Les fondements historiques de la responsabilité pénale

Les fondements historiques de la responsabilité pénale

Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 396-405 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448702001932/FLA Mémoire orig...

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Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 396-405 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448702001932/FLA

Mémoire original

Les fondements historiques de la responsabilité pénale D. Bouley*, C. Massoubre, C. Serre, F. Lang, L. Chazot, J. Pellet Service de psychiatrie adulte, hôpital Bellevue, CHU Saint-Étienne, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France (Reçu le 19 mai 2000 ; accepté le 24 juillet 2001)

Résumé – La responsabilité est le fondement de toute vie sociale, une évidence dont le droit ne saurait se passer. Son histoire se superpose à celle de l’homme et se nourrit de tous les mouvements de pensée qui ont concouru à l’élaboration de la Justice. Nous examinerons, en premier lieu, les apports fondamentaux du droit romain, qui signe l’abolition du système vindicatoire et instaure un régime de responsabilité individuelle. Nous détaillerons, ensuite, les conceptions franques, marquées par une mentalité tribale et une organisation sociale clanique. De la fin du Moyen Âge à l’Ancien Régime, nous insisterons sur l’influence de la morale chrétienne, et de la dimension transcendante qu’elle impose à la justice pénale. Enfin, nous aborderons, avec le siècle des Lumières, la réforme laïque du droit pénal, et, tout au long du XIXe siècle, l’émergence d’un pouvoir médical qui s’affirme progressivement comme auxiliaire de justice. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS article 122-1 / dégénérescence / histoire du droit / loi du 17 juin 1998 / monomanie / prédestination / responsabilité pénale / vengeance

Summary – The historical foundations of penal responsibility. Law is based on the fact that responsibility is the foundation of all forms of social life. Echoing that of mankind, the history of responsibility has been enriched by all the schools of though which contributed to the elaboration of the notion of Justice. Firstly, we will examine the fundamental contribution of roman criminal law, which marked the end of the system of vindication installing in its place a regime of personal responsibility. We will then, focus on some concepts such as: tribal mentality and the organisation of society into clans, that came from the Franks. Covering the period that begins with the Middle Ages and streches through the Ancien Régime, authors emphasize the influence of christian morality, and the dimension of transcendence that this mentality imposed on criminal justice. Finally, they discuss the secular reform of criminal law which accompanied the 18th century and the emerging through the 19th century of a powerful medical science, witch progressively took on the status of actor in the judiciary system. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS degenerative / history of law / June, 17, 1998 law / monomania / criminal responsability / revenge

INTRODUCTION La responsabilité se présente à nous comme une évidence psychologique et morale. Un système juridique, même élémentaire, ne nous paraît pas pouvoir se passer d’un concept aussi nécessaire. Dès lors que le principe de solidarité familiale et clanique disparaît, ou ne persiste qu’à titre de vestige,

*Correspondance et tirés à part.

dès lors que l’individu est reconnu comme la cause de ses méfaits et seul sujet passif de la réaction sociale, dès lors que l’élément intentionnel de l’infraction semble être pris en considération pour définir les délits, on peut admettre qu’il y a régime de responsabilité. Il suffit qu’aient été refoulées les traces de la vengeance collective pour reconnaître à l’homme une obligation devant ses actes. La responsabilité reste un concept intimement lié à une certaine façon de penser les rapports entre les individus, ses comportements et la société. Son histoire

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se superpose à celle de l’homme et de son droit et se nourrit de tous les mouvements de pensée qui ont concouru à l’élaboration de la justice. Ses développements vont embrasser un champ chronologique étendu et emprunteront selon les époques à l’anthropologie, la théologie, à l’histoire politique ou à la philosophie. Ainsi, le droit pénal romain s’impose comme un point de départ et une base de réflexion incontournables. Redécouvert en France au XIIe siècle, fondé sur la casuistique, il invente une justice individuelle qui influencera les magistrats jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Le droit français moderne est également l’héritier des conceptions franques, prépondérantes à partir du Ve siècle, et d’une justice féodale qui s’élabore entre l’an mil et le XIIe siècle. Nous insisterons ensuite sur le système pénal de l’Ancien Régime qui, pour avoir connu de riches évolutions, restera très influencé dans ses fondements par la morale chrétienne. Enfin, nous aborderons avec les Lumières la réforme philanthropique du droit pénal : une véritable contestation qui revendique un droit exclusivement laïc, attentif aux discours des nouvelles sciences humaines et de la médecine en particulier. LES FONDATIONS ROMAINES De la fondation légendaire par Romulus en 753 avant J.-C. à la chute de l’Empire d’Occident en 476, 12 siècles se sont écoulés qui ont vu l’organisation sociale, les institutions et le droit romain considérablement évoluer. Avant le droit : le système vindicatoire Aux premiers temps de son existence, Rome n’est qu’une petite cité sans rayonnement, née de la fédération de communes rurales voisines. Les traditions sont principalement agricoles. Son droit se résume à quelques règles rudimentaires marquées à la fois par les impératifs économiques et les tabous religieux [14]. Chaque transaction ou négociation revêt un caractère sacré et les conflits se résolvent le plus souvent de façon rustique et sauvage ; la vengeance privée illimitée tient lieu de loi. La responsabilité est toujours portée par le groupe et engage, au nom de la solidarité des clans, des familles entières dans des affrontements en chaîne. La multiplication de ces représailles menace les équilibres et la pérennisation du groupe social. Progressivement, des systèmes de régulation visant à canaliser l’exercice de la vengeance s’imposent et jettent les bases de la coutume. Elle prend initialement la forme du Talion (le Talion doit véritablement être perçu comme Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 396–405

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un progrès en matière de rétribution). D’une part, la punition consiste en une limitation de la violence, d’autre part, elle implique une instance extérieure, le juge différant de l’offensé. Nous pourrons nous référer à l’ouvrage d’Emmanuel Levinas [15]. L’une des expressions les plus nettes de ce système pénal se trouve dans le Lévitique, XXIV, 19-20 : « si quelqu’un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent », puis celle de la réparation obligatoire du forfait par une composition pécuniaire. Le fondement vindicatoire du droit pénal se dissipe tout au long du VIe siècle avant J.-C. Le délit incombe à son auteur qui en assume personnellement les conséquences. La responsabilité devient individuelle. La pensée romaine se calque alors sur les réflexions déjà élaborées par les philosophes grecs. L’un des plus grands sophistes du Ve siècle avant J.-C., Protagoras, a réfuté le premier le principe vindicatoire en droit pénal : l’idée de vengeance est bestiale et irraisonnée, car rien ne peut effacer le mal qui a été commis. Démocrite (460-370 avant J.-C.) eut beau défendre le droit à la vengeance, la doctrine de Protagoras fut reprise avec beaucoup de variantes par Platon, Aristote et les stoïques. Une ébauche de droit pénal Avec l’expulsion des rois étrusques se clôt en 509 avant J.-C. la période royale. Rome met progressivement en place un régime républicain, et accroît pendant près de 250 ans son territoire et son hégémonie. À la fin de cette période, la péninsule est tout entière sous l’autorité romaine. Cette expansion entraîne naturellement des besoins auxquels les archaïsmes de la pensée, alimentée par une tradition mythologique et païenne, ne permettent pas de répondre. Lentement, une culture d’importation imprègne les idées romaines et les enrichit de réflexions philosophiques en grande partie d’origine grecque. Rome se dote d’un savoir rationnel, plus apte à expliquer le monde physique et les rapports entre les hommes. Les juristes profitent abondamment de ce dynamisme intellectuel et s’attachent à structurer le droit autour de nouveaux concepts. Tout d’abord, la ligne de démarcation s’établit entre les délits privés (delicta) et les délits publics (crimen). Le droit pénal affirme sa spécificité en s’équipant de jurys criminels professionnels qui se multiplient dès la fin de la période républicaine. Les lois pénales portant initialement sur la procédure s’étoffent sur le fond grâce aux mandats et aux rescrits encouragés par Auguste dès la création de l’Empire, en 27 de notre ère. Parallèlement, la notion de responsabilité se transforme et s’affine. Elle était durant le premier siècle de la République essentiellement objective :

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« Est responsable toute personne qui peut être convoquée devant un tribunal parce que pèse sur elle une certaine obligation, que sa dette procède ou non d’un acte de sa volonté libre. » Définition transcrite par Michel Villey [22], l’étymologie est grecque : σπεδω, c’est verser du vin goutte à goutte en forme de libation et, par extension, conclure un traité (habituellement accompagné d’une libation). La traduction latine, respondere, revêt une acceptation spécifiquement juridique : il s’agit de trinquer derechef pour conclure et sceller à nouveau l’alliance rompue par l’infraction et le scandale ; cela implique l’idée de se tenir garant, caution pour les événements à venir, faire face à un devoir ou une charge qui incombe. La commission du fait suffit à impliquer mécaniquement la sanction. Progressivement s’imposent tout au long de l’époque classique les principes d’une responsabilité subjective (cf. les XII Tables) où s’opposent les homicides commis dolosciens, en pleine connaissance de cause, et les homicides involontaires qui ne sont tenus qu’à l’offrande d’un bélier aux parents de la victime. L’intention coupable Sous l’impulsion des Stoïques, les magistrats développent la notion d’élément intentionnel. L’enjeu du stoïcisme est de maintenir, dans une philosophie du déterminisme, une place à la liberté humaine. Fondé en Grèce par Zénon de Cittium (335-264 av. J.-C.), il jouit dès le départ d’un préjugé favorable à Rome. Cette philosophie, apanage d’une aristocratie cultivée, investira rapidement les secteurs politique et judiciaire. À la fin du Ier siècle avant notre ère, le droit pénal s’est enrichi d’un vocabulaire qui s’attache à définir la volonté coupable, la claire conscience et la pleine appréciation du méfait accompli. Apparaissent les concepts de dol (qui implique la volonté mauvaise et le désir de nuire) et de fraus (action malicieuse et concrète) qui marquent à quel point la pensée s’est déplacée de l’acte vers l’agent et ne se satisfait plus pour sanctionner de l’unique matérialité des faits. C’est à l’époque d’Hadrien (76-138) que l’élément psychologique s’affirme avec le plus de clarté dans les rescrits impériaux : dans les crimes, on doit regarder la volonté de l’auteur et non le résultat (« In maleficiis voluntas spectatus, non exitus. » Digeste, 48, 8, 14). Dans un autre rescrit, l’empereur n’hésite pas à demander l’absolution pour tout homicide qui a tué sans le vouloir (Digeste, 48, 8, 1, 3). Tout naturellement se dégagent des catégories de personnes pour qui les méfaits sont automatiquement excusés ; l’incapacité dolosive qui leur est reconnue rend leur crime non imputable. Il s’agit des impubères

(impubes) et des fous (furiosi) dont les dommages sont comparés à ceux provoqués par les quadrupèdes ou une tuile tombée du toit (Ulpien, Digeste, 9, 5, 2). Les remodelages avant la chute Au début du IIIe siècle après J.-C., le climat politique se modifie encore et bouleverse les modes de pensée. Marc Aurèle, fervent défenseur des influences stoïciennes, des valeurs citoyennes et des libertés individuelles, disparaît. Suivront alors trois siècles dominés par une nouvelle composition d’État, le dominat, et par l’émergence du christianisme qui deviendra dès la fin du IVe siècle la religion officielle de l’Empire. Désormais, l’empereur détient les pleins pouvoirs et impose un régime despotique et répressif. Le droit pénal reflète cette évolution et consacre dans une intention dissuasive un principe de responsabilité essentiellement objective. Mais le droit est surtout profondément remanié dans ses fondements par une pensée chrétienne désormais très installée et influente. Le christianisme, qui n’était encore aux temps des Sévère qu’une « secte parmi d’autres », a progressivement investi les instances du droit et remodelé les conceptions stoïques passées. Là où Cicéron évoque la sociabilité naturelle et la justice innée fondée sur la droite raison, l’Église impose la Loi éternelle et la supériorité du jugement de Dieu. La raison n’existe que si l’inférieur (le terrestre) se subordonne au divin supérieur. Le corps est gouverné par l’âme, les passions par la raison et la raison par Dieu. Saint Augustin, dont les écrits constitueront des siècles durant la base de l’enseignement théologique chrétien, reprendra dans Les Confessions [21] cette dimension transcendantale de la justice, faisant du libre-arbitre l’origine de la corruption et du mal : « La conscience d’avoir une volonté propre est à l’origine du péché » (livre 7, Chapitre III). L’HÉRITAGE FRANC La position barbare Les Barbares, qui avaient, depuis près de deux siècles, souvent convoité Rome, se montrent de plus en plus pressants. En 476 après J.-C., l’Empire tombe aux mains des peuples germaniques qui se partagent l’Occident et entretiennent une situation politique confuse. Le droit pénal est en friche, réduit à une ébauche d’organisation procédurale commune avec le droit civil. Ses sources se résument à de vieilles coutumes germaniques (comme la loi Gombette promulguée par Gondebaud pour les Burgondes), qui consacrent encore largement le principe de vengeance privée. Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 396–405

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Clovis (465-511) étend progressivement la domination franque et propose, en acceptant sa conversion au catholicisme, une fusion des coutumes barbares et du droit romain. Il espère, grâce à l’évangélisation, faire sortir les Francs, encore païens, de leur système de familles toutespuissantes et imposer une justice qui privilégie la réparation et l’indemnisation équitable : « avoir arraché à quelqu’un la main, le pied, un œil ou le nez : 100 sous, réduits à six si la main est restée pendante ; avoir arraché un pouce : 50 sous, 30 s’il est resté pendant ; avoir arraché le doigt qui sert à tirer à l’arc : 35 sous… » (extrait de la loi salique, titre 32 : loi promulguée par Clovis pour le peuple franc). Malheureusement, sa conversion n’entraîne pas celle de la Gaule, dont la christianisation encore timide à cette époque ne s’établit de façon sensible qu’à partir du VIIe siècle. Les affaires de droit, loin d’être imprégnées de considérations spirituelles, répondent à une organisation sociale clanique, et obéissent aux souvenirs de haines tribales et de vengeances obligatoires qu’entretiennent les familles entre elles. « La faide (vengeance privée) reste un acte de piété familiale et de justice au niveau de cette unité sociale de base que constitue la grande lignée » [20]. L’empire carolingien : une tentative de réforme Vers 800, l’Occident se rassemble sous la dynastie des Carolingiens. Par son sacre, Charlemagne crée un empire Franc et chrétien où se mettent en place de nouvelles institutions et se développe un véritable esprit de réforme L’Église, désormais unie et rassemblée sous l’autorité du Pape (une unité qui ne sera acquise qu’après la réduction de l’hérésie arienne [bien que condamné comme hérétique par le concile de Nicée en 325, l’arianisme divisa violemment les rangs chrétiens jusqu’au VIIe siècle], et l’évangélisation tout au long des VIe et VIIe siècles du peuple mérovingien), marque son influence et impose la morale chrétienne comme fondement de l’ordre social. Le roi, autrefois homme de guerre, se définit désormais comme ministre de Dieu, chargé de maintenir son peuple dans la concorde évangélique. La justice devient avant tout une affaire avec l’audelà ; le vrai jugement est le jugement divin et la seule responsabilité ne s’assume que devant Dieu. Référence à la pensée de saint Augustin qui développe déjà, dans La Cité de Dieu, l’idée d’un homme corrompu par le péché originel et sauvé par la grâce de Dieu. Chaque crime est une offense à la miséricorde divine. Le criminel devra en répondre lors du jugement dernier [21]. Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 396–405

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Ainsi le droit pénal s’en remet fréquemment au divin pour résoudre les affaires criminelles les plus délicates et apporter la preuve (sous la forme des serments ou des ordalies) qui fera condamner ou acquitter. Prêter serment, c’est prendre Dieu à témoin de la véracité de ses dires et risquer une damnation éternelle, voire une punition divine immédiate (les parjures foudroyés sur place…). L’ordalie est une épreuve physique subie par les parties et destinée à manifester l’innocence d’une manière visible et incontestable. Dieu doit juger sur le champ le parjure et l’impureté, au terme d’un cérémonial que l’Église légitime par un rituel liturgique. Entre le VIIIe et le Xe siècle, se développent puis se multiplient les « ordalies bilatérales », nouvelle parodie de jugement sous la forme d’un duel judiciaire (Dieu ou ses anges se tiennent du côté du Juste qui l’emportera). Cette fois-ci, l’Église refuse sa caution, condamne ouvertement ces affrontements et dénonce les abus d’une justice alors incapable d’instruire et de juger, en dehors du recours au Divin, la responsabilité et la culpabilité du délinquant. J.M. Carbasse [3] rapporte dès 817 après J.-C. les contestations de l’archevêque de Lyon contre la loi Gombette et « les combats impies qu’elle autorise ». En 867, c’est le pape Nicolas 1er qui condamne à son tour le duel judiciaire et en interdit formellement l’usage aux clercs. Cependant, les condamnations répétées de l’Église n’ont pas arrêté l’essor du duel : il restera du Xe au XIIe siècle la preuve la plus répandue. À cette époque, l’homme ne peut être appréhendé en dehors d’un déterminisme absolu, lequel rend impossible toute accession à l’idée d’intention personnelle et de libre-arbitre. L’arrivée sur le trône des premiers Capétiens ne modifie pas profondément le paysage. L’État reste virtuel jusqu’au XIIe siècle, le droit pénal se confondant avec quelques coutumes et usages privés variables et imprécis. La justice est avant tout un instrument de puissance pour les seigneurs. Ils la veulent lucrative et oppressive et pratiquent à tous les niveaux le régime de l’arbitraire. DE LA FIN DU MOYEN ÂGE À L’ANCIEN RÉGIME La maturation du Droit à l’ombre de l’Église La redécouverte du droit romain Le XIIIe siècle restera, quant à lui, une grande période de rayonnement pour la civilisation française. Avec les règnes successifs de Philippe Auguste, Saint-Louis et Philippe le Bel, le royaume capétien connaît son apogée fait du bon fonctionnement des institutions, du dynamisme économique et d’un essor intellectuel réformateur.

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En matière de justice, le XIIIe siècle marque le retour des théories juridiques romaines. Au XIe siècle, un Maître de l’École de Bologne, Irnérius, découvre en Italie du Nord les manuscrits des grandes compilations (le Code, le Digeste, les Institutes, les Novelles), dont il ne subsistait que quelques bribes dans le droit français. Il en enseigne les grands principes à ses élèves et amorce ainsi un grand mouvement culturel qui séduit progressivement l’Occident. Loin de rester confiné entre les murs de l’école, le droit romain retrouvé influence largement les pratiques institutionnelles et judiciaires. En France, il se substitue d’abord aux coutumes méridionales devenues désuètes et triomphe dans le royaume tout entier dès la fin du Moyen Âge. Une ébauche de droit pénal public peut de nouveau s’établir. Le déplacement de l’acte vers l’agent Il s’agit, dans un premier temps, de reconstruire un code de fonctionnement, une logique procédurale fidèle à la rigueur et à la précision des codes romains. Cette logique s’exprime par exemple dans le système probatoire qui, à l’opposé des ordalies, développe la théorie des « preuves objectives » : hors du flagrant délit, les seules preuves admises sont l’aveu explicite du prévenu ou les témoignages concordants de deux témoins. La déposition d’un seul témoin ne constitue qu’une demi-preuve. L’enquête n’est étayée que par des indices objectifs. Désormais, les juges peuvent arbitrer les peines selon « l’exigence des cas », c’est-à-dire des éléments particuliers de chaque espèce (ils examinent chaque infraction en considérant l’ensemble des circonstances et notamment la personnalité du coupable). Même en référence à un texte pénal précis, le magistrat peut arbitrairement augmenter ou diminuer la peine. Il suffit que sa décision soit motivée par de « bonnes raisons » qui respectent le cadre limité par l’équité et la raison naturelle. Au XVIe siècle, Tiraqueau rédige sur la question un ouvrage complet, De poenis temperandis (Des causes qui permettent de tempérer et de remettre les peines prévues par les lois, les coutumes et les statuts). On pourrait voir dans cet attachement à l’individu et au cas le germe de l’évaluation de la responsabilité. Il s’agit en fait de proposer un mode d’évaluation globale de la peine en étudiant tous les paramètres a priori « utiles ». Ainsi, Tiraqueau retient comme causes favorables à l’accusé « le scandale que soulèverait la condamnation, sa famille nombreuse, sa honte devant le crime, son égarement, les services rendus à l’état, ses talents et ses bons antécédents… ». Naturellement, certaines de ces causes peuvent toucher à la responsabilité telle qu’elle

s’entend aujourd’hui, mais cette notion reste alors encore trop floue et appréhendée à travers une comptabilité des circonstances souvent bien farfelue. L’emprise chrétienne En marge de cette arithmétique pénale, le fondement chrétien conserve une influence marquée et infiltre de toute sa symbolique la procédure judiciaire. Ainsi l’infraction n’est pas seulement la transgression des règles posées par les hommes ; elle est aussi manquement au devoir de foi, le sacrilège qui fait écho au péché originel. La sanction, au-delà de l’idée d’objectivité et d’impartialité, doit tenir un rôle d’expiation, de purification et favoriser le repentir. C’est ce que réalisent dès le XVIe siècle les tortures et les châtiments corporels, consacrés plus largement encore par l’ordonnance criminelle de 1670. Le supplice, loin de s’imposer comme une irrégularité sauvage, s’inscrit logiquement dans une liturgie punitive qui ne s’est pas affranchie de son passé inquisitorial. Le condamné devient l’objet d’un sacrifice supposé apaiser les colères divines. Il devient également « la victime émissaire » qui protège tous les membres de la communauté de leur violence respective et assure la fidélité au culte de Dieu. R. Girard, dans La Violence et le Sacré [10], développe cette idée de victime émissaire et d’un sacrifice violent à la fonction cathartique : « La religion dit vraiment aux hommes ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour éviter le retour de la violence destructrice. Quand les hommes transgressent les interdits, ils provoquent la violence transcendante à descendre parmi eux, à redevenir la tentation démoniaque autour de laquelle ils vont s’entre-détruire, jusqu’à l’anéantissement final, à moins que le mécanisme de la violence émissaire, une fois de plus, ne vienne les sauver, que la violence souveraine, jugeant les coupables suffisamment punis ne condescende à regagner sa transcendance, à s’éloigner juste autant qu’il le faut pour surveiller les hommes du dehors et leur inspirer la vénération craintive qui leur apporte le salut. » Jusqu’au XVIIIe siècle, le droit pénal restera profondément marqué par la morale chrétienne. La réforme calviniste ne fera d’ailleurs qu’accentuer l’empreinte en insistant sur cette primauté divine et la justification par la foi. Calvin soutient que chaque homme est prédestiné par Dieu. Il est marqué à tout jamais du péché originel. Il ne doit son salut qu’à l’imputation gracieuse des mérites du Christ acquis sur la croix. Sa foi est un don adressé en retour de ce sacrifice. Paul Ricœur en donne une illustration à travers l’interprétation par saint Paul de la foi d’Abraham (Genèse 15, 6) : « Abraham crut en Dieu et ce lui fut rendu comme justice » [19]. Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 396–405

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LE SIÈCLE DES LUMIÈRES L’accession à un droit pénal laïc Le XVIIIe siècle voit naître et grandir un mouvement philosophique qui va remettre en cause les croyances traditionnelles les plus ancestrales. Déjà au XVIIe siècle, le mouvement libertin avait manifesté son indépendance d’esprit par rapport aux enseignements du christianisme et amorcé un courant contestataire. Dans son sillage, les philosophes construisent un projet original d’émancipation, un projet de rachat de l’homme par l’homme. En le délivrant de la faute originelle, les Lumières réhabilitent l’homme comme un être agissant selon sa propre nature. Sa finalité n’est plus dans un ailleurs transcendant, au-delà de la mort. L’homme est moral s’il fait usage de sa seule raison, et ce indépendamment des références normatives posées par la religion. « Le monde est trop éclairé pour se repaître plus longtemps d’incompréhensibilités qui répugnent à la Raison, ou donner dans des mensonges merveilleux qui, communs à toutes les religions, ne prouvent pour aucune » (D. Diderot, Histoire philosophique et politique des établissement des Européens dans les deux Indes). Le philosophe consacre la réalité terrestre. Il est militant, désire réformer les institutions et instruire la société. Le débat sur le droit reflète le renouveau méthodologique de la pensée philosophique. Il développe une critique sévère des schémas hérités du Moyen Âge et adopte progressivement l’idée d’une déchristianisation des fondements. L’accent principal est mis sur la capacité de l’agent et non plus sur la justice souveraine de Dieu. Cette capacité suggère le recours au principe de disposition naturelle, exposé initialement par Aristote et relayé par Cicéron. Pour Aristote, ce n’est pas de la nature extérieure que procède le Droit mais plutôt de la nature de l’homme, à savoir de sa disposition naturelle. Il en résulte que le Droit tient dans l’ensemble des lois posées par l’Esprit humain. Plus tard, la morale stoïcienne à travers Cicéron s’emploie à scruter la nature de l’homme, à reconnaître en lui ses forces, parcelles de Logos que la nature a posé en lui [23]. Elle fonde la doctrine du Droit naturel, source totalement indépendante et antagoniste de la source théologique. C’est dans ce cadre que s’exprime la réflexion d’E. Kant, et que s’élabore la première théorie impliquant les notions d’imputation et de responsabilité. Kant fait l’hypothèse de l’autonomie de la volonté (et se positionne ainsi à l’opposé de l’idée chrétienne de prédestination). Cette volonté se rapporte au principe de la détermination de l’arbitre à l’action. Elle est ce que Kant nomme la raison pratique, raison que l’homme Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 396–405

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éprouve en lui-même dans la conscience qu’il a du devoir. Ce pouvoir de discerner et d’agir en conséquences impose naturellement la jouissance du libre-arbitre. La Loi naturelle et le principe de raison qui en découle obligent l’homme à répondre non plus devant Dieu mais devant lui et autrui de ses actes et intentions. L’action est agie en pleine connaissance de cause. Elle est imputable entièrement à son auteur. Il en porte la responsabilité, laquelle peut se définir comme l’expression de la solidarité de la personne humaine avec ses actes, la condition préalable de toute obligation réelle ou juridique [2]. Pour Kant, la responsabilité signifie l’engagement personnel d’un sujet totalement disponible et fondamentalement libre, qui a l’entière paternité d’une action dont il est intentionnellement et délibérément l’auteur. Ayant montré la différence qui sépare une action accomplie par devoir d’une action simplement conforme au devoir, Kant découvre, dans le principe du vouloir, l’unique source de la valeur morale d’une action [6]. Il dissocie l’idée de responsabilité morale (laquelle se réfère au principe du vouloir) et l’idée de responsabilité juridique qui implique la qualification d’un acte interprété comme conforme ou non à une norme du Droit. Tous les penseurs éclairés s’accordent sur la nécessité de placer l’homme au centre des débats et de veiller à son bien-être physique et spirituel. L’intolérance religieuse, l’esclavage, la torture judiciaire sont violemment contestés et abandonnés au profit des nouvelles conceptions humanitaires. C’est dans cette optique que s’inscrit en 1764 l’ouvrage de Cesare Beccaria, Des délits et des peines. Ce traité reçoit dans toute l’Europe un large succès, en dépit de ses détracteurs ecclésiastiques qui reconnaissent dans ce « Rousseau italien » le bourreau des fondements sacrés du Droit. Beccaria récuse vivement les racines chrétiennes du droit pénal. Il soutient que l’attention doit se porter sur les origines sociales du crime, et que la justice doit mettre l’accent sur la réhabilitation, la réparation et l’utilité publique. Pour ce faire, le magistrat s’intéresse avant tout au criminel et fonde son jugement sur une appréhension élargie de l’acte délictueux. La recherche se porte sur la mécanique, le jeu des intérêts qui ont pu rendre criminel. Ce qui importe est désormais la rationalité immanente à la conduite criminelle, son intelligibilité naturelle. Cette position est celle de la loi de la mesure et de l’équitable ; elle exige un savoir absolument nouveau, un savoir en quelque sorte naturaliste de la criminalité. Ainsi, le Droit tend progressivement à déborder de sa fonction habituelle, autosuffisante, et à se lier à d’autres

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disciplines scientifiques comme l’économie, l’histoire et surtout la médecine de l’âme qui apparaît en cette fin de siècle. Répondant depuis le XIIIe siècle à un mode d’organisation artisanale et corporatiste, l’étude et le traitement de la folie acquièrent de la fin du XVIIIe au milieu du XIXe siècle une dimension professionnelle. La médecine, ainsi reconnue comme un corpus de connaissances scientifiques, se réfère désormais à un modèle étatique, incarné à partir de 1778 par la fondation de la Société Royale de Médecine. LA MÉDICALISATION DE LA RESPONSABILITÉ Introduction La revendication médicale est ancienne en matière de droit pénal. Explicite chez J. Wier dans les procès en sorcellerie (Jean Wier fut médecin au XVIe siècle. Il soutint la situation des sorcières comme un état pathologique, condamna les sentences des tribunaux de l’Inquisition et préconisa des soins en rapport avec les désordres de leur esprit. Cette tentative de médicalisation de la sorcellerie heurta violemment la pensée traditionaliste de l’époque [13]), elle s’affirme au XVIIe siècle avec Zacchias : ce médecin légiste réclame pour chaque fou à juger un examen médical et une exonération pénale permettant des soins adaptés [2]. Cependant et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la procédure n’autorisera qu’exceptionnellement le recours à un auxiliaire spécialiste, les juges s’estimant tout à fait capables de décider, en leur seule qualité d’hommes éclairés par la raison et l’expérience. « L’acquittement du criminel pour cause d’aliénation mentale est, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, un événement exceptionnel qui n’intervient que dans les rares cas où la folie saute aux yeux des juges » [5]. Avec le XIXe siècle, se dégage dans l’espace pénal un objectif nouveau : expliquer les faits à juger et déterminer à quel point est impliquée dans le crime la volonté du sujet. Outre les élément circonstanciels de l’acte, interviennent dans le verdict d’autres éléments appréciatifs, diagnostiques ou pronostiques qui ne sont pas juridiquement codifiables et font de l’évaluation de la responsabilité un complexe juridico-scientifique Les prémices d’une guerre de frontières Le grand renfermement tel que M. Foucault l’a relaté [8] prend lui aussi fin au début du XIXe siècle. Le fou quitte cet amalgame correctionnaire où il côtoyait depuis près de 200 ans le criminel, l’indigent et l’estropié.

La folie est devenue maladie, objet d’étude, et les contours d’une médecine de l’âme se dessinent progressivement, à l’initiative des premiers aliénistes. Le champ d’investigation est large. Il recouvre pour P. Pinel toute la palette des dérèglements de l’entendement humain. Le médecin des esprits doit pouvoir intervenir dans chaque situation où l’homme fait preuve d’une défaillance morale. Il détecte les dysfonctionnements de la raison que le profane ne peut saisir. Il pourrait, en prouvant scientifiquement l’aliénation mentale, faire du délinquant un irresponsable. L’article 64 du premier code pénal napoléonien, « il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action » (1810) sonne d’ailleurs comme une invitation faite aux médecins à venir éclairer les magistrats sur la personnalité des accusés. Mais les tribunaux restent frileux et accueillent avec réserve ce nouveau savoir avide de légitimité. Ce qui devait se profiler comme le premier partenariat médico-judiciaire prendra bien vite les allures d’une véritable guerre de frontières. Esquirol et la monomanie Exposée en 1810 par Esquirol, la monomanie connaît rapidement un franc succès auprès des praticiens (45 % des internés à Charenton entre 1826 et 1833). Plus qu’une entité morbide, la monomanie constitue la première classification nosographique des déviances de l’esprit et rend compte des ambitions d’Esquirol, désirant imposer le médecin aliéniste comme un « expert en comportement ». « Celui qui est appelé à donner des soins aux aliénés a plus d’une fonction à remplir, […] le médecin éclaire le gouvernement sur la tendance des esprits ; la connaissance qu’il a des causes des caractères des folies régnantes lui fournit les éléments les plus positifs de la statistiques morale des peuples » (Esquirol : « Leçon inaugurale du cours de clinique à la Salpêtrière »). C’est dans cette perspective que Georget, disciple d’Esquirol, développe en 1825 la monomanie homicide et soutient la nécessité d’un avis médical expert en matière de responsabilité pénale. Les juristes, s’ils reconnaissent globalement les éclairages apportés par la médecine, désapprouvent vivement cette nouvelle théorie de la folie partielle à laquelle ils contestent toute validité clinique. Ainsi s’exprime E. Regnault, avocat au barreau de Paris : « La différence entre état de folie et normalité est question de bon sens ; je reste persuadé que si la monomanie existait réellement, elle devrait être pour le juge comme si elle n’existait pas » [18]. La polémique est engagée et les arguments débattus, loin de résoudre les problèmes posés par la folie sanguinaire et l’évaluation de la resAnn Méd Psychol 2002 ; 160 : 396–405

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ponsabilité, ne serviront désormais que des intérêts politiques. J. Goldstein [11] précise ainsi les raisons d’un tel affrontement : « Se voir concéder une part des travaux de la Magistrature, c’est établir des liens solides et intimes avec l’État et avoir sa part de prestige. Georget se heurte violemment aux royalistes de l’époque. Ses démarches expriment la jalousie du statut et de la dignité traditionnellement dévolus aux juristes. » La monomanie, largement critiquée, disparaît aussi rapidement qu’elle est née à partir de 1830. Elle aura cependant probablement contribué à l’élaboration de la loi de 1832 sur les circonstances atténuantes, loi qui consacre l’expertise psychiatrique et son pouvoir de modulation sur la responsabilité pénale. La théorie de la dégénérescence L’abandon de la folie partielle cède la place au milieu du XIXe à la théorie de la dégénérescence. Élaborée par B.A. Morel en 1840, la dégénérescence, fondée sur la causalité héréditaire, constitue la première tentative d’explication globale de la folie. Morel présente cette théorie comme une déviation maladive de l’espèce. Elle implique l’idée d’une transformation pathologique, survenant sur l’homme parfait tel que Dieu l’a créé au commencement des temps. Les causes de cette transformation sont soit prédisposantes (physiques ou morales, individuelles ou générales), soit déterminantes (et précipitent le prédisposé vers tel ou tel type de dégénérescence). Ce qui fait le symptôme et légitime l’intervention du psychiatre, c’est l’écart que représente une conduite en rapport à des règles d’ordre et de conformité (et non, comme chez les aliénistes, la part de délire qu’elle recèle). Son caractère très scientifique et vérifiable, bien plus d’ailleurs que sa pertinence clinique, assure à cette théorie un succès immédiat et unanime. Très favorablement accueillie par l’intelligentsia française (nous ne ferons que constater l’importance accordée à la détermination héréditaire dans le cycle romanesque des Rougon-Macquart de E. Zola), elle s’impose rapidement comme la pièce théorique majeure de la médicalisation de l’anormal et permet à la psychiatrie de se repositionner dans son rôle de défense sociale généralisée et de protection de l’ordre. Elle relance, selon les termes de M. Foucault [9], « le pouvoir d’ingérence des médecins en matière de responsabilité pénale » : l’expert, fort de ce modèle unique et homogène, s’engage dans une explication étiologique du fait criminel et le partage entre le délinquant accidentel et responsable du dégénéré irresponsable. Le danger social se retrouve entièrement codé, telle une maladie ; la dégénérescence fait de la psychiatrie la Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 396–405

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juridiction médicale des troubles des conduites et impose le travail d’expertise comme indispensable à la détermination de la responsabilité pénale. Le terme « responsabilité » est un mot relativement nouveau dans la langue française puisqu’il n’apparaît dans les dictionnaires qu’après la Révolution. Il entre dans le Code pénal pour la première fois à l’occasion de la circulaire Chaumié. Cette circulaire pose explicitement la question de la responsabilité à l’expert et consacre l’entrée de la responsabilité partielle dans le cadre de sa mission (afin d’éclairer le jury sur la question des circonstances atténuantes) [12]. Néanmoins, et jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’expertise psychiatrique est loin d’être systématique en matière de crime et la commande passée par la justice à la médecine mentale reste limitée. Si les connaissances se sont enrichies et organisées, les compétences du moment restent exposées aux cas particuliers, aux découvertes qui viennent parfois jeter le discrédit. Les magistrats se méfient de cette nouvelle science en mal d’assurance et de dogmatisme, de ses nosographies encore imprécises et trop empiriques pour convaincre. La systématisation de l’expertise psychiatrique C’est dans ce climat de défiance que la circulaire Chaumié s’impose (12 décembre 1905). Elle donne quasiment les pleins pouvoirs à l’expert aliéniste pour la détermination du degré de responsabilité d’un prévenu. Elle introduit également la notion très controversée de la folie partielle et de la conséquente responsabilité atténuée (faisant écho aux circonstances atténuantes inscrites dans la loi de 1832). La polémique et les contestations s’enflamment sous la plume notamment de Joseph Grasset qui fustige, dans un article publié dans La Revue des deux Mondes en 1906, l’idée d’une folie intermédiaire et d’une responsabilité médiane. Dans cet article, Grasset reprend l’argumentaire développé dès 1863 par Falret dans les Annales Médico-psychologiques : « Les distinctions entre les divers degrés de responsabilité et d’irresponsabilité ne sont plus admissibles […], dans le domaine de la loi, on ne peut admettre les distinctions flottantes basées sur des degrés souvent inappréciables » [7]. Un an plus tard se tient à Genève le Congrès des médecins aliénistes et neurologues. La critique rejoint celle de Grasset et précise que la responsabilité, qu’elle soit morale ou sociale, est d’ordre métaphysique ou juridique et non d’ordre médical. Le congrès « émet le vœu que les magistrats dans leurs ordonnances, leurs jugements ou leurs arrêts s’en tiennent au texte de l’article 64 du Code pénal et ne demandent pas au médecin expert de résoudre les dites questions qui excèdent sa compétence » [4].

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Malgré les protestations et les multiples appels à définition [17], la justice reste floue dans les contours juridiques qu’elle attribue à la responsabilité ; son appréciation demeure l’apanage des experts psychiatres. Les examens psychiatriques vont ainsi progressivement se généraliser et plusieurs ouvrages contribueront même à leur systématisation : le Manuel pratique de médecine mentale de E. Régis (1914) et le Vade-Mecum de Lacassagne. Ces deux livres références font le point sur les connaissances acquises, les savoirs pratiques et confirment la légitimité d’une intervention expertale. De même, l’essor de la criminologie, fondée en 1876 par Lombroso, renforce encore tout au long de cette première moitié du XXe siècle le rôle de l’expert aux assises. Elle revendique la scientificité du savoir et impose, par la fédération de la biologie, de la psychiatrie et de la sociologie, la fertilisation croisée des disciplines. La situation actuelle Qu’en est-il aujourd’hui des rapports de la justice et de la psychiatrie ? Il semble que sur le fond, les choses ne se soient pas grandement modifiées. Bien que la science soit régulièrement requise comme garantie, elle n’en est pas moins souvent remise en cause. La question de la responsabilité garde toujours le même parfum de scandale et son soupçon d’arbitraire. La responsabilité pénale au regard de la folie demeure encore une question étrangement actuelle. L’enjeu juridique est inchangé et ce malgré la réforme récente du Code pénal. Comme le remarque Serge Portelli à propos de l’article 122-1 : « On a changé le nom de la rue et le numéro de la plaque […], mais l’intérieur a-t-il vraiment changé ? La formulation ne modifie rien à la pratique expertale qui ne dépend pas de l’énoncé de la loi mais de l’évolution de la société » [16]. Le nouveau code pénal réalise en effet une réforme timide de l’article 64 : l’alinéa 1 n’est en fait qu’une redite, une substitution par des mots plus modernes sans grande modification du contenu. Seul l’alinéa 2 qui lui succède fait une place aux personnes atteintes au moment des faits d’un trouble psychique ayant altéré (et non aboli) leur discernement. Pour eux, « la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime ». En revanche, dans la pratique, il nous semble assister à une véritable inversion des comportements encore en cours au début du siècle. Là où l’expert psychiatrique mettait un point d’honneur à faire éviter la prison et démontrer l’irresponsabilité, il prône désormais de plus en plus la poursuite de la procédure judiciaire. D’ailleurs, l’introduction d’une responsabilité atténuée par le second alinéa de l’article 122-1 n’a pas été sans effet sur l’augmentation du nombre de psychoti-

ques dans les prisons. Le pourcentage des affaires où une irresponsabilité pour trouble psychiatrique a été prononcée a diminué régulièrement pour passer de 1,7 % au début des années 1980 à 0,17 % pour l’année 1997 ; 424 non-lieux ont été prononcés en 1990 au titre de l’article 122-1 pour 295 non-lieux en 1995. Il est question, du côté thérapeutique, de la peine par la confrontation au processus symbolique, des possibilités de reconstruction du sujet pris en compte par la justice des hommes. Il est surtout question d’engager la responsabilité sur l’hypothèse de perspectives évolutives favorables, comme une hypothèque sur l’avenir du délinquant. Les modifications sont également notables du côté du juge. Autrefois réticent à l’égard du psychiatre, le magistrat multiplie désormais les sollicitations pour la quasitotalité des troubles du comportement qui contestent l’ordre social. Le psychiatre se doit d’intervenir dans une toute nouvelle fonction d’auxiliaire du maintien de l’ordre public. C’est bien évidemment vis-à-vis de la délinquance sexuelle et de la loi du 17 juin 1998 que cet entremêlement se manifeste avec le plus de confusion. Comme le souligne le Dr Baron-Laforêt dans un récent éditorial, « la psychiatrie est mise en demeure de faire quelque chose et ce à défaut d’avoir fait ses preuves en la matière, que les échelles aient montré leur efficacité et préconisé la technique de soin la plus adéquate » [1]. L’obligation de soins prévue par le suivi sociojudiciaire peut-elle aménager un authentique cadre thérapeutique ou n’est-elle qu’un élément supplémentaire de l’arsenal répressif, un rappel à l’ordre, une « prothèse légale », selon les termes de Denis Salas ? Cette population dans l’entre-deux (de l’enfermement carcéral et des soins) reformule la question de la responsabilité et de la distinction des rôles et des fonctions. Dans ce sens, les propos de S. Portelli fixent, on ne peut plus clairement, les limites de chaque territoire : « L’expert psychiatre gagnerait à revenir à sa spécificité, à ne plus répondre à mille questions dont la plupart ne sont pas de son ressort, à refuser de jouer au devin, à ne plus intervenir à tous les stades du procès […], à mieux délimiter son champ, à savoir dire non aux sollicitations d’une population apeurée et d’une justice désemparée. » Et pour autant, la responsabilité peut-elle être véritablement appréhendée dans sa globalité si elle ne navigue pas elle-même dans un entre-deux, dans une oscillation perpétuelle entre le légal et le juste, la loi et la conscience ? Une tentative de conciliation, ou plutôt d’harmonisation, peut effectivement prendre l’allure du piège ou du non-sens si elle est élaborée sous la pression d’une demande sociale prise de court. Mais peut-être pourrait-elle également ouvrir la voie à un Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 396–405

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espace thérapeutique où va se travailler la capacité de réponse du sujet, fût-il condamné. CONCLUSION La responsabilité ne peut se résumer, si l’on considère ce rapide survol de l’histoire du droit, à une définition unique et arrêtée. Elle a su conserver tout au long de son évolution une enveloppe polysémique. L’évolution du concept rend compte de son profond enracinement dans la conscience morale des hommes, que cette morale ait été fondée suivant les époques par des « vérités » différentes : surnaturelle ou profane, philosophique ou scientifique. La responsabilité pénale est avant tout une notion constructive et prospective, à la fois ancienne dans l’élaboration de ses fondements et moderne dans sa nécessaire adaptation aux impératifs de protection sociale. Elle n’existe surtout que si l’homme est repéré dans son individualité, et s’il est affranchi de toute prédestination. La notion de responsabilité pénale ne prend sa réalité que par la réflexion et la concentration dans une conscience. Elle est une affaire d’intimité, fondée sur la jouissance du libre-arbitre et la philosophie de la conscience. RE´FE´RENCES 1 Baron-Laforêt S, Éditorial. Actual Psy 2001 ; 18 : 1-2. 2 Barras V. Folies criminelles au 18e siècle. Gesnerus 1990 ; 47 : 285-302.

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