Sclérœdème de Buschke chez un diabétique : traitement par immunoglobulines intraveineuses

Sclérœdème de Buschke chez un diabétique : traitement par immunoglobulines intraveineuses

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 360—363 CAS CLINIQUE Sclérœdème de Buschke chez un diabétique : traitement par immunoglobulin...

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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 360—363

CAS CLINIQUE

Sclérœdème de Buschke chez un diabétique : traitement par immunoglobulines intraveineuses Scleroedema adultorum Buschke in a diabetic subject: Intravenous immunoglobulin therapy C. Barde ∗, I. Masouyé , J.-H. Saurat , F.-A. Le Gal Service de dermatologie et vénéréologie, hôpital universitaire de Genève, 24, rue Micheli-Du-Crest, 1211 Genève 14, Suisse Rec ¸u le 21 avril 2008 ; accepté le 24 septembre 2008 Disponible sur Internet le 26 f´ evrier 2009

MOTS CLÉS Sclérœdème ; Buschke ; Diabète ; Immunoglobulines intraveineuses



Résumé Introduction. — Le sclérœdème de Buschke est une maladie rare caractérisée par un œdème scléreux du cou et des épaules, pouvant s’étendre au reste du tronc et aux membres, mais épargnant de manière caractéristique les extrémités. On en distingue classiquement trois types : le premier, aigu, apparaissant après un épisode infectieux ; le deuxième, d’évolution insidieuse, associé à une gammapathie monoclonale ; et le troisième, associé au diabète de type 2. Observation. — Nous relatons ici le cas d’un patient atteint d’un diabète de type 2, qui a présenté un blindage œdémateux progressif du tronc avec une diminution de la mobilité, une dysphagie et un syndrome respiratoire restrictif. Le diagnostic de sclérœdème de Buschke (SB) a été posé d’après le tableau clinique et l’histologie. Le retentissement de la maladie imposait un traitement qu’il fallait cependant choisir en veillant à ne pas aggraver les comorbidités. Un traitement par immunoglobulines intraveineuses (IgIV) a donc été initié, avec une excellente réponse sur la dysphagie et la mobilité du tronc dès le premier cycle. L’amélioration de la rigidité du tégument s’est régulièrement poursuivie jusqu’à la fin du traitement (huit cycles). Conclusion. — Si l’abstention est la règle quand le sclérœdème n’a pas de retentissement fonctionnel sévère, aucun traitement n’est bien codifié lorsqu’il s’avère nécessaire. Le traitement du diabète sous-jacent n’améliore généralement pas le sclérœdème, et le syndrome métabolique contre-indique la plupart des traitements rapportés dans la littérature. Nous proposons ici une alternative thérapeutique pour le SB du patient diabétique. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Barde).

0151-9638/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2008.09.024

Sclérœdème de Buschke chez un diabétique

KEYWORDS Scleroedema adultorum; Buschke; Diabetes; Intravenous immunoglobulins

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Summary Background. — Scleroedema adultorum Buschke (SB) is a rare disease involving scleroedema of the neck and shoulders. It can extend to the rest of the trunk and the limbs but characteristically spares the extremities. Three types of SB are distinguished: the first is acute and develops after an infectious disease, the second is of insidious evolution and is associated with monoclonal gammopathy, and the third is associated with type 2 diabetes. Patients and methods. — We report the case of a type 2 diabetic patient presenting with progressive, oedematous timbering of the trunk associated with impaired mobility, dysphagia and restrictive respiratory syndrome. SB was diagnosed on the basis of clinical presentation and histology. Treatment was mandatory because of the adverse impact of the disease. A therapy that would not worsen the patient’s comorbidities had to be chosen. Intravenous immunoglobulins were thus initiated with excellent response as of the first cycle regarding trunk mobility and dysphagia. Cutaneous rigidity improved steadily until the end of treatment (eight cycles). Conclusion. — Therapeutic abstention is the rule in SB if it has no severe functional repercussions. Nevertheless, there is no clearly indicated treatment once therapy becomes necessary. Control of underlying diabetes usually does not improve the scleroedema and the metabolic syndrome contraindicates most of the treatments reported in the literature. In this article, we suggest a new treatment of SB in the diabetic patient. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Le sclérœdème de Buschke (SB) est caractérisé par un œdème scléreux en pèlerine qui peut s’étendre progressivement au tronc et aux membres, mais épargne les extrémités. On en distingue classiquement trois types : le premier est aigu, post-infectieux et spontanément résolutif ; les deux autres, d’installation insidieuse et d’évolution chronique, sont classiquement associés à une gammapathie monoclonale (type 2) ou à un diabète (type 3) [1]. Le sclérœdème associé au diabète n’est généralement pas spontanément résolutif. Aucun traitement n’est codifié pour cette pathologie, car aucun n’a fait la preuve de son efficacité de fac ¸on reproductible. Corticothérapie, ciclosporine, radiothérapie, méthotrexate, thalidomide, photophérèse et photothérapie font partie des options rapportées dans des cas cliniques et petites séries [2].

Observation Un homme de 60 ans atteint d’un diabète de type 2, traité depuis dix ans par insuline, présentait un œdème infiltré de la nuque s’étendant progressivement aux épaules, au dos puis aux faces externes des deux bras. Un prurit de la nuque avait précédé de deux ans l’apparition du sclérœdème. Le diagnostic de SB était posé devant le tableau clinique (Fig. 1) et l’analyse histologique d’une biopsie cutanée qui montrait un derme épaissi avec, entre les faisceaux de collagène élargis, de larges espaces contenant des dépôts de mucine (Fig. 2a et b) bien visibles sur toute la hauteur du derme après coloration au fer colloïdal. Une atteinte œsophagienne, confirmée radiologiquement par fluoroscopie (transit œsophagien), entraînait une dysphagie haute. Il existait un syndrome pulmonaire restrictif (capacité pulmonaire totale à 88 % de la théorique) dont nous ne pouvons affirmer qu’il fût en relation avec le SB dans la mesure où il existait aussi une obésité (index

Figure 1. Cou et tronc du patient montrant un épaississement induré correspondant à l’œdème scléreux en pèlerine caractéristique du sclérœdème de Buschke.

de masse corporelle 33 kg/m2 ), et que les résultats de la spirométrie ne se sont pas améliorés par la suite. Les examens biologiques initiaux montraient l’absence de gammapathie monoclonale, de facteurs antinucléaires, d’anticorps anti-ADN natifs, antinucléoprotéines, antithyréoglobulines, antithyréopéroxydase et antirécepteurs de la TSH. Le diabète était mal équilibré, avec des épisodes d’hypoglycémies nocturnes et matinales, mais une hémoglobine glyquée peu élevée à 6,4p100 (N < 6). Il n’existait pas d’argument pour une macroangiopathie. On notait une albuminurie à 0,28 g/24 h (N < 0,3), mais une hyperfiltration glomérulaire avec clairance de la créatinine à 140 ml/min, premier signe de néphropathie diabétique. Il n’existait pas de rétinopathie. Il existait, en revanche, une poly-

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C. Barde et al.

Figure 2. (a) et (b) : Coupes histologiques montrant (a) le derme superficiel et (b) le derme profond avec des dépôts de mucine colorés en bleu au fer colloïdal entre des faisceaux de collagène épaissis.

neuropathie sensitivomotrice myélinique et axonale mise en évidence à l’électroneuromyographie. Enfin, le patient présentait une hypertension artérielle (pression artérielle humérale 154/85 mmHg sous traitement antihypertenseur) et une hypercholestérolémie (LDL : 4,81 mmol/L, N < 4, rapport cholestérol total/cholestérol HDL : 6,6, N < 5, rapport LDL/HDL : 4,81, N < 4). Un traitement par immunoglobulines intraveineuses (IgIV) par cures de 0,45 g/kg par jour pendant trois jours a été instauré. Le traitement a été parfaitement toléré. Il a permis dès la première cure la disparition de la dysphagie et une excellente réponse sur la mobilité des hanches (flexion/rotation mesurée par la possibilité de pose de la jambe sur la cuisse controlatérale) et des épaules (rotation interne/abduction mesurée par préhension dans le dos de l’avant-bras par la main controlatérale et mesure de la distance entre celle-ci et le coude controlatéral). Après deux perfusions, le malade pouvait à nouveau joindre les mains au-dessus de la tête les bras en extension, s’asseoir sur des sièges bas et se relever sans aide, monter sans difficulté les marches d’escalier deux à deux, alors qu’il pouvait difficilement les enjamber une à une avant le traitement. Si le sclérœdème n’a pas totalement disparu, l’amélioration de la rigidité du tégument, évaluée notamment par la palpation des os saillants des épaules (acromions), s’est régulièrement poursuivie jusqu’à la fin du traitement (huit cycles espacés de six semaines pour les trois premiers puis de quatre mois en moyenne en fonction des disponibilités du patient), où les mouvements du tronc et des membres n’étaient plus limités par l’infiltration cutanée. Seule la rotation de la tête ne s’est que partiellement améliorée, atteignant 60◦ à droite et à gauche, mais l’existence d’une cervicarthrose peut en être en partie responsable. Une année après la fin du traitement, le gain sur la mobilité se maintenait.

Discussion Le sclérœdème associé au diabète s’observe surtout chez les hommes en surpoids. Il s’installe de fac ¸on insidieuse et évolue de fac ¸on chronique, sans guérison spontanée, contrairement au sclérœdème post-infectieux qui s’amende généralement après quelques mois [1]. Avec une prévalence rapportée de 2,5 à 14 % selon les séries [3], la fréquence du SB chez le diabétique est difficile à évaluer, d’autant que les malades ne se rendent pas toujours compte des changements cutanés insidieux. Il appartient donc au médecin d’être particulièrement attentif à tout signe d’infiltration cutanée chez un patient diabétique [4]. La survenue du SB au cours du diabète de type 2 paraît liée à un mauvais équilibre glycémique [4]. Pourtant, l’amélioration de ce paramètre par une optimisation du traitement (régime, antidiabétiques oraux, insuline) ne semble pas faire régresser le SB [5]. Outre l’atteinte cutanée, qui a surtout un retentissement esthétique— mais aussi mécanique comme chez notre patient —, le SB peut aussi être responsable d’épanchements pleuraux et péricardiques, de cardiomyopathie, d’anomalies oculaires, de dysphagie, d’atteintes osseuses, articulaires, parotidiennes, nerveuses et hépatospléniques [3]. C’est pourquoi un traitement spécifique est parfois nécessaire. Chez notre malade, la dysphagie, le syndrome restrictif et la diminution de la mobilité imposaient un traitement. Les comorbidités excluaient le recours à plusieurs des traitements rapportés dans la littérature, notamment la ciclosporine (HTA), la corticothérapie générale (diabète) et le thalidomide (polyneuropathie). Le phototype VI ne favorisait pas a priori l’efficacité de la photothérapie. Finalement, les IgIV semblaient une bonne alternative thérapeutique. Ce traitement est généralement très bien toléré. En effet, la plupart des effets secondaires rapportés sont modérés et transitoires et ont lieu dans la demi-heure qui suit

Sclérœdème de Buschke chez un diabétique le début de la perfusion. Il s’agit alors de symptômes pseudo grippaux, comportant notamment des céphalées. Flush, fièvre, frissons, fatigue, nausée, diarrhée, tachycardie et variations de pression artérielle peuvent également se manifester de fac ¸on transitoire. Une diminution de la vitesse de perfusion suffit généralement à la disparition de ces symptômes. Les effets secondaires tardifs peuvent être sévères, mais restent rares. Les plus importants sont l’insuffisance rénale aiguë et les accidents thromboemboliques. L’insuffisance rénale peut survenir dans les dix jours après la perfusion. Elle est habituellement réversible. Les facteurs de risque pour cette complication sont une pathologie rénale préexistante, une hydratation insuffisante, un âge avancé, un diabète, une hyperviscosité et la prise concomitante de médicaments néphrotoxiques. Une bonne hydratation et une vitesse de perfusion lente sous surveillance du bilan rénal permettent d’éviter cette complication. Les accidents thromboemboliques (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, thrombose veineuse profonde ou embolie pulmonaire) surviennent surtout en cas d’athérosclérose, lors de l’administration d’une dose excessive d’IgIV ou à une vitesse de perfusion rapide. Les IgIV sont donc une alternative thérapeutique sûre chez des patients avec peu de facteurs de risque, sous réserve d’une bonne hydratation, d’une administration lente et sous surveillance étroite de la fonction rénale [6]. La physiopathologie du SB est mal connue. Elle semble impliquer des processus analogues à d’autres maladies fibrosantes par accumulation de composants de la matrice extracellulaire [2]. L’augmentation de l’expression du gène du collagène I et des métalloprotéases matricielles témoigne de l’activation des fibroblastes, mais le facteur déclenchant ce processus reste inconnu [7]. Dans le SB associé à une gammapathie monoclonale, des facteurs sériques stimulant la production de collagène par les fibroblastes ont été mis en évidence, mais pas identifiés [8]. Chez les diabétiques, il semble qu’un mauvais équilibre glycémique joue un rôle favorisant sur la fibrose cutanée, tout comme sur les néphropathies et les neuropathies diabétiques, qui impliquent aussi des processus fibrosants [2]. Les IgIV ont montré un rôle bénéfique dans les processus fibrosants tels que la sclérodermie systémique [9] et le scléromyxœdème [10], la dermopathie fibrosante néphrogénique [11], mais aussi dans les myopathies inflammatoires [12], la fibrose pulmonaire ou myocardique [13]. Les mécanismes d’action des IgIV sont multiples : modulation de l’expression et de la fonction des récepteurs Fc, de la production de cytokines, de l’activation, de la différenciation et des fonctions effectrices des lymphocytes T et B, inhibition de l’activation du complément [14]. L’efficacité de ce traitement dans les maladies fibrosantes peut s’expliquer par son action sur différents protagonistes connus dans la formation de la fibrose. Le TGF-␤, cytokine profibrosante, est modulé [13] par les IgIV, de même que l’activité

363 des métalloprotéases. Les anticorps anti-PDGFR, dont le rôle profibrosant a été montré dans la sclérodermie systémique, sont neutralisés, ainsi que les anticorps stimulants antifibroblastes, qui ont récemment été identifiés dans la sclérodermie [15]. Les IgIV, dont le rôle a déjà été montré dans d’autres maladies scléreuses de la peau, sont donc une alternative intéressante dans le sclérœdème du diabétique, lorsqu’un traitement s’avère nécessaire.

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