L'étrange mal des plateaux

L'étrange mal des plateaux

Rev M&i Interne 2001 ; 22 Suppl 2 : 219-22 © 2001 l~ditions scientifiques et m6dicales Elsevier SAS. Tous droits r6serv6s L' trange mal des plateaux ...

258KB Sizes 2 Downloads 39 Views

Rev M&i Interne 2001 ; 22 Suppl 2 : 219-22 © 2001 l~ditions scientifiques et m6dicales Elsevier SAS. Tous droits r6serv6s

L' trange mal des plateaux B. M 6 g a r b a n e 1, E B r u n e e l ~, D. C a z a l s - H a t e m 2, H. A d l e - B i a s s e t t e 3, S. H o u z e 4, M. W o l f f 1, B. R 6 g n i e r 1 IClinique de r~animation des maladies infectieuses, h@ital Bichat Claude-Bernard, 75018 Paris cedex ; 2service d'anatomie pathologique, h~pital Bichat Claude-Bernard, 75018 Paris cedex ; 3service d'anatomie pathologique, h~pital Beaujon, 92118 Clichy cedex ; 41aboratoire de parasitologie, ht~pital Bichat Claude-Bernard, 75018 Paris cedex, France

Expert-consultant : P. Morlat H6pital Saint-Andr6, service de m6decine interne et maladies infectieuses, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux eedex, France

LES FAITS CLINIQUES Un patient de 54 ans consulte pour c6phal6e f6brile depuis cinq jours. I1 est migraineux, d6pressif et suit un traitement par vanlafaxine, carpipramine et cloraz~ate dipotassique. I1 est organisateur de voyages e t a effeetu6 de nombreux s6jours en Afrique et en Asie, dont le dernier au Y6men, trois mois auparavant. Le patient est somnolent, f6brile (39,3 °C) avec frissons mais sans signes de choc (pression art6delle: 110/ 70 mmHg, fr&luence cardiaque : 80/min). L'examen clinique ne met en 6vidence aucun foyer infectieux. La num6ration montre des globules blancs ~ 3,5 x 109/L sans anomalies de la formule, une h6moglobine ~t 11 g/dL et des plaquettes ~ 56 x 109/L. Uionogramme sanguin et le bilan d'h6mostase sont dans les limites de la normale. La cr6atinin6mie est ~ 123 prnol/L, les ASAT ~ 329 UI/L (N < 56), les ALAT ~ 76 UI/L (N < 56), les LDH 5 780UI/L (N<475), les phosphatases alcalines 142 UI/L (N < 35) et la bilirubine ~ 14 prnol/L Le patient est admis en r6animation pour surveillance et re~oit du c6fotaxime pendant cinq jours. Les pr61~vements bact6riologiques (h6mocultures, ECBU, ponction lombaire) sont st6riles. Le frottis goutte 6paisse est n6gatif. La radiographie de thorax, l'6chocardiographie et le TDM c6r6bral sont normaux. La prot6ine C r6active est 226 mg/L, les triglyc6rides h 3,62 mmol/L (N : 0,35-1,7), la ferritine ~t400 ~tg/L (N : 30-300) et le compl6ment (C3, C4) normal. L'immuno61ectrophor~se des prot6ines plasmatiques retrouve une 616vation polyclonale des IgG 17,5 g/L (N : 5-16). La prot6inurie est ~ 1,8 g/24 h, non s61ective et sans pic monolonal. Les s6rologies VIH, h6patite B, h6patite C, brucellose et salmonellose sont n6gatives.

Devant l'absence d'am61ioration, l'antibioth6rapie est modifi6e ofloxacine puis minocycline. Le TDM thoracoabdominal montre de nombreux ganglions m&liastinaux et une spl6nom6galie avec des lacunes parenchymateuses au temps portal (figure 1). Le my61ogramme est normal et la biospie ost6om6dUllaire r6v~le un syndrome d'activation macrophagique ainsi que des petits granulomes 6pith~lio'fdes sans n6crose fibrino'fde (figure 2). Sur la biopsie h6patique, faite par voie transjugulaire, il existe un infiltrat portal lymphoeytaire respectant l'architecture h6patique, des granulomes histiocytaires sans eellules g6antes et une 6rythrophagocytose au sein de certains histiocytes intra-sinuso'fdaux (figure 3).

Figure 1. TDM abdominal : spl6nom6galie mod(n~e (15 x 8 cm), avec quelques lacunes intra-parenchymateuses au temps portal.

220S

2A.

Communications

2B°

Figure 2. Biopsie ost~om&lullaire (coloration de May Griinwald Giemsa) : prtsence de granulomes 6pithtlio'l'des [fltche] (2A, x 200), renfermant des cellules histiocytaires si~ge d'une htmophagocytose [fltche] (2B, x 400).

3B. 3A.

3C.

Figure 3. Biopsie htpatique. Infiltrat inflammatoire [fl~he] avec 61argissement des espaces portes (3A, coloration trichromique de Masson), prtsence de granulomes 6pithtlio'fdes de petite taille cemts par une couronne lymphoplasmcytaire ptdphtdque (3B, coloration d'htmattine 6osine) et hyperplasie des cellules de KUpfer avec 6rythrophagocytose [fl~che] (3C, coloration par Giemsa).

Les Printempsde la mtdecine interne

221S

Les colorations PAS, Giemsa, Grocott et Ziehl sont ntgafives. Une trithtrapie anti-tuberculeuse (rifampicine, isoniazide et myambutol) est alors dtbutte. Malgr6 ces difftrentes antibiothtrapies, la fi~vre etles anomalies biologiques persistent. Notre patient aurait-il 6t6 frapp6 par un mal 6trange venu des plateaux de Taez ?...

• mdxlicaments ; dans le cas pr6sent cette 6tiologie apparaTt peu vraisemblable compte-tenu de la prise supposde au long cours des psychotropes par le patient et de I'absence de cas similaire dans la litt~rature. A ce stade et malgr(~ I'absence de signe ~vocateur, il est Iogique de compldter I'enqu~te s~rologique vis-b-vis de germes ubiquitaires tets yersinia, ehr/ichia, voire hdpatite A, mycoplasme et

Avis de I'exped-consultant

En rabsence de diagnostic au d~cours de ce bilan, une mOdiastinoscopie ~t visee biopsique ganglionnaire doit ~tre propos~e pour rechercher une pathologie tumorale ~ laquelle le SAM serait reactionnel (m~tastases de cancers solides, lymphomes), une maladie rare &tropisme ganglionnaire (L.A.I, Kikuchi, Castelman, Liebow, etc.) ou conforter un diagnostic ~voqu~ antdrieurament (en particulier tubemulose ou sarco'fdose).

Uessentiel de la symptomatologie clinique et biologique peut ~tre rapport6 au syndrome d'activation macrophagique (SAM) mis en dvidence aux niveaux m(~dullaire et hdpatique, et c'est donc & partir de ce diagnostic syndromique que j'orienterai mon enqu~te dtiologique. Bien que le champ de recherche soit pr~cisd par la prdsence d'ad~nopathies m~liastinales, de lacunes spldniques en TDM et la ddcouverte de granulomas dpithdlio'ides mddullaires, de nombraux diagnostics peuvent 6tre dvoqu~s et il apparaff n~cessaire de se placer darts deux situations diff~rentes. - La pathologie responsable du SAM a ~td contract~e Iors d'un s~jour & I'~tranger, en particulier au Y(~men, que le patient, rdputd immunocompdtent, a quitt(~ depuis trois mois. Une leishmaniose viscdrale dolt ~tre prioritairement dvoqude car en I'absence d'orientation et en pr0sence d'un SAM, le biologiste peut ne pas avoir mis en ~vidence le parasite sur les pr(~l~vemerits histologiquas [1] : il faut donc r~aliser une sdrologie sp~cifique, une recherche du parasite par PCR et envisager une relecture des lames. Les auteurs du cas clinique prdsentent des arguments allant contre le diagnostic de tuberculose, brucellose ou infections fongiques mais on aimerait disposer des r~sultats de culture sur milieux favorables aux champignons, bactdrias & pousse lente, voire d'arguments de biologie mol~culaire. Malgre une incubation qui serait Iongue, une presentation atypique etun traitement par cyclines (duree ?), il est ~galement raisonnable d'~liminer une infection bacterienne de type rickettsie, coxiella ou bartonella etune spirochdtose (borrelia, tr~poneme) par la r~alisation de tests sarologiques. La prasentation clinicobiologique et/ou la durae d'incubation permettent a priori d'aliminer les autres pathologies infectieuses d'importation responsables de SAM et granulomatose (histoplasmose, babebiose, strongylo'~'dose, paludisme ~ P. falciparum, h(~patite A, fi~vre de la Vallae du Rift, salmonellose, yersiniose) ainsi qu'une schistosomiase chronique [2]. La rdpdtition de frottis sanguins et I'utilisation de la PCR devraient aliminer une reviviscence de paludisme vivax, ova/eou malariae. Une s~rologie positive pour HTLV1 orienterait d'emblde vers un lymphome T associd. - Les antecedents de voyage n'ont pas de relation avec ~e SAM. II faut effectuer la recherche dtiologique habituelle devant une h~mophagocytose inexpliquee [3] : • primo-infection virale (herpes viridae, VIH, parvovirus B19) ; •pathologie auto-immune (anticorps antinucldaires et antiantig~nes solubles) ; • lymphome; un envahissement lymphomateux mddullaire ou spl~nique dolt ~tre formellement ~limin~ par un immunoph(~.notypage etune etude des r~arrangements de g~ne sur les prdl~vements histologiques [4] ; • sarcoi'dose (taux sdrique de I'enzyme de conversion de I'angiotensine 1) ;

ch/amydia.

REFERENCES

1 MatznerY, Belar A, Beeri E, Gunders AE, Hershko C. Systemic leishmaniasis mimicking malignant histiocytosis. Cancer 1979; 43: 398402. 2 Mandell GL, Bennet JE, Dolin R, Eds. Principles and practice of infectious diseases.5tn Ed. Vol 2. Philadelphia: Churchill Livingstone ; 2000. 3 Sailler L, Duchayne E, Marchou B, Brousset P, Pris J, Massip P, et al. Aspects dtiologiques des hdmophagocytoses r~actionnelles: (~tude r(~trospectivechez 99 patients. Rev Med Interne, 1997 ; 18 : 855-64. 4 Nosari A, Orest PL, BiondiA, Costantini MC, Santoleri L, Intropido L, et al. Hepato-splenicgammadelta T-cell lymphoma : a rare entity mimicking the hemophagocyticsyndrome.Am J Hemato11999; 60 : 61-5.

DI~MARCHE DIAGNOSTIQUE I1 s'agit d'un tableau associant fi~vre prolongte, pancytoptnie, granulomatose et htmophagocytose ~ localisation htpatique et mtdullaire chez un patient immunocompttent. L'hypothtse d'une infection par une mycobacttrie ou une bacttrie atypique (fi~vre Q, fi~vre boutonneuse, bartonellose, mtlio'/dose) paraissait plausible bien que peu probable en raison de l'tchec des traitements antibacttriens. Une infection systtmique parasitaire (bilharziose, toxoplamose ou helminthiase), mycosique (blastomycose, histoplasmose, coccidio'idomycose) ou virale avait aussi 6t6 recherchte en raison des stjours tropicaux. Les strologies pour ces micro-organismes 6talent revenues cependant ntgatives ou en rapport avec une immunit6 ancienne. L'hypothtse d'une 6tiologie non infectieuse (sarco~'dose, htmopathie, maladie de Still, enttropathie inflammatoire ou collagtnose systtmique) a 6galement 6t6 6voqute. Le bilan auto-immun 6tait 1~ aussi ntgatif. Le diagnostic a finalement 6t6 apport6 par la mytloculture qui, apr~s 14jours d'incubation, a retrouv6 la prtsence de quelques leishmanies promastigotes, sans pour autant permettre le diagnostic d'esptce. La recherche de Leishmania sp. dans le sang s'est rtvtlte ntgative par leucoconcentration mais positive par PCR avec amplification d'une stquence d'ADN kinttoplastique. La strologie de la leishmaniose 6tait positive en immunofluorescence indirecte ~t 100 UI (seuil= 100) et en ELISA h 3 UI (seuil= 3), avec doublement des valeurs dix jours plus tard. Un traitement par glucantime IM a 6t6 mis en route

222s

Communications

doses progressives mais rrduites ~ 3 g/24 h pendant 11 jours, en raison de l'existence d'une protrinurie 6vocatrice d'une glomrrulonrphrite mrsangiale. Le patient est devenu apyrrtique 48 h apr~s le drbut du traitement et le bilan biologique s'est normalis6 12jours plus tard. Une deuxi~me cure de consolidation a 6t6 effecture six semaines plus tard ~ l'hOpital, permettant la gurrison complete.

DISCUSSION I1 s'agit d'une observation exceptionnelle de leishmaniose viscrrale, associant pancytoprnie frbrile, hrmophagocytose et granulomatose hrpatique et mrdullaire. Certains zymod~mes de Leishmania sp. sont viscrrotropes et peuvent ~tre responsables d'emblre de leishmaniose viscrrale chez l'homme non immun, m~me immunocomprtent [1]. Drcrite pour la premiere fois en 1904 au Yrmen, cette anthropozoonose est responsable ~ ce jour de vrritables foyers d'endrmies, m~me prri-urbains, et ce malgr6 la mise en place de programmes de lutte contre les phlrbotomesvecteurs et de protection des mammif'eres domestiquesrrservoirs [2]. Le granulome 6pithrlioide correspond ~ l'organisation du syst~me immunitaire de drfense pour limiter la dissrmination du protozoaire [3]. La relation entre l'hrte et le parasite a 6t6 6tudire dans de nombreux modules exprrimentaux et il semble que l'rvolution de l'infection drpende

de la balance des phrnotypes fonctionnels des lymphocytes T CD4 + et de la production de certaines cytokines tels l'interfrron gamma (IFN-),). Au cours de l'atteinte hrpatique, il existe une infestation et une hypertrophie des cellules de Ktipfer. Comme pour notre cas, l'association une hrmophagocytose rractionneUe est rare et peut faire errer le diagnostic [4]. Elle traduit l'activation du syst~me monophagocytaire et pourrait s'associer ~ l'augmentation de la production de Tumor necrosis factor alpha (TNF-a). En pratique clinique, l'association d'une pancytoprnie frbrile, d'une splrnomrgalie, d'une hrpatite granulomateuse et/ou d'un syndrome d'activation macrophagique doit faire rechercher une leishmaniose viscrrale, surtout si le patient a srjourn6 en zone tropicale h risque [5]. RI~FI~RENCES 1 DedetJE Les leishmanioses : actualitrs. PresseMrd 2000 ; 29 : 101926. 2 Daoud W, Rageh HA. Analyse srrologique, clinique et 6pidrmiologique de 53 cas de kala-azar en rrpublique arabe du Yrmen. Bull Soc Path Ex 1986 ; 79 : 507-13. 3 Minodier P, Piarroux R, Gamier JM, Unal D. Leishmaniose viscrrale mrditerranrenne : physiopathologie.PresseMrd 1999 ; 28 : 33-9. 4 Granert C, Elinder G, Ost A. Henter JL Kala-azar in a one-year-old swedish child. Diagnostic difficulties because of active hemophagocytosis. Acta Paediatr 1993 ; 82 : 794-6. 5 Gurdn JM, Mrgarbane B. Pathologiesinfectieuses acquisesen milieu tropical avec manifestations h~patiques. Mrdecine Thrrapeutique 2000 ; 6 : 568-74.