Développement psychomoteur des nourrissons de 0 à 12 mois dans le district de Bamako

Développement psychomoteur des nourrissons de 0 à 12 mois dans le district de Bamako

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Journal de pédiatrie et de puériculture 20 (2007) 233–237

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j o u r n a l h o m e p a g e : h t t p : / / f r a n c e . e l s e v i e r. c o m / d i r e c t / P E D P U E /

ARTICLE ORIGINAL

Développement psychomoteur des nourrissons de 0 à 12 mois dans le district de Bamako Psychomotor development of infants from 1 to 12 months of age in the district of Bamako M. Sylla*, T. Sidibé, B. Traoré, I. Traoré, F. Dicko-Traoré, M.-M. Keita Service de pédiatrie, hôpital Gabriel-Touré, BP 267, Bamako, Mali

MOTS CLÉS Développement psychomoteur ; Nourrissons ; Bamako

Résumé L’objectif de notre travail était d’apprécier le développement psychomoteur global des nourrissons de 1 à 12 mois dans le district de Bamako. Nous avons évalué, selon les tests de Denver, 353 nourrissons apparemment sains, âgés de 1 à 12 mois, vus en consultation d’enfants sains dans quatre centres de protection maternelle et infantile (PMI). Les différentes épreuves du développement psychomoteur, selon la technique de Denver, étaient réalisées avec, dans la majorité des cas, des taux de réussite de plus de 75 %. Malgré des modes de vie et un environnement différents, ce travail a retrouvé des résultats comparables aux standards internationaux.

© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Psychomotor development; Infants; Bamako

Abstract The objective of our study was to examine the total psychomotor development of the infants from 1 to 12 months of age in the district of Bamako. We evaluated according to tests’ of Denver 353 old apparently healthy infants from 1 to 12 months seen in consultation of healthy children in mother and infant Health Care Centers. The various tests of the psychomotor development according to the technique of Denver were performed with in the majority of the cases of the rates of success of more than 75 %. Despite different lifestyles and environments, this study pinpointed results comparable with the international standards.

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Introduction Le développement psychomoteur est le processus d’évolution parallèle des progrès psychiques (intelligence, langage, * Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Sylla).

affectivité) et moteurs. Il débute pendant la grossesse et se poursuit jusqu’à l’adolescence. Il est étroitement lié à la maturation cérébrale, à la qualité des échanges affectifs et à la stimulation de l’environnement. Au Mali, l’enquête effectuée par l’Association malienne de lutte contre la déficience mentale (Amaldeme) en 1987 a trouvé une prévalence de 14,6 % de retard de développe-

0987-7983/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jpp.2007.08.005

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ment psychomoteur dans une population de 9000 enfants âgés de zéro à cinq ans dans le district de Bamako [1]. Cette enquête a suscité un grand intérêt et des interrogations. Le nourrisson malien se développe-t-il normalement de la naissance à 12 mois dans son cadre de vie précaire ? Le développement psychomoteur des nourrissons à Bamako est-il comparable aux normes internationales ? Pour répondre en partie à ces questions, nous avons initié cette étude dont le but était d’apprécier le développement psychomoteur global des nourrissons âgés de 1 à 12 mois dans le district de Bamako.

Patients et méthodes L’enquête transversale a duré une année (octobre 2000 à septembre 2001) et s’est déroulée dans quatre centres de protection maternelle et infantile (PMI) du district de Bamako : Badalabougou, Niaréla, PMI centrale et Hamdallaye. Ces PMI ont été sélectionnées sur des critères de fréquentation et de répartition géographique. La population d’étude était constituée par les nourrissons âgés d’un ou deux mois résidant dans le district de Bamako quel que soit le niveau socioculturel de leurs familles. La taille de notre échantillon a été calculée sur la base des résultats de l’enquête de l’Amaldeme de 1987. Selon la formule ε2 αpq=i2 (p = fréquence du retard, i = 0,05, q = 1 – p), nous trouvons une taille minimum de 193 nourrissons à évaluer. Nous avons évalué 88 nourrissons par centre, soit un total de 353 nourrissons en bonne santé apparente. Nous avons inclus les nourrissons âgés de 1 à 12 mois résidant dans le district de Bamako et amenés à la PMI par leur mère pour une vaccination ou un examen systématique de santé. Ils ne devaient présenter aucune pathologie au moment de l’évaluation, et la date de naissance exacte devait être connue. Le consentement éclairé de la mère était un préalable nécessaire. Les nourrissons non accompagnés de leur mère, ceux dont la date de naissance n’était pas connue de façon exacte et ceux présentant une pathologie au moment de l’enquête n’ont pas été inclus ni recensés.

Déroulement de l’enquête L’enquête a été effectuée par une seule personne. Le matériel utilisé était composé d’ : ● ● ● ●

un pèse-bébé ; une toise ; un mètre ruban ; un carnet de santé pour les courbes de poids, taille et périmètre crânien ; ● un tableau de Denver ; ● un matériel d’évaluation (cubes colorés, anneau, flacon avec billes, une poupée, un hochet, un ballon et des biscuits) ; ● une fiche d’identification de l’enfant.

M. Sylla et al.

Après le consentement de la mère, une fiche d’enquête contenant les renseignements sur les conditions sociodémographiques, le régime alimentaire de l’enfant, ses paramètres anthropométriques (poids, taille, périmètre crânien) était établie. L’enfant était ensuite évalué en fonction de son âge, selon la technique de Denver. Le test de Denver est facile à utiliser ; il permet une évaluation rapide au cours d’une consultation et sert de test de dépistage de retard développemental. Pour chaque épreuve, il existe une variation individuelle normale indiquée dans le tableau par la taille du rectangle. Le rectangle débute à l’âge auquel 25 % de la population réussit une épreuve et se termine à l’âge où 90 % de la population réussit la même épreuve. Chaque nourrisson a réalisé les tests d’appréciation de la sociabilité, du langage, de la motricité générale, de la motricité fine et de la manipulation selon son âge. L’analyse des résultats a été faite en deux étapes. Dans un premier temps, nous avons sélectionné uniquement les enfants qui avaient atteint l’âge auquel 75 % des enfants réussissent l’épreuve. Dans la seconde étape, nous avons pris en compte tous les enfants concernés par le rectangle, c’est-à-dire entre 25 et 90 % de réussite. Toutefois, dans l’interprétation des résultats définitifs, nous avons pris comme repère, pour chaque item, l’âge à partir duquel 75 % des enfants sont censés réussir l’épreuve, c’est-à-dire chaque épreuve devrait être réussie par au moins 75 % de l’effectif des nourrissons ayant l’âge de la faire.

Résultats Description de la population d’étude Cent quatre-vingt-six filles et 167 garçons âgés de 1 à 12 mois, soit un total de 353 nourrissons, ont été évalués selon les tests de Denver dans les différents centres. Soixante pour cent des nourrissons évalués étaient âgés d’un à six mois. Vingt-sept mères, soit 7,7 % de l’effectif, étaient célibataires et 48 (13,59 %) dans un ménage polygame. La majorité des parents (80 % des mères et 85,2 % des pères) ont reçu au moins une instruction de niveau primaire. Les caractéristiques sociodémographiques sont présentées dans le Tableau 1.

Évaluation selon le score de Denver Ce score a permis d’évaluer la sociabilité, le langage, la motricité générale, la motricité fine et la manipulation. Acquisition de la sociabilité L’évaluation des différents items a donné des taux de réussite supérieurs à 75 % pour la plupart des items. Les items « sourit spontanément » et « distingue les visages familiers » étaient effectués par la totalité des nourrissons ayant l’âge. Les épreuves « retient un jouet », « cherche à atteindre un objet à portée de main » et « mange seul un biscuit » ont été réussies par respectivement 99, 94,9 et 76,6 % des nourrissons ayant l’âge. Par contre, le « sourire–réponse » n’était pas présent chez 68,8 % des

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Tableau 1 Caractéristiques de la population d’étude Nombre = 353 Mode d'alimentation Allaitement au sein Sein + bouillie + bouillon Sein + plat familial Allaitement mixte Allaitement artificiel exclusif

Effectif (%) 137 (38,7) 203 (57,5) 9 3 1

Rang dans la fratrie 1 2–4 5–7 >7

121 (34,3) 183 (51,8) 42 (11,9) 7

Niveau instruction mère Non scolarisée Scolarisée

70 (19,83) 283 (80,16)

Niveau instruction père Non scolarisé Scolarisé

52 (14,73) 301 (85,27)

Électricité et eau courante à domicile Oui Non

194 (55) 159 (45)

nourrissons ayant l’âge, et 38,5 % des nourrissons pressentis n’ont pas réussi l’épreuve « dit bravo–au revoir ». Acquisition du langage L’évaluation a porté sur la voix et l’ouïe et a concerné sept items. Les items « pousse des cris », « se tourne vers la voix », « lallation papa–maman » étaient réussis par tous les nourrissons ayant l’âge. L’item « imite un son parlé » a été réalisé par moins de 75 % des enfants testés (42/59 enfants, soit 71,2%). Acquisition de la motricité fine et de la manipulation L’évaluation portait sur 14 items. Pour 10/14 items, le taux de réussite était supérieur à 90 %, avec 100 % de succès pour cinq items. La performance de 75 % n’a pas été atteinte avec les tests « mains ensemble » et «tend les mains vers un objet offert ». Acquisition de la motricité générale Douze épreuves ont été réalisées, le taux de réussite était de plus de 75 % pour chacune des épreuves, sauf pour l’item « roule sur lui-même » qui était réalisé par 60,5 % des nourrissons ayant l’âge. Tableau 2 Âge moyen des acquisitions psychomotrices Acquisition Sourire–réponse

Âge (mois) 1,5

Poursuite oculaire Réaction au bruit

1,5 1,5

Rires Tenue de la tête Se tourne vers la voix

2,7 3,1 5,2

Acquisition Préhension palmaire Assis sans soutien Distingue les visages familiers Préhension fine Debout seul

Âge (mois) 6,6 6,6 8,1 9 9,1

Figure 1

Évaluation de la sociabilité.

Le Tableau 2 rapporte l’âge moyen de réussite des principaux items. Les âges moyens d’acquisition sont sensiblement les mêmes que ceux du tableau de Denver. La comparaison de nos courbes à celle de Gesell-Lézine et de BrunetLézine ne montre pas de différence importante, les courbes étant superposables pour certains items (Figs. 1–4).

Discussions Conditions sociodémographiques Notre mode de recrutement ne nous a pas permis d’avoir le même nombre de nourrissons pour les différentes tranches d’âge. Les mères étaient plus assidues aux rendez-vous de vaccination qu’à ceux des visites systématiques : 60 % de notre échantillon a au plus six mois. Le calendrier national de vaccination ne prévoit plus de vaccins gratuits après la fièvre jaune et la rougeole à neuf mois. Aussi, seulement 48 nourrissons, soit 13,6 % de l’effectif, étaient dans la tranche des 10–12 mois. Les nourrissons étaient enfants uniques dans 34,3 % des cas, 51,8 % avaient moins de cinq frères, et la fratrie était supérieure à cinq dans 13,9 %. Selon l’enquête démographique et de santé de 2001, le taux de fécondité au Mali est de 6,8 enfants par femme [2]. Les parents, pour la plupart, étaient de niveau moyen, et de ce fait, les ménages polygames sont plus affaiblis économiquement. La quasi-totalité des enfants étaient allaités mais, à partir de six mois, la diversification était mal conduite ; l’alimentation complémentaire était à base de céréales et de soupes de viande ou poissons. Les légumes, fruits et autres laitages étaient pratiquement absents de ce régime. L’idéal serait de coupler les jours de consultations préventives aux causeries sur la nutrition dans les PMI.

Développement psychomoteur L’évaluation du développement a concerné les domaines importants au cours de la première année : la motricité générale, la motricité fine, la sociabilité et le langage. L’évaluation de la sociabilité a montré que le taux de 75 % de réussite escompté n’a pas été obtenu pour seulement deux épreuves sur sept. La comparaison aux normes de Denver a révélé que, de la naissance à sept mois, les

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M. Sylla et al.

Figure 2

Figure 3

Évaluation de la motricité fine et manipulation.

Évaluation du langage.

nourrissons maliens ont 0,4 mois de retard pour les acquisitions. Ceci pourrait s’expliquer par une insuffisance de stimulation des nourrissons de moins de six mois ; les mères interrogées ont répondu que « le nourrisson est trop petit pour comprendre ». Aussi, dans notre contexte social où les mères sont femmes au foyer pour la plupart, le nourrisson passe souvent la majeure partie de son temps d’éveil au

Figure 4

dos de sa mère, ce qui limite le contact visuel et donc les stimuli. L’acquisition du langage était très satisfaisant. Sur les sept items, seul l’item « imite un son parlé » n’a pas atteint le seuil de performance souhaité. Deux items sont même réussis avec une légère avance sur la norme de Denver : l’item « se tourne vers la voix » est réalisé avec 1,9 mois d’avance et l’item « lallation papa–maman » avec un mois d’avance. Le développement du langage est très complexe, il met en jeu des facteurs intrinsèques et extrinsèques apportés par l’entourage. L’environnement dans lequel évolue un enfant est très important pour l’acquisition du langage. La tradition d’oralité de la culture africaine est certainement un atout ; le langage a une grande valeur dans la tradition africaine ; il est le support de la connaissance. Le développement de la motricité fine et la manipulation ont été effectués selon les normes de Denver, mais avec un léger retard pour certains items. Ainsi, l’item « tend la main vers un objet offert » était réalisé avec un mois de retard. Par rapport à la motricité globale, les résultats sont superposables aux normes de Denver avec une légère avance d’acquisition pour certains items. Nous avons constaté que les items (« debout avec appui », « se lève en s’agrippant », « s’assied seul » et « marche avec appui »)

Évaluation de la motricité générale.

Développement psychomoteur des nourrissons de 0 à 12 mois dans le district de Bamako

sont réalisés avec une nette avance par nos nourrissons par rapport aux normes de Denver. Globalement, nos résultats sont comparables aux normes internationales, c’est-à-dire les courbes de Denver et Brunet-Lezine pour ce qui est de l’âge d’acquisition des différents items avec, dans certains cas, une avance (motricité globale, langage) et, dans d’autres, un léger retard (motricité fine). La notion d’avance des enfants africains sur le plan moteur a déjà été rapportée par d’autres études, puis contestée [3]. Cette assertion a aussi été remise en cause par une étude brésilienne qui n’a pas trouvé de différence significative en comparant le développement moteur des enfants brésiliens avec les normes de Gesell [4]. Cependant, Aina et Morakinyo [5], au Nigéria, ont aussi retrouvé cette avance du développement de la motricité et de la sociabilité. Ce qui amène à penser qu’il ne s’agit pas d’une précocité générale mais plutôt d’une avance concernant des aspects du comportement spécifiquement valorisés par les cultures en question. L’acquisition de la marche et du langage seraient les périodes importantes du développement dans la culture africaine ; ils traduisent le début de l’autonomie, de l’individualisation [6]. Le nourrisson accorde beaucoup d’importance à la manière dont sa mère le porte (holding), la manière dont elle le soigne (handling) et à la façon de lui présenter les objets (objet presenting). La relation mère–enfant a une importance capitale pour le développement de l’enfant. Selon Bril [7], les normes de développement couramment admises dans les cultures européennes et américaines apparaissent plutôt comme un profil de développement pour d’autres. La différence observée entre les groupes culturels apparaît dans l’utilisation des capacités motrices des bébés dans des situations de jeux ou au cours d’activités plus fonctionnelles telles que le bain, l’habillage, l’acquisition de la propreté. Au cours de notre enquête, nous avons constaté que le hochet est donné tardivement aux enfants (six mois) et que le geste « bravo–au revoir »

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ne lui ait pas appris sauf dans quelques cas par ses aînés. Aussi, la stimulation visuelle était insuffisante mais celle motrice était effective, et les mères en étaient fières. L’enfant africain se développe dans un milieu familial élargi avec plusieurs intervenants et des sources de stimulation variées.

Conclusion Les pratiques locales de puériculture devraient être prises en compte dans les études sur le développement de l’enfant pour mettre en place une échelle d’évaluation adaptée au contexte de vie et facile à utiliser au cours des consultations de surveillance préventive [8,9].

Références [1] École nationale de médecine et de pharmacie – Mali. Rapport Enquête Amaldeme. 1987. [2] Ministère de Santé – Mali. Enquête démographique et de santé. 2001. [3] Dasen PR. Le développement psychologique du jeune africain. Arch Psychol (Frankf) 1974;41:341–62. [4] Paine PA, Pasquali L. Is motor development really more advanced in Third World infants? Percept Mot Skills 1983;57:729–30. [5] Aina OF, Morakinyo O. Normative data on mental and motor development in Nigerian children. West Afr J Med 2005;24: 151–6. [6] Fall L, Seck B. Développement de l’enfant africain : influence du milieu de vie. Med Trop 2003;63:413–21. [7] Bril B. Culture et premières acquisitions motrices : enfants d’Europe, d’Asie, d’Afrique. J Pediatr Puericult 1997;10:302– 14. [8] Bethell C, Peck C, Schor E. Assessing health system provision of well-child care: the promoting healthy development survey. Pediatrics 2001;107:1084–94. [9] Smith RD. The use of developmental screening tests by primary care pediatrician. J Pediatr 1978;93:524–7.