NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2014) 14, 23—25
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PRATIQUE PRÉVENTIVE
Mise en place d’une consultation « vieillir avec succès » Implementation of a ‘‘successful aging’’ consultation J.-P. David ∗, H. Naga , S. Lakroun , F. Menasria , I. Fromentin Hôpital de jour gériatrique, hôpitaux universitaires H.-Mondor, Assistance publique—Hôpitaux de Paris, 1, avenue de Verdun, BP 60010, 94456 Limeil-Brevannes, France Disponible sur Internet le 8 d´ ecembre 2013
MOTS CLÉS Fragilité ; Prévention ; Évaluation gérontologique ; Vieillissement avec succès
KEYWORDS Frailty; Prevention; Comprehensive geriatric assessment; Management; Successful aging
∗
Résumé Une consultation « vieillir avec succès » a été mise en place en hôpital de jour gériatrique depuis 2010. Cette consultation a pour mission de détecter les éléments de fragilité usuelle et pathologique dès 55 ans et de proposer un plan de soins et de rééducation sur mesure. À ce jour, l’assurance maladie refuse la prise en charge de cette activité médicale de prévention. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary A successful aging consultation has been implemented in a geriatric day care hospital since 2010. The aim of this consultation is to detect usual frailty and pathologic elements from the age of 55 and to offer a customized care re-education plan. For now, the health insurance refuses to support these medical prevention activities. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-P. David).
1627-4830/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2013.06.004
24 Les éléments déterminant les principales pathologies du vieillissement apparaissent vers le milieu de la vie. Cette période voit se constituer le syndrome de fragilité qui favorisera ou déterminera l’expression de ces pathologies. Ce concept de fragilité (frailty) est né en Amérique du Nord il y a une cinquantaine d’années ; les travaux de Rubenstein et al. [1] représentant une étape majeure dans le développement et l’appropriation de ce concept. La fragilité est définie comme une réduction multisystémique des réserves physiologiques de l’individu limitant les capacités à répondre à un stress, même mineur, ou à un changement d’environnement [2]. La fragilité est un syndrome clinique [3] et biologique [4,5] qui prédispose à la perte d’autonomie fonctionnelle [6] et à une surmortalité [7]. Elle réalise un état d’équilibre trompeur et précaire qui va décompenser à l’occasion d’une pathologie, d’un veuvage, d’un déménagement [8]. . . Si l’intérêt du traitement de la fragilité est fortement établi par la littérature internationale, il reste peu de publications qui montrent que sa prévention est efficace [9] et présente un intérêt en termes de santé publique ; cela étant dû aux difficultés méthodologiques rencontrées principalement en termes de modélisation du concept et de durée des études [10,11]. La limite entre fragilité et « maladie » est quelquefois difficile à préciser sur le plan nosologique : à partir de quand la sarcopénie devient-elle pathologique ? [12], à partir de quel moment la neurodégénérescence, qui touche 100 % de la population après 75 ans [13], devient-elle maladie d’Alzheimer [14] ? Enfin, notre pratique de la gériatrie nous a appris que la fragilité des patients âgés qui sont hospitalisés dans nos lits est souvent extrêmement importante et cela dans tous les domaines qui la déterminent, la rendant inaccessible au traitement. Ainsi voyons-nous des patients décéder bien que la pathologie causale de l’hospitalisation ait été maîtrisée. Nous avons donc souhaité mettre en place une consultation « vieillir avec succès » pour détecter cette fragilité.
Principes de la consultation La consultation de prévention du vieillissement a pour objectif de soigner et de détecter les maladies mais également d’identifier, au niveau de la prévention primaire ou secondaire, les facteurs de vulnérabilité et de fragilité apparaissant avec l’âge afin de tendre vers un « vieillissement réussi » et de limiter ou de retarder l’apparition clinique des maladies. Cela a d’autant plus d’intérêt que la prévalence des maladies chroniques est en augmentation et qu’a défaut de pouvoir les guérir nous devons essayer d’en retarder l’expression. Cela est possible en mettant en place un diagnostic précoce (incontinence urinaire, sarcopénie, ostéoporose, troubles de l’équilibre, troubles cognitifs ou de l’humeur. . .) et en assurant la promotion d’une politique de prévention en santé basée sur les principaux déterminants du vieillissement réussi : nutrition, activité physique et vie sociale. L’augmentation rapide de l’espérance de vie que nous connaissons depuis deux siècles n’est pas uniquement due « aux progrès de la médecine ». Il existe un rôle important des facteurs extrinsèques : conditions de vie et de
J.-P. David et al. travail, nutrition, amélioration de l’habitat, du chauffage, de l’habillement, de l’hygiène, de l’enseignement. Par ailleurs, le processus physiologique du vieillissement ne se déroule pas nécessairement de fac ¸on parallèle à l’âge chronologique. Ce processus très hétérogène [15] diminue les réserves fonctionnelles au niveau de la plupart des systèmes physiologiques entraînant un état de vulnérabilité, voire de fragilité. Les sujets âgés fragilisés sont souvent des personnes de plus de 75 ans, monopathologiques ou même sans pathologie déclarée, réputées être « en pleine forme » et dont les facteurs de fragilité peuvent passer inaperc ¸us à l’examen clinique classique ou bien être considérés comme « normaux pour l’âge ». Nous visons également à détecter dès 55 ans les facteurs de vulnérabilité qui pourraient conduire, s’ils ne sont pas corrigés, à la fragilité 20 ans plus tard. Cet état, qui s’installe insidieusement, est extrêmement difficile à diagnostiquer, dans une population de jeunes retraités, actifs, et en pleine santé. Cela nécessite une consultation très spécialisée effectuée par un gérontologue formé à l’évaluation et à la prévention du vieillissement.
Déroulement de la consultation Cette consultation se déroule en deux temps, la journée d’évaluation qui est une journée d’hôpital de jour dont le contenu est détaillé ci-dessous et une consultation de synthèse environ un mois après où l’ensemble des résultats est remis au patient sous forme d’un compte rendu détaillé et commenté. Le plan de soins est établi avec lui et adapté à ses contraintes ou possibilités. Des séances de rééducation nutritionnelle et/ou d’activité physique peuvent être proposées. Les principaux éléments de l’évaluation sont les suivants : • nutrition : poids, taille, Mini Nutritional Assessment (MNA), recherche d’un syndrome métabolique, mesure de la densité minérale osseuse et de la densité corps entier (masse maigre/masse grasse) par absorptiométrie biphotonique aux rayons X (DEXA), bilan nutritionnel par une diététicienne ; • motricité : évaluation du degré de sédentarité par mesure podométrique quotidienne pendant une semaine avant la consultation, évaluation de la masse maigre appendiculaire (sarcopénie), mesure des amplitudes articulaires, appui unipodal yeux ouverts et yeux fermés, vitesse de marche sur 10 m en simple et double tâche, force musculaire (Hand Gripp et 5 levers de chaise), sensibilité superficielle et profonde ; • cognition : Mini Mental Status (MMS) et/ou batterie d’évaluation cognitive (BEC) 96, Dubois et/ou RL/RI 16 (Grober), horloge, batterie rapide d’efficience frontale (BREF), Stroop, IRM cérébrale (si troubles détectés lors de l’évaluation) ; • humeur : entretien libre et Geriatric Depression Scale (GDS) et/ou Montgomery-Asberg Depression Rating Scale (MADRS) ; • vision ; • audition ; • statut environnemental et social, le mode de vie, l’isolement, le risque de confinement.
Mise en place d’une consultation « vieillir avec succès » • qualité de vie : échelle IOWA ; • continence : interrogatoire, bladder scan postmictionnel, bandelette urinaire. • fonction ventilatoire : radiographie pulmonaire, Piko 6 (spiromètre portable), saturation en O2 ; • cardiovasculaire : électrocardiogramme (ECG), mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) sur 16 minutes et recherche d’hypotension orthostatique, pression pulsée, index de pression systolique ; • évaluation de la douleur ; • évaluation du sommeil ; • analyse de l’ordonnance et du risque iatrogénique ; • bilan biologique : numération formule sanguine, ionogramme sanguin, bilan hépatique, bilan lipidique, clairance de la créatinine, bilan phosphocalcique, C-réactive protéine, fibrinogène, albumine et pré-albumine, TSH, vitamine B12, folates, vitamine D, électrophorèse des protéines, hémoglobine glyquée.
Positionnement de la démarche et les difficultés rencontrées Il s’agit d’une approche différente des bilans de santé traditionnels pour diverses raisons : elle s’intéresse non seulement aux maladies, mais aussi aux éléments de vulnérabilité que le patient peut présenter sans en avoir connaissance, elle utilise l’autoquestionnaire comme outil de dialogue, elle ne se focalise pas uniquement sur les pertes et les déclins, mais sur les potentialités de la personne, son expérience, ses ressources et les actions de prévention à mettre en place avant que les handicaps ou les maladies n’apparaissent. Elle permet d’anticiper les impacts du vieillissement, de faire évoluer les pratiques de santé vers la prévention, et surtout de permettre au patient de devenir le principal acteur de sa santé et de sortir de la boucle passive : maladie-médecin-médicament. Cette consultation aboutit à un parcours personnalisé de prévention. Il s’agit là d’une opportunité de bénéficier d’une consultation approfondie pratiquée par un médecin spécialiste en gérontologie. Cette consultation peut s’envisager de deux fac ¸ons : soit à la demande du médecin traitant, soit à la demande du patient mais en impliquant systématiquement le médecin traitant dans la démarche ultérieure. La principale difficulté rencontrée est le contrôle a posteriori de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) qui a déqualifié l’ensemble des séances d’hôpital de jour de « vieillir avec succès ». La raison évoquée est « qu’il ne s’agit pas de soins dans la mesure où il n’y a pas de diagnostic de maladie posé à l’issue de la journée, ni de traitement médicamenteux prescrit ». La CPAM a jugé qu’elle n’avait pas à prendre en charge la prévention. Ce positionnement montre bien la nécessité de faire évoluer les concepts sur lesquels sont basés les orientations de santé publique et de
25 passer d’une vision à court terme à une vision de la santé à 20 ans qui seule permettra de diminuer l’expression et le coût des maladies chroniques par leur prévention et surtout d’augmenter l’espérance de vie en bonne santé, alors que nous assistons depuis trois ans à sa diminution et que l’espérance de vie globale ne cesse d’augmenter.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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