Publish and Perish sont sur un bateau : l’auteur, l’éditeur, le lecteur et l’évaluateur tombent à l’eau

Publish and Perish sont sur un bateau : l’auteur, l’éditeur, le lecteur et l’évaluateur tombent à l’eau

Pratique Neurologique – FMC 2013;4:1–2 Éditorial Publish and Perish sont sur un bateau : l'auteur, l'éditeur, le lecteur et l'évaluateur tombent à l...

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Pratique Neurologique – FMC 2013;4:1–2

Éditorial

Publish and Perish sont sur un bateau : l'auteur, l'éditeur, le lecteur et l'évaluateur tombent à l'eau Publish and perish in the same boat: Drowning author, editor, reader and valuator Tout le monde cherche (à peu près) la même chose La crise qui traverse l'édition est une profonde mutation qui intéresse à la fois les contenus et les formes des publications. L'explosion de l'Internet, le recours massif aux réseaux sociaux virtuels, ont profondément modifié le rapport de chacun avec l'information. L'accessibilité généralisée, la rapidité de diffusion, l'interactivité entre celui qui produit l'information et celui qui la reçoit, structurent une nouvelle relation entre l'individu et la connaissance. Les publications médicales et scientifiques n'échappent pas à cette évolution. Depuis plusieurs années, l'offre de l'édition a changé, tandis que, dans le même temps, la nécessité d'être publié croissait à la mesure du développement des outils d'évaluation. Le système peine à trouver un équilibre, où chacun des différents objectifs trouverait à s'épanouir. Pour l'éditeur, la diffusion, via un abonnement ou une souscription en ligne, de sa publication. Pour l'auteur, la diffusion de son travail à destination du plus grand nombre. Pour le lecteur, un tri vers la qualité, permettant d'orienter sa recherche d'information vers le meilleur et d'obtenir le meilleur rapport connaissance/temps passé. Pour l'évaluateur (les financeurs publics ou privés, les institutions académiques), des indicateurs qui lui permettent de hiérarchiser des demandes (de crédits, de postes, etc.). On le voit, les intérêts ne sont pas forcément convergents. Et il bien faut un (ou des) payeur(s). Ce pourrait être, théoriquement, celui auquel la publication, en tant que telle, rapporte le plus. De fait, chacun de nos quatre acteurs peut être celui là :  l'éditeur qui, grâce à une publication de qualité, va drainer des abonnements, mobiliser des annonceurs. Pour l'éditeur, l'audience la plus large est souhaitable, payante ou non ;  l'auteur qui augmente ses probabilités de promotion (personnelle, ou de sa recherche) en valorisant son travail. Pour l'auteur, le niveau reconnu le plus élevé possible de la publication est l'argument qui va conditionner son investissement, personnel ou financier. C'est ainsi que plusieurs journaux « en ligne » proposent de payer pour être publié en « open access » ;  le lecteur qui gagne un accès à une information triée, utile à sa connaissance et pour un investissement en temps le plus réduit possible. Pour le lecteur, la qualité la plus élevée est ce qui prime. Ce qui conditionne la qualité est un composé du travail de l'auteur et de l'éditeur (à travers celui de ses relecteurs bénévoles. . . un autre débat) ;  l'évaluateur qui utilise le système pour stratifier ses décisions. Pour lui, la fiabilité des indicateurs dont il dispose est ce qui importe. Les indicateurs favorisés aujourd'hui sont la citation directe (le nombre de fois où un travail est cité dans la littérature) et la « citabilité », à travers l'impact facteur (IF) d'une revue où un travail est publié. Un article publié dans une revue à fort IF est hautement « citable ». Cette « citabilité » n'indique pas, toutefois, qu'il puisse être, effectivement, très cité. Entre ces quatre acteurs, un jeu à vocation « tous gagnants » s'engage. Le cercle peut être vertueux : l'auteur publie un article de grande qualité dans une revue très estimée, lue avec profit par un grand nombre de lecteurs destinés à citer ce travail formidable. L'évaluateur félicite l'auteur et lui octroie un poste attrayant et des crédits illimités. . . mais, cette situation reste exceptionnelle. La logique financière de la compétition mondiale dans la production de la connaissance veut que l'immense majorité de ce qui est publié est de qualité moyenne, voire médiocre, peu ou pas lue, et que les auteurs peinent à financer leur recherche.

Économie de la publication scientifique et médicale Ainsi donc, tout le monde veut publier. Il y a bousculade au portillon. L'ensemble des institutions de tous les pays est aligné sur l'impératif : publier ! Le plus tôt, le mieux (le plus haut, et en meilleure position possible), pour être lu, et surtout, cité. Valoriser l'activité clinique, la recherche, c'est la porter sur les fonds baptismaux des grandes revues à comité de lecture. Il y a donc un effet « bottle neck » : rares sont les élus. Seule solution pour accepter le flot mondial de © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.praneu.2012.12.004

L. Vercueil EFSN, pôle de psychiatrie et de neurologie, CHU de Grenoble, 29, avenue Maquis-du-Grésivaudan, 38701 La Tronche, France Adresse e-mail : [email protected]

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L. Vercueil

Éditorial manuscrits : multiplier les revues. Jusqu'à ces dernières années, nous avons assisté à une floraison extraordinaire de revues de plus en plus spécialisées, de moins en moins citées, destinées à accueillir des articles de plus en plus confidentiels qui émanent d'équipes de plus en plus stressées. Cette offre extraordinaire, multipliée par la demande mondialisée, conduit finalement à l'impossibilité flagrante de ne pas être publié : avec un minimum de patience, de soumissions en re-soumissions, un manuscrit trouve toujours un espace libre où être accepté. De sorte qu'avec l'augmentation continue d'articles publiés, les citations sont elles aussi en augmentation (davantage de matériel à citer, davantage d'espace où citer ce matériel). On trouve ici l'explication du paradoxe liant l'inflation du nombre de revues et l'évolution continue des IF vers le haut, année après année, alors qu'un nivellement par le bas aurait été plus attendu. Ainsi, jusqu'à il y a quelques années, la création d'une nouvelle revue était une entreprise sans risque, pour peu que le thème soit bien choisi, les manuscrits soumis s'avérant proliférer, et l'IF, après quelques années de patience, mathématiquement profiter. Restait le problème des abonnements. Ce détail est réglé depuis quelques années par l'apparition de revues en lignes, actuellement en pleine multiplication, où l'accès libre du lecteur est garanti, au prix du financement par l'auteur. La logique économique est poursuivie jusqu'à son terme : celui à qui profite le plus la publication d'un article serait l'auteur, qui se voit offrir la possibilité d'être cité. C'est donc à lui de financer cette publication. Aujourd'hui, les boîtes à courriels sont assaillies d'invitations à publier dans ces revues, qui n'ont pas de support papier.

Mais il y a citation et citation Ce qui fait pourtant l'intérêt d'un article, ce n'est pas la revue dans laquelle il est publié, mais son contenu, son apport au corpus contemporain de connaissances, les nouvelles perspectives de recherche qui sont suscitées, les renversements de paradigme. Ainsi, la publication d'un article dans une revue hautement « citable » (à fort IF) ne garanti aucunement qu'il soit, effectivement, dûment cité. Enfin et surtout, les citations peuvent manifester autre chose qu'un pur intérêt scientifique : parmi les 780 articles publiés en 2009 par une vénérable revue britannique de neurologie, neurochirurgie et psychiatrie, un seul article contribue de façon significative à l'IF parce qu'il a attiré vers lui pas moins de 183 citations (fin 2012), bien

davantage que les articles arrivés juste après lui dans le classement (3,5 fois plus que l'article arrivé troisième, quatre fois plus que le septième. . .). Pourtant, cet article consacré à l'« insuffisance veineuse cérébrale » de la sclérose en plaques est surtout cité pour en faire la critique et dénoncer son caractère peu scientifique. . . Enfin, à travers les effets de modes, l'amplification médiatique auprès des décideurs, les actions efficaces de lobbying, il vaut mieux être « mainstream » pour surfer sur la tendance et bénéficier du grand mouvement « citatif » général, où la citation vaut adoubement par la collectivité du moment.

Vous voulez décidément être cité ? Adoptez les quatre règles d'or Et si malgré tout, vous persistez à vouloir monter dans le train de la démesure, voici quatre règles qui vous permettront d'améliorer votre index H*1 :  être génial : ça semble évident, mais ce n'est pas si facile. Ou en tout cas, pas tous les jours. . . ;  être le premier : l'article princeps est toujours le plus cité. Pensez à devancer le monde entier dans la description d'un effet, le rapport d'une observation, un effet secondaire indélicat ;  écrire une revue générale incontournable sur un sujet improbable. Vous êtes le seul sur ce thème pointu, et pour longtemps ;  écrire en anglais : évitez l'esperanto, le bantou, le tadjik ou même le français.

Et si le cœur vous manque. . . Pensez à la situation des institutions qui salarient des chercheurs pour qu'ils publient dans des revues auxquelles elles s'abonnent à des tarifs exorbitants. . . On trouvera difficilement activité moins désintéressée. Déclaration d'intérêts L'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article. Remerciements L'auteur remercie chaleureusement les amis lecteurs qui ont efficacement contribué à la réflexion.

1 L'indice h est le rang h du classement hiérarchique établi par nombre décroissant des citations de vos publications, tel que cité au moins h fois (par exemple, un index H de 20, signifie que la 20e publication dans le rang hiérarchique a été citée au moins 20 fois).

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