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8. Le droit après la mort Résumé Les yeux se sont fermés pour toujours, mais le droit ne s’éteint pas. Que serait le droit des personnes s’il prenait fin avec la mort ? Le droit poursuit son œuvre de défense de l’être humain, car, après tout, le fait d’être ne suffit pas à délimiter ce qu’est l’humanité.
I – La protection du cadavre La personne, vivante, ne dispose pas d’un droit de propriété sur son corps. Elle « est » son corps : le corps est le substratum de la personne132. Avec la mort, le corps qui était l’incarnation de la personne devient une chose. Le corps du mort est un cadavre. Mais une chose qui n’est pas comme une autre car elle a été vivante. Elle a pensé ; elle a créé ; elle a aimé… L’enveloppe charnelle qui contenait la vie ne répond plus ; c’est au droit de prendre le relais et il se doit d’avoir les plus grands égards. Il en est tout d’abord de la représentation du corps, et la publication de la photographie d’une personne morte caractérise l’atteinte à l’intimité de la vie privée sauf si cette mort s’inscrit dans l’actualité, comme un événement. Et encore, les tribunaux veillent ! Le corps privé de vie est protégé par le droit. Mais il en est aussi des agressions contre le corps du mort. La violation de sépulture, comme la mutilation de cadavre, sont des infractions pénales. Le corps de la personne morte devient une chose, chose protégée, la seule limite étant offerte à la personne elle-même, de son vivant. En effet, toute personne peut faire don de son corps à la science. Ce don est juridiquement hors norme : la personne fait don de son corps, alors qu’elle n’en est pas propriétaire, et elle fait ce don à la science, qui est une abstraction. Le corps est alors utilisée comme une chose, parce que celui qui en était l’incarnation l’a voulu, et parce que la chose sera utilisée par des équipes scientifiques reconnues, rendant compte de leur utilisation du corps humain. C’est un dernier signe d’attachement d’une personne à l’intérêt général. 132. R. DIERKENS, Les droits sur le corps et le cadavre de l’homme, Masson, 1986 ; M. PENNEAU, « La protection pénale du cadavre », Journal de médecine et de droit médical, 1996-1997. Mars 2007, vol. 7, n° 1
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II – L’autopsie Une autopsie n’est pratiquée que sur réquisition judiciaire, et celle-ci ne peut être arbitraire. Il faut que le contexte de la mort laisse apparaître des interrogations telles que l’autopsie s’avère indispensable133. C’est d’abord le cas de la mort violente, qui inclut les hypothèses de mort inexpliquée, mais toute mort inexpliquée ne justifie pas une autopsie. La décision est prise par la procureur de la République au regard de la défense de l’ordre public, et de son vivant, une personne ne peut prendre des dispositions pour s’opposer à une autopsie. En revanche, la famille peut s’adresser au juge judiciaire, gardien des libertés, demeurant gardien de l’intégrité du cadavre, pour s’opposer à la demande du procureur. Dans la pratique, lorsqu’il apparaît que seule l’autopsie est en mesure de mettre en lumière les circonstances du décès, celle-ci sera ordonnée.
III – Les dernières volontés Symbole de la puissance de la pensée : le droit reconnaît à une personne vivante la possibilité de prendre des dispositions qui ne seront efficaces qu’après sa mort134. Le procédé est bien entendu le testament, qui doit être pris en compte quelle qu’en soit la forme, dans la mesure où il établit la véracité de l’intention. Chacun peut organiser ses funérailles135. Toute personne peut faire valoir, sans forme, sa volonté d’être incinérée, pour voir ensuite ses cendres conservées ou dispersées136. À défaut, on présume que le choix est l’enterrement. De même, le choix d’un rite religieux ou athée doit être respecté comme une expression de la liberté de pensée, inhérent à la personne. Et l’on ne peut ignorer, ce qui constitue un retard de la société française, les difficultés pour les personnes qui ne sont pas de religion chrétienne, pour obtenir des funérailles qui soient conformes à ce qu’était leur pensée. On en vient alors à négocier âprement un « carré juif » ou un « carré musulman » dans un cimetière communal qui est couvert de croix. La République ne sera pas en faillite quand elle donnera place dans le même cimetière à toutes les religions, mais aussi bien à l’absence de religion. Survivance de la volonté après la mort, la loi autorise le mariage posthume : si le mariage n’a pu être célébré car l’un des futurs époux est décédé, le survivant peut saisir le président de la République, lequel par décret pourra ordonner ce mariage, réputé avoir eu lieu la veille du décès.
IV – La défense des droits post-mortem Si le droit ne protège rien de plus que la vie, il ne peut se désintéresser des conditions dans lesquelles une vie prend fin, notamment quand il s’agit d’une 133. CEDH, 3° section, 30 oct. 2001, n° 37794/97, Panullo et Forte c/ France. 134. Loi du 15 nov. 1887 ; CGCT, art. L. 2223-42 et R. 2213-17. 135. J.-M. AUBY, Les obsèques en France, PUF, 1997. 136. J.-M. AUBY, La crémation en France, Petites affiches, 21 février 1997, p. 12.
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fin brutale ou accidentelle. Le procureur de la République, au nom de l’ordre public, ouvre une enquête pour toute mort suspecte. Mais les proches, c’est-àdire les enfants, l’époux ou le concubin, peuvent également saisir la justice pour faire juger que le décès est du à la faute d’un tiers. Dans ce type de circonstances, l’intérêt financier n’est pas le moteur, d’autant plus que les sommes allouées par les tribunaux restent fort modérées. En revanche, le débat est passionné et la justice procède à un examen très approfondi des faits. Si le décès est dû à des violences volontaires, c’est une procédure criminelle qui est engagée et qui trouve son terme devant la cour d’assises. Mais il peut aussi s’agir de violences involontaires, c’est-à-dire d’actes imprudents ou négligents mais qui n’incluent pas l’intention de causer la mort. L’affaire est alors dirigée vers le tribunal correctionnel, mais peut également être réglée dans une procédure civile. Mais le droit n’a pas dit son dernier mot, même après l’examen lié aux circonstances de la mort, car le respect pour la personne subsiste après la mort et doit être défendu en tant que tel. Il s’agit du droit moral des auteurs, c’est-à-dire de la survivance de leur droit sur leurs œuvres. Les droits sont exploités par les héritiers, qui, en contrepartie, doivent respecter les intentions du défunt et défendre son œuvre. De même, le droit protège la mémoire des morts. Ce n’est plus une question patrimoniale mais une question d’honneur et les héritiers peuvent saisir la justice lorsqu’ils estiment que l’honneur de leur aïeul est bafoué. Enfin, la loi organise la subsistance des noms patronymiques. Lorsque les filiations ont été féminines, et que du fait des mariages se perd un nom patronymique, il est possible de demander un changement de nom par substitution ou adjonction afin que se perpétue l’histoire de ce nom.
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