurolyse est souvent convertie par nécessité en neurectomie ;

En chirurgie orthopédique, les douleurs neuropathiques se présentent le plus souvent sous la forme d’algodystrophies de type II et de causalgies, avec des conséquences fonctionnelles souvent majeures [9]. Selon la nature et l’étendue de la résection, la prévalence de la DN peut atteindre des pourcentages très élevés. Par exemple, dans une étude regroupant 37 patients opérés pour un ostéosarcome des membres supérieurs ou inférieurs, 81 % souffraient de DN [33]. En chirurgie du genou, 6 à 20 % des patients sont affectés par les DCPC [34,35]. Chez les patients ayant subi une arthroplastie, 11 % souffrent de DN, avec un pic d’incidence entre six semaines et trois mois postopératoires [35]. Les DCPC sont liées à des lésions nerveuses de la branche infra-patellaire du nerf saphène et/ou à l’inflammation postopératoire. Des facteurs de risque ont été mis en évidence : durée de la chirurgie et durée d’application du garrot, reprise chirurgicale, arthroplastie totale ou unicompartimentale, lésion nerveuse peri-opératoire [35].

Chirurgie thoracique Les procédures de chirurgie thoracique, qu’elles impliquent une thoracotomie, une vidéo-thoracoscopie ou une chirurgie robotique, sont à haut risque de DCPC et génèrent un des pourcentages les plus élevés de DCPC [36]. En effet, quelle que soit la voie d’abord, en ce qui concerne la chirurgie d’exérèse pulmonaire pour cancer, il est nécessaire de traverser au moins un espace intercostal, siège d’un pédicule vasculo-nerveux à chaque espace. Les DN sont donc le plus souvent générées par des lésions d’un ou de plusieurs nerfs intercostaux. À titre d’exemple, la douleur péri-opératoire chronique associée à la thoracotomie est présente dans 30 à 50 % des cas [37]. Certaines études rapportent une prévalence s’élevant jusqu’à 83 % après chirurgie thoracique [8]. Parmi les DCPC, 45 % des cas auraient une composante neuropathique et 30 % des cas une forme neuropathique pure [38]. Ces chiffres sont possiblement sous-estimés du fait de la pathologie tumorale sous-jacente, retenant davantage l’attention des patients que les problématiques douloureuses associées [39]. Une revue montre que les composantes neuropathiques varient de 22 à 66 % selon les études [36] quelle que soit la maladie justifiant l’intervention chirurgicale, et quelle que soit la technique chirurgicale. Cependant, ces résultats sont difficilement reproductibles. En effet, dans une étude prospective de cohorte sur 174 patients opérés par thoracotomie, les auteurs ont décrit une prévalence de DCPC à 39 % —– les facteurs de risque étant la douleur thoracique préopératoire et une douleur aiguë postopératoire dans les 5 premiers jours —– et, curieusement, la prévalence des douleurs neuropathiques à 4,8 % [40] (Tableau 4). Homma et al. ont décrit une série de 185 patients, avec une incidence de DN de 26 %, avec une durée médiane de 50 jours, et avec

48 Tableau 4

M. Prudhomme et al. Facteurs de risque de DCPC après une chirurgie thoracique.

Études

Nombre de patients

Facteurs de risque identifiés

Incidence de la DN

Kampe et al. [40]

174

Douleur thoracique préopératoire et douleur aiguë postopératoire dans les 5 premiers jours

DCPC 39 % dont 4,8 % de DN (à 6 mois)

Homma et al. [41]

185

Durée de l’intervention Utilisation d’écarteur intercostal Durée du drainage pleural > 4 jours

26 % à 50 jours 19 % à 1 an 24,9 %

Peng et al. [36]

1284

une persistance de la douleur à 1 an chez 19 % d’entre eux ; les facteurs de risque étant la durée de l’intervention et l’utilisation d’un écarteur intercostal [41]. En effet, les écarteurs intercostaux (de type Finochietto, Tuffier ou Giudicelli) sont particulièrement mis en cause, ayant justifié le développement de voies d’abord peu invasives, vidéoassistées. Un essai prospectif randomisé de 206 patients a pu montrer la diminution des douleurs postopératoires en chirurgie mini-invasive versus thoracotomie, mais avec un suivi relativement faible (52 semaines) [42]. Cependant, le bénéfice sur la douleur de ce changement de technique chirurgicale n’est pas aussi évident qu’attendu [43]. Par exemple, dans une étude incluant 1284 patients opérés du thorax, la prévalence des DCPC était de 24,9 % et le seul facteur prédictif de DCPC, en analyse multivariée, était la durée de drainage pleural > 4 jours [36] (Tableau 4). Il faut également souligner qu’aucune étude n’a évalué la voie mini-invasive en termes de résultats oncologiques.

lésion des nerfs inguinaux. Par la fréquence de cette complication, qui peut survenir après chaque accouchement, une altération de la qualité de vie est fréquente chez ces jeunes patientes. Plusieurs traitements locaux ont été proposés. La neurectomie semble plus efficace que l’infiltration locale. Dans une récente étude rétrospective, portant sur 186 patientes atteintes de DCPC après césarienne, 54 % des patientes n’avaient plus de douleur ou seulement une douleur modérée 5 ans après la neurectomie. D’après ces auteurs, la neurectomie devrait être proposée après 3 infiltrations locales si celles-ci restent inefficaces. Selon Belci et al. [48], une voie d’abord selon Misgav Ladach (ou Joel-Cohen), plus haute et plus respectueuse des muscles droits de l’abdomen, permettrait de diminuer de fac ¸on significative le taux de DCPC.

Chirurgie mammaire

La fréquence des DCPC après saphénectomie est d’environ 31 % [7]. La fréquence des NP est estimée à 19 % après l’analyse du DN4 [7]. Le nerf saphène peut être lésé lors d’un stripping de la grande veine saphène alors que le stripping de la petite veine saphène peut blesser le nerf sural. Un repérage per-échographique de ces nerfs avant chirurgie des varices, y compris lors des traitements endoveineux, a été proposé afin de préciser leur rapport avec les veines saphènes [49]. Des douleurs associées à des allodynies sont retrouvées dans le territoire sensitif de ces nerfs, face antérieure et médiale de la jambe et face postérieure et latérale de la jambe respectivement [49].

L’incidence du cancer du sein était en 2018 de 58 000 nouveau cas/an [32]. La fréquence des DCPC après mastectomie est estimée à environ 40 % [7]. La fréquence des DN est comprise entre 15 % et 37 % en fonction de l’analyse du DN4 [7,44]. Le tableau le plus classique de cette DP est le syndrome douloureux post mastectomie (SDPM). Il se caractérise par des dysesthésies avec des allodynies thoraciques (douleurs du sein fantôme), axillaires ou de la face interne du bras. Il est dû à une atteinte du nerf inter-costobrachial ou de ses branches lors de la mastectomie, mais le plus souvent lors du curage axillaire. Ce syndrome est plus fréquemment rencontré après mastectomie qu’après tumorectomie et après curage axillaire qu’après exérèse d’un ganglion sentinelle. Les facteurs de risques d’apparition de ces douleurs sont : des facteurs psychologiques, le diabète, une fibromyalgie, une chimiothérapie utilisant des taxanes, la radiothérapie, le nombre de ganglions envahis ainsi que les complications postopératoires (saignement, infections, lymphocèle) [7,44]. Les modalités de traitement sont identiques à la prise en charge des autres douleurs neuropathiques [7].

Césarienne La voie d’abord de Pfannenstiel est fréquemment utilisée en chirurgie gynécologique, mais aussi pour l’extraction de pièce opératoire après résection laparoscopique. Elle est, aussi, le plus souvent utilisée pour les césariennes (qui représentent 30 % des accouchements aux États-Unis) [45]. L’incidence des DCPC varie de 6 à 12 % avec cette voie d’abord [46,47]. Ces douleurs sont le plus souvent dues à une

Saphénectomie

Prévention Des efforts sont faits quotidiennement pour améliorer la gestion des douleurs postopératoires, surtout dans le contexte actuel de développement des protocoles de récupération rapide après chirurgie (RAAC), soutenu par la Haute Autorité de Santé. Cette stratégie est souvent associée à la chirurgie vidéo-assistée et certaines équipes ont publié leur protocole d’analgésie péri-opératoire en vigueur [50]. Bien que la littérature soit pauvre sur ce sujet, les recommandations techniques pour prévenir les DCPC sont les suivantes : • privilégier la voie mini-invasive, avec des écarteurs souples de type Alexis ; • pour la thoracoscopie, éviter de forcer sur l’espace intercostal en imposant une inclinaison forte sur l’optique ou bien utiliser un optique 30◦ ; • en thoracotomie, limiter l’écartement costal, éviter les fractures costales et envisager la résection d’un col de côte en cas de thorax rigide chez le sujet âgé.

Douleur neuropathique après chirurgie Il n’existe aucun rationnel dans la littérature pour préconiser l’utilisation prophylactique d’antiépileptiques [51]. De plus, la neurectomie intercostale prophylactique n’est pas recommandée [52]. La littérature est assez riche sur l’utilisation d’antagonistes du récepteur au NMDA en chirurgie thoracique (kétamine ; pas de littérature pour le mémantine), avec un bénéfice assez net sur le contrôle de la douleur aiguë postopératoire, mais le bénéfice pour la prévention des DCPC est plus difficile à admettre du fait de l’hétérogénéité des études [53].

Consensus d’experts sur la DN localisée La prise en charge des DN localisées, post-chirurgicales ou pas, a fait l’objet d’un consensus d’experts publié en 2017, encourageant l’utilisation des traitements topiques (emplâtre de lidocaïne ou de capsaïcine) [28]. Ils peuvent être utilisés en association avec d’autres traitements et analgésiques sans interaction médicamenteuse significative et sont à privilégier entre autres chez les sujets âgés, qui sont souvent déjà l’objet d’une poly-médication.

Conclusions L’impact de la DNCPC est tel qu’il est essentiel de la rechercher, la diagnostiquer puis la prendre en charge le plus précocement possible. Les efforts doivent se focaliser sur la prévention (amélioration des techniques chirurgicales, éviction des événements indésirables et des douleurs liées aux soins), le développement des analgésies locorégionales, la personnalisation du traitement (pharmacogénétique, analgésie à la carte, adaptée à l’âge. . .), mais également sur le parcours de soins du patient (sensibilisation des chirurgiens, anesthésistes, accessibilité aux centres d’évaluation et de traitement de la douleur). Suivant les recommandations en cours, le groupe d’experts préconise l’utilisation de traitements médicamenteux locaux, comme les emplâtres de lidocaïne 5 % ou de capsaïcine 8 %, pour le traitement de la douleur neuropathique localisée en première intention. Cependant, il ne faut pas négliger les atouts des antidépresseurs (tels que les tricycliques) et des anti-épileptiques (tels que la prégabaline et la gabapentine), qui outre leur action sur les DN, sont aussi bénéfiques sur les troubles du sommeil, les troubles anxieux et la dépression, qui sont potentiellement des composantes de la DN [23].

Déclaration de liens d’intérêts M. P. : activités de conseil ou de conférencier pour Ethicon, Grünenthal, Medtronic. A. L. : activités de conseil pour Grünenthal. C. D. : activités de conseil pour Grünenthal, Mundipharma. T. L. : activités de conseil pour Allergan, Grünenthal, Merz. M. L. M. : activités de conseil, à titre personnel ou pour le département d’évaluation et traitement de la douleur du CHU de Nice et/ou le FHU InovPain, pour Allergan, Amgen, Astellas, ATI, BMS, Boehringer, Boston Scientific, CoLucid, Convergence, Glaxo-SmithKline, Grunenthal, Lilly, Medtronic, Menarini, MSD, Novartis, Pfizer, ReckittBenckiser, Saint-Jude, Sanofi-Aventis, Teva, UCB, Zambon.

49

Points forts • La chirurgie est la 2e cause de douleurs neuropathiques. • Si les douleurs chroniques postopératoires tendent à s’estomper, celles à composante neuropathique paraissent se majorer avec le temps. • Le questionnaire Douleur Neuropathique en 4 questions (DN4) est un outil de choix pour dépister simplement et rapidement les douleurs neuropathiques. • La connaissance des facteurs de risque, l’évolution des gestes chirurgicaux, de l’anesthésie permet d’améliorer la prévention des douleurs chroniques postopératoires. • Il convient de privilégier les traitements topiques (emplâtre de lidocaïne ou de capsaïcine) dans la prise en charge de la douleur neuropathique localisée périphériques de l’adulte, en particulier chez les sujets âgés, souvent déjà l’objet d’une polymédication. J. M. : activités de conseil pour Astra Zeneca, Clovis Oncology, Grünenthal, Pierre Fabre, Pfizer. M. N. : activités de conseil et investisseur d’études multicentrique pour Astellas, Grünenthal, Novartis, Lilly. S. P. : activités de conseil pour Grünenthal. G. P. : activités de conseil, à titre personnel ou pour le centre de pharmacologie clinique/centre d’investigation clinique Inserm 1405 du CHU de Clermont-Ferrand, pour Astellas, Glaxo-SmithKline, Grünenthal, Kyowa-Kirin, Mundi Pharma, Mylan, Sanofi-Aventis. A. S. : activités de conseil et de conférencier pour Astellas, BMS, Eisai, Grünenthal, Mundipharma, Sanofi-Aventis, Takeda. E. V. : activités de conseil, d’investigateur d’études multicentriques ou de conférencier pour Air Liquide Europe, Astellas, Genzyme, Grünenthal, Merz France, Mundipharma, Nordic Pharma, Pfizer North Africa.

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