Maladie de Vaquez et grossesse

Maladie de Vaquez et grossesse

J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004 ; 33 : 525-527. Fait clinique Maladie de Vaquez et grossesse T. Beillat*, M. Macro**, M. Dreyfus* * Service de Gyné...

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J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004 ; 33 : 525-527.

Fait clinique Maladie de Vaquez et grossesse T. Beillat*, M. Macro**, M. Dreyfus* * Service de Gynécologie-Obstétrique et Médecine de la Reproduction, ** Service d’Hématologie Clinique, CHU, avenue Clémenceau, 14033 Caen Cedex. RÉSUMÉ La maladie de Vaquez est une pathologie chronique rare myéloproliférative. Son association exceptionnelle avec la grossesse peut entraîner de très graves complications thrombotiques. Une patiente avec deux antécédents de pré-éclampsie a été traitée par hydroxyurée pour une maladie de Vaquez. Sa troisième grossesse s’est déroulée normalement avec un traitement par héparine de bas poids moléculaire et de faibles doses d’aspirine, sans hydroxyurée, la chimiothérapie ayant été arrêtée dès le diagnostic de grossesse. Dans le postpartum, la survenue d’un accident thrombotique a nécessité de reprendre la chimiothérapie. Des complications vasculaires sévères de la grossesse peuvent correspondre à une phase pré-clinique de la maladie de Vaquez. Une thérapeutique adaptée peut prévenir ces complications. Mots-clés : Maladie de Vaquez • Thrombocytose • Grossesse • Hydroxyurée. SUMMARY: Polycythemia vera and pregnancy. Polycythemia vera is a rare chronic myeloproliferative disease. Its exceptional association with pregnancy can lead to severe complications. Antithrombotic treatment could prevent such adverse outcome. A patient with two previous pregnancies complicated by preeclampsia, was treated by hydroxyurea for polycythemia vera. She started a new unexpected gestation without this myelosuppressive treatment and the pregnancy was conducted uneventfully with low molecular weight heparin and low dose aspirin. Thrombotic complications required the reintroduction of hydroxyurea. Diagnosis of polycythemia vera during pregnancy is a very difficult task due to physiologic changes occurring during gestation. Adverse outcome including severe vascular complications can be a preclinical phase of the disease. An adequate therapy could prevent these complications. Key words: Polycythemia vera • Thrombocytosis • Pregnancy • Hydroxyurea.

La maladie de Vaquez est une hémopathie rare chronique myéloproliférative caractérisée par une prolifération clonale de progéniteur de la lignée érythrocytaire dans la moelle osseuse. Cette maladie peut se compliquer d’accidents thrombotiques ou hémorragiques à court terme et de syndromes myéloprolifératifs malins à long terme. Son incidence annuelle dans la population générale est estimée à 10 pour un million. Elle atteint préférentiellement les hommes de plus de 50 ans. Cependant, quelques auteurs ont montré que le jeune âge n’était pas un facteur de pronostic favorable [1]. Très peu de cas associés à une grossesse ont été publiés [2-7]. Nous rapportons le cas d’une patiente ayant une maladie de Vaquez en cours de grossesse avec des antécédents de complications gravidiques sévères. Nous nous sommes plus spécifiquement intéressés

aux traitements anticoagulant et myélosuppresseur requis pendant et après la grossesse. OBSERVATION Il s’agit d’une 5e geste 4e pare dont la première grossesse s’est conclue par un accouchement normal à terme. Les deux grossesses suivantes ont abouti à des césariennes respectivement à 33 et 34 semaines d’aménorrhée dans un contexte de pré-éclampsie. La dernière s’est déroulée simplement avec une césarienne prophylactique pour utérus bicicatriciel. En 1997, la patiente a bénéficié d’une splénectomie en raison d’une splénomégalie inexpliquée. Le diagnostic de maladie de Vaquez a été porté en 1999 après un accident vasculaire cérébral associé à une thrombose carotidienne. Au cours du bilan, une thrombose de l’artère hépatique a également été découverte. Le bilan étiologique a exclu une thrombophilie héréditaire et a conduit au diagnostic de maladie de Vaquez. Les examens biologiques ont montré : une hémoglobinémie à 14 g/dl, un hématocrite à 46,1 %, un volume

Tirés à part : M. Dreyfus, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Reçu le 8 mars 2004. Avis du Comité de Lecture le 10 juin 2004. Définitivement accepté le 10 juillet 2004.

© MASSON, Paris, 2004.

T. Beillat et collaborateurs

globulaire moyen à 85 µ3, une hyperleucocytose à 16,6 × 103/ ml et une numération plaquettaire à 944 × 10 3 /ml. Une carence martiale (fer sérique = 7 µmol/l [N = 13 – 25] ; ferritinémie = 12 µg/l [N = 13 – 150]), a probablement masqué la polyglobulie. Le diagnostic final a été porté lors de la culture in vitro de moelle osseuse par la découverte de colonies se développant sans érythropoïétine. La concentration d’érythropoïétine était effondrée (< 1 µ/ml [N = 3 – 10]) et le caryotype réalisé sur moelle osseuse était normal. La RT-PCR n’a pas mis en évidence dans le sang périphérique de transcript bcrabl, excluant le diagnostic de leucémie myéloïde chronique. Un traitement par association d’hydroxyurée et d’antivitamines K a été instauré pour réduire l’hyperviscosité sanguine et diminuer le risque d’accident vasculaire cérébral. Les objectifs de ce traitement était d’obtenir un hématocrite proche de 45 % et une numération plaquettaire de l’ordre de 400 à 500 × 103/ml. Malheureusement, ce traitement a dû être interrompu lors de la découverte inattendue d’une grossesse à 6 semaines d’aménorrhée. Une héparine de bas poids moléculaire a été prescrite (Tinzaparine, 10 000 u/j) associée à de faibles doses d’aspirine (100 mg/j). La patiente refusant les injections quotidiennes, nous avons réintroduit les antivitamines K vers 25 semaines et ce jusqu’à 33 semaines, date à laquelle l’héparine de bas poids moléculaire a été réinstaurée, étant plus facile à manier à proximité du terme de la grossesse. La numération plaquettaire s’est stabilisée aux alentours de 700 × 103/ml pendant toute la grossesse. Le suivi gestationnel a été simple avec un Doppler utérin normal, une croissance fœtale au 50e percentile et l’absence de complications maternelles. Nous avons effectué une césarienne prophylactique en raison d’un utérus multicicatriciel à 38 semaines d’aménorrhée permettant l’extraction d’une fille bien portante Apgar 10 pesant 2 910 g. L’analyse histologique du placenta était normale. Nous avons entrepris une anticoagulation à dose curative dans le post-partum et le relais par antivitamines K s’est fait vers le 6e jour. La réapparition d’une thrombocytose (1 300 × 103/ml) au 8e jour du post-partum nous a contraints à réinstaurer un traitement myélosuppresseurs (hydroxyurée, 1 500 mg/j), raison pour laquelle la patiente a interrompu son allaitement. Malgré nos conseils répétés, elle a décidé d’interrompre l’héparinothérapie avant l’obtention d’une anticoagulation suffisante par antivitamines K. Ceci a conduit à un nouvel accident vasculaire cérébral avec aphasie et paralysie du membre supérieur droit. Ces troubles ont régressé progressivement. L’hémoglobinémie s’est stabilisée à 12,9 g/dl et la leucocytose était de 7,4 × 103/ml. Un mois plus tard la numération plaquettaire avait atteint 979 × 103/ml.

DISCUSSION

L’association entre maladie de Vaquez et grossesse est rare puisque seules 14 grossesses ont été publiées chez 9 patientes [2-7]. Dans plusieurs de ces observations, les femmes avaient eu plusieurs grossesses avant le diagnostic de maladie de Vaquez, comme dans notre observation. Habituellement, les résultats des grossesses antérieures étaient mauvais conduisant à des avortements spontanés, des accouchements

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prématurés et des complications thrombotiques telles que des morts in utero, des hypertensions gravidiques ou des pré-éclampsie (notre cas). À l’opposé, l’évolution de la maladie n’a jamais été altérée par la survenue d’une grossesse. Le diagnostic est difficile à porter au cours de la gestation en raison des modifications physiologiques inhérentes à la grossesse. L’hémodilution est responsable d’une diminution du taux d’hématocrite et de la numération plaquettaire. Une augmentation brutale de l’hématocrite associée à une augmentation de la leucocytose et de la numération plaquettaire doit conduire à des investigations spécifiques. Le diagnostic définitif de cette pathologie n’a été possible qu’après 1992, date de la découverte en culture in vitro de colonies érythrocytaires endogènes se développant spontanément. Avant cette date, le diagnostic de maladie de Vaquez était uniquement suggéré par l’association de critères cliniques et biologiques. Notre observation montre que les complications vasculaires survenues lors des grossesses antérieures étaient probablement liées à une phase pré-clinique de la maladie de Vaquez, ce qui a été confirmé par d’autres [7]. Dans notre cas, deux grossesses antérieures s’étaient compliquées de pré-éclampsie, pathologie qui pouvait être l’expression de dysfonctionnements placentaires liés à des mécanismes thrombotiques. L’importance d’un diagnostic préconceptionnel est fondamental puisqu’un traitement approprié peut conduire au déroulement normal d’une grossesse, comme cela a été montré dans cette observation et par Subtil et coll. [7]. Habituellement, la diminution des risques thrombotiques est obtenue par l’association d’aspirine à faible dose et d’héparine de bas poids moléculaire. Un traitement par antivitamines K peut être proposé au cours du deuxième trimestre et au début du troisième trimestre. Ces traitements visent à prévenir les complications potentielles de la maladie de Vaquez. Ces observations montrent qu’habituellement un traitement myélosuppresseur n’est pas nécessaire au cours de la grossesse. Dans quelques cas, ces thérapeutiques peuvent être requises [6]. La saignée est parfois utilisée pour obtenir un taux d’hématocrite inférieur à 50 %. Dans le post-partum, période classiquement thrombogène, une anticoagulation efficace doit être rapidement obtenue, les antivitamines K prenant progressivement le relais de l’héparine. Dans notre observation, en raison de l’indiscipline de la patiente, cela n’a pu être le cas, entraînant les complications thrombotiques décrites.

© MASSON, Paris, 2004.

Fait clinique • Maladie de Vaquez et grossesse

En raison de leur effet tératogène potentiel, les traitements myélosuppresseurs doivent être évités et une thrombocytose supérieure à 1000 × 103/ml requiert une aphérèse. Dans notre observation, l’hydroxyurée a été arrêtée à 6 semaines d’aménorrhée. D’autres ont décrit l’utilisation de cette drogue pendant la grossesse au cours de drépanocytose, de leucémie myéloïde chronique [8] et de thrombocytémie essentielle [9]. Dans tous ces cas, comme dans notre observation, aucune anomalie congénitale n’a été décrite, bien que certaines aient été rapportées dans des études portant sur l’animal. Il semble que l’hydroxyurée puisse être poursuivie ou introduite en cours de grossesse sans effets secondaires notables pour le fœtus ou le nouveau-né [8]. Cependant, ces observations ne suffisent pas à prouver l’innocuité de ce traitement pendant la grossesse. Pour le recommander en cours de gestation, il est nécessaire de recueillir plus d’observations avec un suivi à long terme des enfants exposés in utero. En attendant ces publications rares, la parution de cas tels que le nôtre constitue une source d’informations pour la prise en charge de patientes présentant une

thrombocytose aiguë au cours de la maladie de Vaquez. RÉFÉRENCES 1. Tefferi A, Solberg LA, Silverstein MN. A clinical update in polycythemia vera and essential thrombocythemia. Am J Med 2000; 109: 141-9. 2. Hockman A, Stein J. Polycythemia and pregnancy: Report of a case. Obstet Gynecol 1961; 18: 230-2. 3. Ruch W, Klein R. Polycythemia vera and pregnancy: Report of a case. Obstet Gynecol 1964; 23: 107-11. 4. Harris RE, Conrad FG. Polycythemia vera in the childbearing age. Arch Intern Med 1967; 120: 697-700. 5. Centrone AL, Freda RN, Mc Gowan L. Polycythemia rubra vera in pregnancy. Obstet Gynecol 1967; 30: 657-9. 6. Ferguson JE II, Ueland K, Aronson WJ. Polycythemia rubra vera and pregnancy. Obstet Gynecol 1983; 62: 16S-20S. 7. Subtil D, Deruelle P, Trillot N, Jude B. Preclinical phase of polycythemia vera in pregnancy. Obstet Gynecol 2001; 98: 945-7. 8. Byrd DC, Pitts SR, Alexander CK. Hydroxyurea in two pregnant women with sickle cell anemia. Pharmacotherapy 1999; 19: 1459-62. 9. Solal-Celigny P, Fernandez H, Tertian G. Grossesse chez les malades atteintes de thrombocytémie essentielle : trois observations. Presse Med 1992 ; 21 : 2085-8.

Information 24e journée annuelle du groupe lillois de recherche en médecine de la reproduction L’induction de l’ovulation hors FIV Jeudi 4 novembre 2004 Sous la présidence des professeurs : D. Dewailly et J.L. Leroy Salle des Congrès : Pôle Recherche – Ancienne Faculté de Médecine Lille Secrétariat : Bénédicte Penning-Pamart Service de Gynécologie et Médecine de la Reproduction Hôpital Jeanne de Flandre – CHRU – 2 Av. Oscar Lambert, 59037 Lille Cedex Tél. : 03 20 44 63 09. Télécopie : 03 20 44 64 07. E-mail : [email protected]

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