Paralysie faciale récidivante, syndrome de Gougerot-Sjögren primitif et carence en vitamine B12

Paralysie faciale récidivante, syndrome de Gougerot-Sjögren primitif et carence en vitamine B12

Presse Med 2005; 34: 107-8 Emmanuel Rousso Esther Noel Jean-Marie Brogard Jean-Frédéric Blicklé Emmanuel Andrès Services de médecine interne, diabèt...

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Presse Med 2005; 34: 107-8

Emmanuel Rousso Esther Noel Jean-Marie Brogard Jean-Frédéric Blicklé Emmanuel Andrès

Services de médecine interne, diabète et maladies métaboliques de la Clinique médicale B, Hôpitaux universitaires de Strasbourg (67)

Correspondance: E. Andrès, Service de médecine interne, Clinique médicale B, Hôpital Civil, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg Cedex Tél.: 0388115066 Fax: 0388116262 emmanuel.andres@ chru-strasbourg.fr

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Paralysie faciale récidivante, syndrome de Gougerot-Sjögren primitif et carence en vitamine B12

Summary

Résumé

Recurrent facial palsy, primary Sjögren's syndrome and vitamin B12 deficiency

Introduction Diverses atteintes des nerfs crâniens ont été rapportées dans le cadre du syndrome de Gougerot-Sjögren. Ainsi, des atteintes du V, du III et du VII ont été rapportées, l’atteinte la plus caractéristique étant celle du V, surtout de sa branche inférieure. De rares paralysies faciales bien documentées ont aussi été décrites. Observation Chez une femme de 40 ans, une PF récidivante a été révélatrice d’un syndrome de Sjögren primitif et d’une carence en vitamine B12. Discussion La survenue de la paralysie faciale a été rattachée au syndrome de Gougerot-Sjögren. Un rôle du déficit en vitamine B12 est discuté.

Introduction Differing cranial nerve involvement has been reported in the context of Gougerot-Sjögren's syndrome. Involvement of the V, III and VII nerves has been reported, the most characteristic being nerve V, notably its lower branch. Rare, well documented, cases of facial palsy have also been described. Observation Recurrent facial palsy in a 40 year-old woman revealed a primary Sjögren's syndrome and vitamin B12 deficiency. Discussion The onset of facial palsy has been linked with GougerotSjögren's syndrome. The contribution of vitamin B12 deficiency is discussed. E. Rousso, E. Noel, J.-M. Brogard, J.-F. Blicklé, E. Andrès Presse Med 2005; 34: 107-8 © 2005, Masson, Paris

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iverses atteintes des nerfs crâniens ont été rapportées dans le cadre du syndrome de Gougerot1 Sjögren .Ainsi, des atteintes du V, du III et du VII ont été rapportées dans les grandes séries de syndromes 1,2 de Sjögren de la littérature ou lors de “case report” .L’atReçu le 6 février 2003 teinte la plus caractéristique est celle du V, surtout de sa Accepté le 18 mars branche inférieure,avec une hypoesthésie sensitive habi2004 1 tuellement unilatérale . Des paralysies faciales (PF) ont aussi été décrites, les PF centrales étant le plus souvent rapportées en association avec une atteinte neurologique diffuse du syndrome de Sjögren (neuro-SjöGlossaire 2 gren) . Nous rapportons une observation AC anticorps originale de PF récidivante révélaBGSA biopsie des glandes trice d’un syndrome de Sjögren et salivaires accessoires d’une carence en vitamine B12. EMG

électromyogramme

IRM

imagerie par résonance magnétique

LCR

liquide céphalorachidien

PCR

réaction de polymérisation en chaîne

PF

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© 2005, Masson, Paris

paralysie faciale

29 janvier 2005 • tome 34 • n°2 • cahier 1

Observation Une femme de 40 ans, ayant pour seul antécédent une hypothyroïdie de Hashimoto substituée, consultait pour suspicion de PF.L’examen clinique confirmait la présence

d’une PF droite périphérique, avec signe de Charles Bell positif. Celle-ci était étiquetée a frigore malgré une parotidomégalie bilatérale et traitée par corticothérapie générale (0,5 mg/kg/jour sur 10 jours) et kinésithérapie avec une évolution favorable. Un an plus tard, survenaient 2 nouveaux épisodes de PF gauche centrale (absence de signe de Charles Bell),spontanément résolutifs.À l’interrogatoire,la patiente se plaignait en outre d’un syndrome sec buccal et oculaire, de paresthésies des 4 membres (à type de fourmillements), et d’arthro-myalgies diffuses, plus ou moins sévères. L’examen clinique était normal en dehors d’une PF gauche centrale et d’une minime parotidomégalie bilatérale; le reste de l’examen était normal, en particulier sur le plan neurologique et articulaire. Le test de Schirmer était positif (1/5 graduation positive);le test au sucre également (sucre non fondu après 5 minutes). Il existait un discret syndrome inflammatoire avec une protéine C réactive à 20 mg/L et une hypergammaglobulinémie polyclonale. La vitamine B12 sérique était abaissée sur 2 prélèvements consécutifs à 172 et 180 pg/mL (N > 200), avec une homocystéine totale à 14 µmol/L (N < 13), sans anticorps (AC) anti-facteur intrinsèque et anti-cellules pariétales gastriques.L’hémogramme était normal, en dehors d’une tendance à la La Presse Médicale - 107

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macrocytose avec un volume globulaire moyen à 95 fL (80 < N < 100). Le bilan thyroïdien était normal; toutefois les AC anti-thyroperoxydase étaient à 1,5 N. La sérologie de Lyme était négative, tout comme les sérologies des hépatites virales B et C et du VIH et la recherche d’une élévation de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. La recherche d’AC antinucléaires était positive au e 1/1280 avec la présence d’AC anti-RO (SSA) en 300 UI/mL en ELISA, tout comme celle de facteur rhumatoïde à 100 UI/mL. La recherche de cryoglobulinémie était négative,ainsi que celle d’AC anti-phospholipides. L’étude du liquide céphalo-rachidien (LCR) montrait une augmentation de la cellularité avec 14 lymphocytes/mm3,sans hyperprotéinorachie (0,5 g/L),sans synthèse intrathécale d’immunoglobulines, avec un liquide stérile (PCR des Herpes viridae négatives). L’électromyogramme (EMG) des 4 membres était interprété comme normal, tout comme les potentiels évoqués visuels,auditifs et somesthésiques.Une IRM cérébrale avec injection de gadolinium mettait en évidence de multiples hypersignaux de la substance blanche en séquence T2 de type lésions démyélinisantes multifocales. L’échographie des parotides montrait une parotidomégalie bilatérale, homogène, et la biopsie des glandes salivaires accessoires (BGSA) un infiltrat lymphocytaire et des lésions discrètes de fibrose l compatibles avec un grade IV de la classification de Chisholm. Sur l’ensemble de ces éléments, le diagnostic retenu était celui de PF récidivante révélatrice d’un syndrome de Sjögren (en accord avec les critères européens révisés) et d’une carence en vitamine B12, dont nous discuterons plus loin de la réalité. Le premier épisode de PF périphérique a été rattaché rétrospectivement à la parotidomégalie, les 2 épisodes de PF centrales suivants à un éventuel neuro-Sjögren (méningo-encéphalite). L’évolution initiale était favorable avec une disparition de la PF et de la parotidomégalie en une dizaine de jours sous corticothérapie (40 mg/24 heures), vitamine B12 injectable (1 000 µg /24 heures) et kinésithérapie faciale. Un traitement par hydroxychloroquine (400 mg/24 heures) était instauré (la patiente refusant des immunosuppresseurs),associé à un traitement symptomatique du syndrome sec. L’évolution ultérieure était marquée par l’absence de récidive de PF, périphérique et surtout centrale, mais par l’exacerbation des paresthésies des 4 membres et la stabilité des lésions sur l’IRM (absence d’analyse ultérieure du LCR ou d’EMG) (recul de 2 ans).

Discussion Une atteinte bien documentée des nerfs crâniens dans le syndrome de Sjögren, en particulier du VII, a été rapportée dans de rares 3-5 observations . Cependant, il faut souligner que les atteintes des nerfs crâniens sont probablement sous-estimées dans ce syndrome, car partiellement méconnues (en dehors de celle du V); le syndrome de Sjögren n’étant pas une cause “classique” donc forcéer ment cherchée de PF.Le 1 épisode de PF (périphérique) de cette patiente avait ainsi été étiqueté a frigore. Les 2 épisodes de PF suivants, avec une PF centrale, ont toutefois permis la mise en évi108 - La Presse Médicale

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dence d’un syndrome de Sjögren, avec une atteinte neurologique diffuse pouvant correspondre à un neuro-Sjögren. En effet, la patiente avait un syndrome de Sjögren primitif certain selon les critères européens révisés,avec des symptômes et signes oculaires, la présence d’AC anti-SSA et d’anomalies histologiques caractéris1 tiques à la BGSA . De plus, elle avait un LCR pathologique et l’iconographie du SNC (multiples lésions démyélinisantes à l’IRM) était 1,2 compatible avec un neuro-Sjögren .Initialement,nous avions également discuté et progressivement éliminé les affections démyélinisantes type sclérose en plaques,sarcoïdose et syndrome des anti2 phospholipides . La patiente avait aussi une carence en vitamine B12 selon les cri6 tères actuels de carence en vitamine B12 . La réalité de cette carence peut toutefois toujours être discutée, notamment la réalité de la carence tissulaire en vitamine B12 et son implication dans la genèse des manifestations neurologiques. Un lien entre cette carence et le syndrome de Sjögren peut cependant être envisagé. En effet, il existe de rares observations d’association entre syndrome de Sjögren et maladie de Biermer,notamment dans le cadre 7 des syndromes auto-immuns multiples . Notons également que nous avions rapporté récemment 3 observations documentées de carence en vitamine B12 dans le cadre d’authentique syndrome de Sjögren via un mécanisme de non-dissociation de la vitamine B12 8 de ces protéines porteuses . Avant de conclure, nous voudrions souligner l’efficacité chez la patiente de la corticothérapie (à 0,5 mg/kg/24 heures pendant 10 jours) sur l’évolution immédiate de la PF et le rôle préventif potentiel de l’hydroxychloroquine (malgré un recul modeste de 18 mois). Dans ce cas, la prescription de cette molécule était surtout motivée par la présence d’arthromyalgies invalidantes.D’autre part dans le cadre de ce neuro-Sjögren, nous voudrions également souligner l’intérêt plus que probable des immunosuppresseurs (malgré l’absence d’études randomisées), option refusée formelle1,2 ment par la patiente . ■

Références 1 Kaplan G, Mariette X. Syndrome de Gougerot-Sjögren. In : Kahn MF, Peltier AP, Meyer O, Piette JC. Maladies et syndromes systémiques. Flammarion Médecine-Sciences, 4e ed, Paris, 2000: 533-74. 2 Amoura Z, Lafitte C, Piette JC. Complications neurologiques du syndrome de GougerotSjögren. Presse Med 1999; 28: 1209-13. 3 Haditi M, Stam F, Donker AJ, Dijkmans BA. Sjogren's syndrome: an unusual cause of Bell's palsy. Ann Rheum Dis 2001; 60: 724-5. 4 Berault-Dupont C, Saveuse H, Dechy H, Lesur G, Rouveix E, Dorra M. Paralysie faciale périphérique et syndrome Gougerot-Sjögren primaire. Presse Med 1992; 21: 83-4. 5 Uchihara T, Yoshida S, Tsukagoshi H. Bilateral facial paresis with Sjogren's syndrome. J Neurol 1989; 236: 186. 6 Andrès E, Noel E, Kaltenbach G, Noblet-Dick M et le Groupe d’étude des carences en vitamine B12 des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Carences en vitamine B12 chez l’adulte: données actuelles. Ann Biol Clin 2002; 60: 744-5. 7 Humbert P, Dupond JL. Syndromes auto-immuns multiples. Ann Med Interne 1988; 139: 159-68. 8 Andrès E, Goichot B, Perrin AE, Vinzio S, Demangeat C, Schlienger JL. Sjögren’s syndrome: a potential new cause of mild cobalamin deficiency. Rheumatology 2001; 40: 1196-7. 29 janvier 2005 • tome 34 • n°2 • cahier 1