Traitement de l’atteinte osseuse au cours d’une maladie de Gaucher par l’association imiglucérase et miglustat

Traitement de l’atteinte osseuse au cours d’une maladie de Gaucher par l’association imiglucérase et miglustat

Presse Med 2009;38:2S68-270 © 2009, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Cas clinique En ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm w...

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Presse Med 2009;38:2S68-270 © 2009, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Cas clinique

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Traitement de l’atteinte osseuse au cours d’une maladie de Gaucher par l’association imiglucérase et miglustat Isabelle Marie

Département de Médecine Interne, CHU de Rouen - Bois-Guillaume, 76031 Rouen cedex, France.

Correspondance : I. Marie, Département de Médecine Interne, CHU de Rouen - Bois-Guillaume, 76031 Rouen cedex, France. [email protected]

Introduction La maladie de Gaucher est la plus fréquente des maladies de surcharge lysosomales, et elle est liée à un déficit en glucocérébrosidase ; trois phénotypes de la maladie de Gaucher sont décrits, les complications osseuses étant observées principalement chez les patients porteurs d’une maladie de Gaucher de type 1 [1, 2]. De fait, en 2008, les atteintes osseuses de la maladie de Gaucher de type 1 demeurent un facteur important de morbidité chez les patients, pouvant être responsables, en l’absence de prise en charge thérapeutique spécifique, d’un handicap fonctionnel majeur ainsi que de séquelles irréversibles [1, 2]. Leur traitement est difficile, et repose, selon les recommandations les plus récentes, sur l’imgulcérase [1, 2]. Nous rapportons l’observation originale d’une patiente, porteuse d’une maladie de Gaucher compliquée d’atteintes osseuses sévères, dont l’évolution a été progressivement favorable après instauration d’un traitement associant l’imiglucérase et le miglustat.

Observation Une femme, âgée de 36 ans, est atteinte d’une maladie de Gaucher de type 1 diagnostiquée en 1978. Le myélogramme, effectué en

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raison de la mise en évidence à l’examen clinique d’une hépatosplénomégalie, montrait la présence de cellules de Gaucher. L’activité enzymatique de la glucocérébrosidase était effondrée à 10 %. En 1989, la patiente présentait un hématome frontal compliquant une thrombopénie sévère, liée en partie à un hypersplénisme, qui justifiait la réalisation d’une splénectomie. Au vu de la sévérité de la maladie de Gaucher, un traitement par alglucérase (Ceredase®) était initié à partir de 1992, qui était relayé ensuite par de l’imiglucérase (Cerezyme®) à la posologie de 60 U/kg tous les 15 jours. En 2002, les examens radiologiques comportant des radiographies osseuses standards (bassin, fémurs, rachis lombaire) et une ostéo-densitométrie, était normaux. En avril 2007, la patiente était hospitalisée pour une asthénie importante évoluant depuis un mois, associée à des douleurs quotidiennes et permanentes intéressant le bassin, mais prédominant à l’aile iliaque gauche. Les examens biologiques (numération formule sanguine, vitesse de sédimentation, C-réactive protéine, tests hépatiques et rénaux, électrophorèse des protides sériques, calcémie, phosphorémie) étaient normaux. Les radiographies osseuses standard (bassin, fémurs, rachis lombaire) n’étaient pas contributives. L’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) du bassin et du rachis lombaire objectivait des infarctus osseux localisés à l’aile iliaque gauche et au toit du cotyle gauche (figures 1 et 2). La densitométrie osseuse était normale (T score à + 0,2 pour le rachis lombaire, et + 0,3 pour le col fémoral gauche). En définitive, le diagnostic d’infarctus osseux compliquant une maladie de Gaucher malgré le traitement par imiglucérase (à la posologie de 60 UI/kg tous les 15 jours) était retenu. Les douleurs

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Traitement de l’atteinte osseuse au cours d’une MG par l’association imiglucérase et miglustat

Discussion

Imagerie par résonance magnétique nucléaire : mise en évidence d’infarctus osseux localisés à l’aile iliaque gauche.

Figure 2 Imagerie par résonance magnétique nucléaire : mise en évidence d’infarctus osseux localisés à l’aile iliaque gauche.

osseuses n’étaient que partiellement améliorées par le traitement antalgique (paracétamol, dextropropoxyphène, tramadol, puis morphiniques). En raison de la sévérité de l’atteinte osseuse, un traitement complémentaire par miglustat était institué (à raison de 300 mg par jour), après avis des experts du centre national de référence de la maladie de Gaucher. L’évolution clinique de la symptomatologie douloureuse osseuse était favorable. De fait, en août 2007, le traitement antalgique était arrêté ; au bilan biologique de suivi, les phosphatases acides tartrates résistantes étaient normales : 32 UI/l. En décembre 2007, alors que la patiente était asymptomatique sur le plan osseux, le traitement par miglustat a, malheureusement, dû être interrompu, en raison de la survenue de tremblements invalidants rapportés à sa prise.

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Figure 1

Les atteintes osseuses sont fréquentes au cours de la maladie de Gaucher. Leur prévalence varie, selon les études et les méthodes d’exploration ; elle est estimée à 63 % et 94 %, respectivement, dans les séries cliniques et radiologiques [1-4]. De plus, les complications osseuses pourraient être plus souvent observées chez les patients ayant un phénotype N 370S/370S, mais également plus sévères chez les sujets splénectomisés, comme c’est le cas de notre patiente [3, 5]. Leur mode de révélation clinique peut revêtir différentes formes, au premier rang desquelles les douleurs modérées et non spécifiques, qui cèdent spontanément en quelques jours [1, 2]. Toutefois, d’autres présentations plus graves peuvent être rencontrées et qu’il importe de ne pas méconnaître, en raison de leur morbidité potentielle, i.e. : les crises douloureuses intenses (comme dans notre observation), les douleurs osseuses chroniques, ainsi que les tassements vertébraux et les fractures pathologiques [1, 2]. De fait, dans le registre international de la maladie de Gaucher, 63 % des patients signalaient des douleurs osseuses modérées et 33 % souffraient de crises douloureuses liées à des infarctus osseux et/ou à des ostéonécroses aseptiques [3]. Si tous les os peuvent être touchés, les localisations préférentielles sont les fémurs et les tibias, ainsi que les humérus et les vertèbres [1, 2, 6-8]. Les manifestations osseuses constituent une cause importante de morbidité tant sur le plan fonctionnel que psychologique, leur dépistage précoce étant, par conséquent, indispensable chez les patients. Dans cette optique, des recommandations, pour l’évaluation initiale et le suivi des complications osseuses, ont été publiées sous l’égide du Centre national de référence de la maladie de Gaucher. Ainsi, les experts préconisent de réaliser chez tous les patients, lors de l’évaluation initiale, des radiographies osseuses standards (bassin, fémurs, tibias, humérus, rachis), une IRM (rachis, bassin, fémurs, tibias) ainsi qu’une ostéodensitométrie ; de même, ils recommandent la pratique d’un nouveau bilan tous les deux ans, ou à l’occasion de l’apparition d’une symptomatologie osseuse [2]. Dans le registre international de la maladie de Gaucher, les anomalies radiologiques les plus fréquemment identifiées chez les patients ont été : des déformations en flacon d’Erlenmeyer (46 %), une ostéopénie (42 %), une infiltration médullaire (40 %), des infarctus osseux (25 %), ou encore une ostéonécrose aseptique (25 %) [3]. Des mécanismes physiopathologiques ont été invoqués dans la genèse des complications osseuses au cours de la maladie de Gaucher. Ils demeurent mal élucidés et hypothétiques. Des équipes ont suggéré le rôle prépondérant de l’expansion volémique intramédullaire, engendrée par les dépôts macrophagiques (avec accumulation intramacrophagique de glycosphingolipides), qui serait responsable de processus ischémiques vasculaires [1, 2]. D’autres hypothèses ont été formulées, qui incriminent notamment : des épisodes de vasospasmes, une coagulopathie thrombogène in situ dans le déclenchement de la maladie [1, 2].

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Des objectifs thérapeutiques ont été proposés par les experts français de la maladie de Gaucher ; ils consistent à : • 1) prévenir les douleurs et les crises osseuses ; • 2) améliorer la densité minérale osseuse dans un délai de 3 à 5 ans ; • 3) réduire l’infiltration médullaire à l’IRM [1, 2]. Le traitement spécifique de ces atteintes osseuses repose sur deux molécules : • l’imiglucérase, enzymothérapie recombinante substitutive de référence ; • le miglustat (substrat inhibant la glucosyl-céramide-synthétase) en seconde intention [1, 2, 9]. L’imiglucérase permet de diminuer la fréquence et l’intensité des crises douloureuses osseuses en 3 à 6 mois [1, 2 ,4, 9, 10]. De fait, dans l’étude de Belmatoug et al. [10], regroupant 26 patients traités par imiglucérase, une réduction significative des crises douloureuses osseuses a été notée lors du suivi à 3 mois. En outre, dans la série de Weinreb et al. [4], incluant 229 patients recevant de l’imiglucérase, une disparition des douleurs osseuses a été constatée dans 44 et 52 % des cas, lors des suivis à un et 2 ans. De surcroît, selon De Fost et al. [11], les posologies les plus

élevées (60 U/kg tous les 15 jours) pourraient être plus efficaces. L’analyse de la littérature Medline (1966-2008) montre que les données, concernant l’efficacité du miglustat dans les douleurs osseuses, sont très limitées ; dans une série, comportant un nombre réduit de sujets, les auteurs ont mentionné que cette molécule pourrait permettre de stabiliser les douleurs osseuses lors du suivi à un an [12]. Notre observation suggère que l’association de l’imiglucérase et du miglustat pourrait constituer une alternative thérapeutique intéressante chez les patients présentant des crises douloureuses sévères et résistantes à l’imiglucérase à posologie maximale efficace (60 U/kg tous les 15 jours). Cependant, le bénéfice d’une telle association demeure à démontrer, et une telle prescription ne peut être envisagée qu’après avis auprès des médecins spécialistes du Centre national de référence de la maladie de Gaucher. Dans tous les cas, des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer l’intérêt de cette association médicamenteuse.

Conflits d’intérêts : l’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts.

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