Tumeurs fibrolipomateuses hémosidérotiques : une nouvelle entité à ne pas méconnaître

Tumeurs fibrolipomateuses hémosidérotiques : une nouvelle entité à ne pas méconnaître

Annales de chirurgie plastique esthétique 52 (2007) 616–620 a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m j o u r n a l h o m e p a...

1MB Sizes 1 Downloads 186 Views

Annales de chirurgie plastique esthétique 52 (2007) 616–620

a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m

j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / a n n p l a

CAS CLINIQUE

Tumeurs fibrolipomateuses hémosidérotiques : une nouvelle entité à ne pas méconnaître Hemosiderotic fibrohistiocytic lipomatous lesion: a new entity you must remind A. Prud’hommea,*, C. Rousselotc, G. de Pinieuxc, P. Vochea, P. Rossetb a b c

Service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, CHRU de Tours, 37044 Tours cedex 09, France Service de chirurgie orthopédique-II, CHRU de Tours, 37044 Tours cedex 09, France Service d’anatomie pathologique, CHRU de Tours, 37044 Tours cedex 09, France

Reçu le 11 octobre 2006 ; accepté le 21 novembre 2006

MOTS CLÉS Tumeur ; Lipome ; Sarcome ; Liposarcome ; Tumeur fibrolipomateuse hémosidérotique

Résumé Les tumeurs d’origine graisseuse sont les plus fréquentes des lésions bénignes (lipomes) et des lésions malignes (liposarcomes) des tissus mous de l’adulte. Nous rapportons l’observation d’une patiente présentant une tumeur lipomateuse de la cheville correspondant à une tumeur fibrolipomateuse hémosidérotique (TFLH). Cette tumeur rare d’individualisation récente touche préférentiellement les membres inférieurs (spécialement cheville et pied) chez la femme d’âge moyen. Elle présente des caractères d’évolution bénigne avec un potentiel de récidive locale important. Cette tumeur peut présenter une agressivité locale mais ne semble pas entraîner d’atteintes métastatiques. Les éléments anatomopathologiques caractéristiques de ces tumeurs sont décrits. Les principaux diagnostics différentiels et les principes thérapeutiques sont discutés.

© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Tumor; Lipoma; Sarcoma; Liposarcoma; Hemosiderotic fibrohistiocytic lipomatous lesion

Abstract Fatty tissues lesions are the most frequent of both benign (lipoma) and malignant tumor (liposarcoma) of soft tissues in the adult. We here describe the case of female patient having a fatty tissue mass of the ankle corresponding to an hemosiderotic fibrohistiocytic lipomatous lesion (HFHLL). This very rare tumour of recent description is specific of the ankle/ foot area of the middle age women. These lesions are always benign and frequently recur following incomplete resection. This tumor may have invasive local growth and metastases have not been described so far. We describe the anatomopathologist’s key points of their diagnostic. We discuss the main differentials diagnosis and treatment.

© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

* Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Prud’homme).

0294-1260/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2006.11.006

Tumeurs fibrolipomateuses hémosidérotiques : une nouvelle entité à ne pas méconnaître

Introduction La tumeur fibrolipomateuse hémosidérotique (TFLH) est une tumeur adipeuse rare de découverte récente [1–4]. Elle évoque cliniquement un lipome mal individualisé. Elle touche classiquement la femme d’âge moyen, au niveau des extrémités et semble être la conséquence d’un traumatisme local dans la plupart des cas [3,4]. La rareté des TFLH rend leur identification délicate et leur méprise avec des tumeurs plus agressives possible. Nous rapportons le 26e cas de TFLH et précisons, au travers d’une revue de la littérature, les éléments clefs du diagnostic et les principes de prise en charge.

Observation Mme R.S., âgée de 36 ans, sans antécédents médicaux ou chirurgicaux notables, consulte en septembre 2004 pour une tuméfaction antéromédiale de la cheville droite présente depuis juillet 2003, et mesurant 6 cm de diamètre. Cette masse est apparue sur deux jours, sans facteur déclenchant. Son volume reste stable depuis. Elle présente cliniquement une tuméfaction molle évocatrice de lipome non individualisé. Le bilan radiologique initial (septembre 2003) montre à l’échographie un œdème non spécifique de la face dorsale du pied, et à l’IRM un aspect inflammatoire du tissu cellulograisseux sous-cutané du dos du pied droit sans spécificité. La radiographie standard est normale. Une IRM de contrôle est réalisée en janvier 2005 devant une augmentation de volume de la masse, sans autre modification clinique. Cette dernière montre un épaississement de la masse sous-cutanée à prédominance graisseuse avec une épaisseur à plus de 20 mm (Fig. 1). Une biopsie chirurgicale est réalisée en février 2005. Histologiquement, la lésion est constituée de l’intrication, dans des proportions variées selon les territoires, d’une

617

composante adipeuse mature et d’une composante de cellules fusiformes organisée en septa fibreux (Fig. 2). Ces deux composantes cellulaires ne présentent pas d’atypie cytonucléaire. L’activité mitotique de la composante tumorale à cellules fusiformes est faible, évaluée à deux mitoses pour dix champs au fort grossissement (×400). Des sidérophages et des cellules géantes plurinucléées de type ostéoclastique se mêlent aux cellules fusiformes au sein des septa (Fig. 3). Une étude immunohistochimique montre une positivité des cellules tumorales fusiformes pour le CD34. Ces cellules n’expriment pas les autres marqueurs étudiés (protéine S100, actine musculaire lisse, desmine et CD68). Devant ces différentes caractéristiques morphologiques et immunophénotypiques, le diagnostic de tumeur fibrolipomateuse hémosidérotique est proposé. Un bilan d’extension réalisé de principe s’avère négatif. Une décision d’exérèse est acceptée par la patiente en février 2006. La tumeur dont les limites sont mal individualisées mesure alors 10 à 12 cm de diamètre (Fig. 4).

Figure 2 Tumeur constituée de l’intrication d’une composante adipeuse mature et d’une composante de cellules fusiformes organisée en septa fibreux (HES × 20).

Figure 1 IRM de janvier 2005. Coupe sagittale du pied droit en séquence T1. Il existe une masse de la face dorsale du pied droit développée aux dépens du tissu sous-cutané. L’épaisseur de la lésion est de 20 mm et cette dernière est en contact étroit avec les tendons extenseurs des orteils.

Figure 3 Adipocytes matures et septa au sein desquels se mêlent des cellules tumorales fusiformes sans atypie, quelques sidérophages et une cellule géante plurinucléée de type ostéoclastique (HES × 400).

618

A. Prud’homme et al.

Figure 4 Repérage des limites palpables de la tumeur du pied droit en vues de face et profils droit et gauche. Exérèse prévisible d’environ 12 cm de diamètre.

L’exérèse emporte en monobloc les téguments de la face dorsale de la cheville et du pied droits ainsi que le péritendon des extenseurs jusqu’aux plans capsuloligamentaires. L’axe tibial antérieur est interrompu (Figs. 5,6). La couverture est réalisée par un lambeau libre musculaire greffé en peau semi-épaisse de latissimus dorsi avec palette cutanée

de surveillance. L’artère du lambeau est anastomosée en terminoterminal sur l’axe tibial antérieur et la veine en terminoterminal sur la veine saphène déroutée. La reconstruction est stable à trois mois, avec une bonne rétraction du lambeau musculaire (Fig. 7). La fonction de la cheville et du pied est normale.

Figure 5 Photographies peropératoires de la perte de substance résultant de l’exérèse carcinologique de la tumeur du pied droit en vues de face et de profils droit et gauche.

Tumeurs fibrolipomateuses hémosidérotiques : une nouvelle entité à ne pas méconnaître

619

de l’une ou l’autre de ses deux composantes, adipeuse ou à cellules fusiformes, les tumeurs lipomateuses atypiques– liposarcomes bien différenciés, les lipomes à cellules fusiformes et la tumeur fibrohistiocytaire plexiforme [1–4] :

Figure 6 Photographie de la pièce opératoire. Douze centimètres (12 cm) de diamètre par 3 cm d’épaisseur.

L’analyse macroscopique (Fig. 6) de la tumeur montre des limites mal définies, un aspect vaguement lobulé avec une intrication de plages adipeuses jaunâtres et de plages pigmentées brunâtres. Elle mesure 10 × 9,5 cm et s’étend sur toute la hauteur du tissu sous-cutané. Les aspects histologiques de la lésion tumorale étaient superposables à ceux observés initialement sur la biopsie, confirmant le diagnostic de tumeur fibrolipomateuse hémosidérotique. L’exérèse était considérée comme complète macroscopiquement et microscopiquement. Le bilan clinique et l’IRM de contrôle à huit mois de l’exérèse sont normaux.

● les tumeurs lipomateuses atypiques–liposarcomes bien différenciés comportent des éléments cellulaires atypiques, classiquement absents au sein d’une TFLH. Il peut s’agir de lipoblastes ou de cellules conjonctives pléïomorphes et hyperchromatiques dispersées au sein d’épais septa fibreux [1–4]. Leurs localisations aux extrémités sont fréquentes [6] ; ● si le lipome à cellules fusiformes se caractérise lui aussi par une double composante lésionnelle adipeuse et à cellules fusiformes, sa topographie (cou et épaules) et sa bonne limitation habituelles, ainsi que sur un plan histologique la disposition des cellules fusiformes en courts faisceaux intriqués à d’épais trousseaux collagéniques, permettent de le différencier d’une TFLH. L’immunohistochimie n’est pas discriminante dans ce cas, ces deux lésions exprimant le CD34 [1–4] ; ● la tumeur fibrohistiocytaire plexiforme, tumeur fibrohistiocytaire de malignité intermédiaire, peut englober à sa périphérie du tissu adipeux normal, pouvant être pris pour une composante tumorale adipeuse. Son architecture caractéristique multinodulaire, plexiforme, la présence de nodules de cellules histiocytaires mono- et plurinucléées permettent de la différencier d’une TFLH [5]. Le risque d’évolution métastatique de la tumeur fibrohistiocytaire plexiforme reste néanmoins très faible. Il s’agit avant tout d’une tumeur à malignité locale, à potentiel de récidive locale [5].

Discussion Les principaux diagnostics différentiels de la tumeur fibrolipomateuse hémosidérotique sont, suivant la prédominance

Devant une tuméfaction d’augmentation progressive des extrémités, pouvant évoquer un sarcome ou des lésions à potentiel métastatique [6], il est nécessaire de réaliser

Figure 7 Photographies de face et de profils droit et gauche du pied droit à trois mois de la couverture de la perte de substance du pied droit par lambeau musculocutané greffé en peau semi-épaisse de latissimus dorsi.

620

rapidement des biopsies de bonne qualité, dont le positionnement est capital pour d’une part ne pas entraîner d’aggravation du geste carcinologique, et d’autre part permettre la résection lors du temps d’exérèse complémentaire. Les zones de la cheville et du pied restent de couverture délicate. Les séquelles esthétiques et fonctionnelles doivent être limitées au maximum (les femmes représentent huit sur dix patients [3,4]). La perte de substance de Mme R.S. nécessitait un apport tégumentaire fin, de plus de 12 cm de diamètre. Les lambeaux locorégionaux étaient limités en taille pour couvrir la perte de substance. Quant à la couverture par du derme artificiel de type Intégra®, elle permettait une couverture même avec exposition tendineuse [7], mais exposait au risque d’adhérences tendineuses et retardait la rééducation en imposant un temps opératoire secondaire de greffe cutanée. De ce fait, une chirurgie en un temps par lambeau microchirurgical s’imposait chez cette patiente sans antécédents médicochirurgicaux particuliers. La couverture idéale était un lambeau cutané pur. Cependant, ni les lambeaux scapulaires [8], ni le TAP [9], ni le lambeau antérolatéral de cuisse [10] n’étaient utilisables en raison de l’impossibilité de fermer directement une zone donneuse circulaire de plus de 12 cm de diamètre. En raison du caractère non métastatique de ce type de lésion, et dès lors que l’exérèse dépasse les possibilités de fermeture directe de la zone donneuse, l’option de choix était un lambeau cutané pur microchirurgical préexpansé. Après discussion avec la patiente, celle-ci préférant une solution en un seul temps opératoire, notre choix s’est porté sur un lambeau musculaire greffé de latissimus dorsi sachant que l’aspect esthétique du site receveur serait moins favorable (Fig. 7).

Conclusion Les tumeurs fibrolipomateuses hémosidériques sont des lésions rares du tissu sous-cutané de la cheville et du pied de la femme d’âge moyen. Les caractéristiques histologiques sont la présence d’une composante adipeuse mature

A. Prud’homme et al.

et d’une composante de cellules fusiformes organisée en septa fibreux. Leur agressivité est purement locale, pouvant atteindre des tailles considérables et présentant un fort potentiel de récurrence en cas d’excision incomplète. Le traitement recommandé est donc une excision large associée à une surveillance de récurrences.

Références [1]

Guillou L, Coindre JM. Newly described adipocytic lesions. Semin Diagn Pathol 2001;18:238–49. [2] Kazakov DV, Sima R, Michal M. Hemosiderotic fibrohistiocytic lipomatous lesion: clinical correlation with venous stasis. Virchows Arch 2005;447:103–6. [3] Luzar B, Gasljevic G, Juricic V, Bracko M. Hemosiderotic fibrohistiocytic lipomatous lesion: early pleomorphic hyalinizing angiectatic tumor? Pathol Int 2006;56:283–6. [4] Marshall-Taylor C, Fanburg-Smith JC. Hemosiderotic fibrohistiocytic lipomatous lesion: ten cases of a previously undescribed fatty lesion of the foot/ankle. Mod Pathol 2000;13:1192– 9. [5] Sass U, Andre J, Noel JC, Larsimont D, Olemans C, de Dobbeleer G, et al. Plexiform fibrohistiocytic tumor. Ann Dermatol Venereol 1994;121:109–12. [6] Voulliaume D, Vasseur C, Delaporte T, Delay E. An unusual risk of liposuction: liposuction of a malignant tumor. About 2 patients. Ann Chir Plast Esthet 2003;48:187–93. [7] Molnar J, DeFranzo A, Hadaegh A, Morykwas M, Shen P, Argenta L. Acceleration of Integra® incorporation in complex tissue defects with subatmospheric pressure. Plast Reconstr Surg 2004;113:1339–46. [8] Maghari A, Seyyed Forootan K, Fathi M, Manafi A. Free transfer of expanded parascapular, Latissimus dorsi, and expander “capsule” flap for coverage of large lower-extremity softtissue defect. Plast Reconstr Surg 2000;106:402–5. [9] Guerra AB, Metzinger SE, Lund KM, Cooper MM, Johnson Allen R, Dupin CL. The thoracodorsal artery perforator flap: clinical experience and anatomic etudy with emphasis on harvest techniques. Plast Reconstr Surg 2004;114:32–41. [10] Tiguemounine J, Picard A, Fassio E, Goga D, Ballon G. Anterolateral thigh flap. Retrospective study. Ann Chir Plast Esthet 2005;50:62–70.