Aspergillose bronchopulmonaire allergique aggravée par la consommation de cannabis

Aspergillose bronchopulmonaire allergique aggravée par la consommation de cannabis

Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique 43 (2003) 192–194 www.elsevier.com/locate/revcli Fait clinique Aspergillose bronchopulmonai...

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Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique 43 (2003) 192–194 www.elsevier.com/locate/revcli

Fait clinique

Aspergillose bronchopulmonaire allergique aggravée par la consommation de cannabis Aggrevation of allergic bronchopulmonary aspergillosis by smoking marijuana G. Kouevidjin a,*, J. Mazieres a, S. Fayas b, A. Didier a a

Service de pneumo-allergologie, centre hospitalier régional, Rangueil, 31403 Toulouse, France b Centre de réadaptation fonctionnelle respiratoire, Soleil Cerdan, 66347 Osséja, France Reçu le 7 janvier 2003 ; accepté le 10 janvier 2003

Résumé Nous rapportons un cas d’aspergillose bronchopulmonaire allergique (ABPA) chez une patiente présentant un asthme sévère. L’évolution a été émaillée de multiples rechutes dans l’étiologie desquelles nous évoquons le rôle de la consommation chronique de cannabis. Cette exposition a pu être documentée par l’interrogatoire et le dosage urinaire du tétra-hydrocannabinol (principal principe actif du cannabis). L’analyse mycologique du matériel végétal fourni par la patiente a permis de retrouver la présence en abondance, en culture, Aspergillus fumigatus et flavus. La consommation de marijuana fait partie des sources d’exposition potentielle à l’Aspergillus et doit être systématiquement recherchée chez les patients présentant une ABPA difficile à contrôler par le traitement médical. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We report a case of allergic bronchopulmonary aspergillosis occurring in a female with severe asthma. Despite treatment with itraconazole and systemic corticosteroids, the patient’s clinical course was characterized by multiple relapses. Intermittent periods of marijuana smoking were clearly associated with these relapses. Smoking marijuana was documented by questioning and by urinary measurement of tetrahydrocannabinol, the main active principle of cannabis. Samples of marijuana obtained from the patient yielded heavy growth of Aspergillus fumigatus and A. flavus. We suggest that smoking marijuana should be systematically investigated as a potential environmental source of chronic exposure to Aspergillus in patients with allergic bronchopulmonary aspergillosis that is difficult to control. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés : Asthme ; Aspergillose bronchopulmonaire allergique ; Aspergillus ; Cannabis ; Marijuana Keywords: Allergic bronchopulmonary aspergillosis; Asthma; Aspergillus; Marijuana; Cannabis

L’aspergillose bronchopulmonaire allergique (ABPA) est une maladie liée au développement dans l’arbre respiratoire d’une réponse immunologique complexe dirigée contre le champignon Aspergillus (le plus souvent Aspergillus fumigatus). Elle se développe en général sur une pathologie respiratoire chronique, en particulier un asthme ancien ou * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (G. Kouevidjin). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 10.1016/S0335-7457(03)00050-9

une mucoviscidose. Son évolution et son pronostic ont été améliorés grâce au traitement corticoïde et antifungique [1]. L’exposition environnementale peut favoriser le développement de la maladie chez les patients présentant une pathologie respiratoire chronique altérant la clairance mucociliaire et les défenses locales de l’appareil respiratoire. En effet ce champignon se développe dans le sol, les débris organiques, les céréales moisies, mais également sur les feuilles de certaines plantes. C’est ainsi que des cas d’aspergilloses bron-

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Tableau 1 Évolution du VEMS et de la sérologie aspergillaire avant et après chaque séjour en centre de rééducation fonctionnelle VEMS (entrée) (litre) VEMS (sortie) (litre) Sérologie aspergillaire.(entrée) Sérologie aspergillaire.(sortie)

Janv à mars 2001 0,810 (25 %th) 2,150 (67 %th) 3 arcs 1 arc

chopulmonaires ont été observés chez des fumeurs de marijuana (cannabis sous forme d’herbe) [2]. Nous rapportons le cas d’une patiente porteuse d’une ABPA dont l’évolution a été émaillée de rechutes multiples pour lesquelles nous évoquons le rôle d’une consommation chronique de cannabis. 1. Observation Mme L. 45 ans présente depuis l’âge de 20 ans un asthme sévère corticodépendant associé à un tabagisme persistant (> 40 paquets/année). Sa maladie s’est compliquée d’une ABPA diagnostiquée en 1998 sur des critères suivants : tests cutanés positifs pour Aspergillus fumigatus; IgE totales > 6000 UI ; présence d’IgE spécifiques anti- Aspergillus fumigatus de classe IV ; hyperéosinophilie à 1547 mm–3 ; 7 arcs contre Aspergillus fumigatus en immunoélectrophorèse ; infiltrats radiologiques migrateurs et dilatations des bronches à la tomodensitométrie thoracique. Lors du diagnostic de l’ABPA, la gazométrie de repos en air ambiant montrait une PaO2 à 66 mmHg et une PaCO2 à 39 mmHg et la spirométrie un trouble ventilatoire obstructif important avec un VEMS à 1,1 l (soit 46 % de la théorique) et un coefficient de tiffeneau à 58 %. Elle a bénéficié d’un traitement par corticoïdes par voie générale (Cortancyl® 1 mg kg–1) avec tentative de décroissance progressive associé à de l’itraconazole (Sporanox®, 200 mg j–1). Un traitement inhalé par l’association d’un bêta-2-mimétique longue action et d’un corticoïde inhalé a été mis en place. En raison de la sévérité de son état, elle a également, depuis 2001, effectué plusieurs séjours climatiques (1 à 2 fois par an) dans un centre de rééducation fonctionnelle respiratoire de la région cerdane (PyrénéesOrientales). L’évolution de sa maladie s’est caractérisée par une nette amélioration lors des séjours en centre de rééducation avec aggravation de son état clinique et fonctionnel dès son retour au domicile, nécessitant une remontée des doses de corticoïdes par voie générale. Devant l’absence d’amélioration lors du dernier séjour climatique (Tableau 1), la reprise de l’interrogatoire a permis de détecter une consommation régulière de cannabis au domicile. La patiente reconnaissait avoir généralement stoppé sa consommation lors des séjours antérieurs mais l’avoir maintenue lors du séjour en cours alléguant des difficultés familiales. Le dosage urinaire de tétrahydrocannabinol (THC) s’est avéré positif et l’analyse mycologique du matériel végétal procuré par la patiente a permis d’isoler en culture d’ Aspergillus fumigatus et flavus en quantité abondante.

Nov à déc 2001 0,990 (31 %th) 1,990 (62 %th) 4 arcs 2 arcs

Avril à juil 2002 0,750 (23 %th) 1 (31 %th) 3 arcs 10 arcs

2. Discussion Cette observation nous paraît illustrer la possibilité d’aggravation d’une pathologie aspergillaire bronchopulmonaire par la consommation de cannabis. Kagen et al. [3] ont souligné le risque d’exposition aux agents fungiques auquel sont soumis les sujets inhalant la fumée de marijuana. Plusieurs types de complications aspergillaires infectieuses ou immuno-allergiques ont été décrites en liaison avec la consommation de cannabis. Ainsi, une issue fatale a été rapportée chez un patient ayant présenté une aspergillose pulmonaire invasive, 75 j après greffe de moelle osseuse pour leucémie myéloïde chronique [4]. Ce patient avait fumé massivement de la marijuana dans les semaines précédentes son admission à l’hôpital. L’étude de Roth et al. [5] a montré que la consommation régulière de marijuana, tout comme l’intoxication tabagique chez des sujets jeunes, est associée de façon significative à une inflammation des voies aériennes. Llamas et al. [2] ont rapporté un cas d’ABPA associé à une consommation de marijuana caractérisé par une nette amélioration clinique et radiologique après l’instauration du traitement et l’arrêt de la consommation du marijuana. Dans notre observation, l’amélioration clinique et fonctionnelle de l’état de la patiente en centre de rééducation fonctionnelle s’explique par l’arrêt provisoire de consommation de cannabis dans cette structure (sauf lors du dernier séjour) avec reprise de la consommation dès le retour au domicile rapidement associée à une dégradation clinique et fonctionnelle. Cependant, les effets du cannabis sur les voies aériennes inférieures ne sont pas tous négatifs. Une bronchodilatation immédiate liée à l’inhalation de fumée de marijuana a été décrite par certains auteurs [6,7]. Cet effet bénéfique à court terme peut être recherché par certains asthmatiques, d’autant qu’il pourrait améliorer leur tolérance vis-à-vis de la fumée de tabac.

3. Conclusion Chez les patients tabagiques porteurs d’une pathologie aspergillaire bronchopulmonaire en particulier d’une ABPA, la consommation de cannabis doit être recherchée systématiquement comme source potentielle d’exposition environnementale à Aspergillus. Elle peut influencer défavorablement l’évolution de l’affection. L’exposition peut être facilement confirmée par le dosage urinaire du tétra-hydrocannabinol, principe actif le plus important du cannabis.

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