Fusariose disséminée compliquant un lymphome de Burkitt

Fusariose disséminée compliquant un lymphome de Burkitt

CLINIQUE MYCOLOGIE Fusariose disséminée compliquant un lymphome de Burkitt Najat Handor a, Sanae El Alami a, Mostapha El Ouennass b,d, Kamal Doghmi c...

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CLINIQUE MYCOLOGIE

Fusariose disséminée compliquant un lymphome de Burkitt Najat Handor a, Sanae El Alami a, Mostapha El Ouennass b,d, Kamal Doghmi c,d, Hafida Naoui a, Mohammed Mikdame c,d, Badre Eddine Lmimounia,d,*

1. Introduction

Figure 1 – Examen direct des fragments d’ongles et des squames.

Les champignons du genre Fusarium sont largement distribués dans la nature où ils interviennent essentiellement comme parasites de diverses familles de plantes. Quelques espèces ont été signalées en pathologie humaine, le plus souvent dans des kératites et des mycoses superficielles, où elles apparaissent surtout comme agents de surinfection de lésions cutanées préexistantes. La fusariose disséminée reste une infection fongique rare et grave, touchant particulièrement les patients immunodéprimés neutropéniques. Les possibilités thérapeutiques sont limitées et la mortalité varie de 50 à 70 %. Nous rapportons l’observation d’une patiente ayant présenté une fusariose disséminée au cours d’un lymphome de Burkitt.

2. Observation La patiente, âgée de 40 ans, a été admise dans le service d’hématologie clinique pour prise en charge d’un lymphome de Burkitt disséminé à la moelle, révélé par des douleurs osseuses diffuses et un syndrome tumoral. L’hémogramme était normal sans blastes circulants, mais le myélogramme était envahi par 98 % de blastes type Burkitt (grands lymphoblastes à cytoplasme hyperbasophile vacuolaire, à noyau rond ou ovalaire, contenant un ou plusieurs nucléoles volumineux. Le rapport nucléo-cytoplasmique était moyen). L’immunophénotypage avait montré des blastes : CD19+, CD20+, CD10+, CD5-, CD23-, SIgM+, Tdt -, Ki67 100 %.

a Service de parasitologie et mycologie médicale Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V B.P. 1018 – Hay Riad Rabat – Maroc b Service de microbiologie Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V Rabat – Maroc c Service d’hématologie clinique Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V Rabat – Maroc d Faculté de médecine et de pharmacie Université Mohammed V Souissi Rabat – Maroc

* Correspondance [email protected] article reçu le 30 juillet 2013, accepté le 22 janvier 2014. © 2014 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

La patiente avait été mise sous protocole de chimiothérapie de type LMB02 qui s’est déroulé en trois phases. r Une phase de réduction tumorale avec une cure de chimiothérapie COP (vincristine, cyclophosphamide, prednisolone, méthotrexate et hydrocortisone). r Une phase d’induction avec 2 cures de chimiothérapie COPADM (cyclophosphamide, vincristine, prednisolone, doxorubicine, hydrocortisone, acide folinique et méthotrexate). r Une phase de consolidation avec 2 cures de chimiothérapie CYVE (cytarabine, étoposide). L’administration de cette chimiothérapie s’est faite via un cathéter à chambre implantable Port-a-Cath* (CAP). À J7 de la 2e cure CYVE alors que la patiente était en aplasie profonde, elle avait présenté un 1er pic fébrile à 39 °C, sans points d’appel clinique. Elle avait été mise sous ceftazidime et amikacine puis sous imipénème et vancomycine devant la persistance de la fièvre. Un bilan infectieux complet avait été réalisé notamment deux hémocultures sur flacon (Bactec ® IC/F Mycosis, Becton-Dickinson) plus aérobie et envoyées respectivement au laboratoire de parasitologie mycologie et au laboratoire de bactériologie. Aucune étiologie bactérienne n’avait été identifiée, en revanche une fongémie à Fusarium sp. avait été retrouvée, ce qui nous avait amené à chercher une porte d’entrée. L’examen clinique avait mis en évidence des lésions suspectes au niveau des ongles des orteils qui avaient motivé la réalisation d’un examen mycologique. Ce prélèvement avait montré la présence de filaments mycéliens (figure 1). REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - DÉCEMBRE 2014 - N°467 //

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Figure 2 – Examens macroscopiques des repiquages à partir d’une culture pure de Fusarium sp. à J13.

L’onychomycose à Fusarium sp. avait été confirmée par une culture pure sur milieu Sabouraud identique à celle isolée à partir de l’hémoculture. La croissance avait été rapide en 24 h à 30 °C, de colonies duveteuses puis poudreuses, blanches violettes au recto et violettes mauves au verso (figure 2). L’examen microscopique avait montré des macroconidies septées fusiformes. Un nouvel examen mycologique réalisé 2 semaines plus tard a confirmé le même Fusarium en culture pure. L’ensemble de ces éléments ont permis de confirmer le diagnostic d’une onychomycose à Fusarium sp. Un traitement par voriconazole (400 mg x 2 à J1 puis 200 mg x 2 à partir de J2) avait été instauré, ainsi l’apyrexie a été obtenue progressivement en quelques jours, coïncidant avec la sortie de l’aplasie.

3. Discussion Dans cette observation d’infection disséminée à Fusarium sp., le tableau clinique inauguré par une fièvre d’origine fongique sur un terrain d’immunodépression a motivé la recherche de la porte d’entrée. L’onychomycose retrouvée suggère une dissémination à partir de ce foyer. Cette observation est originale par le mode d’invasion, elle démontre également l’intérêt de réaliser systématiquement des prélèvements aux niveaux de l’arbre respiratoire, du tube digestif, de la peau et des ongles à visée mycologique chez les patients neutropéniques fébriles. Les Fusarium sont des hyalohyphomycètes, champignons à mycélium hyalin septé. Ils sont cosmopolites, et sont isolés des végétaux, de la terre où ils persistent grâce à des chlamydospores [1]. Les espèces fusariales causent un large spectre d’infections chez l’être humain, depuis des infections superficielles localement invasives jusqu’à des formes disséminées systémiques. Elles possèdent plusieurs facteurs de virulence tels que la capacité de produire des myco-

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toxines, les trichothécènes, qui suppriment l’immunité humorale et cellulaire ; le pouvoir d’adhérer aux matériels prothétiques ; la capacité à produire des protéases et des collagénases pouvant dégrader les tissus environnants. La variété clinique de la fusariose dépend en grande partie du statut immunitaire de l’hôte et de la porte d’entrée de l’infection. Chez le sujet immunocompétent, les onychomycoses sont assez fréquentes ; des kératites sont possibles chez les porteurs de lentilles de contact et plus rarement des infections cutanées sous forme de microabcès, de mycétomes ou bien de plaques érythémateuses ichtyosiformes, prurigineuses, parfois ulcérées, à localisation souvent plantaire autour d’une onychomycose à Fusarium à la suite d’une contamination par un sol souillé, ou de l’application d’herbes infestées sur une brûlure ou une plaie cutanée [2]. Les fusarioses disséminées sont en revanche l’apanage des patients immunodéprimés dans les leucémies aiguës (90 % des cas), les myélomes, les cancéreux, chez les greffés de moelle ou d’organes solides ou encore les brûlés. Les facteurs favorisants sont la neutropénie profonde (< 100/mm3) et son caractère prolongé (> 10 jours), une corticothérapie à fortes doses, le déficit de l’immunité cellulaire T et des signes cutanés d’infection comme une onychomycose. Les principales espèces isolées sont Fusarium solani (50 %), Fusarium oxysporum (20 %), Fusarium verticilloides (10 %), Fusarium monoliforme (10 %). Parmi les filamenteux, ils sont en deuxième place derrière l’Aspergillus notamment chez les greffés de moelle [3]. La porte d’entrée des fusarioses disséminées reste le plus souvent inconnue. Lorsqu’elle est identifiée, il s’agit essentiellement de l’arbre respiratoire, du tube digestif ou d’une onychomycose [4]. Dans notre cas, l’atteinte unguéale semble être la porte d’entrée. L’agent infectieux a gagné la circulation par le biais du PAC qui permet l’administration du produit de la chimiothérapie et qui a été enlevé par la suite. La chimiothérapie aplasiante quant à elle a favorisé le caractère invasif de l’infection.

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Dans les fusarioses systémiques, les localisations cutanées par dissémination hématogène sont présentes dans 75 % des cas, bien que les hémocultures ne soient positives que dans 50 % des observations [5]. Par ailleurs d’autres localisations sont possibles notamment pulmonaires, sinusiennes ou cellulitiques périorbitaires, oculaires ou encore cérébrales. Ces localisations sont donc à rechercher impérativement par une réalisation systématique de prélèvements biopsiques à visée microbiologique et histologique [1]. L’amphotéricine B est considérée comme le traitement de référence des fusarioses systémiques ou disséminées, ainsi que ses formulations lipidiques et liposomales, qui semblent avoir la même efficacité. In vitro, les Fusarium sont fréquemment résistants à la plupart des antifongiques, mais leur efficacité in vivo n’est pas strictement corrélée à leur activité in vitro [3]. L’arrivée des nouveaux triazolés semble ouvrir une alternative thérapeutique. L’un d’eux, le voriconazole, a montré dans plusieurs études son efficacité. Il possède une bonne diffusion tissulaire, son intérêt est rapporté dans les infections à Fusarium chez les patients immunodéprimés en échec ou intolérants aux traitements courants avec un taux de réponse de 45 % [6]. Cependant d’autres études in vitro ont retrouvé une efficacité médiocre [7]. Aucun consensus ne peut être tiré de l’analyse de la littérature, mais certaines mesures sont recommandées

Références [1] Bastides F. Zygomycoses, fusarioses, scédosporioses, trichosporonoses : les nouvelles mycoses émergentes. Réanimation 2010;19:319-26. [2] Zribi J, Boudaya S, Sallemi A, et al. Fusariose cutanée atypique chez un sujet immunocompétent. Ann Dermatol Venereol 2010;137:630-4. [3] Nucci M, Anaissie E. Fusarium infections in immunocompromised patients. Clin Microbiol Rev 2007;20:695-704. [4] Bouanani N, Lamchahab M, Quachouh M, et al. Fusariose disséminée au cours d’une autogreffe de moelle osseuse. J Mycol Méd 2013;23:119-22.

notamment l’ablation de cathéters centraux lors d’une fongémie. L’administration précoce d’antifongiques est guidée par les résultats de l’antifongiogramme. Le taux de réponse est de 46 % pour l’amphotéricine B et de 46 % à 66 % pour le voriconazole Certaines équipes proposent leur association thérapeutique [8]. La durée du traitement par les antifongiques est souvent prolongée mais doit être évaluée au cas par cas [1]. L’utilisation des facteurs de croissance hématopoïétique, dont le G-CSF, est également proposée. Elle permettrait de raccourcir la durée de la neutropénie, et d’améliorer l’activité antifongique des cellules effectrices. Dans cette observation, l’évolution était favorable par la sortie d’aplasie sous facteur de croissance hématopoïétique et l’administration du voriconazole.

4. Conclusion Le Fusarium est un pathogène émergent survenant chez les patients leucémiques en aplasie. Il met en jeu le pronostic vital surtout en cas de neutropénie prolongée et sévère, d’où la nécessité d’un diagnostic précoce par la recherche de toute atteinte cutanée ou unguéale constituant la porte d’entrée. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

[5] Letscher-Bru V, Campos F, Waller J, et al. Successful outcome of treatment of a disseminated infection due to Fusarium dimerum in a leukemia patient. J Clin Microbiol 2002;40: 1100-2. [6] Kawashima N, Yoshida N, Matsushita N, et al. Intra-articular injection of voriconazole for Fusarium solani arthritis after bone marrow transplantation. J Infect 2012; 65:366-7. [7] Fanci R, Pini G, Bartolesi AM, et al. Refractory disseminated fusariosis by Fusarium verticillioides in a patient with acute myeloid leukaemia relapsed after allogeneic hematopoietic stem cell transplantation: a case report and literature review. Rev Iberoam Micol 2012;29: S1130-406. [8] Ho D, Lee JD, Rosso F, et al. Treating disseminated fusariosis: amphotericin B, voriconazole or both. Mycoses 2007;50:227-31.

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