L’évolution de la psychopathologie espagnole du XXe siècle

L’évolution de la psychopathologie espagnole du XXe siècle

Annales Médico Psychologiques 161 (2003) 510–520 Mémoire original L’évolution de la psychopathologie espagnole du XXe siècle > The evolution of Span...

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Annales Médico Psychologiques 161 (2003) 510–520

Mémoire original

L’évolution de la psychopathologie espagnole du XXe siècle > The evolution of Spanish psychopathology in the 20th century J. Lázaro a,* a

Département de psychiatrie, faculté de médecine, université autonome de Madrid, Espagne. Reçu le 21 septembre 2002 ; accepté le 27 septembre 2002

Résumé L’histoire de la psychopathologie en Espagne du XXe siècle peut se diviser en trois périodes bien différentes : 1) Le premier tiers du siècle, jusqu’à la Guerre Civile. 2) La période franquiste, jusqu’aux années 1970. 3) L’Espagne démocratique du dernier quart de siècle. Les théories courantes qui ont influencé les psychiatres espagnols jusqu’au début du siècle étaient essentiellement françaises : elles furent rapidement remplacées par l’hégémonie de la psychiatrie allemande, qui à son tour céda la place, pour les dernières décennies, à l’influence anglosaxonne. Les « Psychopathologistes » espagnols n’ont pas été très originaux dans leur réflexion théorique. Pourtant quelques-uns (Sanchís Banús, López Ibor, Llopis, Valenciano ou Castilla del Pino) ont fourni un apport personnel qui mérite d’être souligné. Ce travail reprend les principales influences qu’a reçues la psychopathologie espagnole, depuis la neurohistologie et la psychopathologie descriptive allemande, en passant par la psychanalyse, la phénoménologie et l’analyse existentielle, jusqu’à l’antipsychiatrie, la psychiatrie biologique et la psychiatrie quantitative et a-théorique actuelle. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Three stages (with quite different characteristics) can be distinguished in Spanish psychopathology throughout the 20th Century: 1) From the beginning of the Century to the Civil War (1900-1939). 2) Franco’s period (1939-1975). 3) The democratic stage (the last quarter of the Century). Spanish psychiatrists before the XXth Century were basically under the influence of French theories. These were replaced by the hegemony of German psychiatry that was also replaced, in the last decades, by Anglo-Saxon influence. Spanish psychopathologists have not been very original, but some of them (Sanchís Banús, López Ibor, Llopis, Valenciano, or Castilla del Pino) reached personal theoretical contributions that deserve to be remembered. This paper studies the main influences that Spanish psychopathology has received, from neurohistology and German descriptive psychopathology, through psychoanalysis, phenomenology and existential analysis, to antipsychiatry, biological psychiatry and current atheoretical quantitative psychiatry. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Histoire de la psychiatrie ; Psychopathologie ; Psychanalyse Keywords: History of psychiatry; Psycho-analysis; Psychopathological theories

1. Introduction On peut dire que l’histoire de la psychopathologie espagnole tout au long du XXe siècle est l’histoire d’une colonie > Traduit de l’espagnol par le Dr. D. Boissinot (Marseille). * Auteur correspondant. Guzmán el Bueno, 27, 1° Derecha, 28015 Madrid, Espagne. Adresse e-mail : [email protected] (J. Lázaro).

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0003-4487(03)00034-9

que se disputent plusieurs empires. Jusqu’au début du siècle, la pensée psychiatrique espagnole dépendait presque exclusivement de la pensée française. Mais depuis les premières décennies, l’influence allemande va s’imposer de façon évidente. La dernière partie du siècle verra, elle, le triomphe de la psychiatrie anglo-saxonne. Les psychiatres natifs de cette « colonie » se sont efforcés d’assimiler, de façon plus ou moins rigoureuse, les différents courants scientifiques qui leur parvenaient. Dans leur plus

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grande partie, ils ne sont pas allés au-delà de ce travail d’assimilation et d’application clinique des doctrines européennes et américaines hégémoniques à leur époque. Mais quelques esprits créateurs ont non seulement dominé les connaissances les plus en avance à ce moment-là, mais ont tenté aussi d’élaborer une pensée psychiatrique personnelle. Ils ne sont pas nombreux, mais ils sont dignes d’être rappelés. L’histoire de la psychopathologie du XXe siècle doit pour autant être une double histoire : celle des influences successives des doctrines étrangères et celle de certains efforts isolés d’élaboration d’un projet de pensée originale. 2. Origine de la psychopathologie espagnole au XIXe siècle L’origine de la psychopathologie espagnole peut se retrouver chez les différents auteurs (médecins ou philosophes, en général) qui, au cours des siècles, ont été intéressés par le thème des maladies mentales et ont publié des observations et des réflexions influencées par les doctrines en vigueur à leur époque : depuis le galénisme traditionnel jusqu’aux diverses théories médicales de la période moderne. Toutes ces observations et réflexions peuvent être considérées comme antérieures à la psychopathologie scientifique qui sera introduite au XIXe siècle et trouvera son assise véritable au XXe siècle. La psychopathologie espagnole arrive au XXe siècle avec les caractéristiques acquises à la deuxième partie du XIXe siècle. Dans les grandes lignes, ces caractéristiques sont les suivantes : • c’est une étape d’assimilation de la psychiatrie française de l’époque, que les auteurs espagnols traduisent et répètent sans qu’apparaissent encore de tentatives d’une pensée originale. Cette prédominance de la pensée française est si évidente que, dans une étude des livres psychiatriques traduits en espagnol au XIXe siècle, Rey Gonzalez affirme que 81 % étaient d’origine française [31]. Le Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale de Pinel a été publié en espagnol en 1804, trois ans après l’édition originale, et celui d’Esquirol en 1856. L’influence des deux (surtout le second) est évidente dans les rares et modestes publications psychiatriques de l’époque [30]. Cette influence de la psychiatrie française est encore plus directe chez des auteurs comme Pedro Mata (qui fut exilé cinq ans pour activités politiques à Montpellier et à Paris, où il fut le disciple d’Orfila) ou Luis Simarro (qui étudia à Paris avec Ranvier, Charcot et Magnan de 1880 à 1885). De nombreux autres médecins du XIXe siècle dans leurs écrits théoriques vont s’appuyer directement sur des écrits français et s’inspirer dans la pratique des centres qu’ils dirigent sur les hôpitaux du pays voisin ; • sur le plan épistémologique, on note la prédominance du positivisme, bien que l’on rencontre quelques partisans du romantisme (Letamendi) et des auteurs qui, au nom

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de valeurs spirituelles, critiquent le positivisme, trop matérialiste à leurs yeux. L’interprétation « d’origine somatique » des maladies mentales a de nombreux partisans particulièrement influents, même si d’autres auteurs donnent une grande importance à l’influence pathogène des passions sur le psychisme ; • à cette époque des débuts de la psychiatrie, le niveau scientifique et celui des institutions sont meilleurs en Catalogne que dans le reste de l’Espagne. En Catalogne, se forme la première école psychiatrique autour de Giné y Partagás (1836–1903) qui sera considéré comme le principal aliéniste espagnol du XIXe siècle. Il publie le premier traité de la spécialité (1876) [12], donne les premiers cours de psychiatrie et organise le premier congrès phrénopathique espagnol en 1883 ; • l’assimilation de la psychiatrie moderne européenne et surtout française va être initiée par quelques grandes figures de la médecine dans diverses régions de l’Espagne (Pedro Mata à Madrid, Giné y Partagás à Barcelone, Peset y Vidal à Valencia, Barcia Caballero en Galicie...). Presque tous ces pères fondateurs de la psychopathologie espagnole sont des enseignants universitaires (dans d’autres matières médicales) qui commencent à s’intéresser à la pratique et à la théorie psychiatrique ; ils écrivent les premiers livres de la spécialité, fondent les premières revues, organisent les premiers congrès, donnent les premiers cours et forment les premiers spécialistes en psychiatrie à proprement parler (Galcerán, Esquerdo, Vera, Simarro, etc.). La psychiatrie espagnole commence à se dégager, donc, des autres disciplines médicales. Elle n’a pas encore un profil professionnel propre mais apparaît plutôt comme une partie d’autres disciplines, surtout la médecine légale. Pedro Mata (1811–1877), grande figure de la psychiatrie catalane et madrilène, fut professeur de médecine légale et développa à partir de là la psychiatrie, s’aventurant dans les domaines de la psychologie et de la psychopathologie. Giné y Partagás était hygiéniste, professeur de chirurgie et de dermatologie à Barcelone. De même, le Valencian Peset y Vidal (1821–1885) était interniste mais travaillait sur d’autres thèmes, entre autres les fondements psychologiques des troubles mentaux ; • ces médecins, précurseurs de la psychiatrie espagnole, sont des libéraux progressistes. Plusieurs d’entre eux (Mata, Esquerdo, Vera) ont une activité politique directe, militant dans des partis de gauche et occupant des fonctions publiques. Ils ont, de plus, une grande ouverture intellectuelle, ils militent pour une vulgarisation de la science qui soit à la portée de tous les publics : tout cela les amène à aborder les grands problèmes philosophiques de l’existence humaine et du fonctionnement du monde, mais limite leur productivité scientifique. Voici donc quelles sont les principales caractéristiques de la psychiatrie espagnole au moment du changement de siècle. Le XIXe siècle, fait de conflits et d’instabilité, n’était pas très favorable à l’essor scientifique et on sait que le sort de la

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psychiatrie, dans ces périodes, n’est guère favorable. Mais rapidement de nombreux changements en profondeur vont se produire, jusqu’au début de la Guerre Civile en 1936 ; à ce moment-là la situation de la psychiatrie sera très différente. 3. Premier tiers du XXe siècle La période 1900–1936, c’est-à-dire jusqu’à la Guerre Civile, est considérée comme le début d’une psychiatrie scientifique [16,37]. Le développement des institutions va transformer la psychiatrie en une spécialité médicale autonome. 3.1. La formation des institutions psychiatriques Pratiquement toutes les institutions qui font de la psychiatrie espagnole une spécialité médicale apparaissent et se développent entre 1920 et 1936. Auparavant, il n’y avait que des asiles d’aliénés (qui existaient depuis le XVe siècle) dans des conditions d’extrême précarité. À partir du XIXe siècle se produisent les premiers essais (locaux ou éphémères) d’organiser des réunions scientifiques, de publier des revues et de mettre en marche des cours de la spécialité. Mais les premières institutions nationales solides n’apparaîtront que dans les années vingt et trente du XXe siècle. Les plus significatives sont les suivantes : • la revue Archives de Neurobiologie (parue en 1920) première publication qui facilite la diffusion des travaux psychiatriques espagnols. Cette revue, sauf pour les années d’après-guerre, a poursuivi ses publications jusqu’à nos jours [20] ; • l’Association espagnole des neuropsychiatres, fondée en 1924, qui, depuis 75 ans, n’a cessé de se développer. Kraepelin a participé à la réunion fondatrice : il y expose ses recherches transculturelles sur la paralysie générale progressive et demande des données épidémiologiques de cette maladie en Espagne. Aucun neuropsychiatre ne répond à sa demande ; en revanche, ils l’interrogent sur l’organisation de la psychiatrie allemande, son dispositif de soin, les techniques thérapeutiques et l’enseignement universitaire de la psychiatrie. Celles-là étaient les questions clés pour l’organisation de la spécialité et ce sont les mêmes qui apparaissent dans l’acte de fondation et les premières conférences de la nouvelle association : besoin d’une réforme en profondeur de la législation et des soins psychiatriques ; reconnaissance officielle de la spécialité et de sa spécificité ; contrats de travail pour les aliénistes et contrats de formation des nouveaux professionnels ; organisation de l’enseignement universitaire de la psychiatrie ; adoption officielle, dans un but de statistiques, de la classification des maladies mentales de Kraepelin [22]. Tels sont les objectifs qui vont guider les progrès de la psychiatrie espagnole. • la Ligue espagnole d’hygiène mentale (1926) qui réalise un vaste programme éducatif populaire, avec des cycles de conférences, des publications diffuses dans la presse et des discussions radiophoniques ;

• le nouveau décret pour les soins des malades mentaux (1931), élaboré par les neuropsychiatres et qui va gérer les modalités d’admission auparavant décidées par les juges. Depuis l’époque de Pédro Mata, les psychiatres n’ont cessé de demander l’amélioration des conditions de vie dans les asiles d’aliénés, le changement de la législation inadaptée, des postes médicaux à l’hôpital, si peu nombreux que la psychiatrie privée en était favorisée ; • le Conseil supérieur psychiatrique (1931), dépendant du ministère, formé par des spécialistes avec des tâches d’inspection hospitalière, d’amélioration de la législation, de développement des statistiques pour mieux connaître l’épidémiologie et la réalité des soins données aux malades mentaux, ainsi que la formation donnée au personnel soignant ; • l’enseignement universitaire de la psychiatrie : jusqu’aux années 1930 il est inexistant, sauf certains centres ou des cours de psychiatrie figuraient dans l’enseignement de la médecine légale. Giné y Partagás donne les premiers cours hors université à l’hôpital, au XIXe siècle à l’asile d’aliénés de Nueva Belén. En 1933 a lieu la création du département de psychiatrie de l’université autonome de Barcelone. Emilio Mira est nommé à la chaire avec un vaste programme. À Madrid, à la même époque, la première chaire universitaire est déclarée vacante. Le développement total de l’enseignement universitaire de la psychiatrie devra attendre le milieu du siècle. 3.2. Consolidation de la psychopathologie scientifique Le développement institutionnel de la psychiatrie espagnole est déterminé par les conditions socio-économiques et politiques. La proclamation de la République en 1931 donne un essor au processus de professionnalisation, tandis que la Guerre Civile va le réorienter complètement. L’organisation d’une spécialité est toujours liée au contexte historique et aux motivations (personnelles, professionnelles et économiques) des différentes spécialités qui l’animent. Nous allons examiner à présent le développement et les caractéristiques du savoir scientifique de l’époque, afin de comprendre la situation de la psychopathologie du début du XXe siècle et ses progrès par rapport au XIXe siècle. 3.2.1. Voyages de formation à l’étranger À la fin du XIXe siècle, l’institution libre d’enseignement (1876-1939) avait pris une orientation de recherche scientifique et d’exigence intellectuelle. En 1907 est créé un conseil pour le développement des études et de la recherche scientifique (Junta para Ampliación de Estudios e Investigaciones Científicas) présidé par Ramon y Cajal, avec des bourses pour la formation à l’étranger, pour l’apprentissage des langues étrangères et des méthodes scientifiques de travail. La plupart des psychiatres de l’époque vont bénéficier de ces séjours et de cette formation : Achúcarro est formé à Paris avec Pierre Marie, avec Tanzi et Lugaro à Florence, à Munich

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avec Nissl, Alzheimer et Kraepelin, pour devenir finalement responsable du laboratoire d’histopathologie de l’asile fédéral à Washington entre 1908 et 1910. Lafora suit le même chemin en France, à Berlin et Munich et le remplacera à Washington en 1910–1913. 3.2.2. Publications scientifiques Le Traité de Psychiatrie de E. Régis est traduit du français en 1911 par César Juarros. L’Introduction à la Clinique Psychiatrique de Kraepelin est traduit aussi en 1911. Le Traité de Psychiatrie de Bleuler est publié en 1924, en traduction de Villaverde et avec une préface de Ramon y Cajal. En 1926, publication du Traité des Maladies Mentales de Bumke, version de Emilio Mira, préface de Sanchís Banús. En plus de toutes ces traductions, la connaissance de la langue allemande permet à certains psychiatres de connaître d’autres ouvrages d’auteurs tels que Kraepelin, Jaspers, Kretschmer, etc. L’ouvrage le plus apprécié sera le Handbuch dirigé par Bumke, publié en allemand entre 1928–1933. La revue Archivos de Neurobiologia joue un rôle important, en tant qu’outil scientifique de formation et d’information pour la psychiatrie espagnole. En 1929 est publiée, par l’initiative de cette revue, la première collection de monographies psychiatriques avec des livres de Sacristán (À propos du diagnostic différentiel entre PMD et schizophrénie), Mauz (Le pronostic des psychoses endogènes, 1931), Valenciano (Les soins au malade mental, 1933), Prados Such (Psychobiologie de la délinquance juvénile, 1934) et Garma (La Psychanalyse, la névrose et la société, 1936). Ces différents titres et auteurs mettent en évidence que la collection ainsi que la revue essaient de comprendre toutes les approches théoriques et pratiques importantes pour la psychiatrie de l’époque. 3.2.3. Méthode scientifique La méthode expérimentale scientifique se consolide, grâce aux propres moyens des professionnels et ce, malgré les faibles moyens donnés par l’administration. L’esprit scientifique mène à l’abandon des idées philosophiques du XIXe siècle, à la délimitation stricte des problèmes à étudier, des méthodes à utiliser et des objectifs scientifiques à poursuivre : il s’agit de perfectionner les techniques de recherche, d’éviter les dissertations théoriques. Plus de pratique que de réflexion sur les théories scientifiques. La plupart des professionnels adhèrent en politique à l’idéologie libérale et progressiste, mais contrairement à leurs prédécesseurs madrilènes du siècle dernier, ils n’interviendront que rarement en politique (avec certaines exceptions comme Sanchís Banús, militant socialiste). En général, la proclamation de la République en 1931 a été accueillie avec sympathie, mais l’intérêt s’est davantage porté sur les aspects scientifiques que politiques, sans les mélanger en aucun cas. Lors de cette période de maturation scientifique, les professionnels ne s’attachent plus seulement à comprendre et

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intégrer les sciences étrangères, mais ils commencent à essayer de développer leur propre créativité scientifique. 3.2.4. Neurohistologie En 1906, Santiago Ramón y Cajal obtient le prix Nobel pour son travail sur la théorie de la séparation des neurones, contrairement à Golgi qui soutenait la théorie réticulaire. Pour les jeunes médecins espagnols, la réussite de Cajal dans l’étude microscopique du système nerveux devient mythique, son aura suscite l’admiration et devient un idéal. Sa personnalité contribue à affirmer l’hégémonie de la méthode anatomoclinique en psychiatrie et à renforcer l’idée que tôt ou tard on déterminera l’étiologie de la maladie mentale dans les altérations morphologiques du cerveau. On tente de corréler les observations cliniques avec l’étude anatomopathologique post-mortem des lésions du système nerveux. Les hôpitaux psychiatriques étant rares, les professionnels travaillaient dans les hôpitaux généraux et les laboratoires de recherche, ce que favorisent la perspective biologique et l’image sociale de la psychiatrie comme une spécialité médicale entre autres [8]. Le fait que la seule revue psychiatrique espagnole des années 1920 et 1930 ait porté le nom d’Archives de Neurobiologie prouve bien cette orientation ; on en voit bien les résultats dans la découverte de Lafora pendant son séjour à Washington entre 1910–1913 d’une forme d’épilepsie myoclonique, appelée depuis « Maladie de Lafora ». L’essor de la neurohistologie a eu une influence dans le caractère neuropsychiatrique et l’orientation somaticienne avec laquelle la spécialité commence son développement en Espagne et surtout à Madrid, qui à ce moment prend la place en tant que capitale de la psychiatrie à Barcelone, autant pour le nombre de professionnels que pour ses activités scientifiques. Il existe au cours de cette période une communauté neurologique et psychiatrique : Archivos de Neurobiologia publie des articles sur les deux disciplines et chaque année l’Association espagnole de neuropsychiatrie organise un rapport de psychiatrie, un autre de neurologie et un troisième de santé publique ou légale. La plupart des spécialistes s’intéressent aux deux spécialités (c’est le cas paradigmatique de Lafora). On comprend bien la fusion psychiatrie-neurologie, puisque la cause des maladies mentales est cherchée à travers le microscope des tissus nerveux obtenus après l’autopsie des malades. 3.2.5. Influence scientifique allemande Au début du siècle la médecine allemande — et avec elle, la psychiatrie — est en train de vivre une période de splendeur. Les psychiatres espagnols apprennent l’allemand comme base de leur formation ; elle est la langue scientifique de la spécialité, de la même manière que l’anglais l’est pour les internes actuellement. Ce phénomène n’est pas exclusif à la psychiatrie, il est partagé par d’autres spécialités scientifiques ainsi que par la culture espagnole en général. La recherche dans les laboratoires allemands des bases neuropathologiques des maladies mentales s’accorde parfai-

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tement avec l’esprit des jeunes boursiers espagnols formés sous l’influence d’Achúcarro, Simarro et Cajal. Mais, comme on l’observera par la suite, l’influence allemande s’élargit à toutes les branches de la psychopathologie. Il y a aussi des psychiatres espagnols qui séjournent à Paris et travaillent avec une bibliographie essentiellement française, mais ils restent une minorité par rapport à ceux de formation allemande. 3.2.6. Psychologie expérimentale La prédominance de l’orientation neurobiologique ne peut pas cacher le développement d’autres approches scientifiques. C’est Luis Simarro (1851–1921) qui initie la psychologie expérimentale. Il fut le premier professeur de cette matière à l’université de Madrid. Avec son enseignement il fait connaître en Espagne la théorie et les techniques de travail de l’école de Wundt. Emilio Mira (1896–1964) fut l’autre grand promoteur de la psychologie clinique et la technique psychologique dans les années 1920–1930, ce qui fit de lui un précurseur important de la psychologie scientifique espagnole (qui se développe professionnellement au cours du dernier tiers du siècle). Figure hégémonique de la psychiatrie catalane de l’époque, Mira, à la différence de ses collègues madrilènes, portait peu d’intérêt à la neurobiologie. Il s’est intensément consacré à la psychopédagogie, l’orientation professionnelle, la technique psychologique et la psychologie juridique ; en plus, il contribue à la diffusion de la psychanalyse et de la psychothérapie d’orientation pédagogique et sociale. Ses apports les plus originaux sont certainement ses publications sur la psychiatrie de guerre (produit de son expérience personnelle pendant la Guerre Civile, utilisées ultérieurement par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale) et aussi sur le psychodiagnostic myokinétique (technique d’exploration psychologique en utilisant les mouvements musculaires du sujet). 3.2.7. Psychanalyse L’œuvre de Freud fut introduite très tôt en Espagne : la première traduction connue dans le monde d’un texte de Freud (le « Rapport préliminaire », qui deviendra ensuite une partie des Études sur l’hystérie) est publiée en 1893 dans deux revues espagnoles (une de Barcelone, une autre de Grenade), seulement quelques semaines après la publication originale. Ce fait isolé et fortuit n’a pas eu une suite immédiate. En 1909, apparaît un article original en espagnol sur les idées de Freud. Son auteur est Miguel Gayarre, directeur de l’asile des aliénés madrilènes de Ciempozuelos et son exposé, franchement hostile, inaugure une approche antipsychanalytique avec argumentation morale et même raciste. Gayarre écrit : « Il semblerait que la psychothérapie sexuelle a beaucoup de prosélytes, à Vienne surtout. Pas encore en Espagne, à ma connaissance. Peut-être, il n’y a pas

ici de matériel approprié. D’après ce qu’on entend, presque tous les cas à Vienne sont juifs ; entre eux, comme on sait, les mariages consanguins sont nombreux, avec comme conséquence le cumul de stigmates de dégénérescence et des neuropathies sexuelles » [11]. Beaucoup plus d’intérêt est porté à l’article Psychanalyse, science problématique, publié en 1911 par le célèbre philosophe espagnol José Ortega y Gasset [29]. Il fait une synthèse convenable de quelques idées freudiennes qu’il considère originales et suggestives mais très problématiques, du point de vue scientifique. Cet article inaugure un autre type de critique au freudisme, plus épistémologique que moral ou idéologique. En 1922 sont traduites pour la première fois les Œuvres Complètes de Freud. C’est bien Ortega y Gasset qui conseille à la maison d’édition Biblioteca Nueva cette publication. Dix-sept volumes sont parus de 1922 jusqu’en 1934. La traduction, de López-Ballesteros, fut appréciée dans une lettre par Freud lui-même. Une analyse attentive montre qu’il s’agit d’une version très vive et belle, d’une grande qualité littéraire, mais excessivement libre et sans aucune rigueur (exactement tout le contraire de la traduction, littérale et rigoureuse, mais laide et rigide, publiée par la maison Editorial Amorrortu, de Buenos Aires, entre 1978 et 1985). La publication des Œuvres Complètes incite beaucoup l’Espagne des années 1920–1930 à débattre et à diffuser les théories analytiques dans le milieu psychiatrique et culturel. Gayarre est beaucoup suivi dans des critiques virulentes contre la psychanalyse, accusée d’être immorale et pansexualiste. D’autres suivront Ortega, s’appliqueront à l’étudier et à la discuter de manière critique mais nuancée ; c’est le cas de Emilio Mira, qui publie en catalan un livre sur la psychanalyse où il montre une bonne connaissance de Freud et de ses premières œuvres et fait une évaluation de manière critique des différents points de vue. Il donne à la psychanalyse une plus grande valeur comme technique exploratoire que thérapeutique et trouve des applications pour les problèmes psychotechniques, d’orientation professionnelle et de psychologie juridique qui retenaient son attention à ce moment [18,28]. Le premier psychanalyste en Espagne est Angel Garma (1904–1993). Formé à Berlin, analysé par Théodor Reik, membre de la Société psychanalytique allemande, Garma travaille à Madrid de 1931 à 1936. Il devient l’ambassadeur officiel du freudisme. Il commence la formation du premier groupe de psychanalystes. Après l’interruption de son travail pendant la Guerre Civile, Garma émigra à Buenos Aires, où il aura un rôle remarquable dans l’organisation de la psychanalyse en Argentine [19]. Ceux qui ont étudié l’histoire de la psychanalyse en Espagne ne sont pas arrivés aux mêmes conclusions ; certains soutiennent que l’acceptation et le rejet sont similaires à n’importe quel autre pays [3] ; d’autres pensent que le développement en Espagne de mécanismes de défenses spécifiques et de résistance contre la psychanalyse ne favorisait pas

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son implantation [9] ; les différentes étapes du processus d’assimilation ont été aussi bien nuancées [13]. 3.2.8. Psychopathologie descriptive L’orientation histopathologique, la psychologie expérimentale et la psychanalyse ne sont pas les seuls courants scientifiques de langue allemande qui arrivent en Espagne. La nouvelle psychopathologie, avec Kraepelin comme figure principale, éveille un énorme intérêt et une importante diffusion. On peut illustrer sa présence avec deux exemples : l’un d’assimilation scientifique et l’autre dans la tentative d’un apport original. L’influence de la psychopathologie européenne est mise en évidence dans l’exposé Diagnostic différentiel entre psychose maniaco-dépressive et schizophrénie, présenté en 1928 par Sanchis Banús et Sacristán à la troisième réunion annuelle de l’Association espagnole de neuropsychiatrie. Sanchís Banús, un des grands représentants de la psychiatrie espagnole jusqu’à sa mort en 1932, révise le problème à partir de Kraepelin en poursuivant avec les apports de Bleuler, Schilder, Kretschmer... Il accorde à ce dernier une importance fondamentale et considère la publication de Constitution et caractère comme un événement historique, point de départ d’un renouveau de la psychiatrie. Il commente et discute les idées de Kretschmer, y ajoute les données d’autres auteurs (Rüdin, Hoffmann, Kahn) sur les facteurs héréditaires et adhère personnellement et sans réserve aux thèses de Bleuler et Kretschmer. Il analyse ses propres cas cliniques avec la typologie de Kretschmer. Après avoir considéré les découvertes au laboratoire, il conclut que « l’étude somatique des malades mentaux ne nous offre pas des éléments suffisants pour faire un diagnostic différentiel entre schizophrénie et psychose circulaire » [34]. Il s’agissait d’une reconnaissance des limites de la méthode anatomoclinique et le besoin d’une rigoureuse psychopathologie descriptive. José Miguel Sacristán (1887-1957) va s’intéresser particulièrement à la psychopathologie ; son apport à cette même conférence va devenir un texte très connu. Il accueille les discussions des Écoles psychiatriques allemandes sur l’existence d’entités nosologiques indépendantes en pathologie mentale. Sacristán, disciple de Kraepelin, était considéré comme le meilleur connaisseur espagnol de son œuvre et il le montre bien. Sacristán étudie aussi l’apport de Hoche, Jaspers, Birnbaum, Kretschmer, Bleuler, Mauz, Wyrsch... Son approche est riche et sérieuse. Dans sa partie finale, il présente ses propres statistiques avec des histoires (et des photos) de plusieurs de ses patients. Il soutient l’influence du facteur constitutionnel psychique et somatique sur l’évolution et pronostic des psychoses endogènes atypiques [32]. José Miguel Sacristán est un excellent exemple d’un psychiatre qui a accompli un grand travail dans l’organisation professionnelle des années 1920-1930, ainsi que dans la diffusion systématique de la psychologie germanique et en particulier du kraepelinisme. Chez son collègue José Sanchís Banús on trouve quelque chose de plus : une tentative significative d’un apport personnel à la connaissance psychiatri-

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que universelle. Il s’agit de la description originale du délire de persécution chez les aveugles (1924). Sanchís Banús décrit deux cas cliniques qui prouvent comment la cécité, en empêchant l’interprétation correcte de la réalité extérieure, sur la base d’une prédisposition caractérologique, agit comme un facteur psychogène qui facilite les interprétations délirantes et des réactions paranoïdes [33]. Ce nouveau tableau présentait des analogies avec d’autres déjà décrits sur les réactions paranoïdes chez les sourds ou les prisonniers isolés dans un pays étranger. 3.3. Conclusion Souvent on entend dire que le 1er tiers du siècle correspond à une période de splendeur pour la psychiatrie espagnole. C’est indiscutable si on la compare avec la période antérieure mais il faut faire une nuance en citant Luis Valenciano : « Il ne serait pas juste de qualifier cette époque “d’âge d’or”, mais plutôt d’âge de “pierre, de mortier et de brique” parce qu’il s’agissait plutôt de jeter les fondations et les murs de ce qui existait à peine : une science psychiatrique espagnole et des soins au malade mental justes et efficaces » [38]. 4. La période franquiste Comme on le sait, la Guerre Civile a provoqué une rupture violente et profonde dans la vie et la culture espagnole. Dans le cas concret de la psychiatrie, la rupture s’est fait à 2 niveaux, celui des institutions et celui des idées. Dans les institutions on remplace celles qui existaient pendant la République par d’autres avec des noms, des orientations et des protagonistes différents. La revue Archivos de Neurobiología n’est plus publiée en 1937 ; Actas Españolas de Neurología y Psiquiatría apparaît en 1940. L’Association espagnole de neuropsychiatrie est remplacée en 1942 par la Société espagnole de neurologie et psychiatrie, d’existence éphémère et la première ressurgit en 1949. La Ligue d’hygiène mentale réajuste ses activités sans atteindre la même portée des années 1930. Le Conseil supérieur de psychiatrie est dissout avant la guerre. La chaire de psychiatrie de l’université autonome de Barcelone disparaît aussi. Les chaires universitaires commencent à fonctionner de manière définitive dans l’après-guerre. Antonio Vallejo Nágera occupe la première à Madrid en 1947. Pendant les années 1950–1960 on assistera à la création de nouvelles chaires dans plusieurs facultés de médecine. Vallejo Nágera représente les idées psychiatriques des vainqueurs de la Guerre Civile au début de l’après-guerre. Son idéologie se situe entre le national-socialisme, la psychologie scolastique et le kraepelinisme dévalorisé. Le premier aspect à traiter c’est le philogermanisme que Vallejo Nágera montre dans tous ses aspects et de manière passionnée ; les doctrines psychologiques les plus radicales de l’Allemagne nazie se reflètent dans ses travaux des années 1930. On peut citer par exemple : L’Asexualisation des psychopathes (1934), L’Eugénisme de l’hispanité et la régé-

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nération de la race (1937), La Psychopathologie de la conduite antisociale (1938), La Politique raciale du nouvel État (1938), Le Biopsychisme du fanatisme marxiste (1938– 1939)... Des auteurs moins extrémistes que Vallejo Nágera vont également insister pour affirmer l’existence d’une supposée anthropologie essentiellement espagnole qui prend en compte les valeurs éternelles de la culture et race hispaniques pour constituer la psychopathologie et la psychothérapie propres au peuple espagnol. Contrairement à l’effort des années 1920–1930 pour l’ouverture à la culture et à la science européenne, les années 1940 vont se fermer. Les psychiatres de l’époque vont rêver d’une science autochtone fondée sur des caractéristiques propres au monde hispanique. Le deuxième aspect (le recours à la psychologie scolastique) est mis en évidence dans le Traité de psychiatrie publié par Vallejo Nágera en 1944 où il affirme que « la formation philosophique la plus adaptée au médecin et au psychiatre est celle qui a comme base l’incontestable vérité du système philosophique aristotélicien. [...] On constate l’échec de tous les systèmes philosophiques en dehors de la vérité du thomisme, [...] et par conséquent nous reprendrons le meilleur que l’on trouve partout et qui s’accorde avec le système scolastique » [39]. Cette affirmation de principes s’accompagne de l’implantation d’une stricte orthodoxie catholique dans tous les aspects de la vie et de la culture espagnole des années 1940. Il faut aussi la comprendre comme une tentative de contrecarrer l’influence que l’orientation neurobiologique de l’École de Cajal et Achúcarro avaient eue sur les psychiatres pendant la période antérieure, puisque l’idée de réduire les troubles mentaux à une lésion macroscopique ou microscopique était, au fond, d’un matérialisme difficilement compatible avec la profonde spiritualité décrétée dans l’Espagne de Franco ; de plus, le courant anatomoclinique était associé aux psychiatres, qui avaient adhéré au régime républicain comme Lafora. On trouve la même idée de fond dans le fait que la psychologie dans les facultés de médecine était enseignée par des professeurs de philosophie de formation thomiste pour prévenir le risque d’une dérive vers le somatique et le matérialisme [17]. Le troisième aspect évident de l’œuvre de Vallejo Nágera, c’est le recours à la psychiatrie kraepelinienne, conséquence de sa formation germanique qui allait de pair avec la continuité d’un effort réalisé dans les années 1920-1930 pour introduire en Espagne la psychiatrie dominante en Europe. Vallejo Nágera était un intellectuel rustre et de ce fait sa compréhension et l’application des idées de Kraepelin (mélangées à celles de Bleuler, Kretschmer ou Bumke) étaient d’un bas niveau scientifique, rigides et dénuées d’originalité, mais malgré tout, plus performantes que les idées psychologiques de saint Thomas au moment de faire face aux problèmes posés par la clinique. Vers la moitié du siècle on met l’accent sur le caractère médical de la psychiatrie. On l’assimile à des spécialités aux traitements physiques, chimiques et chirurgicales (l’électrochoc et la cure de Sakel représentent l’arsenal thérapeutique jusqu’à l’arrivée des psychotropes dans les années 1950 ; la

psychochirurgie a également suscité beaucoup d’enthousiasme). L’aspect psychogénétique et sociogénétique des maladies mentales ne réveille pas un intérêt similaire ; il est même méprisé et rejeté. Il risquait de remettre en question un type de vie ainsi que des structures politiques et sociales considérées comme sacrées. En revanche, la psychopathologie essentiellement descriptive, représentée par l’École de Heidelberg, offre la possibilité d’étudier les différents troubles mentaux de manière aseptisée, c’est-à-dire sans aborder les aspects qui pouvaient devenir idéologiquement conflictuels [4]. Les travaux de Jaspers avaient été déjà introduits avant la guerre par des psychiatres connaisseurs de la langue allemande. En 1951, est publiée en Amérique du Sud une traduction médiocre de la Psychopathologie Générale. En 1948 est traduit en espagnol Les personnalités psychopathiques de Kurt Schneider et en 1951 la Psychopathologie clinique. Ces ouvrages deviennent d’authentiques textes sacrés pour la psychiatrie espagnole de la moitié du siècle. La différence conceptuelle entre « explication » et « compréhension » ou entre « processus » et « développement » est répétée avec enthousiasme. L’attitude critique de Jaspers face au marxisme ou à la psychanalyse est accueillie avec sympathie, tandis que les difficultés de sa pensée vont s’opposer à la clarté conceptuelle de Kurt Schneider, qui se transforme en une référence pour la psychopathologie espagnole [14,15]. Diffuseur de l’œuvre de Schneider en Espagne et figure hégémonique de la psychiatrie des années 1950–1960, Juan José López Ibor (1906–1991) est un auteur d’une finesse intellectuelle et d’un niveau culturel incontestablement supérieurs à celui de son rival Vallejo Nágera. López Ibor est considéré par un représentant de la psychiatrie universitaire actuelle comme « le psychiatre espagnol le plus important et le plus connu internationalement » [1]. Même Carlos Castilla del Pino, au début disciple de López Ibor mais qui s’en est éloigné ensuite, le considère comme « le psychiatre le plus créatif du temps de Franco » [4]. La pensée de López Ibor sur la psychopathologie oscille entre un profond biologisme organiciste et une grande ambition philosophique, avec laquelle il tente de comprendre le sens de l’existence humaine et de ses troubles. Des auteurs comme Jaspers et Schneider vont remplacer Kraepelin en tant que références psychiatriques. De plus, López Ibor fera appel à des philosophes comme Dilthey, Husserl, Scheler, Kierkegaard ou Heidegger. La phénoménologie rencontre l’analyse existentielle et López Ibor, introduisant dans l’édition leurs œuvres, devient l’interlocuteur espagnol de psychiatres comme Binswanger, Boss, Zutt ou Weitbrecht. Sa plus grande attention est dirigée vers les troubles affectifs. Il considère « l’angoisse vitale » comme un bouleversement endothymique fondamental avec un fond somatique non réductible à des causes psychologiques ou sociales et impossible à comprendre comme réaction aux événements de la vie, mais plutôt comme un bouleversement endogène de la vitalité. Face aux concepts psychanalytiques, il préconise une approche strictement médicale de la psychiatrie en

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accord avec la nature biologique de la névrose d’angoisse et de ses crises paroxystiques ; il soutient aussi un traitement biologique. Ce thème est considéré par les auteurs actuels comme son meilleur apport théorique [26,27]. Outre son œuvre écrite, López Ibor établit un réseau important de relations internationales qui lui permit de contribuer beaucoup à la diffusion en Espagne des travaux de nombreux psychiatres. En 1955 il organise un symposium sur la schizophrénie avec Kurt Schneider et avec une grande participation de la psychiatrie européenne et espagnole de l’époque. Il était lié aussi à Barahona Fernandes, le plus grand représentant de la psychiatrie portugaise. Par rapport à la France, il invite Henri Ey à venir à Madrid pour parler des délires. Le cours fut publié en tant que livre en 1950 et réédité récemment ; il n’en existe pas de version française [10]. En 1966 López Ibor organise à Madrid le IVe congrès de l’Association mondiale de psychiatrie, où il est élu président. Vallejo Nágera et López Ibor représentent la psychiatrie officielle espagnole du temps de Franco. Mais il y a des auteurs qui ont été exclus politiquement, en tant qu’héritiers de la psychiatrie d’avant-guerre. Ils deviennent ce qu’on appelle « l’exil intérieur ». Certains d’entre eux vont tenter d’élaborer une pensée originale sur des questions de psychopathologie. On peut citer Llopis et Valenciano. Bartolomé Llopis (1906-1966) fut un psychopathologue brillant qui étudia les psychoses dues à la pellagre, observées pendant la Guerre Civile et l’après-guerre. Il élabore une théorie qui tente de réduire les différents tableaux sous un seul « syndrome axial » commun à tous. Il soutient l’ancienne thèse de la psychose unique et propose comme base des maladies mentales une cause cérébrale connue ou inconnue qui se manifesterait avec une symptomatologie variée, bien qu’au fond il s’agisse de la même altération fondamentale. Les différentes psychoses endogènes auraient pour lui une identité commune : la déstructuration régressive, avec des variations dans les degrés de conscience. Llopis questionne la nosologie psychiatrique en vigueur et tente d’unifier les différentes psychoses. Théoriquement il est proche du travail effectué à la même époque en France par Henri Ey et d’autres psychopathologues qui cherchent dans les maladies mentales un facteur commun et des formes de passage entre elles [7,23–25]. Luis Valenciano (1904–1985), originaire de Murcia, partage son intérêt entre l’organisation sanitaire et les aspects théoriques de la psychopathologie. Il publie le premier manuel espagnol pour la formation des infirmiers psychiatriques en 1933 et dirige à partir de 1967 l’hôpital psychiatrique de Murcia. En psychopathologie il part des idées développées par Ortega y Gasset et prétend à l’élaboration d’une anthropologie psychiatrique propre. Son point de départ philosophique est la distinction établie par Ortega entre le substrat profond de croyances qui déterminent la perspective à partir de laquelle on interprète et perçoit le monde et la couche plus superficielle et changeante des idées. Un conflit dans les croyances, un doute radical, donneront lieu normalement à la pensée et à l’élaboration des idées. Le délire, en revanche,

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sera un changement négatif dans la structure au niveau des croyances, une mutation qui bouleversera la racine de croyances du délirant. Ce bouleversement dans la structure normale des croyances donnerait au paranoïaque ses caractéristiques spécifiques : ces significations nouvelles et rigides qui entraîneraient chez le malade le caractère menaçant des idées. Sur la même base théorique, Valenciano essaye d’élaborer une technique psychothérapeutique, qu’il appelle « Analyse vitale projectivée ». Il s’agissait en fait de la version « Orteguianne » de l’analyse existentielle [21,35,36]. En dépit de l’incontestable prédominance à cette époque de la psychiatrie allemande, Manuel Cabaleiro Goas (1918– 1977), auteur prolixe et d’une grande érudition, soutenait que le plus grand rapprochement entre la psychiatrie française et espagnole avait eu lieu après la deuxième Guerre mondiale, en partie grâce au rapport établi à l’occasion du 1er congrès mondial de psychiatrie célébré à Paris en 1950 et conséquence de la période de splendeur vécue par la psychiatrie française pendant les années 1940 [2]. En ce qui concerne la psychanalyse pendant les années 1940, on assiste à la tentative de repousser les théories de Freud à travers la diffusion de la pensée d’autres psychanalystes (Adler et surtout Jung) et à la recherche, mentionnée auparavant, d’une anthropologie capable d’intégrer les aspects spirituels de l’homme qui auraient été réduits par le modèle freudien à un mécanicisme inacceptable. Le psychiatre catalan Ramón Sarró (1900–1993) défendait clairement cette option. La version la plus orthodoxe de la psychiatrie des années 1940–1950 va dégénérer en une thérapie pastorale d’origine ascétique ; la version sophistiquée des années 1960 donnera lieu à la mode de l’analyse existentielle. Généralement la technique psychothérapique de Freud est reconnue utile, mais son fondement doctrinal est rejeté avec une tentative de substitution par des autres comme Scheler ou Kierkegaard et ensuite d’autres comme Heidegger ou JeanPaul Sartre. L’analyse freudienne n’a pas eu de place en Espagne dans des années 1940. C’est pendant les années 1950 que les premiers groupes de psychanalystes ont été créés à Madrid et Barcelone. Ils se développent tous discrètement en attendant de faire irruption dans la vie publique de la période suivante.

5. L’Espagne démocratique À la fin des années 1960 se produisent un certain nombre de changements dans la société espagnole qui vont s’accélérer dans les années 1970 avec la période de la transition et s’imposer largement avec la mise en place de la démocratie. Le développement économique des années 1960 a facilité le contact avec les autres pays européens : explosion du tourisme et voyages de plus en plus nombreux des Espagnols à l’étranger. Les mécanismes de la vie démocratique vont devenir de plus en plus familiers à partir de la disparition progressive du contrôle de la dictature et de la diffusion des courants de pensée jusque-là interdits par la censure. Les

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années 1970 représentent une période de changements profonds de la vie espagnole et aussi de sa psychiatrie [17]. Un personnage qui va marquer cette époque sera Carlos Castilla del Pino (né en 1922), qui au cours de 50 ans a mené une solide carrière de psychiatrie avec une œuvre personnelle d’un haut niveau intellectuel et ambition théorique. À la différence d’autres auteurs déjà mentionnés, la personnalité de Castilla del Pino ne représente ni une orientation théorique collective, ni une école ou une époque, mais une évolution personnelle, dans un environnement fréquemment hostile, qui s’étend sur une longue période et suit sa propre trajectoire personnelle. À partir d’une formation psychiatrique classique dans le cercle de López Ibor et avec un esprit d’autodidacte, Castilla essaya de dépasser de manière critique la psychiatrie phénoménologique, l’analyse existentielle et s’ouvrit à la psychiatrie biologique comme aux courants psychodynamiques et à l’importance du contexte social dans lequel surgissent les maladies mentales et dans lequel elles devront être comprises. Il acquit une grande notoriété dans les années 1960–1970, qui eut aussi un lien avec l’essor éphémère du marxisme. Il exerça une grande influence sur les jeunes psychiatres de cette époque qui lui vouèrent une véritable vénération. Son évolution intellectuelle l’amène à l’herméneutique du langage, à la théorie de la communication et à la logique, toujours à la recherche d’un modèle psychopathologique personnel sur lequel il continuait à travailler. Il souhaitait élaborer une psychopathologie qui pourrait dépasser le niveau descriptif pour rendre compte de la structure logique des phénomènes psychiques normaux et pathologiques, qui pourrait devenir la base théorique de la psychiatrie clinique [5,6,40]. Le changement psychiatrique des années 1970 fut conflictuel à différents niveaux. On constate tout à la fois des conflits d’idéologies, de générations et d’intérêts, qui marquent encore la psychiatrie espagnole de cette fin de siècle. La psychiatrie traditionnelle fut bousculée par l’antipsychiatrie : les psychiatres qui occupaient le pouvoir, tant au niveau des soins qu’à l’université, furent défiés, parfois de façon virulente, par une nouvelle génération de psychiatres de gauche qui réclamaient de profondes réformes dans les institutions ; les différences idéologiques se mêlaient et se superposaient aux aspirations professionnelles et aux ambitions personnelles. Ainsi, dans les hôpitaux psychiatriques, ces conflits et les différentes orientations sur la question du type de soins à apporter aux malades mentaux se mélangèrent avec les revendications du travail. En ce qui concerne les soins, ces conflits aboutirent à un grand nombre de réformes inspirées par le modèle de la psychiatrie communautaire, avec la fermeture ou la transformation d’asiles, le développement de services de « phases aiguës » dans les hôpitaux généraux, de lieux de vie, d’hôpitaux de jour, etc. L’affrontement entre les tenants de la psychiatrie traditionnelle (que nous avons décrit dans la période antérieure) et les jeunes psychiatres des années 1970 s’étendit aussi au niveau théorique. Les nouvelles générations s’éloignèrent des fondements de la psychiatrie allemande et des courants

phénoménologiques et existentiels. La dimension philosophique de ces courants fut interprétée comme une forme de rhétorique, comme une fuite et un non-reconnaissance de la dimension sociale et familiale en cause dans les troubles mentaux. Les plus radicaux parmi ces psychiatres commencèrent par reconnaître la dimension sociale de la folie pour en arriver à soutenir que c’était la société elle-même qui était malade. Ainsi les noms de Binswanger, von Gebsattel ou Medard Boss furent remplacés par ceux de Laing, Cooper, Basaglia, Szasz ou Foucault. Ni les uns ni les autres n’auront un grand avenir. Dans les dernières décennies du siècle, les psychiatres espagnols renoncèrent presque complètement à ces velléités idéologiques pour défendre leur identité professionnelle en devenant nettement plus pragmatiques, plus proches de leurs confrères d’autres pays. L’influence allemande a disparu presque complètement et la psychiatrie espagnole commence à parler anglais. Les facilités d’accès à la bibliographie anglosaxonne et la fréquence de voyages pour des congrès ou des visites de lieux de soins étrangers ont contribué à une intégration croissante de la psychiatrie espagnole avec l’européenne et l’américaine. Les facultés de médecine ont organisé des départements de psychiatrie parfaitement intégrés. Les étudiants qui terminent leurs années de médecine doivent réussir un examen national pour être admis en spécialité de quatre ans ; pendant cette période, on leur propose une formation clinique et théorique avec une validation officielle en fin de cursus. Nombre de ces jeunes psychiatres complètent leur formation à l’étranger dans un centre connu. Cette évolution de la psychiatrie espagnole, comparable à celle des autres pays, a entraîné un développement et une diversification rapide. Le groupe des 50 spécialistes qui fondèrent en 1924 l’Association espagnole de neuropsychiatrie a abouti à près de 3500 psychiatres en Espagne. Parmi eux toutes les tendances se retrouvent, depuis la psychiatrie biologique jusqu’aux nombreuses Écoles de psychothérapie. On retrouve des défenseurs de chacune de ces théories, mais aussi des défenseurs de la théorie éclectique que représente le fameux modèle biopsychosocial. Le nombre de revues psychiatriques s’est multiplié à partir des années 1970 et actuellement tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il y en a trop. Mais les travaux scientifiques les plus rigoureux ne sont pas publiés sur le plan national mais dans des revues internationales, anglaises ou américaines. Le système universitaire favorise cette publication à l’extérieur du pays des meilleurs articles, en valorisant les textes parus en fonction de l’indice de reconnaissance des revues, avec de plus le fait que les auteurs sérieux souhaitent publier en anglais. De même les associations et les réunions scientifiques se sont multipliées en se diversifiant et en développant leurs thèmes. On constate ainsi une augmentation des parutions sous forme de manuels, de monographies et surtout de recueils d’articles, sur les aspects les plus divers de la psychiatrie.

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Le système national de santé (grande réussite du système sanitaire collectif de la deuxième moitié du siècle) coexiste avec les cabinets privés (très fréquemment les mêmes professionnels exercent dans le service public le matin et en cabinet privé l’après-midi). Les équipes pluridisciplinaires de santé mentale sont composées de psychiatres, psychologues, assistantes sociales et infirmiers ; elles peuvent fonctionner de manière harmonieuse ou non... La puissante industrie pharmaceutique a organisé une grande structure de recherche et de promotion des produits, avec des essais cliniques et le financement de publications, congrès et activités scientifiques en tout genre. La psychologie s’est développée rapidement à partir des années 1970, elle s’est différenciée en tant que profession indépendante, a su s’implanter dans de nombreuses universités et aujourd’hui le nombre des psychologues espagnols est bien supérieur à celui des psychiatres. Les courants dominants de la psychologie universitaire sont le comportementalisme et le cognitivisme. La psychanalyse s’est aussi largement développée grâce à l’arrivée massive de psychanalystes argentins qui fuyaient la dictature de Videla. Parmi eux, les tenants de la psychanalyse « orthodoxe » s’intégrèrent dans les groupes espagnols dépendant de l’Association psychanalytique internationale (où dominent les courants freudiens et kleiniens). L’École de Lacan fut également introduite en Espagne à partir de Buenos Aires et son intense activité lui a permis de trouver une place non négligeable. Le monde psychanalytique est assez autonome, avec ses propres institutions, publications et circuits professionnels, de telle manière que ses relations avec la psychiatrie ne sont que marginales. L’Espagne démocratique, l’Espagne européenne actuelle, a permis le développement rapide de la psychiatrie qui a mûri, s’est renforcée professionnellement, s’est diversifiée et a trouvé une cohérence avec les courants de pensée qui sont actuellement les plus influents sur le plan international. Les livres de chevet des jeunes psychiatres en formation sont le DSM-IV, la CIM-10 et les traités américains de Kaplan ou de Talbott. Les revues les plus appréciées sont toutes anglosaxonnes : Archives of General Psychiatry, American Journal of Psychiatry, Acta Psychiatrica Scandinavica, British Journal of Psychiatry... De nombreux professionnels espagnols participent au congrès annuel de l’Association américaine de psychiatrie avec le soutien de l’industrie pharmaceutique. Que cela nous plaise ou pas, il est évident que, aussi dans l’aspect psychiatrique, l’Espagne actuelle est devenue un pays « américanisé » européen normal. Au niveau des thèses et des travaux scientifiques, prédominent la recherche en biochimie, la validation d’échelles, les statistiques épidémiologiques et les essais cliniques. La rigueur scientifique passe par les méthodes quantitatives. On adopte avec enthousiasme la nouvelle mode de l’expression Evidence based Psychiatry, sans savoir que le mot anglais Evidence signifie « preuve, renseignement ou signe » et elle est traduite par « psychiatrie fondée sur l’évidence » (mais « évidence » a le sens, en espagnol comme en français, de

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« notion si parfaite d’une vérité qu’elle n’a pas besoin d’autre preuve »). Comme si la psychiatrie était une science exacte capable de fournir des certitudes, plutôt que de tenter d’approcher avec la plus grande rigueur possible la question de l’énigme de l’existence et de l’angoisse de l’homme ! Un auteur espagnol, José Bergamin, écrivit il y a quelques années : « Si j’étais un objet, je serais objectif, comme je suis un sujet, je suis subjectif. » La psychiatrie espagnole, comme toute la psychiatrie scientifique actuelle, fait un énorme effort pour analyser avec objectivité la subjectivité et en cela réside sa force. Sa tâche inachevée, qui est peut-être la plus difficile, consiste à travailler les limites de l’application d’une telle méthode scientifique à l’existence humaine ; travailler les possibilités d’une approche subjective, mais rigoureuse, des différents aspects de la maladie mentale qui ne sont pas, eux quantifiables. Cette approche nécessite une grande connaissance de la psychopathologie classique, qui, comme nous l’avons vu, a largement circulé en Espagne tout au long de ce siècle qui vient de s’achever, mais qui dans ces dernières années a cessé de circuler. Beaucoup pensent que le moment n’est pas propice à la réflexion théorique. On cite avec respect les psychiatres classiques (généralement avec des références indirectes) mais on a perdu, dans une large mesure, la connaissance et l’intérêt réel pour la tradition psychopathologique. Pourtant l’accueil qu’ont reçu les rééditions récentes en espagnol d’œuvres psychiatriques classiques semble être un indice d’insatisfaction généralisée avec cet état de fait et un désir de ne pas perdre la valeur de cette pensée psychopathologique européenne du XXe siècle. Cette récupération ne doit pas être présentée en terme d’antagonisme avec l’hégémonie de la méthode scientifique et de ses techniques quantitatives, mais plutôt comme un complément de celle-ci. Pour en arriver là, il est nécessaire de connaître directement et en profondeur les auteurs classiques de psychopathologie et leurs théories actuelles les plus rigoureuses. Et c’est une des tâches à accomplir par la très moderne, pragmatique et anglo-saxonne psychiatrie espagnole actuelle.

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