Antithrombotiques et infarctus cérébral : essais cliniques et besoins médicaux

Antithrombotiques et infarctus cérébral : essais cliniques et besoins médicaux

P HARMACOLOGIE C LINIQUE Thérapie 2006 Septembre-Octobre; 61 (5): 401–405 DOI: 10.2515/therapie:2006066 c 2006 Société Française de Pharmacologie et ...

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P HARMACOLOGIE C LINIQUE

Thérapie 2006 Septembre-Octobre; 61 (5): 401–405 DOI: 10.2515/therapie:2006066 c 2006 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique 

Antithrombotiques et infarctus cérébral : essais cliniques et besoins médicaux Philippa Lavallée Service de Neurologie et Centre d’Accueil et de Traitement de l’Attaque Cérébrale, Hôpital Bichat, Paris, France

Mots clés : antithrombotiques ; infarctus cérébral

Résumé – Les patients qui ont présenté un premier infarctus cérébral (IC) sont à très haut risque vasculaire. Après un IC, les antiplaquettaires (AAP) permettent de diminuer le risque de survenue d’un événement vasculaire majeur de 23 %, mais ce risque reste encore élevé, justifiant le développement d’autres stratégies thérapeutiques. Les premiers résultats d’associations d’AAP (clopidogrel et aspirine) sont décevants, mais d’autres études ciblant les sujets à plus haut risque devraient voir le jour. De nouvelles molécules sont également développées. A côté du risque de récidive, le problème des IC est celui du handicap. Le rt-PA (recombinant tissue plasminogen activator) administré dans les 3 heures suivant l’IC, permet de dissoudre le thrombus et de guérir certains patients mais avec un risque d’hémorragie non négligeable. L’utilisation d’autres thrombolytiques moins dangereux et de nouvelles techniques d’imagerie cérébrale devrait permettre d’élargir la fenêtre thérapeutique permettant à un plus grand nombre de patients d’être traités.

Keywords: antithrombotic drugs; strokeflavonoids

Abstract – Antithrombotic Drugs and Stroke: Clinical Trials and Unanswered Questions. Stroke patients are at very high risk of recurrent vascular events. Antiplatelet agents (AAP) substantially decrease this risk but still 1 over 5 patients will have an other vascular event. Recent studies didn’t show any benefit of AAP association (aspirin, clopidogrel) but other studies targetting higher risk patients are needed. Studies with new AAP are ongoing. Beside vascular risk reduction, other antithrombotic agents are used as thrombolytics in the acute phase of stroke. The rt-PA (recombinant tissue plasminogen activator) administered in the first 3 hours dissolves the clot, preventing death and handicap due to ischemic brain lesion. But time window is short and rt-PA increase the risk of hemorragic stroke. Combination of new thrombolytic agents and new imaging technics should permit to rise the number of treated patients.

1. Introduction L’infarctus cérébral (IC) est une maladie fréquente et grave. Chaque année en France entre 60 000 et 120 000 personnes présentent un IC. C’est la première cause de handicap et la 3e cause de mortalité après les cancers et les maladies cardiaques. Il y a en France entre 250 000 et 500 000 survivants d’accident vasculaire cérébral (prévalence de 4 à 8 pour 1000 habitants). C’est aussi un problème de santé publique. D’une part avec le vieillissement de la population l’incidence des IC augmente. D’autre part, du fait, surtout, du handicap résiduel, l’IC coûte cher. Il a été estimé dans l’étude ECIC à 18 000 Euros sur les 12 premiers mois, soit 2,7 Milliards d’Euros par an (2,5 % des dépenses de santé).[1] Le but des différents traitements est de diminuer l’incidence des IC (premier épisode et récidive) et d’améliorer leur pronostic une fois qu’ils sont survenus. Les antithrombotiques permettent de jouer sur les 2 tableaux. Les antiplaquettaires (AAP) et les an-

ticoagulants diminuent l’incidence des IC. Les thrombolytiques améliorent le pronostic fonctionnel en recanalisant précocément l’artère cérébrale. Nous traiterons dans cet article des AAP et des thrombolytiques. Les anticoagulants diminuent le risque d’IC principalement en cas de fibrillation auriculaire (FA), de valve cardiaque mécanique et au cours de certaines cardiopathies.

2. Prévention de l’infarctus cérébral : les antiplaquettaires 2.1. Particularités de l’infarctus cérébral Contrairement à l’infarctus du myocarde (IDM) qui est dans l’immense majorité des cas lié à l’athérosclérose, l’IC peut être la conséquence de maladies très différentes. Les causes les plus fréquentes sont l’athérosclérose, l’artériolopathie intracérébrale

Article published by EDP Sciences and available at http://www.journal-therapie.org or http://dx.doi.org/10.2515/therapie:2006066

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(maladie des petites artères de moins de 500 µm) et la FA. La cause de l’infarctus reste inconnue dans environ 40 % des cas. Le risque de récidive d’un IC varie en fonction de sa cause. Globalement il peut être estimé à 8 % par an ; le risque varie de 6 % pour un infarctus lacunaire à 12 % par an pour une sténose carotide ≥ 70 % ou une FA. En fonction de la cause, des essais thérapeutiques récents ont définitivement démontré le bien fondé de stratégies thérapeutiques, qui ont conduit à des recommandations consensuelles, à savoir traiter par anticoagulant par voie orale les patients atteints de FA, par AAP ceux dont la cause de l’IC est une artériolopathie intracérébrale, une athérosclérose ou quand la cause est inconnue et par endartérectomie carotide les patients atteints de sténose symptomatique de l’origine de l’artère carotide interne ≥ 70 %. 2.2. Antiagrégants plaquettaires en prévention primaire de l’infarctus cérébral Dans la Physician Health Study qui portait sur 22 000 médecins indemnes de maladie vasculaire, l’aspirine à la dose de 325 mg, 1 jour sur 2, ne diminuait pas le risque de survenue d’un IC (avec même une augmentation non significative).[2] L’Antitrombotic Trialists a publié en 2002 une méta-analyse qui a étudié l’effet des AAP chez des patients présentant différentes manifestations d’athérosclérose (tableau I).[3] Dans cette étude, les AAP diminuaient le risque de survenue d’un IC en cas d’antécédent IDM ou d’IDM aigu (respectivement 5 et 2 IC évités pour 1 000 patients traités). Cette même analyse a montré que le bénéfice d’un AAP chez le diabétique sans antécédent vasculaire était minime (diminution de 8 % d’évènement vasculaire majeur) mais sans augmentation d’hémorragie rétinienne ou vitrée. L’étude CHARISMA a montré que l’association clopidogrel (Cl)-aspirine (ASA) n’était pas supérieure à l’ASA pour la survenue d’un premier IDM, IC ou mort vasculaire chez les patients à haut risque vasculaire mais sans antécédent vasculaire documenté. Le risque d’hémorragie était même un peu augmenté, mais la différence n’était pas significative.[4] 2.3. Prévention secondaire Dans la méta-analyse de l’Antitrombotic Trialists, les AAP administrés après un IC, diminuaient le risque d’évènement vasculaire majeur (IDM, IC et mort vasculaire) de 23 % soit 36 évènements évités pour 1 000 patients traités. Le nombre d’accident vasculaire cérébral était également diminué passant de 10,8 à 8,3 % soit 25 évènements évités pour 1 000 patients traités (figure 1). L’ASA (50 à 325 mg/j), inhibiteur de la cyclooxygénase plaquettaire, le Cl (75 mg/j) inhibiteur du récepteur à c 2006 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique 

l’ADP (adenosine diphosphate) plaquettaire ou l’association dipyridamole (inhibiteur de la phosphodiestérase plaquettaire) –ASA (dose 200 mg-25mg × 2/j) sont toutes des alternatives acceptables.

2.4. Besoins médicaux Si les AAP sont efficaces en prévention secondaire, le risque de récidive reste élevé. Les mécanismes sous-tendant cette apparente « résistance aux antiagrégants plaquettaires » ne sont pas connus, mais différentes hypothèses peuvent être avancées : problème d’observance thérapeutique, d’absorption digestive ou d’interférence médicamenteuse ? Dose d’antiagrégant plaquettaire inadaptée ? Aucune étude ne s’est par exemple intéressée à la dose d’AAP en fonction du poids du patient. Non-prise en charge des autres facteurs de risque vasculaire comme l’HTA, ou l’hypercholestérolémie ? IC en fait d’origine cardio embolique ?... Ou véritable résistance aux antiplaquettaires ? Deux études récentes ont testé l’association ASA-Cl versus Cl (étude MATCH)[5] en prévention secondaire de l’IC et versus ASA (étude CHARISMA)[4] chez des patients à haut risque vasculaire (antécédents vasculaire ou multiples facteurs de risque vasculaire). Le rationnel de cette association reposait sur des arguments « biologiques » : 1) voies d’inhibition plaquettaire différentes ; 2) effets antiagrégants et antithrombotiques du Cl potentialisés par l’ASA ; 3) effet synergique du Cl et de l’ASA démontré sur des plaquettes ex vivo, in vivo, et sur modèle animal, et « clinique » : 1) persistance d’un risque vasculaire élevé sous monothérapie seule ; 2) dans les situations très « thrombosantes », comme l’angioplastie et le stenting, cette association est plus efficace que ASA seule ; 3) chez les patients ayant un IC récent et une sténose ≥ 50 % de la carotide, cette association diminue les microembolies cérébrales par rapport à l’ASA seule ;[6] 4) à la phase aiguë de l’angor instable, cette association diminue de 20 % le risque d’IDM et d’IC.[7] Malheureusement ces 2 études sont négatives. Dans MATCH, l’association Cl-ASA ne diminuait pas significativement la survenue d’IDM, d’IC, de mort vasculaire et de réhospitalisation pour évènement ischémique par rapport au Cl seul (respectivement 15,70 % versus 16,73 % ; p = 0,244), avec même une augmentation des complications hémorragiques. Cependant cette population n’était pas très représentative d’une population habituelle d’IC, avec une sur-représentation de diabétiques et d’infarctus lacunaires et une sous représentation d’infarctus liés à l’athérosclérose et de patients avec antécédents d’IDM, population la plus susceptible de bénéficier de cette association. Dans CHARISMA, le risque d’IDM, d’AVC et de mort vasculaire n’était pas statistiquement différent dans les 2 groupes (ASA-clopidogrel 7,3 % versus ASA 6,8 %, risque relatif, 0,93 ; Intervalle de Confiance à Thérapie 2006 Septembre-Octobre; 61 (5)

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Tableau I. Risque d’évènement vasculaire majeur sous antiplaquettaire ou contrôle après un IC ou un accident ischémique transitoire (Durée moyenne de traitement 29 mois). D’après l’Antithrombotic Trialists’ Collaboration[3] , avec autorisation du BMJ. IC : infarctus cérébral

Fig. 1. Patiente de 78 ans thrombolysée par rt-PA 2 h 50 après la survenue d’un IC. Une heure après le début de la thrombolyse, survenue brutale d’un coma. Le scanner montre une transformation hémorragique massive qui conduira au décès.

95 %, 0,83 à 1,05 ; p = 0,22) mais sans augmentation du risque hémorragique. Ce n’est probablement pas la fin des associations des antiagrégants plaquettaires, mais il faudra peut être mieux cibler la population étudiée, en prenant les patients à très haut risque vasculaire comme dans l’étude ARCH par exemple, qui teste l’assoc 2006 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique 

ciation ASA-Cl versus warfarine en prévention secondaire d’un IC associé à une athérothrombose sévère de la crosse de l’aorte. D’autres AAP arrivent sur le marché comme le terutroban, antagoniste spécifique des récepteurs du thromboxane A2 et des prostaglandines endoperoxides qui semblent avoir des propriétés antiagrégantes plaquettaires, anti-athéroscléreuses et antivasoconstrictrices.[8, 9] Thérapie 2006 Septembre-Octobre; 61 (5)

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3. Traitement de l’infarctus cérébral à la phase aiguë : la thrombolyse

les 6 heures suivant l’IC avait donné des résultats encourageants dans une étude de phase II. Malheureusement l’étude de phase III a été arrêtée en raison d’un risque hémorragique trop élevé.[14]

3.1. Le rt-PA (recombinant tissue plasminogen artivator)

4. Conclusion Dans la grande majorité des cas, l’IC est secondaire à une occlusion artérielle brutale et les études angiographiques ont montré que 81 % des patients vus dans les 6 heures avaient une occlusion artérielle.[10] D’où l’idée d’administrer un traitement thrombolytique à la phase aigüe de l’infarctus cérébral. Le seul traitement actuellement validé est le rt-PA, administré par voie intra-veineuse dans les 3 heures suivant l’infarctus cérébral. Il transforme le plasminogène en plasmine qui à son tour dégrade la fibrine. Il permet d’éviter 140 décès ou patients dépendants pour 1 000 patients traités.[11] Mais ce traitement est loin d’être toujours efficace (absence de recanalisation ou ré-occlusion), peut être dangereux puisqu’il augmente le risque d’hémorragie cérébrale pouvant conduire au décès du patient (figure 1). Certains facteurs sont identifiés comme augmentant le risque d’hémorragie cérébrale (hypertension artérielle, hyperglycémie, IC massif...), conduisant à certaines restrictions d’utilisation comme l’administration uniquement par des neurologues experts dans le domaine neuro-vasculaire. La fenêtre thérapeutique de 3 heures est une autre limitation majeure d’utilisation du traitement expliquant en partie pourquoi une très faible partie des patients peut bénéficier de ce traitement (2 % aux Etats-Unis par exemple). Enfin, le rt-PA est neurotoxique.[12]

3.2. Besoins médicaux Des alternatives thérapeutiques sont actuellement développées pour élargir la fenêtre thérapeutique soit à l’aide d’outils d’imagerie soit par l’utilisation de nouvelles molécules. Ces techniques ne sont pas validées pour des essais contrôlés. L’utilisation de l’IRM (imagerie par résonance magnétique) pourrait élargir la fenêtre thérapeutique en distinguant schématiquement 2 types de patients : ceux qui ont un déficit neurologique lié à une hypoperfusion cérébrale sévère mais encore réversible, même au delà de 3 heures, chez qui le traitement thrombolytique pourrait être utilisé et ceux chez qui ce type de traitement est inutile et dangereux car le parenchyme cérébral est déjà détruit. C’est le concept de « mismatch » clinico-radiologique. Des études sont encore nécessaires pour valider cette théorie. De nouveaux thrombolytiques sont développés comme, par exemple, la desmoteplase avec déjà des résultats prometteurs.[13] Parmi ces molécules, l’abciximab, un antagoniste des récepteurs plaquettaires GP IIb-IIIa, administré par voie intraveineuse dans c 2006 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique 

Les antiplaquettaires administrés en prévention secondaire de l’IC diminuent le risque de récidive et de survenue d’évènements coronaires. Mais le risque vasculaire global reste élevé puisque environ un patient sur 5 aura un nouvel événement vasculaire. Les associations d’antiplaquettaires n’ont pas montré leur supériorité par rapport à la monothérapie, mais il est possible que la population cible n’était pas la bonne. D’autres études sont nécessaires et d’autres antiplaquettaires arrivent sur le marché. A côté des antithrombotiques, le contrôle des facteurs de risque est crucial y compris chez les sujets âgés. Les traitements thrombolytiques administrés dans les 3 heures suivant l’IC permettent de guérir un certain nombre de patient, mais leur utilisation est encore limitée du fait d’une fenêtre thérapeutique courte et d’une potentielle dangerosité. Là encore de nouvelles molécules sont en cours de développement.

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14. Abciximab Emergent Stroke Treatment Trial (AbESTT) Investigators.Emergency administration of Abciximab for treatment of patients with acute ischemic stroke. Stroke 2005; 36: 880

Correspondance et offprints : Philippa Lavallée, Service de Neurologie et Centre d’Accueil et de Traitement de l’Attaque Cérébrale, Hôpital Bichat, 46 rue Henri Huchard, 75018 Paris, France. E-mail : [email protected]

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