Annales de pathologie (2008) 28, 32—35
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
CAS ANATOMOCLINIQUE
La maladie granulomateuse chronique de l’enfant Chronic granulomatous disease in childhood Samia Hannachi Sassi a,∗, Zohra Fitouri b, Emna Braham a, Karima Mrad a, Nadia Mattousi b, Imen Abbes a, Rym Dhouib a, Saida Ben Becher b, Khaled Ben Romdhane a a
Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, institut Salah-Azaiez, Bab Saadoun, Tunis-1006, Tunisie b Service des urgences pédiatriques, hôpital d’Enfant, Bab Saadoun, Tunis-1006, Tunisie Accepté pour publication le 9 octobre 2007 Disponible sur Internet le 16 mai 2008
MOTS CLÉS Maladie granulomateuse chronique ; Enfant ; Histopathologie
KEYWORDS Chronic granulomatous disease; Childhood; Histopathology
∗
Résumé La maladie granulomateuse chronique (MGC) de l’enfant est un déficit immunitaire héréditaire rare. Elle est caractérisée cliniquement par la survenue d’infections sévères et récidivantes et un décès précoce chez le jeune enfant. L’anomalie biologique est une phagocytose défectueuse des micro-organismes par anomalie de l’oxydation durant la phagocytose. Histologiquement, la MGC se caractérise par un spectre de signes histopathologiques touchant une variété de tissus qui montrent souvent une infection chronique active, avec ou sans granulomes dépourvus de nécrose caséeuse. De plus, la présence de nombreux macrophages pigmentés associés doit faire suspecter le diagnostic. Les auteurs rapportent un cas de MGC chez un garc ¸on âgé de 11 ans et étudient les aspects anatomocliniques de cette entité rare. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Chronic granulomatous disease (GCD) of childhood is a rare inherited immunodeficiency. It is characterized clinically by the occurrence of severe and recurrent uncontrollable infections, which often lead to death in early childhood. The underlying biologic anomaly is a defective microbicidal capacity of phagocytosis with abnormal oxidative response during phagocytosis. Histologically, the GCD is characterized by a spectrum of histopathological features in a wide range of tissue specimens, often demonstrating features of active chronic inflammation, with or without non-caseating granuloma formation. The presence of numerous pigmented macrophages in association with such an inflammation should raise suspicion of the diagnosis. We report a case of a GCD in an 11-year-old boy and study the anatomoclinic features of this rare entity. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Auteur correspondant. Villa 7, impasse 3, rue des Mères-de-Tunisie, les jardins d’El Menzah, El Manar I, 2092 Tunis, Tunisie. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Hannachi Sassi).
0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2007.10.002
La maladie granulomateuse chronique de l’enfant
Introduction La maladie granulomateuse chronique (MGC), appelée encore granulomateuse septique de l’enfant, est un déficit immunitaire héréditaire causé par des mutations des gènes qui codent pour des sous-unités du système des superoxydes générateur de l’oxydase NADPH qui est responsable de la dégradation des micro-organismes. La MGC est caractérisée cliniquement par la survenue d’infections sévères et récidivantes bactériennes et fongiques, ainsi que par la formation de granulomes à l’examen histologique [1]. À travers un cas de MGC survenu chez un enfant de 11 ans, nous discutons les différents aspects histopathologiques décrits selon l’organe atteint et le mécanisme physiopathologique de cette entité anatomoclinique rare.
Observation Un garc ¸on âgé de 11 ans, issu d’un mariage consanguin de premier degré, présentant dans ses antécédents familiaux une MGC chez une cousine paternelle décédée à l’âge de neuf ans par aspergillose pulmonaire. Le malade présentait à l’âge de six ans des adénopathies cervicales et axillaires gauches suppurées et fistulisées avec des abcès cutanés évoluant depuis plusieurs mois. La radiographie de thorax était normale et l’échographie abdominale montrait un rein gauche pelvien. Le bilan inflammatoire était légèrement perturbé (VS : 17 mm à la première heure, CRP < 6 mg/l, GB : 5910/l et une EPP normale avec un taux de 66 g/l de protides totaux) et le bilan tuberculeux était négatif. La sérologie aspergillaire était positive et l’examen bactériologique d’un prélèvement de pus d’une fistule cutanée révélait la présence de staphylocoque. L’exploration de l’immunité humorale et cellulaire était normale. L’examen histologique d’une biopsie ganglionnaire cervicale montrait un parenchyme ganglionnaire presque totalement en nécrose calcifiée avec persistance en périphérie, d’un parenchyme ganglionnaire préservé qui comportait des granulomes épithélioïdes, dépourvus de nécrose caséeuse, constitués d’histiocytes à cytoplasme brun-jaunâtre (Fig. 1). Le diagnostic de MGC était retenu devant la consanguinité de premier degré, la présence d’antécédents familiaux de
Figure 1. Parenchyme ganglionnaire comportant un granulome histiocytaire sans nécrose caséeuse. En cartouche : des histiocytes à cytoplasme brunâtre Lymph node with non-caseating granulomatous inflammation. Inset: Brown histiocytes.
33 MGC, la présence d’adénopathies suppurées qui comportaient des granulomes d’histiocytes à cytoplasme pigmenté d’aspect brun-jaunâtre et deux tests négatifs au nitroblue tetrazolium (NBT). La confirmation génétique de cette forme autosomique récessive de MGC n’a pu être faite. Le malade a été traité par le triméthoprime-sulfaméthoxazole (Bactrim® ) à titre prophylactique. L’évolution clinique était bonne, sans récidive des infections cutanées et/ou ganglionnaires. À l’âge de 11 ans, le malade a été réhospitalisé à trois reprises pour exploration d’une diarrhée glairosanglante grave (sept à 20 selles/jour) avec altération de l’état général et retentissement sur la courbe staturopondérale. La coproculture, la sérologie amibienne, la recherche de giardiase, de cryptosporidies et de microsporidies étaient négatives. En revanche, la sérologie aspergillaire était positive à l’Elisa. La colonoscopie montrait une colite ulcérée non spécifique qui était étendue à l’angle colique droit sans intervalle de muqueuse saine. L’endoscopie digestive haute n’a pas été réalisée. La biopsie colique, réalisée à deux reprises, et la biopsie iléale montraient une muqueuse colique et grêlique, siège d’un infiltrat inflammatoire chronique dense, polymorphe, riche en lymphocytes, plasmocytes et en polynucléaires éosinophiles. Les polynucléaires neutrophiles étaient rares. Les polynucléaires éosinophiles migraient souvent dans les cryptes, réalisant des abcès cryptiques à éosinophiles (Fig. 2). Des histiocytes à cytoplasme abondant de couleur ocre étaient présents au sein de la muqueuse colique, essentiellement dans la partie profonde du chorion muqueux au contact de la musculaire muqueuse (Fig. 3). Cette topographie était évocatrice du diagnostic de MGC. Les histiocytes ocres étaient également présents dans la muqueuse grêlique et dans l’axe des villosités intestinales (Fig. 4). Il n’y avait pas de granulome épithélioïde ni d’inclusion virale à CMV et ni d’infection aspergillaire intestinale associés. Actuellement, le malade est à six mois d’évolution pour sa colite grave, sans aucune amélioration clinique ni endoscopique après un traitement antibiotique à large spectre. Il est sous nutrition entérale à débit continu avec un régime semi-élémentaire et un essai thérapeutique par le facteur de croissance des polynucléaires (Neupogen® ) est démarré sans réponse encore évidente.
Figure 2. Muqueuse colique comportant un abcès cryptique à éosinophiles. Colonic mucosa showing a cryptitis caused by eosinophils.
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Figure 3. Chorion muqueux colique profond siège d’un infiltrat inflammatoire chronique riche en macrophages brunâtres (↓). Deep lamina propria of colonic biopsy shows a chronic inflammatory change with numerous darkish brown histiocytes (↓).
Figure 4. Axe villositaire riche en macrophages brunâtres (↓). Axis of the villus shows numerous brown histiocytes (↓).
Discussion La maladie granulomateuse chronique (MGC) ou granulomateuse septique de l’enfant est un déficit immunitaire héréditaire dans lequel les macrophages sont incapables de produire des oxydants pour détruire les bactéries. Elle se manifeste donc par une sensibilité accrue aux infections bactériennes et fongiques. Les micro-organismes en cause les plus fréquemment rapportés sont les suivants : le staphylocoque, les bacilles Gram négatif, la salmonelle et les différentes souches d’Aspergillus dont la variante nidulans est particulièrement virulente [1,2]. La MGC est classée selon le mode de transmission en deux formes. La forme la plus fréquente est liée au chromosome X et ne touche donc généralement que les individus de sexe masculin, et le gène impliqué code pour le cytochrome B. La forme la moins fréquente est la forme autosomique récessive [1,3—5]. La MGC se voit essentiellement chez l’enfant, mais peut se voir chez l’adulte. Elle touche un sur 250 000 enfants et est associée à une morbidité et une mortalité élevées avec une survie réduite autour de l’âge de 25 à 30 ans [1]. Dans l’étude rétrospective de Levine et al. [1] portant sur 32
S. Hannachi Sassi et al. cas de MGC, 29 cas étaient de sexe masculin (91 %) et l’âge moyen de la maladie était de sept ans (extrêmes de quatre mois à 18 ans). Dans l’étude de Schäppi et al. [6] de sept cas, l’âge moyen des symptômes était de 18 mois (extrêmes d’un mois à cinq ans). L’examen histologique de la MGC n’est pas souvent spécifique et montre un infiltrat inflammatoire aigu et/ou chronique avec de la fibrose. En revanche, une inflammation granulomateuse est assez spécifique et retrouvée dans 40 % des cas, notamment en cas d’infection aspergillaire. De plus, la présence d’une accumulation de macrophages pigmentés doit évoquer fortement la MGC [1,4,6] comme dans notre cas. Le matériel pigmenté était considéré comme une digestion inadéquate de débris intracellulaire. Il correspond à des lysosomes à l’étude ultrastructurale [1]. La MGC se manifeste habituellement par de fréquentes infections suppurées et récidivantes touchant plusieurs organes et tissus : le tube digestif, la peau, le parenchyme ganglionnaire, le poumon, le foie, l’os, les tissus mous et le tractus urinaire [1,3,4]. L’atteinte du tube digestif par la MGC est ubiquitaire, de la bouche jusqu’à l’anus [1]. Elle se manifeste par des vomissements, une diarrhée, une stéatorrhée, une malabsorption de la vitamine B12 et une perte de poids. Une obstruction intestinale par des granulomes ou des pseudotumeurs a été également rapportée [1,3]. Histologiquement, l’atteinte du tube digestif réalise une colite non infectieuse qui peut comporter des granulomes, mimant ainsi une maladie de Crohn. Cependant, dans la MGC le chorion muqueux est caractérisé par un infiltrat inflammatoire riche en polynucléaires éosinophiles et pauvre en polynucléaires neutrophiles, des abcès cryptiques riches en polynucléaires éosinophiles et des macrophages pigmentés éliminant ainsi la maladie de Crohn. Quand ils sont présents, les granulomes sont plus proéminents et proliférants dans la MGC que dans la maladie de Crohn. De plus, ils sont constitués d’histiocytes pigmentés [1,3,6]. Ces aspects sont retrouvés dans notre observation. Selon Schäppi et al. [6], la richesse du chorion muqueux en polynucléaires éosinophiles est expliquée par une expression de l’épithélium colique et vasculaire de molécules d’adhésion qui activent la sortie des polynucléaires éosinophiles et, à moindre degré, les polynucléaires neutrophiles, hors des vaisseaux vers le chorion muqueux. Plusieurs études suggèrent aussi que la dégranulation des polynucléaires éosinophiles joue un rôle dans l’altération de l’épithélium du tube digestif, comme dans l’asthme et la gastroentéropathie à éosinophiles [6]. Des colites ont été décrites dans d’autres conditions pathologiques avec des polynucléaires neutrophiles défectueux, particulièrement la glycogénose type Ib et l’hypogammaglobulinémie primaire [6—8]. La symptomatologie clinique de ces deux maladies est différente de la MGC. L’atteinte du parenchyme ganglionnaire réalise une inflammation granulomateuse, habituellement sans nécrose caséeuse, dans 80% des cas selon l’étude de Levine et al. [1]. L’atteinte cutanée a été rapportée dans 65 % des cas sous forme de granulomes cutanés avec d’occasionnels histiocytes pigmentés, une infection aspergillaire ou une inflammation chronique active non spécifique [1]. Une présentation cutanée pseudo-lupique a été rapportée chez les femmes porteuses hétérozygotes de la mutation du cytochrome B [4,5]. L’atteinte du tractus urinaire a été rapportée chez 40 % des malades porteurs de MGC. Elle réalise des strictions urétérales, des granulomes au niveau de la vessie, une cystite à
La maladie granulomateuse chronique de l’enfant éosinophiles, des infections urinaires et même une atteinte rénale [1]. Une infection osseuse est une complication fréquente de la MGC. Dotis et Roilides [9] ont rapporté 24 cas d’ostéomyélite aspergillaire qui étaient souvent associés à une aspergillose pulmonaire. Les macrophages intratissulaires ou histiocytes dans la MGC sont défectueux. Ils sont incapables, malgré leur capacité de phagocytose, de détruire les micro-organismes, en particulier les micro-organismes inhabituels : Nocardia et Aspergillus. Il en résulte des infections sévères et des abcès multiples [1,3]. Dans l’étude de Winkelstein et al. [10], 79 % des pneumonies étaient dues à une infection aspergillaire. Le déficit fonctionnel des macrophages est lié à une anomalie de l’explosion oxydative, qui peut être mise en évidence par un test au nitroblue tetrazolium (NBT) sur les leucocytes sanguins [1,4,5]. La production d’un oxydant bactéricide est altérée due à un déficit d’un complexe enzymatique qui est responsable de la production d’un superoxyde. Ce complexe enzymatique est situé essentiellement au niveau des membranes des granules secondaires des polynucléaires neutrophiles. Ce complexe enzymatique est constitué par un cytochrome membranaire b558, constitué d’un complexe gp91phox et p22phox et de deux contingents cytosoliques p47phox et p67phox. La MGC est causée par la mutation d’un des quatre gènes majeurs codant pour ce complexe enzymatique et qui sont situés sur différents chromosomes (gp91phox-Xp21.1, p22phox-16q24, p47phox7q11.23, p67phox-1q25). La forme la plus fréquente de la MGC est la forme liée à l’X (65—75 %), due à une anomalie quantitative ou qualitative de l’enzyme gp91phox. La forme liée à l’X se manifeste précocement avec une colite grave, comme dans notre cas [1]. Selon Schäppi et al. [6], la sévérité de la colite ne dépend pas de l’âge ou de la durée des symptômes ; il existe cependant une corrélation entre l’aspect histologique et le génotype. En effet, les formes autosomiques recessives, dépourvues du p47phox ou du p67phox, réalisent à l’examen histologique une inflammation moins severe, sans granulome, que la forme liée à l’X. Le traitement n’est pas actuellement bien codifié. Il est basé essentiellement sur un traitement prophylactique à base d’antibiotique et d’antifongique. D’autres traitements utilisant le facteur de croissance des granulocytes et l’interféron ␥ ont été utilisés et ont réduit la fréquence des infections. D’autres perspectives thérapeutiques basées sur
35 la transplantation de moelle et sur la thérapie génique sont en cours d’étude [1,6]. En conclusion, la MGC est un déficit immunitaire héréditaire rare de l’enfant, souvent lié à l’X. Elle est due à une phagocytose défectueuse des micro-organismes et se manifeste par la survenue d’infections bactériennes et fongiques qui sont sévères et récidivantes. Histologiquement, elle se caractérise par un infiltrat inflammatoire chronique, particulièrement riche en polynucléaires éosinophiles et par la présence de granulomes épithélioïdes. La présence d’une accumulation de macrophages pigmentés évoque fortement la maladie.
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