Un cas de brucellose atypique

Un cas de brucellose atypique

Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Médecine et maladies infectieuses 47 (2017) 164–166 Cas clinique Un cas de brucellose a...

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ScienceDirect www.sciencedirect.com Médecine et maladies infectieuses 47 (2017) 164–166

Cas clinique

Un cas de brucellose atypique An atypical presentation of human brucellosis A.-L. Blanc-Gruyelle a,∗ , X. Lemaire a , A. Guaguere b , A. Sotto c , E. Senneville d , J.-P. Lavigne e a

Service de médecine polyvalente et maladies infectieuses, centre hospitalier de Douai, route de Cambrai, 59507 Douai cedex, France b Service de réanimation, centre hospitalier de Douai, route de Cambrai, 59507 Douai cedex, France c Service de maladies infectieuses et tropicales, CHU de Nîmes, place du Pr.-Robert-Debré, 30029 Nîmes cedex 9, France d Service universitaire de maladies infectieuses et tropicales, centre hospitalier de Tourcoing, 135, rue du Président-Coty, 59200 Tourcoing, France e Service de microbiologie, CHU de Nîmes, place du Pr.-Robert-Debré, 30029 Nîmes cedex 9, France Rec¸u le 26 avril 2016 ; rec¸u sous la forme révisée le 5 octobre 2016 ; accepté le 18 octobre 2016 Disponible sur Internet le 15 novembre 2016

Mots clés : Brucellose ; Épilepsie ; Orchi-épididymite Keywords: Brucellosis; Epilepsy; Epididymo-orchitis

1. Introduction La brucellose est une anthropozoonose dont l’incidence est extrêmement variable d’un pays à l’autre. En France, du fait de sa rareté, elle n’est plus un problème majeur de santé publique. Le diagnostic est d’autant plus délicat pour le clinicien. Nous décrivons dans ce cas une forme rare de brucellose avec atteintes neurologiques et cutanées. 2. Présentation du cas Un patient âgé de 72 ans, d’origine algérienne ayant effectué un voyage au pays six semaines avant, est adressé pour purpura évoluant depuis 15 jours. À l’arrivée le patient est fébrile ; il présente des lésions cutanées de type purpura vasculaire aux membres inférieurs, au niveau de l’abdomen et des membres supérieurs sans autre anomalie clinique. Biologiquement, on observe un syndrome inflammatoire, une anémie inflammatoire et une discrète cytolyse hépatique. L’examen cytobactériologique des urines (ECBU) est stérile, la radiographie thoracique ne montre aucun foyer, l’échographie abdominale est sans particularité. Les 3 flacons d’hémocultures réalisés reviennent positifs à Brucella melitensis. Un traitement ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A.-L. Blanc-Gruyelle).

http://dx.doi.org/10.1016/j.medmal.2016.10.006 0399-077X/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.

par rifampicine (900 mg IV) et doxycycline (100 mg × 2/j per os) est alors débuté. Devant la persistance de l’hyperthermie, le patient recevra 2 injections de gentamicine (300 mg). En reprenant l’interrogatoire, le patient reconnaît consommer régulièrement du lait cru de brebis en Algérie. Le bilan de cette brucellose n’a pas montré d’atteinte ostéoarticulaire à la scintigraphie osseuse et au TEP-scanner et pas d’endocardite à l’échographie transoesophagienne. La biopsie cutanée montrait des remaniements inflammatoires polymorphes dermo-épidermiques à tropisme périvasculaire sans aspect caractéristique d’une vascularite. Le patient est devenu apyrétique au 7e jour avec, par contre, une majoration du syndrome inflammatoire et l’apparition d’une orchi-épididymite droite, sans abcès objectivé à l’échographie. Au 9e jour de traitement, le patient a présenté des épisodes d’aphasie de 20 minutes récidivants, sans autre anomalie neurologique, toujours apyrétique. L’IRM cérébrale injectée ne montrait pas d’anomalie, la ponction lombaire (PL) retrouvait 25 leucocytes (les autres analyses ne pouvant être réalisées dans le laboratoire NSB3 de l’hôpital). L’électroencéphalogramme (EEG) révélait des crises partielles complexes focalisées en central gauche. Le patient était mis sous clobazam et de la ceftriaxone (2 g) était ajoutée pour le traitement de la neurobrucellose probable. Malgré cela, au bout de 24 h, le patient était transféré en réanimation pour état de mal épileptique. Après mise sous lacosamide et fortes doses de clobazam, son état neurologique s’est amélioré sans nouvelle récidive de crise partielle. Les anal-

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yses du liquide céphalorachidien (LCR) n’objectiveront pas la présence de Brucella que ce soit en culture, par PCR ou par sérologies. Le traitement par ceftriaxone-doxycycline-rifampicine a été poursuivi 1 mois, puis un relais par co-trimoxazole (800 mg/160 mg × 2 per os)-doxycycline-rifampicine a été instauré pour 5 mois supplémentaires. Après 6 mois de traitement, le patient est totalement asymptomatique. Sur le plan neurologique, l’EEG de contrôle est normal, le clobazam a été sevré et le lacosamide a été arrêté à 1 an avec une évolution toujours favorable. 3. Discussion La brucellose est l’anthropozoonose la plus répandue dans le monde ; elle serait responsable de 500 000 nouveaux cas humains par an [1]. Son incidence et sa prévalence varient largement entre les pays dits développés où la maladie est devenue rare et ceux qui, en l’absence de programmes de lutte nationaux, recensent de nombreux cas humains et animaux. En France, les programmes de lutte datent de la fin des années 1960. En 2015, 19 cas ont été déclarés et validés et sont très majoritairement importés [1]. La contamination humaine se fait le plus souvent soit par l’ingestion d’aliments contaminés, soit par aérosolisation de la bactérie ou contact direct. Les principaux aliments responsables de brucelloses humaines sont les produits à base de lait cru. En France, l’espèce la plus fréquente est B. melitensis biovar 3. Tous les cas de brucellose confirmés au Centre national de référence sont soit des cas importés, soit des contaminations de personnel de laboratoire. Les zones présumées de contamination sont principalement la Turquie, le Maghreb et le Moyen-Orient. Notre patient présentait un mode de contamination classique, pour un cas importé ayant consommé un produit laitier cru en zone enzootique (Algérie). L’infection brucellienne se déroule typiquement en 3 phases, chacune d’elle pouvant rester paucisymptomatique voire muette. L’incubation varie entre quelques jours et plusieurs semaines mais des durées plus longues ont été décrites (jusqu’à 5 mois). L’infection aiguë est décrite classiquement avec une fièvre ondulante sudoro-algique, qui ne serait pas si fréquente en pratique. Il s’y associe une sensation de malaise avec frissons, courbatures, arthromyalgies, céphalées. L’examen retrouve parfois des adénopathies, une hépatosplénomégalie. La brucellose subaiguë peut succéder à une période aiguë bruyante ou être révélatrice de l’infection et durer quelques mois. Elle est marquée par des focalisations essentiellement ostéoarticulaires mais également hépatiques, spléniques, génitales, cardiaques et neurologiques. La brucellose chronique regroupe, d’une part, des rechutes ou réactivations (foyers secondaires osseux) rencontrées dans 10 % des cas, d’autre part, des formes dites psycho-neurologiques caractérisées par des symptômes chroniques de type fatigue ou dépression pour lesquelles le niveau de preuve du lien entre brucellose et les symptômes est faible. Dans notre cas, le patient a présenté une forme aiguë, avec des manifestations inhabituelles. En effet, même si des

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atteintes cutanées sont décrites, le purpura reste exceptionnel. Les atteintes cutanées liées à Brucella seraient présentes dans 5 à 14 % des cas selon les études [2–5]. Ces lésions peuvent être présentes aux 3 stades de la maladie. Berger et al. [2] ont décrit une classification des lésions cutanées rencontrées dans la brucellose. Il y a tout d’abord les lésions liées au contact direct avec l’agent pathogène, rencontrées la plupart du temps chez les professionnels de l’élevage, avec des abcès au point d’inoculation ou des lésions de dermatite. Ensuite, des manifestations cutanées transitoires peuvent être notées : éruption papulaire ou urticarienne, érythème noueux ou ressemblant, érythème malaire, lésions érysipéloïde, psoriasiformes ou impétiginisées, eczéma, œdème, lésions ressemblant au pityriasis rosé. Enfin, des lésions généralisées comprenant des abcès cutanés multiples ou des ulcérations multiples peuvent être observées. Également, des lésions cutanées systémiques ou vasculaires avec purpura et emboles peuvent être rencontrées. Selon les séries [2–5], les lésions les plus fréquentes sont les éruptions maculopapulaires, les lésions ressemblant à l’érythème noueux ou les lésions urticariennes. Ariza et al. [3] ont rapporté deux cas de purpuras extensifs au cours de bactériémies sévères associées à des troubles de l’hémostase. Cela n’est pas le cas de notre patient qui avait un bilan de coagulation normal. L’atteinte génito-urinaire de la brucellose est plus classique, c’est la seconde localisation focale la plus fréquente après les atteintes ostéoarticulaires, soit 2 à 20 % des brucelloses [6]. L’orchi-épidydimite unilatérale en est la manifestation la plus fréquente La plupart du temps, il n’y a pas d’anomalie du sédiment urinaire. L’évolution est en général favorable sous antibiotique seul. Les complications potentielles sont l’abcédation, la fistulisation, voire la nécrose devant conduire à l’orchidectomie pour les formes vues tardivement. Enfin, la neurobrucellose peut se développer à n’importe quel stade de la maladie, représentant 1 à 7 % des brucelloses. Les présentations sont très variables et comprennent des polyradiculonévrites, des atteintes des nerfs crâniens, des méningites ou méningo-encéphalites, des myélites, des abcès, des formes psychiatriques, des vascularites et quelques cas d’épilepsie. Les critères diagnostiques sont mal définis, reposant sur des éléments cliniques et des analyses du LCR. Guven et al. [7] a repris une cohorte de 48 patients ayant eu un diagnostic de neurobrucellose (tous stades confondus). Les éléments de la PL orientant étaient une hyperprotéinorachie (58 % des cas), une hypoglycorachie (33 % des cas), une pléiocytose à prédominance lymphocytaire (58 %). Brucella était rarement détectée dans le LCR (15 %). Pour un cut-off à 1/8, le test d’agglutination dans le LCR, avait une sensibilité de 94 % et une spécificité de 96 %. Par contre, seulement 27 % des patients avaient des lésions évocatrices en imagerie (IRM ou TDM). Yetkin et al. [8] décrivent également les données concernant 20 cas de neurobrucelloses. Seulement 18 patients avaient eu une étude du LCR. La pléiocytose et l’hyperproteinorachie étaient notées dans tous les cas. De même que dans la précédente étude, les résultats d‘imagerie étaient normaux pour 14 des 20 patients. Ces données sont intéressantes car à ce jour, peu d’études ont été réalisées sur ces atteintes neurologiques et elles sont difficilement généralis-

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ables puisqu’il s’agit d’études rétrospectives sur un petit nombre de cas englobant toute forme neurologique à tout stade confondu. Dans notre cas, nous avons conclu à une neurobrucellose devant la présence d’une méningite à la PL et la présence de signes neurologiques non expliqués par ailleurs, même si peu d’éléments objectifs (imagerie, tests du LCR) ont pu le confirmer. Le traitement de la neurobrucellose est non consensuel. Erden et al. [9] ont réalisé une étude rétrospective comparant 3 régimes de traitement : ceftriaxone-doxycycline-rifampicine (P1), bactrim-doxycycline-rifampicine (P2), et P1 suivi de P2 quand la ceftriaxone est arrêtée. Quand on considère globalement les issues négatives (échec et rechutes), les traitements avec la ceftriaxone seraient plus efficaces. La durée du traitement est mal définie, prolongée certainement, comprise entre 4 et 6 mois. 4. Conclusion La brucellose peut avoir des présentations très variées et trompeuses qui sont d’autant plus difficiles à reconnaître dans les pays où elle n’est plus endémique. Les critères diagnostiques de certaines formes focalisées et leur traitement sont encore mal codifiés et nécessiteraient des études prospectives. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Contribution des auteurs A.L. Blanc-Gruyelle, X. Lemaire, A. Guaguere ont participé à la prise en charge du patient.

A. Sotto, E. Senneville et J.P. Lavigne ont aidé à la prise en charge du patient par leurs avis. A.L. Blanc-Gruyelle a écrit l’article. X. Lemaire et J.P. Lavigne ont participé à la relecture et la modification de l’article. Références [1] Anonyme. Données épidémiologiques 2015, rapport de l’Institut national de veille sanitaire, http://www.invs.sante.fr/Dossiers-thematiques/Maladiesinfectieuses/Zoonoses/Brucellose [consulté le 19/04/2016]. [2] Berger TG, Guill MA, Goette DK. Cutaneous lesions in brucellosis. Arch Dermatol 1981;117:40–2. [3] Ariza J, Servitje O, Pallares R, Fernandez Viladrich P, Rufi G, Peyri J, et al. Characteristic cutaneous lesions in patients with brucellosis. Arch Dermatol 1989;125:380–3. [4] Metin A, Akdeniz H, Buzgan T, Delice I. Cutaneous findings encountered in brucellosis and review of the literature. Int J Dermatol 2001;40: 434–8. [5] Akcali C, Savas L, Baba M, Turunc T. Seckin. Cutaneous manifestations in brucellosis: a prospective study. Adv Ther 2007;24:706–11. [6] Navarro-Martinez A, Solera J, Correidora J, Beato JL, Martinez-Alfaro E, Atienzar M, et al. Epididymoorchitis due to Brucella mellitensis: a retrospective study of 59 patients. Clin Infect Dis 2001;33:2017–22. [7] Guven T, Ugurlu K, Ergonul O, Celikbas AK, Gok SE, Comoglu S, et al. Neurobrucellosis: clinical and diagnostic features. Clin Infect Dis 2013;56:1407–12. [8] Yetkin MA, Bulut C, Erdinc FS, Oral B, Tulek N. Evaluation of the clinical presentations in neurobrucellosis. Int J Infect Dis 2006;10:446–52. [9] Erdem H, Ulu-Kilic H, Kilic S, Karahocagil M, Shehata G, Eren-Tulek N. Efficacy and tolerability of antibiotic combinations in neurobrucellosis: results of the Istanbul study. Antimicrob Agents Chemother 2012;56:1523–8.