Revue du rhumatisme monographies 81 (2014) 101–108
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Pathologie des petits orteils Pathology of the small toes Cyrille Cazeau a,∗ , Yves Stiglitz a , Christophe Piat b a b
Clinique Geoffroy-Saint-Hilaire, 59, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 75005 Paris, France Clinique du Dôme, 5, avenue Victor-Hugo, 75016 Paris, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : ´ Accepté le 21 fevrier 2014 Disponible sur Internet le 2 avril 2014 Mots clés : Orteils en griffe Cor Œil de perdrix Bunionette Quintus varus
r é s u m é Les griffes des orteils médians sont fréquentes et peuvent revêtir des formes cliniques diverses. Elles sont la conséquence d’un déséquilibre dynamique entre muscles allongeurs et raccourcisseurs des orteils. L’anatomie des orteils et l’anatomie fonctionnelle des muscles concernés sont fondamentales ; couplées à un examen clinique minutieux, elles sont la clé de la prise en charge, permettant d’identifier la plupart des étiologies. La pathologie du cinquième orteil est spécifique et s’intègre dans le cadre des déformations du cinquième rayon : griffe, cor interdigital, Taylor Bunion. Le traitement doit être d’abord conservateur et ne fait intervenir la chirurgie qu’en cas d’échec. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. pour la Société française de rhumatologie.
a b s t r a c t Keywords: Claw toes Horn Corn Taylor Bunion Quintus varus
The median claw toes are frequent and can take several clinical forms. They are the result of a dynamic imbalance between extenders and shorteners muscles of the toes. The anatomy of the toes and the functional anatomy of the muscles involved are essential, coupled with a thorough clinical examination, they are key to the management because they identify most causes. The pathology of the fifth toe is unique and is an integral part of the pathology of the fifth ray: claw toe, interdigital horn, and Taylor Bunion. Treatment should first be conservative, and involves surgery in case of failure. © 2014 Published by Elsevier Masson SAS. on behalf of the Société française de rhumatologie.
1. Introduction La griffe des orteils est une déformation extrêmement fréquente qui constitue un des principaux motifs de consultation de chirurgie de l’avant-pied. Elle répond à une définition précise et revêt plusieurs formes cliniques [1] qu’il faut savoir démembrer pour orienter le diagnostic étiologique et proposer, s’il est indiqué, le traitement chirurgical adapté.
du pas, le caractère permanent de la griffe a pour conséquence un hyper-appui contre la chaussure en regard des zones déformées, responsable de la symptomatologie motivant la consultation. Les griffes peuvent se présenter cliniquement sous différentes formes en fonction de la localisation du conflit (Fig. 1), matérialisé par la présence d’un cor.
2. Définitions et types de griffes Une griffe d’orteil correspond à une déformation permanente dans le plan sagittal. À la différence de la position physiologique normale et transitoire que prend l’orteil lors du déroulement
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Cazeau).
2.1. Griffe proximale Le cor siège à la face dorsale de l’articulation interphalangienne proximale (IPP) (Fig. 2). Cette griffe correspond à une déformation en flexion de l’IPP qui s’associe à une hyperextension de l’articulation métatarsophalangienne (MP). L’articulation interphalangienne distale (IPD) est quant à elle en position indifférente.
http://dx.doi.org/10.1016/j.monrhu.2014.02.007 1878-6227/© 2014 Publie´ par Elsevier Masson SAS pour la Société française de rhumatologie.
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11 : long extenseur des orteils, insertion sur la face dorsale de la MP 2 : long extenseur, expansions sur la base de P2 et P3 3 : court extenseur, inseron commune avec le long extenseur 4 : court fléchisseur des orteils 5 : long fléchisseur des orteils
MP
P3
M
M : métatarsien MP : arculaon métatarso-phalangienne P1 : première phalange P2 : deuxième phalange P3 : troisième phalange Fig. 1. Les différents aspects d’orteils en griffe : (A) griffe proximale, (B) griffe distale, (C) griffe inversée.
Fig. 4. Anatomie schématisée de l’insertion des tendons extenseurs et fléchisseurs des orteils.
2.4. Griffe totale inversée
Fig. 2. Traitement d’une griffe proximale fixée de l’IPP par arthrodèse de celle-ci associée à une ténotomie percutanée du long extenseur.
2.2. Griffe distale Un cor est localisé à la face dorsale de l’IPD qui est déformée en flexion et s’accompagne d’une deuxième zone de conflit sur la pulpe de l’orteil (Fig. 3). L’IPD est en flexion ; les IPP et MP sont en position neutre. 2.3. Griffe totale Comme une addition des deux formes précédentes, une griffe totale expose à l’apparition de cors dorsaux (en regard de l’IPP et de l’IPD) et pulpaires. Ces deux articulations sont fléchies et la MP en hyperextension.
Contrairement à la griffe totale, le conflit se situe à la face dorsale de l’IPP et à la face plantaire de l’IPD (Fig. 1). Elle résulte d’une flexion de l’IPP et d’une extension de l’IPD. La MP se positionne en hyperextension réactionnelle. Cette présentation clinique est très similaire à une boutonnière d’un doigt même si la physiopathologie diffère. En fonction de leur forme évolutive, il faut également distinguer ce qui suit. 2.5. Griffe réductible La pression sous les têtes métatarsiennes lors de l’examen clinique permet de réduire la griffe. L’extension active de l’orteil est possible. 2.6. Griffe fixée La réduction active par le patient ou passive par l’examinateur n’est plus possible. Le caractère fixé de la griffe s’explique par une rétraction capsulo-ligamentaire des MP, IPP, ou IPD, à laquelle peut parfois s’associer des rétractions tendineuses. 2.7. Luxation métatarsophalangienne À la rétraction capsulo-ligamentaire dorsale de la MP s’associe une altération de la plaque plantaire qui aboutit progressivement à la luxation dorsale de l’articulation. La découverture plantaire se traduit par une hyperpression sous la tête métatarsienne avec une hyperkératose réactionnelle. La reconnaissance de ces différentes formes cliniques, associée aux notions fondamentales d’anatomie du pied, permettent le diagnostic étiologique. 3. Anatomie 3.1. Rappels anatomiques
Fig. 3. Traitement d’une griffe distale de l’IPD par arthrodèse percutanée montée par broche.
Chaque rayon (du deuxième au cinquième) est constitué d’un os métatarsien et de trois phalanges, numérotées de proximal à distal : première phalange (P1), deuxième phalange (P2) et troisième phalange (P3) (Fig. 4). L’ensemble est animé par un appareil
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MP
IPP
IPD
• lombricaux : flexion MP++, renforcement des interosseux, déviation médiale des orteils (abduction du 2e ; adduction des 3e , 4e et 5e ).
(F) (F) E F F
F F 0 E E
F 0 0 E E
Ainsi, après avoir analysé l’action précise de chaque muscle sur chaque segment ostéo-articulaire, il est possible d’identifier les situations qui tendent à créer une griffe d’orteil ou au contraire à s’y opposer.
Tableau 1 Résumé de l’action des groupes musculaires.
Fléchisseurs Long Court Extenseurs Interosseux Lombricaux
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F : flexion ; E : extension ; 0 : absence d’action ; () : action indirecte ; MP : métatarsophalangienne ; IPP : interphalangienne proximale ; IPD : interphalangienne distale.
3.3. Genèse de la griffe
musculo-tendineux complexe, clé de la compréhension du phénomène de griffe [2].
Parmi les muscles décrits, certains ont pour effet de raccourcir les orteils ce qui génère la griffe, d’autres de les rallonger, s’opposant au phénomène de griffe [3].
3.1.1. Tendons fléchisseurs Le long fléchisseur commun des orteils, profond, est le plus long. Il longe la face plantaire de l’orteil et s’insère à la base de P3. Le court fléchisseur plantaire des orteils, superficiel, est le plus court et s’insère à la face plantaire de la base de P2. Avant son insertion, il se divise en deux bandelettes laissant passer le tendon du long fléchisseur commun.
3.3.1. Raccourcisseurs La longueur totale des orteils est la plus faible en extension des MP et en flexion des IP. Cette situation se rencontre lors de l’action combinée des fléchisseurs (long et court) et des extenseurs (long et court). Ces muscles sont donc raccourcisseurs d’orteils et par conséquent accompagnent le phénomène de griffe.
3.1.2. Tendons extenseurs Le long extenseur provient du muscle long extenseur commun des orteils qui envoie un tendon pour chaque rayon latéral. Le court extenseur est issu du muscle court extenseur commun des orteils (muscle pédieux) qui adresse un tendon à chaque rayon sauf le 5e (1er au 4e rayon). Les tendons court et long s’unissent en regard de la tête du métatarsien (sauf pour le 1er rayon) avant de se diviser en une bandelette médiane (insérée à la face dorsale de la base de P2) et deux bandelettes latérales (insérées à la face dorsale de la base de P3). 3.1.3. Muscles interosseux Ils sont répartis en interosseux dorsaux et plantaires. Chaque orteil rec¸oit deux interosseux, l’un à son bord médial, l’autre à son bord latéral. Leurs tendons s’insèrent de fac¸on successive sur les trois phalanges de l’orteil, directement de part et d’autre de la base de P1 puis par le biais d’une dossière dorsale elle-même insérée sur la base de P2 et de P3 (conjointement avec les insertions de l’extenseur). 3.1.4. Muscles lombricaux Au nombre de quatre, ils prennent naissance sur chaque tendon du long fléchisseur commun des orteils et, après s’être réfléchis sous le ligament transverse intermétatarsien, ils rejoignent le bord médial de la dossière des interosseux de chaque orteil. 3.2. Anatomie fonctionnelle L’anatomie des différentes structures musculo-tendineuses décrites plus haut permet d’en déduire l’action musculaire. Son intensité est indiquée par le nombre de croix (Tableau 1) : • fléchisseurs : ◦ long fléchisseur commun : flexion MP, IPP ++ et IPD +++. Il faut noter que l’action est indirecte sur l’articulation MP, se faisant au passage par « enroulement », car l’insertion tendineuse est distale sur la base de P3, ◦ court fléchisseur plantaire : flexion MP et IPP+++ ; • extenseurs : extension MP+++ et aucune action sur les IPP et IPD+++ ; • interosseux : extension IPP ++ et IPD++ ;
3.3.2. Allongeurs C’est en flexion des MP et extension des IP que les orteils ont leur plus grande longueur. Cela se produit lors de l’action des interosseux et des lombricaux : ils sont donc allongeurs d’orteils et s’opposent à la griffe. 4. Étiologies Si on admet que les principales causes de griffes d’orteils trouvent une explication dans la perturbation de l’anatomie normale, deux types de circonstances peuvent conduire à leur genèse. 4.1. Anomalies architecturales Sous ce terme figure l’ensemble des causes modifiant la statique du pied ou qui, par une action extérieure, agit sur celle des orteils. 4.1.1. Hallux valgus Deux mécanismes sont à l’origine de la griffe des orteils latéraux. D’une part, la déviation latérale de l’hallux occasionne un conflit avec le 2e , voire le 3e orteil, orteils qui n’ont plus la possibilité spatiale d’occuper leur plus grande longueur. Les orteils se placent donc au-dessus ou en dessous de l’hallux (supraductus ou infraductus). D’autre part, une insuffisance fonctionnelle du premier rayon (metatarsus elevatus) génère un transfert de charge sur les rayons latéraux : l’hyperpression sous les têtes métatarsiennes provoque une distension des éléments capsulo-ligamentaires plantaires des MP qui se placent en hyperextension. Cliniquement, on observe alors un 2e orteil infraductus. 4.1.2. Avant-pied rond et excès de longueur des métatarsiens latéraux Ces situations correspondent, comme lors d’une insuffisance fonctionnelle du 1er rayon, à une augmentation de charge sous les têtes métatarsiennes (Fig. 5). La conséquence est là aussi une distension capsulo-ligamentaire plantaire avec hyperextension des MP, à l’origine de la griffe. 4.1.3. Dysharmonie de longueur des orteils Dans le cas des pieds dits « hypergrecs », la brièveté du 1er rayon associe un hallux court à un 1er métatarsien court. Toutes les contraintes de longueur s’appliquent sur les orteils latéraux et la
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orientées créant des insuffisances d’appui du premier rayon. Cela se rencontre notamment lors de planifications préopératoires incomplètes dans la cure chirurgicale d’un hallux valgus où le cahier des charges architectural n’a pas été respecté. 4.1.8. Toute situation d’hyper-appui des rayons latéraux Quelle que soit son origine, iatrogène ou non, comme un syndrome du deuxième rayon, l’hyper-appui peut générer des déformations en griffe. 4.2. Déséquilibres fonctionnels
Fig. 5. Orteils en griffes sur avant-pied rond.
situation correspond à un excès relatif de longueur des métatarsiens latéraux par rapport au 1er rayon. 4.1.4. Crosse latérale de l’hallux D’origine congénitale, cette déviation latérale de la phalange distale de l’hallux est due le plus souvent à un valgus intraphalangien siégeant dans l’articulation IP, P2 de l’hallux entre en conflit avec le 2e orteil qui se place en boutonnière : extension de la MP, flexion de l’IPP et IPD en discrète extension (Fig. 6). 4.1.5. Pieds creux directs Cette pathologie comporte constamment une composante de verticalisation de l’avant-pied. Les MP se découvrent à leur face plantaire et les éléments capsulo-ligamentaires se distendent. Les MP se positionnent en hyperextension et la griffe s’installe par flexion compensatrice des IP. 4.1.6. Pied inflammatoire La polyarthrite rhumatoïde figure au premier rang des griffes d’origine inflammatoire. La physiopathologie de cette atteinte passe avant tout par une destruction péri-articulaire rapide, là où la synoviale s’insère, prédominant sur les MP, qui sont à l’origine des griffes. 4.1.7. Griffes iatrogéniques Toute intervention chirurgicale à l’origine d’une perturbation architecturale de l’avant-pied peut créer une griffe d’orteil. C’est par exemple le cas de résections osseuses trop importantes générant des excès relatifs de longueur des orteils ou d’ostéotomies mal
La griffe ne se constitue pas par action extérieure aux orteils comme précédemment, ni pour des raisons d’anatomie déficiente. La cause est ici musculo-tendineuse, le plus souvent par rétraction des fléchisseurs. 4.2.1. Pieds creux antéro-internes et pieds creux neurologiques Contrairement aux pieds creux directs, c’est l’hypertonie des fléchisseurs qui est à l’origine de la griffe. La griffe est totale, associant flexion de l’IPD (avec cor pulpaire), flexion de l’IPP (avec cor dorsal) et extension majeure de la MP (avec durillon plantaire). 4.2.2. Séquelles de traumatisme de jambe Elles sont fréquentes et pourtant rarement identifiées. Tous les traumatismes de jambe avec hyperpression des loges postérieures sont concernés, comme par exemple les écrasements, les syndromes des loges avérés, ou a minima (faisant suite à un enclouage du tibia, par exemple). Les muscles fléchisseurs sont le siège d’adhérences puissantes qui évoluent progressivement vers la rétraction tendineuse. Cliniquement, les griffes sont fixées (non réductibles activement ni passivement) mais se réduisent en flexion plantaire de cheville (effet ténodèse). 4.2.3. Pied neurologique Le mécanisme de départ est, là aussi, la spasticité des fléchisseurs dans le cadre, par exemple, de séquelles d’hémiplégie. Dans cette atteinte, la griffe siège sur l’ensemble des orteils y compris l’hallux et particulièrement son IP qui se positionne en flexion. 4.2.4. Griffe congénitale Les fléchisseurs sont courts de fac¸on congénitale. Il existe donc une inadéquation entre leur longueur et celle du squelette du pied et des orteils. Les IPD et IPP sont fléchies et les MP se placent en extension compensatrice. 5. Traitement Le développement d’une griffe est un phénomène d’installation longue occasionnant des symptômes d’intensité variée, essentiellement liés aux cors d’hyper-appui. Les traitements non chirurgicaux ont donc toute leur place dans le traitement de la griffe, réservant la chirurgie aux formes symptomatiques les plus invalidantes. 5.1. Traitements non chirurgicaux 5.1.1. Pédicurie L’excision des cors par le pédicure est efficace sur la douleur puisqu’en supprimant l’épaisseur d’hyperkératose elle diminue le conflit avec la chaussure. Néanmoins, l’inconvénient majeur est celui d’une récidive inexorable imposant des soins répétitifs.
Fig. 6. Griffe d’un 2e orteil supradductus sur hallux valgus.
5.1.2. Orthoplasties Réalisées sur mesure par le pédicure-podologue, les orthoplasties siliconées sont confectionnées par moulage (Fig. 7). Elles occupent l’espace environnant l’orteil le protégeant du contact
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Fig. 8. Ténotomie percutanée du court fléchisseur dans le traitement d’une griffe souple de l’IPP. A. Griffe proximale. B. Réductibilité partielle. C. Ténotomie percutanée du court fléchisseur et arthrolyse plantaire de l’IPP. D. Recurvatum passif prouvant la qualité de la libération.
De fac¸on plus anecdotique en termes de fréquence d’indications, certains auteurs ont proposé des transferts tendineux [5] du court fléchisseur vers la dossière des extenseurs [6]. Cela n’est qu’une illustration supplémentaire des objectifs recherchés : suppression de l’action raccourcissante du court fléchisseur et renforcement de l’action allongeante des lombricaux et interosseux par l’intermédiaire de leur terminaison. 5.2.2. Gestes ostéo-articulaires Deux attitudes s’opposent : conservatrice ou non conservatrice. Fig. 7. Orthoplastie en silicone protégeant l’IPP et s’appuyant sur les orteils voisins ; traitement podologique de l’orteil en griffe.
avec la chaussure. La disparition de l’hyper-appui peut aboutir à la régression ou parfois la disparition des cors. Elles posent cependant le problème d’un encombrement important dans la chaussure, dont la tolérance par le patient finit par s’épuiser. Elles ne stoppent pas la rétraction de la griffe, devenant soit inefficaces, soit impossibles à confectionner. 5.2. Traitements chirurgicaux De très nombreuses procédures chirurgicales ont été proposées et aucune ne réunit à ce jour un consensus incontesté. Il paraît donc plus approprié de s’intéresser à la nature des gestes proposés plutôt que d’établir un recensement, nécessairement incomplet. 5.2.1. Gestes tendineux L’objectif est de supprimer les rétractions des tendons ayant causé ou entretenu la griffe, c’est-à-dire les tendons extenseurs et fléchisseurs. Cependant, le long fléchisseur est fondamental dans la propulsion lors de la marche, combiné au bras de levier que représente la longueur de l’orteil en avant des têtes métatarsiennes. Il doit donc être respecté [4]. De même, il convient de respecter les tendons allongeurs d’orteils (lombricaux et interosseux) qui ont un effet opposé au phénomène de griffe. Dans ces conditions, les gestes tendineux s’adressent aux extenseurs (principalement le long) et au court fléchisseur. D’un point de vue technique, selon les choix de l’opérateur, il peut s’agir d’allongement ou de section tendineuse, réalisé à ciel ouvert ou par voie percutanée.
5.2.2.1. Arthrolyse. La première stratégie s’attache à préserver toutes les structures articulaires. Dans ce cas, seule reste possible une arthrolyse des articulations concernées afin de supprimer la rétraction des parties molles péri-articulaires qui accompagne les griffes. Il s’agit principalement d’arthrolyse plantaire des IPP des griffes proximales. Les détracteurs de cette attitude lui reprochent un plus fort taux de récidive postopératoire. 5.2.2.2. Arthroplastie et arthrodèse. Une chirurgie non conservatrice passe quant à elle par le sacrifice d’une ou plusieurs articulations. Il peut s’agir arthroplastie d’IPP ou IPD par excision de la tête de P1 ou P2 [7], qui présente l’avantage de raccourcir l’orteil et donc détendre les tendons [5]. Il peut également s’agir d’arthrodèse [3] de ces articulations dont l’objectif est d’obtenir en plus du raccourcissement une fusion osseuse évitant ainsi toute récidive. La pose de matériel d’ostéosynthèse (temporaire ou non) est alors nécessaire. Certains auteurs proposent, par les techniques percutanées ou non, des ostéotomies de réaxation de P1 et/ou P2. La correction morphologique est bonne mais en l’absence d’une rééducation de très bonne qualité entreprise dans les suites, on obtient des « orteils morts en baguette de tambour ». 5.2.3. Indications Les indications sont essentiellement liées au stade évolutif de la griffe. Le choix des gestes doit respecter les impératifs de propulsion par le long fléchisseur, ainsi qu’un bras de levier osseux efficace : • en présence d’une griffe proximale souple, une arthrolyse plantaire d’IPP combinée à une ténotomie percutanée du court fléchisseur (Fig. 8) est une stratégie intéressante car conservatrice
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Fig. 10. Ostéotomies percutanées de recul et relèvement des rayons latéraux associés au traitement de l’hallux valgus. Visualisation des cals osseux au 4e mois.
Fig. 9. Ténotomie percutanée du long extenseur pour réduction de l’hyperextension de la MP. A. Saillie dorsale du tendon du long extenseur. B. Ténotomie percutanée.
devant une pathologie peu évoluée. En cas de rétraction associée de la MP, une ténotomie percutanée du long extenseur doit être associée (Fig. 9) ; • une griffe proximale fixée fait porter au traitement conservateur un risque important de récidive. Une arthrodèse à ciel ouvert de l’IPP est effectuée (et de l’IPD en cas de griffe totale), qui comparativement à l’arthroplastie, présente l’avantage de réduire le risque de récidive tout en conservant le bras de levier osseux. L’ostéosynthèse est assurée par une broche métallique temporaire extériorisée à l’extrémité de l’orteil. Son coût est de très loin inférieur à celui des implants et son ablation en consultation au 21e jour est totalement indolore. Là aussi, en cas de rétraction associée de la MP, une ténotomie du long extenseur est nécessaire (Fig. 9), voire une véritable arthrolyse dorsale de la MP seule capable de ré-horizontaliser P1.
Toutes les autres formes de griffes sont bien plus rares et sujettes à un risque de récidive élevé. L’attitude exposée au précédent paragraphe est donc observée. Enfin, il est fréquent que les griffes d’orteils surviennent dans un tableau plus complexe de l’avant-pied associant, par exemple, des métatarsalgies et/ou des dysharmonies de longueur des métatarsiens. Le recours simultané à des ostéotomies métatarsiennes distales mini-invasives appelées DMMO (Distal Metatarsal Minimally Osteotomy) (Fig. 10) n’est donc pas rare. Dans ce cas, le raccourcissement du rayon a une traduction distale à l’orteil par détente des tendons raccourcisseurs. Les suites opératoires sont marquées par un appui complet immédiat par l’intermédiaire d’une chaussure à semelle rigide à convexité plantaire, simulant par bascule le passage du pas, portée 21 jours. Le relais se fait alors par une chaussure du commerce à semelle molle permettant la restauration de la mobilité articulaire des MP, aidée par la rééducation. L’œdème retarde le port de chaussures normales, qui se fait 45 à 60 jours après l’intervention. Natation et vélo sont autorisés au bout d’un mois, le jogging au bout de deux.
5.2.4. Suites opératoires S’agissant du traitement chirurgical de griffes isolées, c’està-dire sans geste associé sur les métatarsiens, l’appui et la mobilisation immédiats des orteils par une chaussure du commerce sont autorisés. En cas de geste sur les métatarsiens, ce sont les suites habituelles de cette chirurgie associée qui doivent être observées. 6. Pathologie du cinquième rayon Le cinquième orteil est particulièrement exposé aux conflits avec la chaussure en raison de sa position latérale. 6.1. Griffe du cinquième orteil La griffe du cinquième orteil (05) est parfois liée à une longueur incompatible avec le port d’une chaussure serrée, ou peut se voir isolément. On note souvent la présence d’une hyperextension de la cinquième articulation métatarsophalangienne (MP5) et un flessum fixé de l’IPP. Un durillon est parfois présent à la face dorso-latérale de l’IPP. Cette griffe est observée isolée ou associée à une synostose, congénitale, entre P2 et P3 du cinquième orteil (05), d’autant plus mal supportée que la chaussure est trop serrée. Les techniques chirurgicales sont mises en œuvre quand l’orthoplastie en silicone n’est plus efficace. Il s’agit comme plus haut de ténotomies, d’arthrodèses ou d’ostéotomies de réaxation. 6.2. Quintus varus et Taylor Bunion 6.2.1. Description La forme supraductus du quintus varus est la plus fréquente, souvent congénitale [8]. Elle est particulièrement inesthétique et peut considérablement gêner le chaussage. L’orteil est dévié médialement, recouvre partiellement 04 et peut présenter des anomalies rotatoires. La position en flexion dorsale de la MP découvre la face plantaire de M5 et peut provoquer un durillon douloureux. Tous les éléments situés dans sa concavité sont rétractés : peau, capsule articulaire et tendon extenseur. Une forme clinique plus rare, infraductus, existe. Le quintus varus est possiblement associé à une bunionette. Celle-ci est également appelée Taylor’s bunion, en raison du conflit latéral lié à la position assise en tailleur habituelle dans la profession du même nom. La tête du cinquième métatarsien (M5) est exposée
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pour différentes raisons anatomiques. Il peut s’agir d’un metatarsus valgus, image en miroir du metatarsus varus du premier rayon, avec une augmentation de l’angle entre M4 et M5. Dans ce cas, le quintus varus est souvent associé. Par opposition, le conflit peut être lié directement à un excès de volume de la tête de M5. Enfin, la diaphyse de M5 peut être congénitalement déformée en lame de sabre, la concavité latérale étant alors responsable du conflit capital. 6.2.2. Traitement Le traitement du quintus varus supraductus consiste à allonger tous les éléments rétractés dans la concavité supéro-médiale : arthrolyse de la MP5, allongement de l’extenseur et si nécessaire une plastie cutanée d’expansion dite en « Z » (Fig. 11). Récemment se sont ajoutées des techniques d’ostéotomies percutanées de réaxation de la P1 de 05 (Fig. 12). Le Taylor Bunion se traite par ostéotomie, soit diaphysaire, soit distale en Scarf ou chevron, selon le lieu de la déformation. Ici également, les techniques percutanées sont très utiles (Fig. 13). 6.3. Cor interdigital Il siège le plus souvent au fond du quatrième espace interdigital. Il peut siéger également à la face médiale de 05 (Fig. 14) et la face latérale de 04. La macération donne un aspect ramolli ulcéré. C’est dans ce cas que l’on parle d’œil de perdrix (Fig. 14), correspondant à une zone Fig. 12. Quintus varus supraductus (1) ; ostéotomie percutanée de réaxation de P1 de 05 (2), fixée par brochage (3 et 4).
Fig. 13. Taylor Bunion, (1) traité par ostéotomie percutanée, (2) de médialisation, (3) de la tête de M5.
Fig. 11. Quintus varus supraductus avec rétraction cutanée (1), traitée par lambeau en « Z » (2). Inversion des lambeaux (3 et 4) permettant l’allongement cutané.
d’hyperkératose molle entourée d’un bord périphérique blanc. Il est souvent dû à un conflit osseux entre la face médiale de la base de P1 ou de la tête de 05, avec le quatrième rayon ; il peut s’agir de la face latérale de la tête du quatrième métatarsien ou la face latérale de la base de P1 de 04. Le traitement chirurgical est mis en œuvre en cas d’échec des séparateurs d’orteil et des orthoplasties en silicone. Certains
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Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références
Fig. 14. Cor de 05 ; conflit de la face latérale de la tête de P1 de 05. La macération permet par la couronne blanche ramollie de parler d’œil de perdrix (1). Fraisage percutané (2 et 3). La résection osseuse (4) permet de supprimer le conflit.
auteurs raccourcissent M5 [9], supprimant ainsi le conflit entre la base de 05 et la tête de M4. D’autres techniques plus récentes, percutanées, peuvent par fraisage supprimer électivement le conflit (Fig. 14) [10].
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