Attention, microbes !

Attention, microbes !

Transfus Clin Biol2000 ; 7 : 101-3 0 2000 Editions scientifiques et medicales Elsevier La bibliotheque SAS. Tous droits r6serv6s de transfusion ...

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Transfus Clin Biol2000 ; 7 : 101-3 0 2000 Editions scientifiques et medicales

Elsevier

La bibliotheque

SAS. Tous droits

r6serv6s

de transfusion

Analyse de livre

Attention,

microbes

!

H N. Gualde. Un microbe n’explique pas une epidemie. Paris : PUF ; 1999. Collection <(Les empecheurs de penser en rond )k. H Microbes, immunity, and disease. Science 1999 ; 284 : cahier special. -a publication simultanee d’un ouvrage general L sur l’epidemiologie infectieuse et dun cahier special <) dans Science vient nous rappeler opportunement la coexistence permanente depuis l’apparition de la vie sur Terre des organismes eucaryotes et procaryotes. L’intrication de ces deux ordres est totale, l’un et I’autre interagissant sans cesse. On pense m@me qu’une part non negligeable du polymorphisme biologique au niveau des antigenes de surface du globule rouge (les groupes sanguins) est le resultat de pressions de selection imposees par des germes infectieux (pris au sens large du terme : bacteries-parasites-virus). Le monde bacterien que nous connaissons reste essentiellement celui que nous apprehendons par le biais de la mise en culture. Une premiere approximation evaluee a partir des tests d’hybridation moleculaire estime que pres de 98 % des batteries ne sont pas cultivables sur les milieux dont nous disposons actuellement ! Une grande partie des phenomenes lies a une infestation bacterienne est done ignoree par defaut technique. A ce titre, les nouvelles technologies par PCR ayant depasse le stade experimental devraient permettre certaines decouvertes dans le cadre de recherches <
un screening des banques de don&es genetiques bacteriennes automatise et ameliore la resolution de ce depistage systematique. La meme methodologie est mise en ceuvre pour explorer des familles de virus en utilisant des sondes complementaires des regions particulierement conservees. On travaille egalement sur une technique d’hybridation soustractive pour comparer, en les enrichissant, les fragments d’ADN (a priori rares) des germes retrouves chez les seuls sujets malades avec ceux qui colonisent habituellement les sujets sains. L’id6e est d’obtenir les sequences specifiques des premieres. Ce test, appele RDA en anglais pour (), permettrait de signaler la presence de souches authentiquement pathogenes dans un environnement complexe. Le but ultime est d’essayer d’etablir des liens de causalite entre une infestation bacterienne donnee et un syndrome clinique, apres analyse statistique. La PCR commence egalement a etre utilisee en histochimie, avec des techniques d’amplification genique des ADN bacteriens specifiques couplees a un marquage fluorescent. Cela est mis en Buvre dans la maladie de Crohn. On remarque egalement une publication evoquant une association tres forte entre la presence du genome d’un enterovirus dans le LCR (a priori sterile) et la s&rose laterale amyotrophique. Dans le domaine du diagnostic indirect, on pense egalement pouvoir realiser une etude du profil de reactivite inflammatoire par l’analyse des genes humains exprimes precocement en reponse a une infection. La sensibilite dun tel test serait tres superieure a celle du dosage actuel des proteines de la phase aigue de l’inflammation (CRP, orosomucdide, certaines interleukines, etc.). 11est clair que l’ensemble de ces nouvelles technologies ne permet pas toujours d’etablir un lien de causalit6 strict entre un agent infectieux et l&entail de complications variees qu’il est susceptible d’entrainer. 11 n’en demeure pas moins que des observations recentes sont assez significatives. Un travail suggere fortement un lien entre taux circulant d’endotoxines (LPS) et maladie coronarienne ; on sait que le syn-

102 drome de choc toxique lie a Staphilococcus aureus est dQ aux superantigenes que cette bacterie deverse a partir de niches anatomiques inattendues ; certains syndromes de Guillain et Barre sont dus a la fabrication d’anticorps anti-Campylobacter jejuni en reaction croisee avec des gangliosides des nerfs peripheriques survenant plusieurs mois apres une infection intestinale. Ces 15 dernieres annees, un certain nombre de maladies ont pu @tre rapportees a des causes microbiennes : l’ulcere gastrique 21 Helicobacter pylori, l’hepatite non A non B au VHC, l’angiomatose bacillaire 21 Bartonella henselae, la maladie de Whipple A Tropherima whippeli, le syndrome pulmonaire a Hanta virus au virus Sin Nombre, le sarcome de Kaposi a Herpes virus 8. A l’exception de H. pylori, tous ces agents pathogenes ont et6 identifies par un diagnostic faisant appel au genie genetique. On soupconne cette fois l’implication de nombreux elements des flores commensales d’etre impliques dans la maladie de Crohn : les gingivites, les parodontites, les endocardites, soit comme source de contamination, soit comme pathogenes opportunistes occasionnels. Un grand nombre de batteries pathogenes sont presentes dans des biofilms, milieux biologiques tres particuliers dont les membres ne peuvent pas etre mis en culture. 11 s’agit de films visqueux et glissants ou les batteries residentes possedent une organisation elaboree. Lorsqu’une population bacterienne atteint une certaine taille fun quorum), ses membres acquierent des possibilites d’echanges medies par de petites molecules messageres, veritables equivalents hormonaux (par exemple l’homoserine-lactone-acetylee). Ces composants entrainent un changement coordonne de comportement par induction genique et ce, m@me chez des especes tres eloignees. Les resultats peuvent etre tres divers : secretion de molecules a pouvoir antibiotique selectif emises par S. aureus pour eliminer un concurrent, secretion dune protection muqueuse par P. aeruginosa chez les malades atteints de mucoviscidose, etc. 11 ne s’agit pas la de phenomenes de transmission d’information genetique comme la conjugaison ou la transformation ; les diverses batteries possedent deja les genes inductibles, il s’agit veritablement dune vie <( sociale )). Comme ces substances sont transportees a distance, des germes a priori non

impliques vont avoir une modification de leur comportement. La constitution dun biofilm par une colonie bacterienne releve d’un tel mecanisme de sensibilite par effet de seuil ou quorum dependant (quorum sensing en anglais). En son sein, les batteries s’organisent en communautes structurees possedant une heterogeneite fonctionnelle. 11s’agit d’un mode de croissance qui assure une meilleure survie dans un environnement hostile. Des structures y forment des canaux dans lesquels circulent des nutriments. De man&e periodique, des germes s’en echappent, realisant alors une affection symptomatique, les membres residants restant a l’abri des antibiotiques et des defenses immunitaires. Certains germes (I? aeruginosa) semblent meme posseder un (( sens du toucher >>,leur fixation sur un support solide vivant ou inerte induisant l’expression des genes elaborant le film (alginate en l’occurrence). La plaque dentaire est un autre exemple classique de biofilm. Un certain nombre de batteries Gram negatives pathogenes utilisent en outre un ensemble de genes apparent4 a ceux de l’appareil flagellaire pour elaborer un systeme de secretion dit de type 3. Cette structure, ancree dans la membrane bacterienne, permet l’injection dans une cellule de composants divers qui vont interferer avec des elements intracytoplasmiques. Escherichia coli secrete la proteine Tir qui provoque l’effacement des microvillosites des cellules de la bordure intestinale ; S. typhimurium synthetise un produit qui reorganise le cytosquelette et stimule la sortie du chlore des cellules ; Shigella synthetise un inducteur d’apoptose agissant sur les caspases ; Yersinia fabrique une tyrosine phosphatase inhibitrice de phagocytose. Cette liste s’accroit tous les jours, il semble que ces substances soient essentiellement codees par des elements transposables. Enfin, d’autres germes ont m@me incorpore des genes humains a l’instar de certains virus. Mycobacterium tuberculosis en possede huit, dont certains cadent pour des proteines qui inactivent le peroxyde d’hydrogene utilise pour sa propre destruction. Lapport de ces nouvelles technologies permettra vraisemblablement d’apporter un nouvel eclairage sur des faits troublants. Encore conviendra-t-i1 de rechercher ce qu’il faut, la ou il faut. On soupconne par exemple tres fortement les Chlamydia de transiter

103 vers l’endothelium vasculaire et d’y provoquer des lesions inflammatoires chroniques. Cela serait-il a l’origine de certaines pathologies atheromateuses ? De meme, il est reconnu que le tractus digestif est habite par des archaebacteries methanogenes. Ces dernieres pourraient-elles @tre associees a une pathologie ? Afin d’avoir une vision correcte des chases, de nouveaux concepts ecologiques comme l’heterogeneite ou la densite populationnelle bacterienne peuvent @tre tres importants pour definir la transition entre un &at de bonne Sante et la maladie. Les interactions a distance entre des colonies bacteriennes et des biofilms permanents (la plaque dentaire par exemple) sont envisageables dans la genese de maladies <(rhumatismales >), de syndromes autoimmuns divers, voire de maladies malignes. Une reconsideration totale du role des flores ou des retrovirus endogenes est egalement possible. A ce titre, on a constate qu’une pararickettsie (Wolbachia) endosymbiotique dun nematode jouait un role important dans le developpement de ce dernier. A ces chapitres traitant de la chose bacterienne, il convient d’ajouter les faits deja connus ou inconnus mais supposes sur les virus, voire les prions, pour aboutir a un tableau alarmant sinon apocalyptique pour la transfusion et les greffes. Ces transplantations tissulaires, au sens large du terme, realisent des transferts inevitables de microbes don.t il faudrait &valuer toutes les consequences. 11 va de soit que les mesures de Sante publique comme le depistage systematique de certains agents transmissibles, l’eviction des donneurs a risque, la reduction des transferts microbiens par la deleucocytation systematique ont &art6 les problemes les plus apparents. Les faits nouveaux revel& par de nouvelles technologies nous invitent a ne pas baisser la garde, tout en essayant de renouveler notre vision des chases. A ce propos, les analyses genomiques systematiques de differentes especes bacteriennes conduisent certains a mettre en doute les schemas traditionnels sur l’evolution des premiers organismes, les procaryotes (les batteries) devenant des etres a evolution plus rapide que les eucaryotes (c’est-a-dire nous) qui avons conserve certains vestiges des premiers etres du monde vivant primitif suppose avoir et6 a ARN ! Revenons aux batteries et virus contemporains avec l’ouvrage synthetique de N. Gualde, Un microbe

n’explique pas une kpidkmie. L’un des articles du cahier special de Science est d’ailleurs intitule ccMaladies infectieuses emergentes : debat de Sante publique du XIX~siecle )) : il realise parfaitement le lien entre l’ouvrage de N. Gualde et la revue. Dans leur point de vue, les auteurs de la revue insistent sur la necessite dune approche collaborative sur tous les problemes lies aux maladies infectieuses, maladies multifactorielles par excellence, afin de mieux orienter les ressources. N. Gualde decrit quant a lui, a travers un historique des maladies infectieuses, une vision globale des grandes pandemies survenues dans le passe. Lint&et de son travail reside dans la description toujours multifactorielle des faits, ce qui rend son point de vue tres original pour un medecin. Cette vision globale est bien stir plus facile a concevoir a posteriori, mais il faudrait s’en inspirer pour la transposer dans une approche prospective. Le champ couvert est exhaustif et le public concern6 est finalement assez vaste, car l’auteur expose les faits dans un langage tres accessible. Toutes les pathologies majeures sont pas&es en revue et l’on trouve dans chaque chapitre un melange de references purement scientifiques et d’articles de vulgarisation, voire de journaux d/information pour illustrer l’impact social de ces maladies. La bibliographie est d’ailleurs un des points forts de cet ouvrage. Ce livre peut etre mis en de tres nombreuses mains, certaines parties necessitant cependant un minimum de connaissances medicales, biologiques et socio-economiques (correspondant aux premieres annees d’un cycle d’etudes medicales). rapport d’informations qui y figure correspond a peu p&s a ce qu’un decideur en politique de Sante se doit de savoir. Seule la fin qui expose les differents points de vue theoriques globaux sur l’ecologie terrestre (modele dit ) et theorie du chaos) peut paraitre un peu en decalage. Au total, il s’agit a la fois d’un excellent livre d’histoire de la medecine et d’une tentative scientifique pour decrire l’interaction des systemes complexes a partir desquels se creent en permanence de nouvelles epidemics. Lensemble de nos societes &ant, parait-il, sur la voie d’une mondialisation, il conviendrait effectivement de constituer au moins un observatoire international pour tenter de prevenir de nouveaux deboires.