FINANCEMENT
LER6lE DUCAPITAL-RISQUE BernardDAUGERAP Le capital-risque joue un r61emajeuret irremplacable dansla criationd’entreprisesinnovantes.Quelest le mitier de ces professionnelsqui prennentdes risquesimportantset esphent,en retour,unebonnerentabilitide leursinvestissements ? Dansquelenvironnementtravaillent-ilsen France?
L
ors des divers colloquesqui se tiennenten Francesur la creationd’entreprisesde haute technologie,il est de bon ton de fustigerles investisseursen capital-risque.Contrairementa leurscollttguesamericains,ils auraientpeu de gout pour le risqueet se limiteraienta des operationsau succesquasicertain. La realite est heureusement tresdifferente.Toutd’abord.il convientde preciser le champ d’intervention du capital-risque et, notamment.de le differencierdu capital-investissementau senslargedu terme. Nousappelonscapital-risquela techniqued’investissementen fonds propresdam des societes en creation, ou encore tresjeunes,et a fort contenutechnologique.Quelle est la logiquede fonctionnementdes sock% de capital-risque? Quelles sent leurs contraintes? Quelles possibilitesouvrent-ellesaux createurs d’entreprises.notammentde technologie? Quelles sontaussiles limitesde leur actionet l’environnementgeneraldanslequelC\(oluent lesjeunesentreprises?
Quellelogiquede fonctionnement? 11n’est d’abord pas inutile de preciser que les socittes de capital-risquene sontpas des services publics.Elles ont pour vocationpremierede faire des profits et de remuntrer leurs propresactionnairesmieuxque la moyennedes marchesfinanciers.Unebonnerentabilitea longtermedessocietCsde capital-risqueest la seulegarantiereellede leur perennitt. Cette exigence a ete quelquefois perduede vue et on a souventessay6de leur faire
*Dmxteur a Finovelec (6, rue Ancelle. 92200 Keudly-surSeine). Finovelec est un fonds de capltal-risque, spCc~ahsC dans la c&ion d’entreprises de haute technologe, qui investlt en particulier dans le domame de la santC et qul est le conselller du fond, European Medical Venture (EMV,. 26
jouer des fonctionssupplementaires.par exemple d’amenagement du territoireou de developpement de certainssecteursindustriels.Bienque legitimes, ces exigencesont renduconsiderablement plusdifficilel’exerciced’unmetierdejacomplexeet n’ont pasreellementCtCun succes. Unedoublecontrainte La logiquede basedessocietesde capital-risque est de realiser des plus-valuesen capital en cedant leurs participationsdans les societesoti elles ont investi.I1en r&the une doublecontrainte.En premier lieu, celle de compenserle risquetres ClevC inherenta la creation d’entreprise.L’experience montreque I’investissementest totalementperdu dans environ un tiers des cas. que le retour sur investissement est faiblepourun deuxiemetiers et qu’enfait la rentabiliten’estreellementassureeque par le tiers restant ; et encore faut-il noter que le veritable succes depend de quelquesinvestissementsqui ont une rentabilitttres Clevee.Seconde contrainte,sortirde l’investissement. La plus-value ne se realiseen effetqu’ala cession.I1est doneprimordialde pouvoircedernosparticipations dam un delairaisonnable,typiquementde quatrea septans, dansde bonnesconditions.Plusieursvoiesde sortie sont possibleset, pour le domainespecifiquede la biotechnologie.trois voies sont particulierement attractives: la fusionavec des societesqui ont des technologies complementaires,deja cotees en Bourse ou susceptiblesde I’etre. la vente a des groupesmdustrielset l’introductionsur un marche financier. Ces deux contraintes incontournablesimpliquent que les societes cibles des entreprises de capital-risqueaientdes caracteristiquestrirsparticulierer qui les rendentattractivespour les acheteursfuturs.On peut les Cnumererde la facon suivante
_ une forte differentiationscientifiqueet technolo-
giqueprotegeepardesbrevetssolides.leurassurant une avance significativeet une forte capacite de resistancea la concurrence: - un marche potentiel tres Cleve qui permette d’esperera terme une croissancesoutenueet une bonne rentabilitede l’entreprise.Le secteur des biotechnologiespresentea cet Cgarddes particularites : la plupartdes cessionsou des introductions sur des marchesfinanciers se font alors que les societesne commerciahsent pasencorede produits et n’ont comme seule source de revenusque des paiements issus d’accords industriels ou des allancessurrowlties; _ une tquipe de management completequi domine tous les aspects de la creation et de la gestion d’entrepriseet. en particulier,une visioncommercialeet strategique,ce qui manquele plus souvent auxcreateursscientifiques.11faut donequeceux-ci acceptent.le cas Ccheant,de partagerle pouvoir, voire de le perdre au benefice de rnanu~ersplus competents.Notreexperiencedemontreque la plupartdes Cchecsdes societesen creationsontimputables a des dysfonctionnementsde l’equipe de management; _ un prix d’entreeacceptable.Ce pointest particulierementcrucial : les societesen creationoffrent en generalpeu de visibilite,les incertitudesscientifiqueset techniquessonteleveeset, malgrel’originalitedesconceptsquile plussouventsous-tendent ces projets. les propositionsde valorisationdes entrepreneurssont trop comeuses pour que les investisseurspuissentespererune rentabilitesignificative. La fin des annees quatre-vingtavait vu dansle domainede la biologieuneflambeedesprix d’entree dans les societes qui pesent maintenant lourdementsurla rentabilitedesfondsd’investissement. Beaucoupd’appek et peu d’Clus Ces caracteristiquesconcernantles entreprisesen creation expliquent le nivceaude stlectivite tres eleve que les societesde capital-risquesent obligeesd’exercer.Typiquement.une sociCtC commela notre qui opere au niveau internationalexamine plusieurscentainesde projetspar an et en retient moinsde dix pour investissement.Nous sommes quelquefois contraints de refuser un projet qui pourtantnous paraitviableCconomiquement mais qui.m@me en casde succtts.ne nouspermettraitpas d’atteindreune rentabilitesuffisantepour compenser les Cchecswbis parailleurs. BIOFUTUR
150 - NOVEMBRE
1995
FINANCEMENT
II en rest&epour les societesde capital-risque recherche.de societesinnovantes.reseauque nous une strategicd’investissementqut peut etre resu- mettonsbienentenduau servicedesjeunessocietes mCeparle schemasuivant francaiseset qui leurpermetd’accelerera moindre risque leur propre internationalisationindispenPlus-value sablea leursucces. potentielle +
La spkificitkfranfaise Plus-value potentielle -
risque
Bien entendu.la vie reelle de notre metier est d’iwestir dam les projetsqui presententun espoit de plus-valueelevee, mEmesi le ni\#eaude risque associeest aussitrtisClew?.Nousrece\lons,helas. beaucoupde projetsh niveaude risqueClevCmaia qui, mCmedans le cas de reussite.ne seraientpas remunerateurs: c’est I’enfer.Le purgatoireetant pour nous les projets a risque faible mais sans ambition, dont on sort tres difficilementet qui conduisentpresquetoujoursa l‘enfer.Enfinle paradis est helastres peu peuplede projetssansrisque et remunerateurs! Au total il est aise de comprendreque tres peu de projetssatisfassentces critires et qu’il y ait done beaucoupd’appelespour peud’elus.
Le contextefranqaisn’estpas vraimentfavorablea l’industriedu capital-risqueet par la-m@me aux jeunesentreprisesde technologie.L’environnement financierest un handicapparticulierementlourd. Dartsles pays de langueanglaisela quasi-totalite des fonds des societesde capital-risqueprovient des fondsde pension(1) qui, dansune optiquede placement a long terme. consacrent au capitalrisque plusieursmilliardsde dollars par an ! En France, en l’absence de ces fonds de pension, seulesquelquesgrandesentreprisesindustriellesou financieres,qui ont cette visionstrategiquedu long terme. mvestissentencore dans le capital-risque. Memeles compagniesd’assurancese retirentde ce marche.Lea societesde capital-risquefranfaises sent done obligees de lever l’essentiel de leurs capitauxa l’etranger. S’agissantdu financementdirect des jeunes entreprises.il n‘y a pas en France,contrairement
aux Stats-Unis.suffisammentde businessungels (Cpargnede proximite)qut contribuenta Ia gedse des projetsavantque les sock% de capital-risque ne prennentle relais.II n’y a pratiquement plusnon plus d’institutionsfinancieresou d’investisseurs prives qui puissentaccompagnerles socittts de capital-risque,m@me lorsquelesjeunessocietesse developpentnormalement. Plusgraveencore,iI n’y a pas a ce jour de marchefinanciersur lequeltoter lesjeunessocietes.La cotationn’estpas seulement un moyende sortiepour les investisseurs,elle est d’abordet avant tout la seule source de financementpossiblepour la croissancedes entreprisesa fort potentiel.La seuleissuepossibleactuellement est une cotationsur le NASDAQaux Stats-Unisce qui. comptetenu des contraintesimposeespar ce marcheboursier,augmenteencore la selectkite a I’Cgarddes projetsfran$ais.II faut espererque les futursmarcheseuropeensprennenta moyenterme le relaisdu NASDAQ,ce qui n’estpasacquis. De mime,Iesproceduresd’aidespubliques.dont le role devrait&tre,en accompagnantIes investisseurs,d’unepartde partagerun risquetreseIevCet, d’autrepart,d’accekrerle developpement des projets -car le facteurtempsest une deessentielledu succes- ne sontpas toujoursadaptees.En particuher. la lenteurdes mecanismesd’attrtbutionet les
Un mitier international MalgrCla rigueur de la selection, l’exercice du metier reste tres difficile. Apres Ia mode, voire l’euphoriedes anneesquatre-vmgtqui a vu tleurn plusieurrdizainesde societesde capital-risque,la restructurationa Ctesevere. Sur Ie creneau de la creationd’entreprisesde technolo_eies ne subsistent qu’untres petit nombred’acteurs.moinsde IO,et encore certains ront affilies a des groupesCtrangers.La selections’estfaite tres naturellement.stir les resultatsfinanciers: seulsles plus performants ont rtsisteet m&medeveloppeleursactivites. 11est tres importantde noterque la quasi-totalite de ceux qui subsistentoperentsur un plan international.car a I’heurede la mondialisation acceleree des technologieset des marches.hors de l’acces aux meilleursprojetset aux medleurspartenaires mdustriels.pointde salut! Cette internationalisationde notre activite est d’ailleursbenefique.Elle nouspermetd’accedera un reseauimportantd’investisseurs,de centresde
BTOFUTUR 150 - NOVEMBRE
1995
27
FINANCEMENT
Ccheanciers tres aleatoiresdu paiementdes aidesne conviennent pas a des societes qui n’ont pas d’autres ressourcesque leur capital, ce qui peut m&meles mettreen danger. Enfin, l’environnementscientifiquen’est pas encore suffisammentdynamique.Les quelques Cquipesprofessionnellesfranqaises du capitalrisqueont acquisune notorieteinternationale. Elles sontsolliciteestresfrequemmentpardesCquipesde rechercheuniversitairesou de laboratoiresCtrangers- europeenset m&meamericains-, et trespeu par des Cquipesfran$aises,ce qui est paradoxalet peu conformea l’excellentequalit&de la recherche francaise.Tout se passe comme si les acteursdu transfertde technologiene croyaientpas a la creation d’entreprisecommevecteurde l’innovation.k cet Cgard,l’accesprivilCgiC a la recherchepublique frangaise accord6 a certains groupes industriels pose non seulementun probleme deontologique serieux,maiscontribuea tarir un peu plus le flux deja faible des bons projets, alors que les autres pays s’accordenta considererles creationsd’entreprisescommele vecteurde transfertde l’innovation le plus efficace Cconomiquement. Bien entendu, cela n’exclutpas que le devenirdespetitesso&es innovantespassesouventpar des partenariatsavec de grandsgroupes,voireparleur absorptionpureet simple. Globalement,le resultat n’est pas bon. Aux 1 300jeunessocietesamtricainesde biologieavantee financeespar le capital-risque,correspondent environ400 socittes europeennes,dont a peine40 sontfrancakes! Le Royaume-Uniest largementen t&e,et l’tlllemagne,qui fait un effort considerable en biotechnologie, suitde trespk.
marches et la vague de concentrationobservee actuellementne faitquerenforcercettetendance. La deuxiemecaracteristiqueest le raccourcissementconstantdu tempsde transfertdes technologies du laboratoirevers l’entreprise,tandisque les delaisde misesur le marches’allongentconsiderablement.Les entreprisesde biotechnologiesassurent une part importantedu developpementdes conceptset des produits: elles effectuentsouvent une parttres ClevCe et meconnuede recherchefondamentaleet en supportentle risque. Quant aux marches, ils sont de plus en plus (( administres)) a deux niveaux. Les procedures d’autorisationde mise sur le march6deviennent beaucoupplus complexes,longueset done aleatoires et comeuses.De plus,pratiquementtous les paysdu mondeexercentunepressiontrb forte a la baisse des depensesde Sante,qui conduit a des controlesde prix s&&eset a l’apparitionde grands acheteurs,comme,les Health MedicalOrganizations(HMO)aux Etats-Unis.11n’y a plus de place pour les produitspeu innovantsqui n’auraientpas d’avantagesbCnCfice/coQt substantiels. Enfin,les aleas scientifiquesde ce secteursont particulierementimportants.L’ClCgance scientifiquedes programmesne doitpas faire illusion,les mecanismesreels d’actionsbiologiquessontextremementcomplexes,souventcontroverds, et les Cchecsdesessaiscliniques,memeen phaseIII, sont nombreux.On estime qu’aux Etats-Unis,sur les 1 300 societesde biologielinanceespar le capitalrisque, moins de 200 ont une technologiereellement pertinente susceptible de rencontrer un marche,ce qui donneune ideedu tauxd’echecprobableet de la necessairerestructurationdu milieu quiest d’ailleursen tours. Le cas particulierdes biotecbnologies Toutesces caracteristiquesont des consequences immediatespour lesjeunessocietes.Des leur creaDans le domainede la creation d’entreprise,les tion,ellesdoiventavoirunevisionmondialede leur societesde biotechnologieet, pour etre moinsres- environnementet s’organiser en consequence, trictif,les societesde biologieavancee- quece soit notammentquanta la structurede leursCquipesde qui doiventetre formeesauxnegociadansle domainedu medicament,du diagnosticou management de l’instrumentation - s’inscriventdansun contexte tions internationales.Elles doivent disposer de specifiquequiinfluenceconsidtrablement la strad- technologies particulierement innovantes pour gie d’investissement des societesde capital-risque. s’imposer,tres souventa la frontierede la connaisdes parLa premierecaracteristiquedeterminanteest la sance.I1est necessairequ’ellesCtablissent mondialisation des technologieset des marches.La tenariatsavec de grandesentreprises,la encore au rechercheprogressea pas de g&antdansla plupart plan mondial,ce qui est la faGonla plus rapide des pays developpeset les avantagescompetitifs d’avoir acces a terme aux grands marches, en que les sock% retirentdes technologiessont sou- contrepartiebiensftrd’unpartagedesprofitsfuturs. venttresephemhes.De plus,les marchessonttota- Enfin, elles ant un besoin de fonds propres tres lementouverts: les grandescompagniesde l’indus- Clevts.Dans ce domaine,il n’est pas realiste de trie de la sank!operentsimultanementsur tous les crier unesock%a fortpotentielsansr&miren fonds
propresplusieursdizainesde millionsde dollars. Tropsouventen France,le slogan((smallis beautiful )) a pu donnerl’illusionquele geniecreatifcompensaitla faiblessedesmoyens.11n’enesthelasrien, et de nombreuxprojetsde grandevaleuront Cchout. fauted’avoirpureunirles moyenssuffisants. Peut-ontrouveren Francedes societesqui presentent ce profil ? La reponse est heureusement positiveet plusieursdes societesde biologieavancCefinanceespar le capital-risquesonten passede devenirles successstories dont le milieua besoin. Les investisseurs prospectentactivementles laboratoirespoursusciterdesvocationset inciterles bons scientifiquesa tenter l’aventure,et d’excellents projetssonten tours de maturation. Est-ilpossiblede financercesprojetsa un niveau convenablesur le marchefragais ? La reponseest helasnon. I1n’y a pas suffisammentd’acteurset, faut-ille rappeler,ce n’estpas le role des banques d’intervenira ce stade.I1est doneimperatifd’attirer des investisseurs&rangers,ce que saventfaire, grace a leur internationalisation,les societes de capital-risquefranfaises.La presenced’investisseurseuropeenset americainsest d’ailleursun facteur tres favorableaux socittes par les ouvertures scientifiques,commercialeset financieresqu’elle leur apporte.Elle est la contrepartiepositive des investissements franqaisa Petranger. Le capital-risque, mCmes’il est encorequantitativementpeu important.est qualitativementindispensable.Seulesa prisede risquespermetle lancement de societes innovantesa fort potentiel. Ce sont ces societesqui creent des emplois,des produits a forte valeur ajoutee et qui sont la cl&du renouvellement de notretissuindustriel.
28
BIOFUTUR
150 - NOVEMBRE
1995