Pathologie Biologie 54 (2006) 296–303 http://france.elsevier.com/direct/PATBIO/
Actualité biologique
Les systèmes de sécrétions de type IV et leurs effecteurs Type IV secretion system and their effectors: an update J.-P. Lavigne a,b,*, E. Botella a, D. O’Callaghan a a
Inserm U 431, faculté de médecine, avenue Kennedy, 30908 Nîmes cedex 02, France b Laboratoire de bactériologie, virologie, parasitologie, CHU de Nîmes, groupe hospitalo-universitaire de Carémeau, place du professeur-Robert-Debré, 30029 Nîmes cedex 09, France Reçu le 30 novembre 2004 ; accepté le 12 avril 2005 Disponible sur internet le 13 février 2006
Résumé La virulence bactérienne est liée à la synthèse de macromolécules interférant avec les fonctions physiologiques de l’organisme infecté. Pour sécréter des protéines, les bactéries ont su développer des systèmes de sécrétion. Les bactéries utilisent les systèmes de sécrétions de type IV pour deux raisons fondamentales : l’échange génétique (conjugaison et exportation ou importation d’ADN) et la libération d’effecteurs (protéines seules, complexes macromoléculaires ou complexes ADN–protéines) dans la cellule cible eucaryote. L’acquisition de gènes est un mécanisme capital dans l’adaptation du pathogène au changement d’environnement rencontré chez l’hôte durant l’infection. Les effecteurs transloqués par les bactéries pathogènes peuvent perturber les mécanismes de défense de l’hôte, facilitant la croissance intracellulaire de certains pathogènes ou induisant la synthèse de nutriments indispensable à la colonisation par d’autres bactéries. Des progrès récents ont permis d’acquérir des informations sur la structure et les fonctions des systèmes de sécrétion de type IV, d’identifier leurs effecteurs et de comprendre les mécanismes permettant aux protéines sécrétées de détourner les fonctions des cellules eucaryotes hôtes durant l’infection. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Subversion of eukaryotic hosts by bacterial pathogens requires specialized macromolecules secretion systems delivering virulence factors either into the environment or directly into host cells. Transport of molecules across bacterial and eukaryotic membranes is a process requiring multi-component machineries called secretion systems. This review focuses on the Type IV secretion system. This complex is required for genetic exchange (DNA transport) and secretion of effectors (proteins, macromolecules, DNA-proteins complex) into target cells. They transport a wide variety of substrates including large DNA/protein complexes, multi protein toxins, or individual proteins. We describe recent advances on the structure and the function of this secretion system, their effectors and their effects on the functions of eukaryotic cell. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Système de sécrétion de Type IV ; Virulence ; Effecteurs Keywords: Type IV secretion system; Virulence; Effectors proteins
La sécrétion de facteurs de virulence (majoritairement des protéines) est essentielle pour de nombreux pathogènes de mammifères, de plantes et des arthropodes. Chez les bactéries pathogènes à Gram négatif, ces facteurs sont exportés dans
*
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-P. Lavigne).
0369-8114/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.patbio.2005.04.006
l’environnement, qu’il soit ou non la cellule eucaryote ellemême. Afin de traverser l’enveloppe bactérienne, ces protéines doivent franchir deux obstacles : la membrane interne et la membrane externe, toutes deux hydrophobes, donc imperméables aux composés hydrophiles. Les bactéries ont ainsi développé des systèmes de sécrétion. À ce jour, six systèmes ont été décrits : le système de sécrétion de type I, système sans séquence signal [1], le système de sécrétion de type II, système
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Sec-dépendant [2], le système de sécrétion de type III ou T3SS, système contact-dépendant [3], le système de sécrétion de type IV ou T4SS [4], le système à deux partenaires [5], et le système des autotransporteurs ou système de sécrétion de type V [6]. Cette revue a pour but d’effectuer une mise au point sur les T4SS et leurs effecteurs. 1. Les systèmes de sécrétion de Type IV (T4SS) Les T4SS sont destinés au transport de protéines seules, de complexes macromoléculaires ou de complexes ADN–protéines. Ils partagent une origine ancestrale commune avec la machinerie de conjugaison bactérienne des bactéries à Gram négatif et positif [7]. Les membres de la famille des T4SS sont regroupés en trois catégories : ● les systèmes de conjugaison assurant le transfert d’ADN vers une cellule réceptrice cible ; ● les systèmes de transport d’effecteurs qui exportent les molécules effectrices du pathogène vers les cellules eucaryotes durant l’infection des plantes ou des mammifères (Tableau 1) ; ● les systèmes de « compétence ou de libération d’ADN » permettant l’échange d’ADN avec le milieu extracellulaire (Fig. 1).
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1.1. Les systèmes de transfert d’ADN Par définition, les systèmes de conjugaison délivrent l’ADN en établissant un contact physique direct avec les cellules cibles. Ils comprennent le sous-groupe le plus large de T4SS ; ils ont été mis en évidence dans la plupart des bactéries à Gram positif et à Gram négatif. Le mieux caractérisé est le système VirB d’Agrobacterium tumefaciens, prototype des T4SS. Cette bactérie est un phytopathogène responsable de tumeurs du collet se manifestant par une prolifération incontrôlée du tissu de la plante. Elle infecte les cellules de la plante en lui transférant un fragment d’ADN qui va s’intégrer dans son génome. Le système VirB d’A. tumefaciens assure ce transfert de ce T-ADN (ADN oncogène porté par le plasmide Ti, tumorinducing). D’autres systèmes ont été décrits comme les systèmes médiant la conjugaison de plasmides, par exemple les systèmes Tra et TrW des plasmides RP4 et R388. Bien que ces systèmes de conjugaison soient connus essentiellement pour leur rôle dans la dissémination d’ADN parmi les populations bactériennes, ils peuvent exporter des protéines indépendamment de l’ADN [8,9]. Certains de ces systèmes peuvent également transférer l’ADN et des protéines à des cellules eucaryotes de plantes, de champignons et humaines [10]. De nombreux systèmes présentent des ancêtres communs avec les protéines VirB-D4 d’A. tumefaciens formant ainsi le groupe IVA ou le plasmide ColIB-P9 constituant le groupe IVB [11,12]. La
Tableau 1 Les différents systèmes de sécrétion de type IV et leur substrats identifiés à ce jour Espèces bactériennes Conjugaison Escherichia coli plasmide F(IncF) Escherichia coli RP4 (IncP) Escherichia coli R388 (IncW) Shigella ColIb-P9 (IncI) Agrobacterium tumefaciensb Legionella pneumophilab Compétence et libération d’ADN Campylobacter jejuni Helicobacter pylori Neisseria gonorrhoeae Translocation d’effecteurs Agrobacterium tumefaciens
T4SSa
Substrats
Altérations de l’hôte ou de la cellule cible
Références
Tra Trb Trw Tra VirB Dot–Icm
ADN simple brin lié à une protéine pilote en 5’
Échange Échange Échange Échange Échange Échange
[11] [4] [4] [4] [32] [17]
Cjp–VirB ComB Tra
ADN double brin
Intégration d’ADN Intégration d’ADN Compétence d’ADN
[26] [27] [25]
VirB
Gale du collet
[32]
Helicobacter pylori Bordetella pertussis Legionella pneumophila
Cag Ptl Dot–Icm
Gastrite, Ulcère peptique Coqueluche Légionellose
[15] [24] [17]
Brucella spp. Bartonella spp. Actinobacillus.c Ehrlichia spp.c Wolbachia spp.c Rickettsia spp.c
VirB VirB, Trw MagB VirB VirB –
ADN-T, VirD2, VirE2, VirF, VirE3, VirD5 CagA Toxine pertussique RalF, DotA, Sid, LepA, LepB, LidA, SdeC… Inconnu Bep Inconnu Inconnu Inconnu Inconnu
[18] [48] [11] [11] [11] [11]
Xylella fastidiosac
VirB
Inconnu
Coxiella burnetiic
Dot–Icm
Inconnu
Brucellose Angiomatose, Maladie des griffes du chat Périodontose Éhrlichiose Altérations sexuelles de l’hôte Typhus, Fièvre boutonneuse méditerranéenne Maladie de la feuille desséchée–Sclérose des agrumes panachés Fièvre Q
a
ADN simple brin
génétique génétique génétique génétique génétique–Gale du collet génétique
[11] [11]
T4SS : Système de Sécrétion de Type IV. b Ces systèmes fonctionnent à la fois comme système de conjugaison transférant l’ADN à des bactéries cibles et comme sécréteurs d’effecteurs délivrant les substrats aux cellules eucaryotes cibles durant l’infection. c Ces systèmes sont présumés être des T4SS fonctionnels sur la base des homologies de séquence avec les systèmes de conjugaison.
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Fig. 1. Représentation schématique des différents mécanismes dépendant des systèmes de sécrétion de type IV. Les trois sous-familles de T4SS sont indiquées. Les systèmes de conjugaison libèrent l’ADN dans la bactérie cible ou d’autres cellules par un contact cellule–cellule. L’ADN simple brin est entraîné par des protéines pilotes. Les systèmes « compétence et libération d’ADN » échangent l’ADN avec le milieu extracellulaire indépendamment de tout contact avec des cellules cibles. La sécrétion d’effecteurs délivre l’ADN ou des protéines aux cellules eucaryotes durant l’infection. Les systèmes de sécrétion d’effecteurs participent grandement aux différentes possibilités du processus infectieux des bactéries pathogènes. ADNdb, ADN double brin ; ADNsb, ADN simple brin.
conjugaison joue un rôle important dans la « plasticité » des génomes et dans l’aptitude des bactéries à s’adapter aux conditions environnementales changeantes comme celles rencontrées lors des infections humaines. De plus, de récents travaux ont montré que les pili de conjugaison codés par des plasmides chez les bactéries à Gram négatif, ou formés par les glycoprotéines de surface chez les bactéries à Gram positif, contribuent à la formation d’un biofilm et à la colonisation des différents tissus humains [13,14]. 1.2. Les systèmes de transports d’effecteurs Plus récemment, des T4SS ont été impliqués dans la virulence de bactéries pathogènes pour l’homme et les animaux comme Helicobacter pylori (système Cag), bactérie incriminée
dans l’apparition de l’ulcère gastroduodénal, les adénomes et les lymphomes gastriques [15,16], et des bactéries pathogènes intracellulaires comme Legionella pneumophila (système Dot/ Icm) [17], Brucella spp. (système VirB) [18], et Bartonella spp. (systèmes VirB et Trw) [7,19–21]. Les projets de séquençage génomique ont également permis de retrouver des séquences présentant des homologies avec ces T4SS chez Rickettsia prowazekii, Actinobacillus actinomycetemcomitans, Wolbachia spp. (endosymbionte d’arthropodes et de nématodes), Campylobacter jejuni et Coxiella burnetii. Leur rôle dans la virulence reste encore à démontrer [12]. La plupart de ces T4SS injectent leurs substrats directement dans le cytosol de la cellule eucaryote comme cela a été démontré pour les T3SS [22] (Fig. 1). Le système Ptl de Bordetella pertussis peut également être inclus dans cette famille [23], bien que ce sys-
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tème libère la toxine pertussique, indépendamment d’un contact hôte cellule [24]. À ce jour, environ dix T4SS du groupe IVA et plusieurs T4SS du groupe IVB semblent essentiel pour l’infection des cellules eucaryotes [11,12]. 1.3. Les systèmes de « Compétence ou de libération d’ADN » Ils comprennent trois membres. Ils transloquent l’ADN à travers l’enveloppe cellulaire vers ou à partir du milieu extracellulaire sans contact avec la cellule cible (Fig. 1). Ce groupe récemment identifié comprend deux systèmes « DNA uptake », le système Cjp–VirB de C. jejuni et le système ComB d’H. pylori et un système « libération d’ADN » chez Neisseria gonorrhoeae. Chez ce dernier pathogène, le système de sécrétion est un homologue du T4SS du plasmide F, isolé sur l’îlot génétique gonococcal (GGI) [25]. Comme le gonocoque est naturellement « compétent » pour être transformé par l’ADN exogène, nous pouvons penser que la capacité de libérer l’ADN peut aider à la transmission d’un nombre non négligeable de variations génétiques, notamment au niveau des facteurs de virulence comme les pili ou les protéines de surface ; variations génétiques qui se sont déroulées au cours du temps [25]. Chez C. jejuni et H. pylori, les deux systèmes identifiés ont sûrement évolué pour promouvoir les variations génétiques favorisant ainsi l’échappement aux défenses de l’hôte [26,27]. 2. Structure et fonction des T4SS
Fig. 2. Représentation schématique de la structure des systèmes de sécrétion de type IV. Localisation des composants VirB chez Agrobacterium tumefaciens. Les protéines VirB et VirD4 sont regroupées selon leur fonction probable : les protéines exocellulaires impliquées dans l’attachement à la cellule receveuse (VirB1*, VirB2 et VirB5), les protéines formant le pore (VirB1, VirB6, VirB7, VirB8, VirB9 et VirB10), et les ATPases de la membrane cytoplasmique (VirB4, VirB11 et VirD4).
Les T4SS sont des complexes multiprotéiques formant un pore qui traverse l’enveloppe bactérienne. Les analyses structurales et biochimiques de ces systèmes notamment chez A. tumefaciens ont permis d’identifier trois groupes fonctionnels de protéines VirB [28] : le pilus sur la surface bactérienne (VirB2 et VirB5) qui permettrait le contact entre la bactérie et la cellule hôte, induisant soit l’assemblage du système de transport dans la zone de contact, soit le recrutement dans cette même zone des complexes assemblés au préalable ; le canal transmembranaire ou core (VirB1, VirB3 et VirB6 à VirB10) traversant les membranes internes et permettant le transfert du complexe sécrété vers l’extérieur et trois ATPases (VirB4, VirB11 et VirD4) sur le côté cytoplasmique de la membrane interne assurant l’apport énergétique nécessaire pour l’assemblage du complexe ainsi que le transport de substrats à travers le pore (Fig. 2) [29–31]. Les composants de la machinerie de transport sont codés par l’opéron virB. De nombreux T4SS ont des « coupling proteins » (T4CP) associées servant au recrutement des effecteurs [32]. Au niveau du core, la protéine VirB1 possède des motifs des transglycosylases bactériennes et serait susceptible de provoquer une lyse locale de la paroi de la bactérie permettant l’assemblage des autres constituants du core. VirB1 peut également être transformée en un métabolite VirB1* qui pourrait jouer un rôle soit dans le déclenchement de la formation du pilus, soit dans le contact avec la cellule receveuse [30]. Par ailleurs, la structure prédite des protéines VirB6 à VirB10 per-
met d’en faire les constituants majeurs du canal transmembranaire. De nombreuses interactions entre les différentes protéines constitutives ont lieu durant le processus d’assemblage. VirB9 et VirB10 s’unissent en une même structure dans la membrane bactérienne à condition que VirB8 soit présent [29,31]. D’autres études sur les interactions entre les différents composants de VirB ont montré que toutes les protéines Vir à l’exception de VirB2 et B4 apparaissent en groupes : VirB1, B3 et B5 forment un ensemble quand ils sont exprimés seuls, VirB6 à VirB10 ont besoin des autres protéines Vir pour former le canal transmembranaire, VirB9 a besoin de VirB5 à VirB11 et VirB10 de VirB4 à VirB11. VirB6, un des principaux constituants du core se positionne au niveau du pôle cellulaire en contact avec les protéines de la membrane interne mais uniquement en présence de VirB8 à VirB11. Cette localisation polaire a été récemment démontrée également pour la protéine de couplage VirD4. VirB10 pourrait être le lien entre les éléments de la membrane externe (VirB7, B9) et ceux de la membrane interne (VirB6, B8) [32]. Des structures cristallographiques réalisées sur deux ATPases, Cagα (homologue de VirB11 chez H. pylori) et TrwB, (la « coupling protein » du plasmide incW R388) ont montré que ces protéines étaient sous forme d’anneaux homohexamériques [33]. La liaison nucléotidique affectait préférentiellement la conformation de TrwB, peut-être en prévision de la translocation du complexe protéine–ADN à travers le tunnel de sécrétion [33,34]. Avec Cagα, la liaison nucléotidique induisait un
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changement de conformation dans la partie N-terminale de la protéine entraînant le verrouillage de la structure hexamérique facilitant ainsi, soit le transport de futurs substrats, soit l’assemblage du T4SS [35]. Le pilus du T4SS est un assemblage de la protéine VirB2 (pilline) et de protéines VirB5. La structure cristallographique de TraC, l’homologue de VirB5 codé par le plasmide incP pKM101, montre que TraC est une protéine monomérique constituée de trois groupes d’hélices et un prolongement globulaire [36]. Une mutagenèse dirigée a permis de prédire les résidus exposés à la surface des protéines et de définir leur rôle dans l’assemblage du T4SS, la conjugaison et la reconnaissance de phage. Alors que les pili de conjugaison et de transfert d’ADN-T ont été observés chez E. coli et Agrobacterium, les structures des T4SS chez les pathogènes de mammifères ne sont, pour l’heure, pas encore élucidées. Un article récent de l’équipe de Haas [37] a utilisé les microscopies confocale et immunoélectronique pour observer une organelle ressemblant à l’aiguille du T3SS à la surface d’H. pylori. Cette structure est engainée avec la protéine CagY, une grande protéine dont une partie est homologue à VirB10, mais qui contient par ailleurs une large région centrale contenant plusieurs répétitions en tandem. Des délétions dans ces répétitions pourraient permettre à la bactérie d’acquérir une diversité antigénique qui lui permettrait d’échapper à la réponse immunitaire de l’hôte [38]. Une des questions clés est comment le T4SS reconnaît les protéines effectrices et ensuite comment ces dernières passent à travers l’appareil de sécrétion. À l’opposé des T2SS et des T3SS qui reconnaissent une séquence en N-terminal portée par la protéine sécrétée, les T4SS reconnaissent une séquence en C-terminal sur leur substrat. Après avoir été décrit pour la première fois chez les effecteurs d’Agrobacterium [9,39], ce signal en C-terminal a été, depuis, mis en évidence dans d’autres protéines sécrétées par les T4SS chez Mesorhizobium loti [39,40], Legionella [41,42] et Bartonella [43]. Par ailleurs, un travail récent a apporté un éclaircissement sur le chemin emprunté par les substrats à travers le T4SS. Des approches biochimiques et génétiques (systèmes de double hybride) ont démontré que les protéines sécrétées interagissaient en premier avec une « coupling protein » qui leur servait sûrement de guide pour les mener au T4SS, au niveau de la protéine VirB10 [32]. Cascales et Christie ont récemment utilisé une technologie innovante appelée TrIP (transfer DNA immunoprecipitation) chez A. tumefaciens. Ils ont réalisé des immunoprécipitations des complexes ADN-T– protéines et détecter la présence de l’ADN-T par PCR. Cette méthode a permis de confirmer l’idée selon laquelle le complexe T interagirait en premier avec la « coupling protein », puis les protéines du core et enfin avec le pilus [44]. 3. Les substrats ou effecteurs sécrétés par les T4SS 3.1. Les substrats ADN Les T4SS sont uniques parmi les machineries de sécrétion bactérienne dans leur capacité à exporter l’ADN. Toutefois, il
est à noter que, dans ce cas, le substrat de conjugaison n’est jamais de l’ADN nu mais de l’ADN simple brin associé à des protéines. Ce sont ces protéines, dites protéines pilotes, qui sont reconnues et transférées dans la cellule hôte entraînant l’ADN dans ce passage. Chez A. tumefaciens, le système VirB est responsable du transport, de la bactérie vers la plante, d’un ADN oncogène (complexe-T), porté par le plasmide Ti. Ce plasmide contient des gènes assurant son transfert et des gènes de synthèse de facteurs de croissance, déréglant la multiplication des cellules de la plante et conduisant à la formation de la tumeur du collet (« crown gall ») [45]. Les protéines cotransportant l’ADN interagissent avec l’origine de transfert (oriT) pour former le complexe de transfert. C’est VirD2, une relaxase liée à l’oriT qui permet le contact ADN–substrat avec une protéine spécifique, VirD4, la « coupling protein » des T4SS (T4CP). Cette protéine pilote serait donc reconnue par la T4CP qui permettrait ainsi son transport dans la cellule de la plante entraînant avec elle, le T-ADN [46–49]. Au moins trois autres protéines sont transportées mais indépendamment de l’ADN : VirF, VirE2 et VirE3. VirF est une protéine ayant une spécificité d’hôte. C’est une protéine « F-box » qui cible certaines protéines de l’hôte entraînant leur dégradation par le protéasome [50, 51]. Quand à VirE2, il dirigerait le complexe VirD2–ADN-T vers le noyau de la cellule infectée et formerait un pore dans la membrane de la plante permettant le passage du T-DNA dans la cellule [52]. Le transport du complexe-T d’A. tumefaciens est tout à fait analogue au phénomène de conjugaison bactérienne. D’ailleurs, les protéines Tra impliquées dans les transferts conjugatifs de plasmides, notamment les plasmides à large spécificité d’hôte des groupes IncN, IncP ou IncW et le plasmide conjugatif F (groupe IncF), présentent de fortes homologies avec les protéines du système VirB [19]. Ces deux types de transport d’ADN permettent le transfert d’un complexe ADN simple brin–protéines de façon polaire d’une bactérie donatrice vers une cellule receveuse (bactérie ou cellule eucaryote). Il a été montré que ce sont les protéines qui jouent un rôle particulier, déterminant le devenir de l’ADN transporté dans la cellule receveuse: soit intégration au chromosome de la cellule eucaryote (A. tumefaciens), soit recircularisation du plasmide dans la bactérie (conjugaison bactérienne). Pour sa part, le système de « libération de l’ADN » de N. gonorrhoeae, qui utilise un T4SS très similaire au système Tra du plasmide F, est dépendant des protéines Dtr et permet probablement le transport d’un brin unique d’ADN. Nous pouvons penser que ces protéines déroulent l’ADN au niveau des séquences chromosomiques oriT pour générer une interaction brin T-relaxase (protéines Dtr). Pour les « systèmes de compétence », les plasmides circulaires double-brin et l’ADN chromosomique linéaire servent de substrats [26,27]. En principe, ces systèmes peuvent transférer de tels substrats, mais par analogie avec d’autres systèmes de compétence [53], il semble plus probable qu’ils convertissent l’ADN double brin en une molécule simple brin pour la translocation.
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3.2. Les effecteurs protéiques Chez Bordetella pertussis, le système Ptl permet le transport de la toxine pertussique vers l’extérieur de la bactérie. Certains arguments font penser que cette toxine est sécrétée en deux étapes. Chacune des cinq sous-unités protéiques de la toxine possède une séquence signal en N-terminal, suggérant qu’elles traversent dans un premier temps la membrane interne par un mécanisme général de sécrétion (Sec-dépendant), pour se retrouver dans l’espace périplasmique. À ce niveau, la toxine est assemblée sous sa forme définitive, puis elle est exportée vers l’extérieur de la bactérie à travers la membrane externe par le système Ptl sous la forme d’un complexe macromoléculaire et est libérée dans le milieu extracellulaire. Le mécanisme de libération n’est pas connu. Une hypothèse serait que les protéines du système Ptl pourraient directement interagir avec la toxine constituée et fonctionner alors comme un piston qui pousse la toxine en dehors de la cellule. Une telle structure ressemblerait à la structure du pilus VirB d’A. tumefaciens, le système Ptl formant un tunnel autour de la toxine permettant à celle-ci de sortir du milieu extracellulaire [54]. Parmi les autres T4SS décrits chez des bactéries pathogènes, il a été montré plus récemment chez H. pylori que la molécule effectrice du système Cag est la protéine de 145 kDa CagA [55]. CagA serait à l’origine de réarrangements du cytosquelette de la cellule. Après phosphorylation par les tyrosines kinases cellulaires, CagA participe à la formation du piédestal qui sert à l’adhérence de la bactérie. La cible intracellulaire de CagA est la SHP-2 tyrosine phosphatase [56]. Récemment, Viala et al. ont suggéré un nouveau rôle pour un T4SS en démontrant que l’entrée du peptidoglycane d’H. pylori dans les cellules gastriques-hôtes était dépendant du T4SS Cag. Ce peptidoglycane serait reconnu par les récepteurs Toll-like, Nod1, conduisant à l’activation de NFκB et à la réponse inflammatoire [57]. Les auteurs ont proposé que le peptidoglycane soit injecté dans les cellules directement par le T4SS. Il est, cependant, difficile d’envisager comment le T4SS reconnaît le peptidoglycane plutôt que les effecteurs protéiques ? Avec un mutant Cag –, une réduction de seulement 60 % de la quantité de peptidoglycane pénétrant dans les cellules eucaryotes a été observée (plutôt que l’abolition d’injection de CagA) [57]. Cette observation est en faveur de l’hypothèse alterne suggérée par les auteurs à savoir que l’effet serait dû à une interaction intime entre les bactéries et la cellule hôte médiée par le système Cag permettant de faciliter l’endocytose du peptidoglycane relargué par la bactérie. En outre, il a été décrit qu’H. pylori inhibe la phagocytose par les phagocytes professionnels et ce mécanisme implique les composants du système de sécrétion Cag [58]. Il est donc possible qu’il existe un (des) autre(s) effecteur(s) transporté(s) par le système Cag. En ce qui concerne les bactéries à développement intracellulaire possédant un T4SS (Legionella, Brucella, Bartonella), la situation est restée longtemps obscure. Néanmoins, très récemment, des protéines sécrétées par le système Dot–Icm ont été mises en évidence chez Legionella pneumophila
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[59]. Ce système, comme dans le cas de Brucella, joue un rôle essentiel dans la multiplication intracellulaire de la bactérie. Le premier substrat découvert est la protéine DotA [60,61] qui semble être impliquée dans la formation d’un pore dans la membrane cytoplasmique de la cellule hôte. Ce pore pourrait servir au transfert dans la cellule d’autre(s) protéine(s). Par ailleurs, en utilisant les résultats du séquençage génomique de Legionella à la recherche d’homologies de séquence vis-àvis de domaines fonctionnels particuliers connus, des effecteurs ont été mis en évidence. Le premier correspond à une protéine qui permet le recrutement d’une GTPase (protéine G) de l’hôte, le facteur d’ADP-ribosylation ARF1, vers le phagosome contenant la bactérie [12,62]. Les protéines ARF sont d’importants régulateurs de la dynamique membranaire et du transport protéique dans la cellule eucaryote. Il a été montré que la protéine RalF (facteur de recrutement de ARF) est transférée à travers la membrane du phagosome par un mécanisme impliquant le système Dot–Icm. Néanmoins, RalF n’est pas essentiel au transport de Legionella vers sa niche de multiplication intracellulaire et il semble probable qu’il existe d’autres effecteurs protéiques injectés dans la cellule hôte par la bactérie nécessaire au trafic intracellulaire de Legionella [59]. Les banques de données du génome de Legionella ont permis d’identifier les effecteurs LepA et LepB. Ces protéines contiennent des régions « coiled-coil » et présentent une faible homologie avec les SNAREs; elles sont sécrétées dans la cellule hôte par le système Dot/Icm [63]. LidA a été retrouvé récemment lors d’un criblage permettant d’isoler des bactéries ayant un phénotype similaire aux mutants dotL, une protéine de couplage. Cette étude a montré que la mutation de LidA était létale en présence du système Dot–Icm. Elle a ainsi permis de décrire les propriétés de LidA, une protéine nécessaire au maintien de l’intégrité membranaire et à la formation de la vacuole de réplication [64]. Enfin, récemment, d’autres protéines (les protéines Sid dont SidC, SdeC…) viennent d’être identifiées comme des effecteurs du système Dot/Icm [42]. Leur rôle, à ce jour, n’est pas connu. Très récemment, plusieurs gènes codant pour des effecteurs transloqués par le T4SS VirB-D4 dans les cellules endothéliales ont été identifiés chez Bartonella spp. [65]. Ces protéines nommées Bep (Bartonella-translocation effector protein) présentent un signal de translocation en C-terminal et une deuxième région spécifique nommée « BID domain » (Bep intracellular delivery), alors que leurs extrémités en Nterminal sembleraient servir aux différentes fonctions des effecteurs dans la cellule endothéliale [65]. Les travaux pour leur caractérisation sont en cours. Il est à noter que Bartonella possède deux T4SS : le système VirB dont ses effecteurs (Beps) sont vraisemblablement responsables des effets cellulaires lors de l’interaction de la bactérie avec les cellules endothéliales de l’hôte ; et le système TrW, dont aucun effecteur n’a été identifié à ce jour, nécessaire à l’infection des érythrocytes [66]. En revanche, à ce jour, aucun substrat transféré par les T4SS n’a été décrit chez Brucella.
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4. Conclusion Grâce au séquençage des génomes bactériens, l’identification d’espèces présentant un T4SS ne cesse d’augmenter. Récemment, de nombreuses publications ont permis de mieux comprendre le fonctionnement de ces T4SS. Des progrès significatifs ont été faits dans la description de l’architecture de ces systèmes et dans les mécanismes de sécrétion. La biologie structurale des T4SS a avancé lentement avec de nouvelles structures cristallographiques et biochimiques. Les challenges futurs seront notamment de reconstruire l’appareil de sécrétion complet soit purifié à partir d’enveloppes bactériennes, soit reconstitué in vitro. De plus, comme le nombre des effecteurs sécrétés par ces T4SS a considérablement augmenté, il sera intéressant de comprendre comment ils sont sécrétés, quels sont les signaux de reconnaissance et d’identifier les cibles de ces protéines dans la cellule hôte et de décrire leurs effets sur la biologie de cette cellule, au niveau de la cellule mais également de l’organisme entier. Par ailleurs, nous commençons à mieux comprendre les rôles de ces T4SS dans la sécrétion de protéines ou de complexes ADN-protéines. Ces systèmes participent à des fonctions diverses chez les bactéries. À ce jour, nous pouvons constater que ces T4SS permettent à la bactérie de prendre le dessus sur l’hôte notamment en détournant les fonctions cellulaires à son profit. Il sera intéressant dans l’avenir de savoir si les T4SS sont capables de réabsorber des protéines à partir du milieu extérieur. La connaissance de ces systèmes de sécrétion est une étape cruciale dans le développement de nouvelles cibles thérapeutiques. En effet, nous pouvons espérer découvrir des molécules capables de bloquer la formation de ces pores, empêchant le transport des effecteurs et donc l’expression du pouvoir pathogène de ces bactéries. De telles substances pourraient être utilisées comme thérapeutiques, palliant ainsi la diminution d’activité des antibiotiques vis-à-vis desquels les bactéries ont développé des moyens de résistance accrus. Références [1]
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