Journal
of Pragmatics
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19 (1993) 71-82
North-Holland
Review article
Quelques remarques i propos de Communicating racism* Alma Bol6n Pedretti ReCu en Mars 1992; rtvision reGue Avril 1992
Depuis une bonne dizaine d’annees une masse considerable de recherches academiques se donnent pour objet d’etude le racisme. Dans le but presque toujours explicite de lutter contre, ces analyses se proposent de penser tantot des aspects ponctuels (par exemple, la reussite d’une formule, les signifies d’une expression, etc.), tantot le phenomtne dans sa globalite (par exemple, les rapports racisme-nationalisme). L’ouvrage de Van Dijk s’inscrit aisement dans cette mouvance tout en etant illustratif de la disparite de perspectives qui soustendent ces recherches, pour la plupart se r&clamant de l’analyse de discours. Degager les presupposes a l’ceuvre dans l’analyse de Van Dijk devrait rendre compte des disparites ci-dessus mentionnees. Cela devrait Cgalement rendre compte des limites imposees par ce qui constitue l’impense de sa recherche. En 1977, Paul Henry affirmait que le champ de ce qu’on appelle les ‘sciences humaines’ et les ‘sciences sociales’ ttait domint par une problematique de la compltmentaritt rtsumable en une phrase : “De l’humain, tout ce qui n’est pas d’ordre psychologique est social, et reciproquement”. La compltmentarite decoulant de ce “qu’il n’y a pas de hiatus entre le psychologique et le social: toute realitt humaine est ou bien une r&alit& psychologique, ou bien une realite sociale. Selon les theories, l’accent est mis soit sur le psychologique soit sur le social” (Henry 1977 : 90). Ces lignes peuvent etre lues comme une description d’une contrainte discursive inhtrente a ce champ de savoir, comme une regularit qui, regissant les sciences humaines et sociales, permet de parler depuis cet emplacement, Correspondance ci: A. Bolon Pedretti, Universite de Roskilde, Institut d’ctudes Culturelles et Linguistiques, B.P. 260, DK-4000 Roskilde, Danemark. E-mail:
[email protected] * Teun A. van Dijk, Communicating racism. Ethnic prejudice in thought and talk. Newbury Park, CA: Sage, 1987. 0378-2166/93/$06.00
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1993 -
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proposde Communicating
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produisant ainsi, du moins pour une certaine communautt scientifique, un effet de ‘voix autorisee’. 1 Paul Henry part de cette affirmation pour situer la linguistique et le langage a l’interieur de ce champ. De meme, il refuse la reduction optree par cette complementarite en concevant un espace autre - qu’d la suite de M. Pecheux, il nomme discours - oti l’on retrouverait un objet relativement autonome parce qu’affranchi de determinations psycho-sociales et parce que tributaire d’un autre regime de mattrialite. Quant a moi, je ferai de cette affirmation de Paul Henry le point de depart de la critique de Communicating racism et de la justification de ce qu’on gagnerait a dejouer ce rapport de complementaritt. Communicating racism, ethnic prejudice in thought and talk se propose de rassembler et d’analyser des lieux communs propres au racisme. Par le biais d’interviews realistes aupres d’un Cchantillon de personnes habitant Amsterdam et San Diego (Californie) on parvient a constituer un corpus tense reprbenter le discours raciste. Recherche nettement empirique, elle fait une toute petite place aux considerations theoriques, preferant recourir a un ‘ca va de soi’. C’est dans ce ‘ca va de soi’ qu’on reconnait le rapport de complementaritt ci-dessus mention& et que je compte aborder. Neanmoins, avant d’y proceder, on devrait signaler ce qui apparait comme une convergence entre l’analyse de Van Dijk et l’analyse de discours pratiquee par la dite Ccole francaise d’analyse de discours. Cette convergence, revendiqde par l’auteur lui-meme en tant que filiation disciplinaire, 2 est tangible du moment od la recherche se propose de rassembler les lieux communs (topics), c’est-a-dire les enonces susceptibles d’itre dits, repris, rep&es, reproduits; ce que Van Dijk appelle “the way racism is reproduced through everyday talk” (p. 11). Cet interet pour le discours en tant que forme rep&able, en tant que regle discursive indicative de ce qui peut et ce qui surtout doit etre dit pour parler a l’intirieur d’une formation discursive (en l’occurrence le racisme) semblerait rapprocher Communicating racism des analyses de discours propostes par exemple par Pecheux dans Lhnalyse automatique du discours ou thtorisees par Foucault dans L’archko1 A cet effet de ‘voix autorisee’ Van Dijk fait allusion lorsqu’il considere la possibilite d’utiliser les resultats de sa recherche pour temoigner contre, voire faire condamner, une certaine presse: “Also, the constitutional freedom of the press as well as the difficulty of proving deliberate racist intent as required by the discrimination article of the law have up to the present continued to frustrate legal action against this practice. Our data suggest that such ethnically biased crime reporting has a pernicious influence on the beliefs and, hence, on the ethnic attitudes of many readers. (...) In principle, it should be possible to show with these data that deliberate policies to mention the ethnic background of crime may indeed contribute to legally prohibited inciting of racial hatred against minority groups” (p. 155). Le rapport entre legitimitt scientifique et legalitt etant bien tvidemment loin de notre sujet, je voudrais juste signaler la vigueur et l’efficacite - du moins au niveau des souhaits - de ce domaine de complementarite auquel Paul Henry fait reference. 2 Cf. la preface et l’introduction.
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logic du savoir pour ne titer que deux ouvrages qui ont fait date depuis leur parution en 1969. De meme, lorsque Van Dijk parle d”‘officia1 norms” (p. 62, 267) ou du “taboo of racism” (p. 103) on serait tente d’y voir un d&r de cerner cette forme d’acceptabilitt qu’est un discours. Dans la perspective de l’analyse de discours, il est pertinent, m&me necessaire, d’aborder le dit dans son rapport au dicible. D’ou qu’on puisse poser qu’il est tout a fait acceptable et m2me obligatoire, pour parler, par exemple, a l’interieur de la formation discursive ‘racisme’, de dire que ‘les immigrants sont sales, violents, paresseux’. En meme temps, il est impossible de dire ‘11s ne sont pas des etres humains’ ou de se demander ‘s’ils ont une ame’. 3 Dans le meme sens, il est mat&e a discussion, done c’est deja de l’acceptable, le renvoi des &rangers chez eux tandis que leur extermination reste hors du sujet. Cette approche du discours en tant que loi de possibilite d’une disstmination d’enonces, en tant que forme d’acceptabilite done de repttabilite, est celle qu’on trouve exposte dans L’ArchCologie du savoir ou soutenant Les mots et les chases et L’histoire de la sexualitk de Foucault: “Le regime de materialite auquel obkissent ntcessairement les enon& est done de I’ordre de l’institution plus que de la localisation spatio-temporelle, il definit des possibilitPs de r&nscription ef de transcription (mais aussi des seuils et des limites) plus que des individualites limitees et pkrissables (. ..) Alors qu’une enonciation peut &tre recommerhe ou rP-&voquPe, alors qu’une forme (linguistique ou logique) peut ttre rtGactualis&e,I’tnonci, lui, a en propre de pouvoir etre rkp&k: mais toujours dans des conditions strictes.” (Foucault 1969: 138)
On retrouverait des ethos de cette approche dans la fonction inhibitive que Van Dijk attribue aux ‘official norms’ et au ‘taboo of racism’: “Similarly, many people emphasized that, even when they did not like many characteristics of the foreigners in their town or neighborhood, they explicitly reject ‘racism’, or ‘racial discrimination’, ‘and those things”’ (p. 103). Mais il ne s’agirait que des tchos, d’un certain air de famille fort eloignt d’une communaute d’esprits: le point de convergence precedemment mention& s’estompe. En effet, pour expliquer ce tabou discursif, Van Dijk fait appel a une (L’?) histoire qui tient lieu de principe ontogtnique: “the culturally shared resentment against the Nazi occupation of the Netherlands, and the frequent mention of races in fascist ideologies. However, this antifascist tradition may also be one of the reasons that many Dutch people strongly resent the use of the words racism and racist” (p. 103).
3 En agrementant I’autre (immigri, ennemi, etc.) des caracttristiques associees a I’animalite (violence, salett, privation de parole, etc.) on construit une forme d’alttritt extreme, irrtductible; on construit un autre absolu et dtfinitif avec lequel tout &change s’avere impossible. Bien que cet effet de sens soit frequent, on ne trouve pas de formulations qui le prennent en charge (soit pour I’affirmer soit pour le nier).
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Cette capture du tabou discursif par le biais de la causalite historique (le mot ‘racisme’ serait frappe de tabou a cause du nazisme) ram&e l’analyse a une empiricite rassurante. Par consequent, malgre les affirmations du type “Topics, it should be recalled, organize talk” (p. 61) ou bien “Discourse is primarily taken as a specific form of social interaction, and not just as an ‘abstracted’ or ‘produced’ result of such interaction” (p. 32) on perqoit chez Van Dijk un geste de renvoi du discursif a une instance exttrieure qui en rendrait compte. C’est ce geste-la que Foucault se propose de suspendre, lorsqu’il se demande par exemple, en se situant sur le seul plan du discours, si “Le Sexe est-il, dans la r&alit&, le point d’ancrage qui supporte les manifestations de la sexualirk ou bien une idee complexe, historiquement formte a l’interieur du dispositif de sexualitt?” Le geste de renvoi est egalement suspendu lorsque Foucault affirme “On pourrait montrer, en tout cas, comment cette idee du sexe s’est formte a travers les differentes strategies de pouvoir et quel role defini elle y a joue” (Foucault 1976: 201). Renvoyer a une tradition pour expliquer le present (‘the antifascist tradition’ de Van Dijk) est fort different a essayer de saisir la formation d’un objet discursif a travers son histoire. Autrement dit, il ne s’agit pas de partir a la recherche des “manifestations” discursives d’une quelconque positivite prtalablement definie (sexualite, racisme) mais de rechercher comment cette positiviti, cet objet devient visible/ dicible a force d’en parler. Chez Van Dijk on a constamment l’impression qu’il y a un ‘point d’ancrage’ duquel decoulent les manifestations du racisme. Ce point d’ancrage prend la forme d’une substance susceptible d’etre dosee et travestie. D’ou la construction pour sa part d’une echelle de racisme (“the prejudice scale”, p. 131). En d&pit de son affirmation “Obviously, this scale is merely an approximation and an abstraction and cannot replace true qualitative analysis (. . .). The scale is not intended to suggest any kind of quantitative precision beyond shorthand characterization of ethnic attitudes types” (p. 132) etablir une tchelle mime si celle-ci se veut “more a typological than a purely quantitative scale” (p. 132) suppose l’existence d’un point d’ancrage, d’une substance, d’une positivite prite a etre mesurte, do&e. De m&me lorsque Van Dijk etudie les procedes de “mitigation” (p. 95) c’est-a-dire les pro&d& rhttoriques par lesquels un locuteur essaie de paraitre management is moins raciste qu’il l’est: “A more direct way of impression avoiding altogether saying (very) negative things. Interviews, therefore, abound, with various types of semantic mitigations, which, however, may also be analyzed in rhetorical therms, namely, as understatements or litotes (which stress exactly the opposite of what is said)” (p. 95). Poser qu’on peut travestir un propos a fin de mitiger ses effets, non seulement implique continuer a faire travailler la dichotomie forme/contenu
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mais aussi et surtout suppose la connaissance de ce ‘contenu’. Connaissance qui autorise son dtvoilement, son identification assurCe lorsqu’il se prtsente mitigt, dCguisC sous les masques que les figures rhktoriques (litotes, euphCmismes, ‘understatements’) lui pr&tent. C’est ce contenu, cette substance, ce point d’ancrage, nommC racisme, dont il est question tout au long de la recherche et qu’on pose comme un allant de soi qu’on refuse d’interroger. L’auteur d&s le dCpart sait ce qu’est le racisme, ainsi qu’il sait que les lecteurs le savent aussi. Cet imaginaire partagC accomplit la fonction attribuke par Paul Henry au prtconstruit ou par Michel Foucault au domaine de m&moire: poser l’existence d’un contenu qui, n’Ctant pas l’objet d’une assertion ou d’une nkgation, peut en constquence Ctre soustrait d toute interrogation.4 L’effet d’kvidence anterieure au discours ttant l’effet le plus remarquable de cette fonction. Du coup, les seules questions g soulever g propos du racisme concernent sa distribution et sa circulation dans la soci&. Du coup aussi la possibilitC de dkmarrer en affirmant “Racism and ethnocentrism are major problems in our society, requiring permanent and persistent critical inquiry” (premitire phrase de la prbface). Cette substance ‘racisme’ d laquelle Van Dijk fait rkfirence a ttt bien entendu construite dans d’autres discours et le sien ne fait que la reprendre en la nommant. Cela est dit par l’auteur lui-mtme: “Our usage of the term racism follows the traditional terminology, but it is intended to cover also the notion of ethnicism” (p. 28). De Id, la quasi absence de dkfinition de cette substance. Son essence ne nous est dite que dans l’introduction: “... ethnic prejudice will be theoretically analyzed as a specific type of negative ethnic attitude shared by the members of a (dominant) in-group” (p. 27). Plus loin on trouve aussi: “Many of these topics may be qualified as “prejudiced’, in the sense that they are based on negative ethnic group attitudes or negative generalized models” (p. 56). Ces difinitions prises i la lettre devraient nous conduire g classer comme propos racistes, comme ‘ethnic prejudice’, des enon& du type ‘Les Belges sont bztes’, ‘Les Amkricains ne sont pas culti+‘, ‘Les nordiques sont froids’, ‘Les Allemands sont grossiers’, etc. Prof&s par des Franqais, ces topoi s’ajustent g la dtfinition et pourtant on sent bien qu’il aurait quelque chose de faux g les classer parmi les tnoncts racistes qui composent le corpus de Van Dijk. Est-il dii g un manque de rigueur de la difinition? Une dtfinition plus rigoureuse, qui saisirait l’essence du racisme, nous mettrait-elle & l’abri de ces contre-exemples? Je ne pense pas, bien au contraire je crois que c’est le flou de 4 Je prends la notion de prCconstruit (et pas celle de pr&upposition qui semblerait si proche) pour des raisons de fond: la prksupposition implique un sujet A vi&es argumentatives qui essaye de faire ‘passer’ un contenu moins assertt que montrk; le prkonstruit, lib&ant le sujet de l’intentionnaliti, domicilie le contenu non assert6 quoique present dans un discours autre.
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la definition une condition indispensable a la possibilite d’en parler et de se livrer a la mensuration de ces supposes effets empiriques. Autrement dit, le phenomene ‘racisme’ est suffisamment (et surtout ntcessairement) vague et complexe comme pour faire circuler pas seulement des propositions absolument contradictoires (Les immigres ne veulent pas travailler/Les immigrts prennent nos emplois), mais encore plus ou moins fantaisistes (‘They (Surinamese) have expensive clothes and cars because they are pimps’). 11 est pour le moins risque que le chercheur dans son analyse et dans ses definitions reproduise le vague sans tenter sa d&articulation. Si l’on accepte, du fait de l’imprecision de la definition, que finalement, n’importe quel &non& peut devenir un &once raciste, cette virtualite devra cependant trouver ses limites, non point dans une ‘pensee raciste’ mais dans un fonctionnement discursif. Corrtlativement, il n’y a point d’tnonce ‘raciste’ en soi, les tnoncts racistes, pas plus que n’importe quel autre enonce, n’ont pas de sens propre, litttral, qui autoriserait leur classement dans un certain type de discours ou qui autoriserait sa mensuration. Du coup, si la absence de sens litteral conspire contre tout classement, l’identification d’un certain ‘type’ de discours devient dtfinitivement problematique. Cela signifie que la description de types (le discours raciste/le discours non raciste), homogenes et done opposables, masque ce que Van Dijk etait precisement censt d&oiler: la circulation d’tnonds et leur constitution en tant que des discours. Par ce biais on rejoint partiellement l’analyse proposee par P.A. Taguieff dans son article ‘Les presuppositions definitionnelles d’un indefinissable : le racisme’ (Taguieff 1984). Dans cette article l’auteur etudie les differentes encyclopedies et chercheurs ont fournies a definitions que dictionnaires, propos du racisme. Taguieff en tire la conclusion suivante: “L’expression designative et stigmatisante, fe racisme, paradoxe menaqant pour tout discours s’efforqant d’etre ‘anti-raciste’, risque, pour Ctre dotee de sens, d’en appeler a l’intuition, a une illumination singuliere, a un eveil specifique, a un ceil exerce - plus simplement: A des representations et valeurs admises, dessinant l’espace ideologique ou l’on sait ce qu’est le racisme. Les definisseurs s’installent ainsi dans une relation dialogique avec leurs lecteurs eventuels, censis partager avec eux un meme fonds d’opinions et croyance en tours, ou sens et reference du mot racisme sont don& conjointement sur le mode de l’evidence” (Taguieff 1984: 104). L’appel a la tradition realise par Van Dijk pour signaler l’objet dont il va parler inaugure cette relation dialogique oh auteur et lecteur semblent s’installer pour regarder le ‘meme objet. Plus loin Taguieff affirme: “C’est ce fonctionnement d’etiquette disqualifiante, mot indetermine en son sens et sa reference, mais rempli de ses representations et valeurs negatives associees, puisees dans le preconstruit culturel, que les definitions savantes ont tendance a reconduire et autoriser” (1984: 105).
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Dans ces citations je retrouve une description de la demarche suivie par Van Dijk: sa definition savante du racisme (‘a specific type of negative ethnic attitude shared by the members of a (dominant) in group’) ne fait que puiser dans ce fonds commun (oti racisme = objet a condamner) pour ensuite conclure qu’il y avait bien la quelque chose a condamner. Ce raisonnement circulaire risque, entre autres, de laisser echapper la dimension constitutive de tout discours, a savoir, l’htterogentitC,5 la presence de l’interdiscours dans le discours. A titre d’exemple je prendrai le cas d”apparent denial and negation’.‘j L’tnonct type de ce cas de figure etant ‘je ne suis pas raciste mais je n’aime pas X’: “One of the most stereotypical moves used in prejudiced talk is Apparent Denial, which usually contains a general denial of (one’s own) negative opinions about ethnic groups, followed by a negative opinion. (. . .) We call this an Apparent Denial because it is not a real denial of what was said, but only a denial of possible inferences the recipient may make, as well as a statement that is inconsistent with what is actually stated in previous or next assertions.” (p. 91) Je reprocherai a Van Dijk ici de croire le locuteur sur parole (formulation empruntee chez J. Authier) tout en n’essayant pas de le prendre aux mots. En effet, a partir d’un certain freudisme qui a fait de toute negation un aveu, Van Dijk attribue aux locuteurs de cet &once un racisme qui n’ose pas dire son nom,, un racisme frappe de tabou par une histoire qui le condamne. Si l’on prenait les locuteurs aux mots, si l’on s’en tenait aux formes employees, on pourrait restituer au ‘mais’ en question sa fonction d’inverseur de l’orientation d’une conclusion appartenant a I’imaginaire discursif, autrement dit, a ce que le discours propose comme etant une suite deja acquise,7 ainsi qu’on pourrait tenter de degager quelles sont les supposees conclusions entrainees par le ‘je ne suis pas raciste’ et que le ‘mais’ neutralise. Celui qui dit ‘up mais q’ pose que pour un certain discours ‘ up done 19’. Si on croit le locuteur sur parole, on en reste la, a le paraphraser en lui attribuant une intention susceptible de rbumer et d’homogeneiser ses propos, * tandis que, si on le prend aux mots on peut parvenir a reconstituer les imaginaires discursifs, necessairement divers, que ses propos gerent a son corps defendant. 11 revient a l’analyste de degager les equivalences assemblees par ‘p’, ‘ up’, ‘q’, ‘ lq’, ainsi que les glissements de sens qui les traversent. 5 Je renvoie ici aux travaux de J. Authier sur I’heterogeneite, Authier (1982; 1989) 6 Dam un article paru recemment dans Discourse and Society van Dijk revient sur ce cas de figure: “One of the crucial properties of contemporary racism is its denial, typically illustrated in such well-known disclaimers as ‘I have nothing against blacks, but . ..“’ (Van Dijk 1992: 87). ’ Ici, bien entendu, je ne fais que reprendre Ducrot (1984). B Autrement dit, on reproduit le geste du locuteur tense tenir des propos coherents, unifies par sa conscience vigilante.
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Pour une certaine analyse du discours, il ne s’agit pas de retrouver dans le discours les traces verbales d’une r&alit& qui lui serait exterieure mais bien au contraire il s’agit de saisir les processus de production des objets discursifs et ceci par le biais du rep&age de la repetition, de la paraphrase mais aussi et surtout par le rep&age de mtcanismes tnonciatifs qui signalent l’existence d’un discours autre, d’un interdiscours a l’interieur du discours. Tandis que pour Van Dijk il s’agit de retrouver les manifestations, les traces verbales d’un phenomene anterieur au discours, existant en dehors de lui, siegeant dans ce qui be1 et bien constitue autant de discours, mais que Van Dijk pose a un niveau autre : la tradition, la conscience du locuteur ou ses intentions prennent forme, les determinations sociales. 11 parle sur la distribution et sur la circulation d’un objet dont il a le plus grand ma1 a fournir une description tout en le supposant fort connu de nous tous. Si pour Foucault il s’agissait de montrer comment une idee s’ttait formee, duns et par le discours, si pour les linguistes travaillant la polyphonie et l’heterogentite il s’agit de montrer comment ce qui est irreductible au un apparait dans la surface discursive, pour Van Dijk il s’agit de montrer comment les reflets d’une idee, qu’il domicilie dans une empiricite, parviennent et circulent homogentises dans le discours. Lorsqu’il tente de montrer comment ca se passe il est bien oblige de faire appel a ces deux formes complimentaires auxquelles on faisait allusion au debut de notre expose: le psycho et le social. En poussant la caricature on pourrait dire que pour Van Dijk tout se joue au niveau des intentions psychologiques dttermintes par des conditions sociales. Autrement dit, le discours raciste est reconnu comme tel parce qu’il y a une tradition qui dit ce qu’est le racisme et qui en autorise done l’identification. En meme temps, ses manifestations discursives sont g&es par une conscience socialement determinCe. lo C’est ainsi que Van Dijk affirme: “In other words, speakers persistently try to manage or control the social inferences the recipient is bound to make about them on the basis of what they say” (p. 86). Le discours est done teledirigt par une conscience sous l’emprise dune “positive self-presentation”. Cette emprise produit des effets de “mitigation” (p. 95), “less-prejudiced” (p. 217), “apparent denial and negation” (p. 91).
9 Je compte reprendre ce geste analytique consistant en ‘domicilier ailleurs’. En principe, tout discours se domicilie ailleurs par effet de l’interdiscours mais il s’agit, justement, de rendre compte de la synchronie du phenomtne bien plus que de sa diachronie. lo 11 est evidemment parfois question de l’inconscient: “Whereas the overall strategy may be to reach a goal in an action sequence optimally and effectively, a move is each component act that is intended (consciously or not) to contribute to the realization of that goal” (p. 88). Dans ces propos je crois retrouver une conception de l’inconscient oti celui-ci n’est pas un langage susceptible de parler a notre insu, mais un non-su susceptible de devenir du dicible, de se constituer en savoir. Pour cette conception, l’inconscient n’est qu’un ttat autre de la conscience: ca peut devenir conscience.
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Done, non seulement il existe une substance ‘racisme’ que le chercheur connait et peut done identifier sous ses masques, mais le locuteur aussi connait cette substance et peut done la travestir a sa guise: “Therefore, the main goal of negative other-description is permanently monitored by the interactional goal of avoiding negative self-presentation” (p. 118). Cependant l’aise du locuteur trouve sa limite dans la position sociale: “... within the overall ethnic attitudes that have developed in the Netherlands, there may be specific variations depending on the social position of the (group of) people who hold them” (p. 216). Dans ces deux dernieres citations je crois retrouver le domaine de complementarite dont parle Paul Henry. Le discours, les textes qui circulent dans la societe sont abordes sous l’angle de leur production par un sujet psychologiquement et socialement determine. Tous les textes sont renvoyts a une instance anterieure, generative, done explicative a leur egard. 11 est done normal, dans ce cadre, de proposer comme explication a la montte du racisme, le role jod par les mtdias (p. 155) ainsi que l’absence de mod&e antiraciste opposable: “
because the dominant media are not antiracist, there is no ‘model’ for such talk, standard phrases or counterarguments and no dominant public discussion fed, sustained, monitored by the authorities, the institutions and (therefore) the media.” (p. 130)
no or
Si le racisme est une substance qui se manifeste dans certains contenus (les Cnoncb racistes), il peut done etre contrecarre par d’autres contenus (les Cnonces antiracistes) qui s’y opposeraient. Et il reviendrait aux autorites et institutions de trouver et de divulguer les ‘bons’ topics qui feraient echec aux ‘m&chants’. Nous sommes loin dune vision ou le racisme serait bien plus l’effet d’un fonctionnement discursif que l’emission d’une serie de contenus fig&s. Ce que Paul Henry decrit comme un rapport de complementarite chez Van Dijk est vu comme ‘the interdisciplinary perspective’: “This is not only because discourse analysis itself, as it has developed in the past two decades, emerged from several disciplines in the humanities and the social sciences such as linguistics, rhetoric, literary scholarship, speech and communication studies, psychology, anthropology and sociology . ..” (p. 13). En depit de ces convocations savantes, dont l’inttgration produirait de l’interdisciplinaire, je trains que, ces disciplines n’ayant pas un mime statut ni sur le plan academique ni sur le plan episttmologique, le resultat n’en soit moins une integration qu’une reduction. Reduction operee en faveur de la psychologie et de la sociologic. Je rappelle ce que l’on a dit a propos de la rhttorique: on fait appel a ses concepts (litotes et d’autres procedes de mitigation) pour justifier une affirmation d’ordre psychologique: ‘The interactional goal of avoiding negative selfpresentation’.
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Pareillement, lorsqu’il s’agit d’analyser la distribution des topiques racistes, c’est aux categories de la sociologic qu’on laisse le dernier mot: “Obviously, these area differences are closely associated with educational and occupational differences between people, so that the amount of contact alone is not the only factor explaining these differences” (p. 173). Je tire deux observations de ces passages. La convocation d’une pluralite de disciplines n’est pas une garantie d’etude interdisciplinaire: les disciplines acadtmiques composent a son tour un discours ou des hierarchies et des pouvoirs se construisent. A une Cgalite idtale s’oppose une subordination institutionnelle et epistemologique rtelle. Cette subordination ne se manifeste pas seulement dans l’exportation de concepts et de procedures d’analyse (par exemple le passage du concept de ‘conflit’ de l’economie a la sociologic) mais aussi et surtout dans la possibilitt de traduire, de transposer a des fins optrationnelles, les categories d’une et d’autre discipline (par exemple, le couple fonction/normes de la psychologie au couple conflits/regles de la sociologic). l1 Aborder le racisme comme un contenu de pens&e implique la possibilite de dissimuler ou de manifester ce contenu. L’aborder comme un contenu socialement et psychologiquement determine implique la possibilite de subordonner les strategies de simulation a des facteurs sociales. Lors de la construction de son echelle de racisme, Van Dijk ne se prive pas de ces possibilitts : “Although our interviews and the scale based on them are certainly more sensitive than the usual prejudiced scales used in the literature, the measurements are still derived from explicit and implicit statements. As we shall see in more detail later, this will undoubtedly favor respondents who are better able to dissimulate ‘true opinions’ with words, even in informal interviews. This also partly explains why better-educated interviewees usually score lower on this scale. In order to infer their actual ethnic attitudes, other approaches are necessary, such as an examination of the experiences of minority group members in interaction with such elite majority group members or an analysis of the sometimes subtle forms of racism in special elite discourse types.” (p. 132)
Outre qu’on pourrait soupconner Van Dijk de donner dans le lieu commun ‘traditionnel’ qui associe les intellectuels (‘better educated’) et le double langage (‘to dissimulate “true opinions” with words’) on a le droit de se demander si ce qu’il releve comme &ant ‘subtle forms of racism’ n’est pas la marque d’un mecanisme de racisation au contenu contingent, bien plus qu’un contenu raciste ingenieusement simult. Si cela etait le cas, l’enquete devrait porter moins sur l’existence ou non de ces contenus (par exemple en cherchant le temoignage de leur existence chez les victimes presumtes, ‘the minority group members in interaction with such
I1 Ces observations (Foucault 1966).
reprennent
bien sur l’analyse
faite par Foucault
dans Les mats et les chases
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elite majority group of members’) que sur les mecanismes qui permettent des effets racistes la, od justement il n’y a pas de ‘contenu raciste’. Refuser d’aborder le racisme comme un contenu de pensee rend les frontibres entre racisme et antiracisme beaucoup plus instables, beaucoup plus mouvantes. Un contenu de pensee peut Ctre assume, refuse, voile, nous pouvons nous poser comme en etant a l’origine; les frontieres et les Cchelles dtcoulant de la distribution de cette possession deviennent faciles a tracer, le classement facile a effectuer. En revanche, un mtcanisme discursif produit des effets non controlables, des effets auxquels on ne peut pas attribuer un sujetsource a son origine. Encore une fois nous touchons de prb a la problematique de l’hettrogtneite. On pourrait objecter que Van Dijk considere ce mecanisme en abordant les operations rhttoriques et les schemas argumentatifs. Pourtant, le schema argumentatif qu’il digage (p. 77) repose sur une conception ou racisme et attitudes racistes seraient identifiables en termes de contenu de pensee: “The expression of delicate or controversial social opinions in conversation is routinely expected to be backed up with arguments. It is not surprising, therefore, that interview talk abounds with argumentative sequences (.. .) These elements of acceptable argumentation may become conventionalized in a fixed schematic form in a way that recalls the narrative schema we have discussed in the previous section” (p. 7677). L’argumentation ne serait qu’une forme typie d’organisation des contenus. En meme temps, l’aspect interactif, dialogique de l’argumentation n’est que l’adaptation de ces contenus a l’interlocuteur : “The various strategies that may be used locally to perform the respective argumentative ‘steps’, may involve questions, (dis)agreements, objections, and, hence, counterarguments from the recipient (. ..) Similarly, initial opinion positions need not be fixed and well defined but may undergo strategic modifications, especially if the speaker progressively understands that the original position as it stands is no longer defensible” (p. 79). Outre que l’interaction et le dialogisme demandent a etre compris en termes plus complexes que ceux de l’adaptation - le schema bthavioriste d’adaptation au milieu semble ici avoir laisse la place a celui de l’adaptation A un interlocuteur - il continue a etre question des avatars d’un contenu de penste. 11 en va de meme pour les tactiques rhttoriques analysees par Van Dijk. Recours a l’exemple (p. 90); generalisation (p. 90); “apparent denial and negation” (p. 91); “explanation” (p. 92); “apparent concession” (p. 93); “mitigation” (p. 95); “contrast” (p. 96); “forms of vagueness” (p. 97): toutes ces tactiques supposent l’existence d’un contenu susceptible d’etre manipule par le locuteur a sa guise. Ma conclusion sera qu’il y a un lien ttroit entre l’analyse de contenu et la complementarite etablie entre les approches psychologiques et les approches sociologiques. L’analyse de contenu irait de pair avec ce domaine de complbmentarite.
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A. Bolbn Pedretti
1 A propos de Communicating
racism
Faire la place au hiatus, lui trouver l’espace qui lui revient serait la sptcificitk et la raison d’&tre d’une analyse de discours qui tente d’khapper aux dkterminismes psycho-sociales.
Rbfhences Authier-Revuz, Jaqueline, 1982. Heterogeneite montree et htttrogeneitt constititive: I%ments pour une approche de l’autre dans le discours. DRLAV Revue de linguistique 26: 91-151. Authier-Revuz, Jaqueline, 1989. Heterogeneites et ruptures: Quelques repires dans le champ enonciatif. Documents de travail et prt-publications 180/181/182, 45-58. Urbino: Centro Internazionale di Semiotica e di Linguistica, Universita di Urbino. Ducrot, Oswald, 1984. Le dire et le dit. Paris: Les editions de Minuit. Foucault, Michel, 1966. Les mots et les chases. Paris: Editions Gallimard. Foucault, Michel, 1969. L’archeologie du savoir. Paris: l?ditions Gallimard. Foucault, Michel, 1976. La volonte de savoir. Paris: fiditions Gallimard. Henry, Paul, 1977. Le mauvais outil: Langue, sujet et discours. Paris: I?ditions Klincksieck. Pecheux, Michel, 1969. L’analyse automatique du discours. Paris: Dunod Taguieff, Pierre-Andre, 1984. Les presuppositions definitionnelles d’un indefinissable: le racisme. Mots 8: 71-107. Van Dijk, Teun, 1992. Discourse and the denial of racism. Discourse and Society 3(l): 877118.