Cancer/Radiothérapie 17 (2013) 202–207
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Article original
Tolérance et efficacité de la radiothérapie préopératoire chez les patients âgés atteints d’un cancer du rectum Tolerance and efficacy of preoperative radiation therapy for elderly patients treated for rectal cancer E. Le Fur a,∗ , G. Chatellier b , A. Berger c , J.-F. Émile d , B. Dousset e , B. Nordlinger f , O. Berges a , M. Deberne a , B. Dessard-Diana a , M. Henni a , P. Giraud a , M. Housset a , C. Durdux a a
Service de radiothérapie, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France Service de statistiques, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France Service de chirurgie digestive, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France d Service d’anatomopathologie, hôpital Ambroise-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, France e Service de chirurgie digestive, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France f Service de chirurgie digestive, hôpital Ambroise-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, France b c
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 18 novembre 2012 Rec¸u sous la forme révisée ´ 2012 le 22 decembre Accepté le 31 janvier 2013 Mots clés : Cancer rectal Âge Radiothérapie Néoadjuvant
r é s u m é Objectif. – Évaluer rétrospectivement l’impact de l’âge sur la morbidité et les résultats oncologiques de la radiothérapie néoadjuvante du cancer rectal chez des patients de 70 ans ou plus. Patients et méthodes. – Quatre-vingt-onze patients consécutifs ont été divisés en trois terciles : groupe 1, 70 à 75 ans (n = 31), groupe 2, 76 à 79 ans (n = 31) et groupe 3, 80 ans ou plus (n = 29). La radiothérapie a été délivrée selon deux schémas : 25 Gy en cinq fractions (schéma court) ou 45–50 Gy en fractionnement classique (schéma long) avec une chimiothérapie concomitante par 5-fluoro-uracile seule ou associée à de l’oxaliplatine. Résultats. – Les trois groupes étaient comparables en termes d’indice de performance, de score de Charlson et de stade T. Le schéma long a été utilisé dans 77,5, 74,5, et 48,3 % des groupes 1, 2 et 3 (p = 0,03) et une chimiothérapie était associée dans respectivement 77,4, 71 et 41,4 %, (p = 0,006). Tous les patients traités avec le schéma court ont rec¸u le traitement prévu sans toxicité aiguë. Dans le groupe traité avec le schéma long, l’observance du traitement a été de 65 % et le taux de toxicité aiguë de grade 3 ou plus de 12 % sans oxaliplatine et 48 % avec oxaliplatine. Les probabilités de survie globale à trois et cinq ans étaient respectivement de 66,9 % et 60,8 % dans le groupe 1, 90,5 % et 75,9 % dans le groupe 2 et 80,5 % et 73,8 % dans le groupe 3 (p = 0,15). Conclusion. – Chez les patients de 70 ans ou plus, un traitement néoadjuvant doit être privilégié et le schéma court semble être une bonne option. © 2013 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Rectal cancer Elderly Preoperative Radiotherapy
Purpose. – To retrospectively assess the impact of age on tolerance and oncologic outcomes treated by neoadjuvant treatment for patients of 70 years old or above with locally advanced rectal cancer. Patients and methods. – Ninety-one consecutive patients were divided into three groups: group 1 from 70 to 75 years (n = 31); group 2: 76 to 79 years (n = 31) and group 3, patients aged 80 years or above (n = 29). Radiation therapy was delivered according two schemes: 25 Gy in five fractions (short scheme) or 45 to 50 Gy with a classical fractionation (long scheme). Long scheme patients received a concomitant chemotherapy with 5-fluoro-uracile alone or associated with oxaliplatin. Results. – The three groups were comparable for performance status, Charlson’s score and T staging. Long scheme radiation therapy and chemotherapy were performed in 77.5, 74.5 and 48.3% of patients (P = 0.03) and 77.4, 71 and 41.4% (P = 0.006) in the groups 1, 2 and 3, respectively. All patients treated with the short
∗ Auteur correspondant. Service de radiothérapie, CHU de Morvan, 5, avenue Foch, 29200 Brest, France. Adresse e-mail :
[email protected] (E. Le Fur). 1278-3218/$ – see front matter © 2013 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2013.01.013
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scheme irradiation received the treatment without any acute toxicity. In the long scheme group, 65% of patients received the treatment on time and grade 3 or above toxicity was observed in 12% of patients who did not receive oxaliplatin and in 48% of patients who received oxaliplatin. The overall survival rate at 3 and 5 years was 66.9% and 60.8% in the group 1, 90.5% and 75.9% in the group 2 and 80.5% and 73.8% in the group 3 (P = 0.15). Conclusion. – Neoadjuvant treatment is feasible with encouraging survival rates for patients aged 70 years and older. Short scheme radiation therapy seems to be an interesting option in this population. © 2013 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction En 2005, selon l’Institut national du cancer (InCa), environ 12 000 cancers du rectum ont été diagnostiqués en France à un âge moyen de 70 ans pour les hommes et 73 ans pour les femmes [1]. L’incidence augmentant avec l’âge, atteignant un taux de 416 pour 100 000 hommes au-delà de 85 ans [2], ce type de tumeur représente un réel enjeu de santé publique et pose la question de sa prise en charge sous l’angle gériatrique. La chimio-radiothérapie préopératoire suivie de l’excision complète du mésorectum est devenue le standard thérapeutique des tumeurs du rectum sous-péritonéales localement évoluées (stades T3 et T4 et/ou atteinte ganglionnaire). Deux schémas de radiothérapie préopératoire sont validés selon un niveau de preuve I (25 Gy en cinq fractions, 45 à 50,4 Gy à raison de 1,8 ou 2 Gy/fraction) [3]. Ils ont montré un bénéfice en termes de contrôle local [4–8]. Ce traitement lourd pose donc problème chez des patients âgés, qui ont souvent des « comorbidités » associées. Or, les études démontrant un bénéfice de la radiothérapie préopératoire ont inclus peu de patients âgés. Nous avons donc rétrospectivement repris les données de l’ensemble des patients âgés de 70 ans ou plus traités par irradiation néoadjuvante pour un cancer du rectum, à l’hôpital européen Georges-Pompidou, entre janvier 2001 et décembre 2010. Afin de juger de l’impact de l’âge sur la tolérance et les résultats oncologiques, les patients ont été divisés en trois terciles : 70 à 75 ans, 76 à 79 ans et 80 ans et plus. 2. Patients et méthodes 2.1. Sélection et caractéristiques des patients De janvier 2001 à décembre 2010, 91 patients consécutifs âgés de 70 ans ou plus ont été traités par irradiation préopératoire, associée ou non à une chimiothérapie concomitante, pour un cancer du rectum localement évolué dans le service de radiothérapie de l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris. Le stade tumoral a été défini selon la classification TNM, après un examen clinique (toucher rectal), une échoendoscopie, une IRM et une scanographie thoraco-abdominopelvienne. L’état général et les « comorbidités » ont été respectivement évalués selon la classification de l’OMS et le score de Charlson [9]. La classification CTCAE v3 (Common Terminology Criteria for Adverse Events, version 3.0) a été utilisée pour déterminer la toxicité aiguë. Un consentement pour le traitement et l’utilisation des données médicales a été obtenu pour chaque patient inclus. 2.2. Radiothérapie Tous les patients ont été traités par irradiation conformationelle tridimensionnelle avec une technique utilisant trois ou quatre faisceaux de photons de 6 à 18 MV. Le volume cible anatomoclinique incluait le lit tumoral, le mésorectum, les aires ganglionnaires présacrés et iliaques internes. Les fosses ischiorectales étaient incluses si une amputation abdominopérinéale était prévue. Une
dosimétrie a été réalisée en trois dimensions (système de planification Pinnacle® ou Eclipse® ). La dose a été prescrite au point de l’International Commission on Radiation Units and Measurements (ICRU). La dose au volume cible était située entre 95 % et 107 % de la dose prescrite, conformément au rapport 62 de l’ICRU. La radiothérapie a été délivrée selon deux schémas : 25 Gy en cinq fractions (schéma court) ou 45 à 50 Gy à raison de 1,8 à 2,25 Gy par fraction (schéma long). Le type de schéma était laissé au choix de l’oncologue radiothérapeute. Une évaluation gériatrique préthérapeutique était optionnelle. 2.3. Chimiothérapie concomitante Les patients traités selon un schéma court de radiothérapie ne recevaient pas de chimiothérapie concomitante. Deux régimes de chimiothérapie ont été utilisés pour les patients traités selon un schéma long de radiothérapie : 5fluoro-uracile (225 mg/m2 /j en perfusion continue) associée à l’oxaliplatine (50 mg/m2 /j, une fois par semaine) ou 5-fluorouracile (225 mg/m2 /j) ou capécitabine (1600 mg/m2 /j). Le type de chimiothérapie était laissé au libre choix de l’oncologue radiothérapeute. 2.4. Chirurgie Pour les patients du groupe traité avec le schéma court, la chirurgie était programmée dans les dix jours suivants la fin de la radiothérapie. Pour les patients du groupe traité avec le schéma long, le geste chirurgical était prévu six à huit semaines après la fin de la chimio-radiothérapie. Le type de chirurgie était déterminé par le chirurgien en incluant systématiquement l’exérèse du mésorectum. 2.5. Suivi et objectifs Pour les patients du groupe traité avec le schéma court, un examen clinique a été réalisé à la fin de la radiothérapie. Les patients du groupe traité avec le schéma long ont bénéficié d’un examen clinique et d’une analyse biologique chaque semaine pendant le traitement néoadjuvant et une IRM était réalisée quatre à cinq semaines après la fin de la chimio-radiothérapie. L’ensemble des patients ont ensuite été suivis tous les six mois par un gastro-entérologue ou un chirurgien avec un examen clinique, une scanographie thoraco-abdominopelvienne et un dosage de l’ACE. L’objectif principal était la survie globale. Les objectifs secondaires étaient l’observance, la toxicité aiguë, le down-staging et le contrôle local après le traitement néoadjuvant en fonction de l’âge. 2.6. Analyse statistique Elle a été réalisée par le logiciel Statview. Les variables catégorielles étaient comparées par test du Chi2 ou de Fisher et, les moyennes par test de Student. Les survies ont été calculées à partir de la date de début de radiothérapie jusqu’à la date des dernières
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Tableau 1 Caractéristiques cliniques des patients en fonction de l’âge. Clinical characteristics of patients according to age. Paramètres Sexe (n) Hommes Femmes PS OMS 0 1 ≥2 Topographie T (n) Bas Moyen + haut Charlson (n) 0 1 2 ≥3 Stade T (n) T2 T3 T4 Stade N (n) N0 N+ Nx Stade M (n) M1
Groupe 1 (70–75 ans)
Groupe 2 (76–79 ans)
Groupe 3 (≥ 80 ans)
20 11
14 17
14 15
12 13 1
15 10 2
9 11 3
18 13
14 17
10 19
24 3 2 2
20 5 3 3
15 4 7 3
3 23 4
2 26 3
3 20 5
Tableau 2 Caractéristiques thérapeutiques des patients en fonction de l’âge. Treatment characteristics according to age. p
Paramètres
0,26
0,67
0,18
0,43
0,84
0,007 5 25 1
12 18 1
13 11 5
2
3
1
0,62
PS : performance status ; OMS : Organisation mondiale de la santé.
nouvelles selon la méthode de Kaplan–Meier et comparées par test du log-rank. L’analyse multifactorielle a utilisé un modèle de Cox, en incluant les variables de l’analyse unifactorielle ayant un degré de signification de p < 0,20. Les différences ont été considérées comme statistiquement significatives pour p < 0,05. 3. Résultats
Radiothérapie (n) Schéma court Schéma long Chimiothérapie (n) Non Oui Type de chimiothérapie concomitante (n) Sans oxaliplatine Avec oxaliplatine Type de chirurgie Amputation abdominopérinéale Chirurgie conservatrice Non évalué Non opéré
Groupe 1 (70–75 ans) (%)
Groupe 2 (76–79 ans) (%)
Groupe 3 (≥ 80 ans) (%)
7 (22,6) 24 (77,4)
8 (26) 23 (74)
15 (51,7) 14 (48,3)
7 (22,6) 24 (77,4)
9 (29) 22 (71)
17 (58,6) 12 (41,4)
p
0,03
0,006
0,007
8 (33,3) 16 (66,7)
15 (68,2) 7 (31,8)
10 (83,3) 2 (16,7)
10 (32,3)
3 (9,7)
9 (31,3)
19 (61,3)
27 (87)
20 (68,7)
1 1
1 0
0 0
0,06
quinze pour cent des patients (n = 58) traités selon le schéma long ont rec¸u une chimiothérapie, 33 patients (36,3 %) sans oxaliplatine et 25 patients (27,4 %) avec oxaliplatine. Les groupes 1 et 2 ont été traités similairement avec un schéma long prépondérant (respectivement, 77,5 % et 74,5 % des cas) et une chimiothérapie concomitante (respectivement, 77,4 % et 71 % des cas). À l’inverse, les patients du groupe 3 ont rec¸u majoritairement un traitement avec le schéma court sans chimiothérapie (51,7 %). Ces différences de prise en charge étaient statistiquement significatives, tant en termes de fractionnement (p = 0,03) que de prescription de chimiothérapie (p = 0,006). De plus, l’utilisation de l’oxaliplatine diminuait avec l’âge, passant de 66,6 % dans le groupe 1 à 16,6 % dans le groupe 3 (p = 0,007).
3.1. Patients Les caractéristiques cliniques des patients sont synthétisées dans le Tableau 1. Les patients étaient en majorité des hommes (52,7 %) d’âge moyen, au moment du diagnostic, de 77 ans [70–92]. La majorité des patients avait peu de « comorbidités » puisque 65 % d’entre eux avaient un score de Charlson égal à 0. Il s’agissait dans 89 % des cas de tumeurs de stade T3 ou T4, avec un envahissement ganglionnaire dans 59 % des cas. Les 91 patients ont été divisés en trois groupes en fonction de leur âge : groupe 1 de 70 à 75 ans (n = 31), groupe 2 de 76 à 79 ans (n = 31) et groupe 3 incluant les patients de 80 ans ou plus (n = 29). Aucune différence significative n’a été mise en évidence entre les trois groupes en termes de sexe, d’état général, de « comorbidités » selon le score de Charlson, de topographie, de stade tumoral (T) ou métastatique (M). Les pourcentages de patients chez qui les ganglions étaient envahis étaient respectivement de 80, 58 et 38 % dans les groupes 1, 2 et 3 (p = 0,007). 3.2. Traitements Les caractéristiques thérapeutiques en fonction des groupes sont résumées dans le Tableau 2. 3.2.1. Radiothérapie et chimiothérapie Trente patients (33 %) ont été traités selon un schéma court et 61 patients selon un schéma long pour une dose totale médiane de 46 Gy [18–50], à raison de 1,8 Gy à 2,25 Gy par fraction. Quatre-vingt
3.2.2. Chirurgie Une chirurgie a ensuite été effectuée chez 90 patients (98,9 %) avec un taux d’amputation abdominopérinéale de 24 %, plus volontiers proposé avant 80 ans qu’au-delà (p = 0,06). Le temps moyen écoulé entre le traitement néoadjuvant et le geste chirurgical était de 6,2 ± 3,5 jours et de 44 ± 14 jours, pour les patients traités respectivement selon les schémas court et long. Dans 89 % des cas, la chirurgie a été réalisée avec des marges saines. Le taux de réponse histologique complète était de 5,5 % (3, 4 et 9 %, respectivement pour le schéma court et le schéma long avec ou sans oxaliplatine). 3.3. Tolérance L’ensemble des patients traités avec le schéma court a rec¸u le traitement prévu sans toxicité aiguë. Chez les patients traités selon un schéma long, seuls 39 patients (65 %) ont rec¸u la chimioradiothérapie à la dose et dans le temps prévus initialement. Ainsi, une pause transitoire de la radiothérapie a été observée chez sept patients sur 61 (11,4 %). Par ailleurs, cinq patients dans le groupe schéma long (8 %) ont du arrêter précocement la radiothérapie. Ces cinq patients avaient rec¸u une chimiothérapie associant 5-fluorouracile et oxaliplatine, ce qui représente un arrêt définitif de la radiothérapie chez 20 % des patients traités par oxaliplatine. Le taux d’observance de la chimiothérapie était respectivement de 52 % et de 94 % selon que l’oxaliplatine a été utilisé ou non (p = 0,003). Il n’a pas été observé de décès iatrogénique. Après chimioradiothérapie, aucune différence en termes de toxicité digestive ou hématologique n’a été mise en évidence en
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Tableau 3 Toxicité aiguë de la chimioradiothérapie en fonction de l’âge. Acute toxicity of radiochemotherapy according to age. Type toxicité (n)
Digestive Anite Diarrhées Vomissements Mucite Cutanée Épithéliite Syndrome mains-pieds Urinaire Cystite Hématologique Anémie Thrombopénie
Grade 0
Grade ≥ 2
Grade 1
p
T1
T2
T3
T1
T2
T3
T1
T2
T3
6 7 15 21
10 5 17 19
5 4 12 11
12 7 7 1
11 7 3 2
6 3 0 1
6 10 2 2
1 10 2 1
2 5 0 0
0,28 0,48 0,34 0,81
11 23
11 21
10 11
4 1
5 1
20 0
9 0
6 0
1 0
0,24 0,78
14
17
10
5
5
2
5
0
1
0,20
12 17
15 17
7 9
7 6
6 4
1 2
4 0
0 0
3 0
0,19 0,81
T1 : premier tercile (70–75 ans) ; T2 : deuxième tercile (76–79 ans) ; T3 : troisième tercile (≥ 80 ans).
fonction de l’âge (Tableau 3). En revanche, le taux de toxicité de grade 3 ou plus était de 48 % avec l’oxaliplatine contre 12 % sans, quel que soit l’âge (p = 0,002). La durée moyenne d’hospitalisation était de 22 jours (6–120 jours), sans impact du fractionnement de radiothérapie. Aucun décès n’est survenu dans les 60 jours suivant la chirurgie. Vingt-sept patients ont souffert de complications postopératoires (cinq sepsis, neuf abcès, neuf fistules, trois lâchages de suture, deux retards de cicatrisation, quatre occlusions et cinq complications médicales) pour lesquelles cinq d’entre eux ont du être repris chirurgicalement. Deux décès liés à des complications sont survenus : un choc septique sur un abcès postopératoire et une fistule vésicorectale à respectivement, sept et dix mois après le diagnostic. Ces deux patients avaient 80 ans ou plus. L’âge moyen des patients ayant souffert d’une complication postopératoire était de 78,2 ans contre 77,5 ans pour ceux qui n’en n’ont pas souffert (p = NS). Fig. 1. Survie globale en fonction des groupes d’âge : groupe 1, 70 à 75 ans (– –), groupe 2, 76 à 79 ans (- - -) et groupe 3, 80 ans ou plus (—) ; log-rank test : p = 0,151. Overall survival according to age groups.
3.4. Résultats oncologiques Avec un suivi médian de 34 mois (5–125), les taux de récidives locale et métastatique étaient de 5,9 % et 14 %. L’évolution de la maladie n’est pas connue pour six patients (6,6 %). Les probabilités de survie globale à trois et cinq ans étaient respectivement de 66,9 % et 60,8 % dans le groupe 1, 90,5 % et 75,9 % dans le groupe 2 et 80,5 % et 73,8 % dans le groupe 3 (p = 0,15) (Fig. 1). En analyse unifactorielle, le risque de décès était corrélé avec le stade de Charlson (p = 0,04) mais semblait indépendant de l’âge étudié en terciles (p = 0,3). En analyse multifactorielle, les variables « âge » selon la répartition préalable en terciles et « schémas de radiothérapie » (court ou long), bien que n’apparaissant pas comme facteurs pronostiques en analyse unifactorielle, ont été forcés en
raison de leur importance clinique. Dans cette analyse, un score de Charlson élevé (p = 0,01) apparaissait significativement corrélé avec un risque accru de décès. Le schéma de radiothérapie était sans influence. En revanche, le risque de décès était inversement corrélé avec l’âge (p = 0,06 ; Tableau 4). 4. Discussion Notre série évalue l’effet de l’âge sur le choix du traitement néoadjuvant chez les patients de plus de 70 ans atteints d’un
Tableau 4 Analyse uni- et multifactorielle de la valeur pronostique de l’âge (en terciles), du statut clinique, du statut tumoral et du schéma de radiothérapie. Univariate and multivariate analysis of prognostic value of age (in terciles), clinical status, tumoral status and radiotherapy scheme. Analyse unifactorielle
Schéma court contre schéma long Stade cT : > 2 contre 0 + 1 + 2 Stade cN : > 0 contre 0 Charlson : > 0 contre 0 Âgea (terciles) 70–75 76–79
2
Analyse multifactorielle
RR
Chi
p
RR
IC 95 % limite inférieure
IC 95 % limite supérieure
Chi2
p
0,97 1,48 0,87 2,43
1,763 0,82 0,10 4,31
0,184 0,37 0,75 0,04
0,60 1,64 0,88 3,48
0,22 0,21 0,34 1,26
1,60 13,04 2,28 9,46
1,053 1 1 6,02
0,3049 0,28 0,28 0,01
1,65 0,57
1,07 0,80
0,30 0,37
3,68 0,69
0,96 0,19
9,90 2,51
3,68 0,31
0,06 0,58
RR : rapport de risque ; IC 95 % : intervalle de confiance à 95 %. a Par rapport au tercile des patients âgés de 80 ans ou plus.
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adénocarcinome rectal localement évolué. Plusieurs publications mettent en évidence une moindre utilisation de la radiothérapie avec l’âge [10–13] et les « comorbidités » [14]. Ainsi, dans une étude basée sur le registre des tumeurs digestives de Bourgogne, la radiothérapie était utilisée chez 59 % des patients de 75 ans ou plus et chez 85,3 % des patients plus jeunes (p < 0,001) [13]. Cela s’explique en partie par la peur du risque de complications de la radiothérapie pelvienne à cet âge [15]. En effet, dans une cohorte de 455 patients de 60 ans ou plus traités par chirurgie avec ou sans radiothérapie (cinq fractions de 5 Gy), le taux de complications dans l’année suivant le diagnostic augmentait significativement avec l’âge (51 % des patients de 60 à 69 ans contre 65 % des patients de 70 ans ou plus [p = 0,007]) [16]. En revanche, la méta-analyse de Pignon et al., basée sur les essais de radiothérapie pelvienne de l’European Organization for Research and Treatment of Cancer (EORTC) de 1975 à 1991, ne mettait pas en évidence de corrélation entre l’âge et le taux de morbidité [17]. Dans notre étude, nous ne nous sommes intéressés qu’aux patients âgés ayant rec¸u un traitement préopératoire sans évaluer les résultats obtenus chez les patients atteints d’un cancer évolué traité par irradiation ou chirurgie seule, voire soins de support exclusifs, ce qui crée possiblement un biais de sélection. Les patients de l’étude étaient pour la majorité en bon état général avec peu de « comorbidités ». Cependant, dans cette population sélectionnée, le type de traitement variait avec l’âge. Ainsi, près de trois quarts des patients de 70 à 79 ans ont été traités comme l’auraient été des patients plus jeunes, c’est-à-dire avec une chimioradiothérapie préopératoire, alors que les patients de 80 et plus, ont été plus volontiers traités par un schéma court sans chimiothérapie. Lors de l’administration d’une chimiothérapie concomitante, l’observance en cas d’utilisation exclusive de 5-fluoro-uracile (94 %) dans notre population était identique à celle retrouvée dans les essais de phase III conduits chez des patients plus jeunes (82 à 100 %) [4,18]. Nous avons aussi mis en évidence une majoration de la morbidité en cas d’ajout de l’oxaliplatine au 5-fluoro-uracile. Ainsi, les taux de toxicité de grade 3 ou plus, dans les bras sans et avec oxaliplatine étaient de 12 % et 48 % ; ils étaient de 8 % et 24 % dans l’essai STAR-01 (Studio Terapia Adiuvante Retto) et de 1 % et 25 % dans l’essai ACCORD 12/0405-Prodige 2 Trial [18,19]. S’agissant, dans près de la moitié des cas, de toxicité de grade 3 ou 4, la chimioradiothérapie à base d’oxaliplatine ne semble pas recommandée chez des patients de plus de 70 ans. Les données de la littérature sur la tolérance de la chimioradiothérapie néoadjuvante dans le cancer du rectum localement évolué du sujet âgé restent pour l’instant parcellaires et leurs résultats sont discordants [20–23]. Ainsi, Lorchel et al., ont étudié la tolérance de la radiothérapie préopératoire, selon deux schémas (37,6 Gy en 16 fractions ou 45 Gy en 25 fractions) chez 95 patients traités entre 1984 et 2000. Vingt pour cent des patients seulement avaient rec¸u de manière concomitante une chimiothérapie par 5-fluoro-uracile [20]. Le taux de toxicité aiguë de grade 3 était de 8,4 %. Margalit et al., ont rétrospectivement évalué la tolérance d’une chimioradiothérapie préopératoire (dose médiane de 50,4 Gy et chimiothérapie par 5-fluoro-uracile) chez 36 patients avec d’âge médian de 79 ans [21]. Les « comorbidités » ont été évaluées selon l’indice ACE-27. Près de la moitié des patients avaient des « comorbidités » moyennes à sévères. Une interruption transitoire de la radiothérapie et/ou une modification de la chimiothérapie ont été nécessaires chez 25 % et 33 % des patients. Devant ces constatations d’observance suboptimale, les auteurs plaidaient plus volontiers pour un traitement court. Dans notre série, un arrêt définitif de la radiothérapie n’a été nécessaire que dans le groupe traité par oxaliplatine (20 %). Dans une autre étude, les auteurs ont comparé la tolérance de l’association de 5-fluorouracile et de radiothérapie chez 36 patients de plus de 70 ans, en séparant l’effectif en deux groupes selon leur état général : « fit »
ou « vulnérables » [22]. Tous les patients ont rec¸u l’ensemble de la radiothérapie. Aucune différence significative n’a été mise en évidence en termes de toxicité entre les deux groupes. Cependant, l’effectif de l’étude était faible. Récemment, une équipe franc¸aise a rapporté les données de 125 patients âgés de 70 ans et plus, chez qui le traitement était une chimio-radiothérapie (dont pour 86 préopératoire) [23]. L’âge médian était de 75,1 ans et 78 % des patients avaient un score de Charlson de 0 ou 1. La chimiothérapie était soit du 5-fluoro-uracile (74 %) soit du 5-fluoro-uracile associé à de l’oxaliplatine. Quinze pour cent des patients ont souffert d’une toxicité de grade 3 ou plus et 9 % ont dû arrêter prématurément le traitement néoadjuvant. Dans cette étude, où la morbidité est similaire à la nôtre, les auteurs estimaient que les patients âgés pouvaient recevoir une chimioradiothérapie préopératoire au même titre que les patients plus jeunes. Dans cette série, comme dans la nôtre, les patients avaient un taux faible de « comorbidités ». Dans notre série, les probabilités de survie globale à trois et cinq ans étaient élevées (80,5 % et 73,8 %), supérieures à celles des autres séries publiées s’échelonnant de 49,9 % à 65 % et de 49 % à 68 % [20,21,23,24]. Nous n’avons pas mis en évidence d’impact du schéma thérapeutique néoadjuvant. Comme dans deux autres études publiées, le principal facteur pronostique influenc¸ant la survie globale était le score de Charlson [25,26]. 5. Conclusion Compte tenu des excellents résultats en termes de contrôle local et de survie et d’une tolérance acceptable dans notre étude, la réalisation d’un traitement multimodal incluant une radiothérapie préopératoire ou une chimioradiothérapie (5-fluoro-uracile ou capécitabine) nous semble une attitude à privilégier chez des patients âgés en bon état général. Le schéma court donnant des résultats oncologiques similaires au schéma long, semble être une bonne option dans ce contexte. Cependant, dans cette population très hétérogène, une évaluation gériatrique soigneuse doit être proposée afin de sélectionner les patients pouvant bénéficier d’un tel traitement. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Blanchard P, Lévy A, Breunot J, Michaud S, Delmas V, Hennequin C. Le cancer du rectum. Cancer Radiother 2010;14:S111–9. [2] Colonna M, Bossard N, Remontet L, Grosclaude P. Changes in the risk of death from cancer up to five years after diagnosis in elderly patients: a study of five common cancers. Int J Cancer 2010;127:924–31. [3] Créhange G, Bosset JF, Maingon P. Chimioradiothérapie préopératoire des cancers du rectum : ce que laissent présager les études en cours et à venir. Cancer Radiother 2011;15:440–4. [4] Bosset JF, Collette L, Calais G, Mineur L, Maingon P, Radosevic-Jelic L, et al. Chemotherapy with preoperative radiotherapy in rectal cancer. N Engl J Med 2006;355:1114–23. [5] Gérard JP, Conroy T, Bonnetain F, Bouche O, Chapet O, Closon-Dejardin MT, et al. Preoperative radiotherapy with or without concurrent fluorouracil and leucovorin in T3-4 rectal cancers: results of FFCD 9203. J Clin Oncol 2006;24:4620–5. [6] Peeters KC, Marijnen CA, Nagtegaal ID, Kranenbarg EK, Putter H, Wiggers T, et al. The TME trial after a median follow-up of 6 years: increased local control but no survival benefit in irradiated patients with resectable rectal carcinoma. Ann Surg 2007;246:693–701. [7] Sebag-Montefiore D, Stephens RJ, Steele R, Monson J, Grieve R, Khanna S, et al. Preoperative radiotherapy versus selective postoperative chemoradiotherapy in patients with rectal cancer (MRC CR07 and NCIC-CTG C016): a multicentre, randomised trial. Lancet 2009;373:811–20. [8] van Gijn W, Marijnen CA, Nagtegaal ID, Kranenbarg EM, Putter H, Wiggers T, et al. Preoperative radiotherapy combined with total mesorectal excision for resectable rectal cancer: 12-year follow-up of the multicentre, randomised controlled TME trial. Lancet Oncol 2011;12:575–82.
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