Qu’est-ce que le rhumatisme psoriasique ?

Qu’est-ce que le rhumatisme psoriasique ?

Rev Rhum [E´d Fr] 2002 ; 69 : 601-3 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833002003423/EDI ÉDITORIAL Qu...

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Rev Rhum [E´d Fr] 2002 ; 69 : 601-3 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833002003423/EDI

ÉDITORIAL

Qu’est-ce que le rhumatisme psoriasique ? Bernard Fournié* Service de clinique de rhumatologie, hôpital Purpan, place du Docteur-Baylac, 31059 Toulouse cedex, France

La réalité d’un rhumatisme propre aux sujets porteurs d’un psoriasis a été longtemps discutée et il n’est pas sûr que certains rhumatologues n’éprouvent pas encore de sérieux doutes à ce propos. La lecture attentive des publications qui se sont succédées depuis sa description par Alibert en 1822 et Bourdillon en 1888 ne peut que susciter l’incertitude tellement les constatations sont différentes selon les époques et les écoles. Si l’existence du rhumatisme psoriasique (RP) ne semble pas, aujourd’hui, remise en cause, la polémique concernant sa véritable nature n’est toujours pas éteinte. Elle nous paraît indissociable des notions de spondylarthropathie, d’enthèse et d’enthésopathie inflammatoire. LES SPONDYLARTHROPATHIES INFLAMMATOIRES (SAI) L’histoire commence par la séparation de la spondylarthrite ankylosante (SA) et de la polyarthrite rhumatoïde (PR) qui survient en même temps qu’apparaît la notion de « spondylarthrites séronégatives ». Bien qu’imparfait, le terme veut suggérer deux constatations fondamentales. La première, bien connue, est l’association d’arthrites périphériques, d’une sacro-iliïte et de manifestations inflammatoires de tout le rachis. La seconde est l’absence habituelle de facteur rhumatoïde à la réaction de Waaler-Rose. Le grand mérite de Moll et Wright [1] a été de regrouper autour de la SA, limitée jusque là à sa forme « commune », toute une série de rhumatismes comme le syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter, le RP, les rhu-

*Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (B. Fournié).

matismes entérocolopathiques et d’en souligner les associations familiales ou même personnelles. Comme on le sait, le rhumatisme de la pustulose palmoplantaire [2, 3] et celui des acnés graves – réunis sous l’acronyme « SAPHO » par Kahn et Chamot [4] – sont venus enrichir le groupe. Le dénominateur commun de ces rhumatismes n’est pas à chercher du côté de la biologie, qui est fluctuante et floue, mais plutôt dans le concept d’enthèse et de « territoire enthésique ». L’ENTHÈSE La cible des SAI est l’enthèse, alors que celle de la PR est la membrane synoviale. L’atteinte synoviale est connue dans les SAI, mais elle reste contingente et sa nature n’est pas exactement superposable à celle de la synovite rhumatoïde. Elle est généralement moins agressive et évolue plus rapidement vers l’extinction fibreuse. Le terme d’enthèse vient du grec enthesis qui signifiait initialement introduction ou insertion d’une lettre dans un mot (Platon), secondairement l’action de mettre des aliments dans la bouche (Phérécrate). Par extension, il a été utilisé dans le sens de « greffe » (Geoponicorum) et se retrouve dans une compilation sur l’agriculture écrite probablement sous les auspices de Constantin Porphyrogénète par Cassianus Basus. En 1959, La Cava l’utilise pour la première fois dans son sens moderne d’ « insertion tendineuse », et le mot figure dans le Medical Dictionary de Dorland (Saunders Company, 26e ed 1981) avec deux acceptions : utilisation de matériel artificiel pour restaurer un défaut ou une difformité corporels ; site d’attachement osseux d’un muscle ou d’un tendon. Dans un article plus récent, Niepel et Sit’aj [5] comprennent sous le terme d’enthèse les insertions osseuses

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B. Fournié

des tendons, des ligaments et des capsules, et précisent que ce terme englobe également le périténon et les annexes des tendons : les bourses séreuses, les tissus fibreux et les paquets adipeux péri-tendineux ainsi que les os sésamoïdes. En 1993, nous avons proposé [6] d’élargir le concept d’enthèse à celui de « territoire enthésique » qui associe aux enthèses « communes » d’autres structures fibreuses qui leur sont apparentées. Ces structures sont celles que Poirier, Charpy et Nicolas (Traité d’Anatomie Humaine, tome 1, Arthrologie, Masson et Cie Éd, 1911) classent comme amphiarthroses typiques (symphyses pubienne et manubriosternale, disque intervertébral) qui sont de véritables ligaments interosseux, et comme diarthroamphiarthroses (région sacro-iliaque, articulations du thorax, distalité des doigts et des orteils) qui sont des articulations mixtes mieux pourvues en ligaments ou fibrocartilages qu’en synoviale. Le territoire enthésique à synoviale absente ou raréfiée, mais par contre riche en enthèses, recoupe exactement celui des SAI dont on sait maintenant que la lésion principale est l’enthésopathie inflammatoire ou enthésite. L’ENTHÉSITE L’enthésite est la lésion privilégiée des SAI. Elle a été bien étudiée par Ball [7] et, en France, par Gaucher, Péré, Gillet et Paolaggi [8-12]. Ces auteurs ont montré que l’enthésopathie inflammatoire débute par une ostéite condensante et destructrice –qui correspond à l’inflammation de la zone intra-osseuse de l’enthèse – suivie d’une reconstruction ossifiante cicatricielle (syndrome d’hyperostose-ostéite). A. Fournié [13] a insisté sur la possibilité d’une périostite de voisinage complétant ainsi le tableau de l’enthésite en une triade radiologique hyperostose-ostéite-périostite. Pour être exhaustif, nous pensons [6] qu’une contamination de la moelle osseuse est possible à partir du foyer d’ostéite initial. Elle expliquerait les cas d’ostéomyélite aseptique que l’on observe dans certaines SAI avec atteinte cutanée (RP, SAPHO) ou dans des affections plus mystérieuses – que nous rangeons volontiers dans les spondylarthropathies – comme l’ostéomyélite récurrente multifocale chronique de Björksten et comme l’hyperostose sterno-costo-claviculaire de Köhler. L’ostéolyse, l’ostéocondensation, l’ostéopériostite et l’hyperostose (qui donne indifféremment un enthésophyte, une épine, un syndesmophyte ou une ankylose) sont autant de signes qui doivent faire évoquer une

inflammation de l’enthèse. La sacro-iliite qui lyse, puis condense et enfin ankylose est l’illustration dynamique la plus parfaite d’une enthésite. LE RHUMATISME PSORIASIQUE Le RP est une SAI, et c’est sûrement celle qui a la plus grande affinité pour les enthèses. Il est instructif de voir que, contrairement à la PR, le RP s’attaque préférentiellement aux articulations interphalangiennes distales, à la région sacro-iliaque, au rachis, à la région sterno-costo-claviculaire et aux zones d’insertion tendineuse comme le pourtour du bassin et le calcanéum. Chacune de ces cibles est une composante du territoire enthésique que nous avons évoqué précédemment. Les arthrites interphalangiennes, mises en exergue par Avila [14] dont on connaît les cinq critères, appellent la remarque qu’elles évoluent plus sur un modèle enthésopathique qu’arthropathique [15]. C’est ainsi qu’en dehors du critère 1, très banal s’il n’est pas localisé à l’articulation interphalangienne distale, aucun autre critère n’est applicable à l’évolution radiologique de l’arthrite rhumatoïde. Nous prendrons comme exemple hautement caractéristique la coexistence (sur deux articulations) et surtout la succession (sur la même articulation) d’une ostéolyse et d’une ankylose sur lesquelles A. Fournié [16] a insisté très tôt. L’extrémité des doigts et des orteils est non seulement beaucoup plus riche en tissu fibreux que synovial, mais elle est encore le siège d’un système enthésique très particulier entre ongle, pulpe et phalangette. Ainsi s’explique qu’à côté de la formule « arthropathique » classique on puisse rencontrer une formule « nonarthropathique » de type ostéopériosté comme l’OP3GO [17] – et ses localisations hors du gros orteil – ou de type ostéolytique comme la résorption des houppes, voire l’acro-ostéolyse. Le RP est autonome, et cette constatation ne repose pas seulement sur son association habituelle au psoriasis – seule une minorité de psoriasis est arthropathique et le psoriasis peut accompagner de façon fortuite un autre rhumatisme – mais surtout sur sa grande originalité « rhumatologique ». Il faut savoir la reconnaître au travers d’un polymorphisme déconcertant en début d’évolution, car au fil des années, formes périphériques et rachidiennes se mélangeront, confortant ainsi l’idée de l’unité du RP [18]. Le « portrait-robot » du RP est le suivant : – un psoriasis ou un antécédent de psoriasis (personnel ou familial) dans 90 % des cas ;

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– un syndrome rachidien déformant la colonne cervicodorsale qui s’ankylose en cyphose créant une flèche occipitale, l’indice de Schober restant habituellement normal ; – une sacro-ilïte atypique, volontiers unilatérale, d’expression clinique faible ou nulle et radiologiquement « pauvre », à rechercher systématiquement ; – une préférence marquée pour la distalité des doigts et des orteils, avec dans un tiers des cas des lésions radiologiques de type enthésopathique (d’où la nécessité d’utiliser des incidences particulières pour visualiser correctement les articulations interphalangiennes distales et la phalangette comme l’incidence de Brewerton pour les doigts et le déroulé oblique de Hirtz et Chaumet pour les orteils) ; – généralement l’absence de facteur rhumatoïde, et dans la moitié des cas un HLA B27, B16 (38, 39) ou B17. Comme nous le voyons, le RP tire son originalité beaucoup plus de son profil radioclinique que de sa biologie qui est décevante. Dans un travail récent sur les « critères de classification du RP » [19] – comparant le RP avec la PR et la SA – sept des neuf critères qui ont été retenus sont entièrement consacrés à la clinique. Parmi les signes radiographiques, seuls les critères radiologiques doigts-orteils (CRDO) ont été statistiquement significatifs prouvant, s’il était encore nécessaire, que c’est par son atteinte acromélique enthésopathique que le RP est le plus évocateur. QU’EST-CE QUE LE RP ? Pour toutes les raisons que nous venons de voir, nous pensons que le RP est un rhumatisme sans rapport avec la PR et appartenant au groupe des SAI. Mais c’est aussi un rhumatisme autonome et original qui doit être distingué des autres rhumatismes de ce groupe car si les SAI ont entre elles de nombreuses ressemblances qui autorisent leur rapprochement, chacune garde sa spécificité clinique et étiologique. Ainsi le clinicien ne doit-il pas se contenter du terme général de « spondylarthropathie » sans aller plus loin et chercher à les séparer nettement les unes des autres. RE´FE´RENCES 1 Wright V, Moll JMH. Seronegative polyarthritis. Amsterdam : Elsevier North Holland ; 1976. p. 169-235. 2 Sonozaki H, Mitsui H, Miyanaga Y, Okitsu K, Igarashi M, Hayashi Y, et al. Clinical features of 53 cases with pustulotic arthro-osteitis. Ann Rheum Dis 1981 ; 40 : 547-53.

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3 Sonozaki H, Kawashima M, Hongo O, Yaoita H, Ikeno M. Matsuura M, et al. Incidence of arthro-osteitis in patients with pustulosis palmaris and plantaris. Ann Rheum Dis 1981 ; 40 : 554-7. 4 Chamot AM, Benhamou Cl, Kahn MF, Beraneck L, Kaplan G, Prost A. Le syndrome acné-pustulose-hyperostose-ostéite (SAPHO). Résultats d’une enquête nationale. Quatre-vingtcinq observations. Rev Rhum Mal Ostéoartic 1987 ; 54 : 187-96. 5 Niepel GA, Sit’aj S. Enthesopathy. Clin Rheum Dis 1979 ; 5 : 857-72. 6 Fournié B. Le territoire enthésique et le syndrome d’hyperostoseostéite-périostite (HOP). Une approche nosologique radioclinique des spondylarthropathies inflammatoires. Rev Rhum [Ed Fr] 1993 ; 60 : 485-8. 7 Ball J. Enthesopathy of rheumatoid and ankylosing spondylitis. Ann Rheum Dis 1971 ; 30 : 213-23. 8 Gaucher A, Péré P, Regent D, Gradhaye P, Aussedat R, Vivard T. Les polyenthésites ossifiantes, arguments scintigraphiques et scanographiques. Rev Rhum Mal Ostéoartic 1987 ; 54 : 243-8. 9 Gaucher A, Péré P. Les enthésiopathies ossifiantes. De la maladie de Forestier à la spondylarthrite ankylosante. Rev Rhum Mal Ostéoartic 1987 ; 54 : 537-8. 10 Gillet P, Banwarth B, Netter P, Morel O, Péré P, Gaucher A. Experimental auto-immune spondylodiscitis associated with type II collagen induced arthritis. J Rheumatol 1987 ; 14 : 856-8. 11 Paolaggi JB, Strutz P, Goutet MC, Leparc JM, Siaud JR, Auquier L. Recherche systématique des enthésopathies au cours des rhumatismes chroniques. Résultats et signification pathologique. Rapport avec la spondylite érosive et les autres lésions tendineuses ou synoviales. Rev Rhum Mal Ostéoartic 1984 ; 51 : 451-6. 12 Paolaggi JB, Goutet MC, Strutz P, Siaud JR, Leparc JM, Auquier L. Les enthésopathies, description clinique, radiologique et anatomique. État actuel de la question. À propos de 37 observations. Rev Rhum Mal Ostéoartic 1984 ; 51 : 457-62. 13 Fournié A, Bouvier M, Fournié B, Colson F, Ayrolles C, Labre JP. Hyperostose-ostéite-périostite, triade radiologique des enthésopathies. Remarques à propos de deux localisations fémorales inhabituelles. Rev Rhum Mal Ostéoartic 1989 ; 56 : 763-6. 14 Avila R, Pugh DG, Slocumb C, Winkelmann RK. Psoriatic arthritis : a roentgenologic study. Radiology 1960 ; 75 : 691702. 15 Fournié B, Granel J, Bonnet M, Dromer C, Pages M, Billey T, et al. Fréquence des signes évocateurs d’un rhumatisme psoriasique dans l’atteinte radiologique des doigts et des orteils. À propos de 193 cas d’arthropathie psoriasique. Rev Rhum Mal Ostéoartic 1992 ; 59 : 177-80. 16 Fournié A. Rhumatisme psoriasique. Rhumatologie 1968 ; XX : 13-9. 17 Fournié B, Viraben R, Durroux R, Lassoued S, Gay R, Fournié A. L’onycho-pachydermo-périostite psoriasique du gros orteil. Étude anatomoclinique et approche physiopathogénique à propos de quatre observations. Rev Rhum Mal Ostéoartic 1989 ; 56 : 579-82. 18 Fournié A, Ayrolles CH, Sellami S, Guyard C, Fournié B. Histoire naturelle du rhumatisme psoriasique. Étude prospective sur 82 cas. Rev Rhum Mal Ostéoartic 1980 ; 47 : 309-16. 19 Fournié B, Crognier L, Arnaud C, Zabraniecki L, LascauxLefebvre V, Marc V, et al. Proposition de critères de classification du rhumatisme psoriasique. Étude préliminaire de 260 patients. Rev Rhum [Ed Fr] 1999 ; 66 : 513-24.